Les aventures spirituelles de l'abbé Donissan (*)
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Georges Bernanos,
Sous le soleil de Satan,
roman,
1926
Le vicaire de Campagne (1) prit la route de Beaulaincourt et descendit vers
Étaples à travers la plaine.
— C'est une promenade, trois lieues au
plus, avait dit M. Menou-Segrais, en souriant. Allez à pied,
puisque c'est votre plaisir.
Il n'ignorait pas le goût naïf du
pauvre prêtre pour les voyages en chemin de fer. Mais cette
fois l'abbé Donissan ne rougit pas comme à
l'ordinaire... Même il sourit, non sans malice.
Le doyen de Campagne l'envoyait à son
confrère d'Étaples, à qui les derniers
exercices d'une retraite donnaient beaucoup de souci. Les deux
rédemptoristes qui, depuis plus d'une semaine, trois fois le
jour, retentissaient, à bout de souffle, demandaient
grâce à leur tour. Il semblait impossible d'imposer
aux malheureux la suprême épreuve d'un jour et d'une
nuit passés au confessionnal : « Votre jeune
collaborateur voudra bien nous apporter les secours de son
zèle », avait écrit l'archiprêtre. Et
l'abbé Donissan accourait à cet innocent appel.
Il allait, sous une pluie de novembre,
à grands pas, au milieu des prés déserts.
[...] (2)
Il lui sembla qu'il glissait dans le silence,
d'une chute oblique,
très douce. Puis, tout à coup, la durée
même de ce glissement l'effraya; il en mesura la profondeur.
D'un geste instinctif, prompt comme sa crainte, il se hissa des
deux mains vers l'épaule qui ne plia point.
La voix, toujours amicale, mais qui sonna
terriblement à ses oreilles, disait :
— Ce n'est qu'un
étourdissement... là... rien de plus... Appuyez-vous
sur moi : ne craignez rien ! Ah ! vous avez
rudement marché ! Que vous êtes las ! Il y
a longtemps que je vous suis, que je vous vois faire, l'ami !
J'étais sur la route, derrière vous, quand vous la
cherchiez à quatre pattes (3)... votre
route... Ho ! Ho !...
— Je ne vous ai pas vu, murmura
l'abbé Donissan... Est-ce possible ? Étiez-vous
là vraiment ? Sauriez-vous me dire ?...
Il n'acheva pas. Le glissement reprit d'une
chute sans cesse accélérée, perpendiculaire.
Les ténèbres où il s'enfonçait
sifflaient à ses oreilles comme une eau profonde.
Écartant les mains, il étreignit
des deux bras les solides épaules, il s'y cramponna de
toutes ses forces. Le torse qu'il pressait ainsi était dur
et noueux comme un chêne. Sous le choc, il ne vacilla pas
d'une ligne. Et le visage du pauvre prêtre sentit le relief
et la chaleur d'un autre visage inconnu.
En une seconde, pour une fraction presque
imperceptible de temps, toute pensée l'abandonna —
seulement sensible à l'appui rencontré —
à la densité, à la fixité de l'obstacle
qui le retenait ainsi au-dessus d'un abîme imaginaire. Il y
pesait de tout son poids avec une sécurité accrue,
délirante. Son vertige, comme dissous au creux de sa
poitrine par un feu mystérieux, s'écoulait lentement
de ses veines.
C'est alors, c'est à ce moment
même, et tout à coup, bien qu'une certitude si
nouvelle ne s'étendît que progressivement dans le
champ de la conscience, c'est alors, dis-je, que le vicaire de
Campagne connut que, ce qu'il avait fui tout au long de cette
exécrable nuit, il l'avait enfin rencontré.
Était-ce la crainte ?
Était-ce la conviction désespérée que
ce qui devait être était enfin, que
l'inévitable était accompli ? Était-ce
cette joie amère du condamné qui n'a plus rien
à espérer ni à débattre ? Ou
n'était-ce pas plutôt le pressentiment de la
destinée du curé de Lumbres ? (4). En tout cas, il fut à peine surpris
d'entendre la voix qui disait :
— Calez-vous bien... ne tombez pas,
jusqu'à ce que ce petit accès soit passé. Je
suis vraiment votre ami — mon camarade — je vous aime
tendrement.
Un bras ceignait ses reins d'une
étreinte lente, douce, irrésistible. Il laissa
retomber tout à fait sa tête, pressée au creux
de l'épaule et du cou, étroitement. Si
étroitement qu'il sentait sur son front et sur ses joues la
chaleur de l'haleine.
— Dors sur moi, nourrisson de mon coeur,
continuait la voix sur le même ton. Tiens-moi ferme,
bête stupide, petit prêtre, mon camarade. Repose-toi.
Je t'ai bien cherché, bien chassé. Te voilà.
Comme tu m'aimes ! Mais comme tu m'aimeras mieux encore, car
je ne suis pas près de t'abandonner, mon chérubin,
gueux tonsuré, vieux compagnon pour toujours !
C'était la première fois que le
saint de Lumbres entendait, voyait, touchait celui-là qui
fut le très ignominieux associé de sa vie
douloureuse, et, si nous en croyons quelques-uns qui furent les
confidents ou les témoins d'une certaine épreuve
secrète, que de fois devra-t-il l'entendre encore, jusqu'au
définitif élargissement ! C'était la
première fois, et pourtant il le reconnut sans peine. Il lui
fut même refusé de douter à cette minute de ses
sens ou de sa raison. Car il n'était pas de ceux qui
prêtent naïvement au bourreau familier, présent
à chacune de nos pensées, nous couvant de sa haine,
bien qu'avec patience et sagacité, le port et le style
épiques... Tout autre que le vicaire de Campagne, même
avec une égale lucidité, n'eût pu
réprimer, dans une telle conjoncture, le premier mouvement
de la peur, ou du moins la convulsion du dégoût. Mais
lui, contracté d'horreur, les yeux clos, comme pour
recueillir au-dedans l'essentiel de sa force, attentif à
s'épargner une agitation vaine, toute sa volonté
tirée hors de lui ainsi qu'une épée du
fourreau, il tâchait d'épuiser son angoisse.
Toutefois, lorsque, par une dérision
sacrilège, la bouche immonde pressa la sienne et lui vola
son souffle, la perfection de sa terreur fut telle que le mouvement
même de la vie s'en trouva suspendu, et il crut sentir son
coeur se vider dans ses entrailles.
— Tu as reçu le baiser d'un ami,
dit tranquillement le maquignon, en appuyant ses lèvres au
revers de la main. Je t'ai rempli de moi, à mon tour,
tabernacle de Jésus-Christ, cher nigaud ! Ne t'effraye
pas pour si peu : j'en ai baisé d'autres que toi,
beaucoup d'autres. Veux-tu que je te dise ? Je vous baise
tous, veillants ou endormis, morts ou vivants. Voilà la
vérité. Mes délices sont d'être avec
vous, petits hommes-dieux, singulières, singulières,
si singulières créatures ! À parler
franc, je vous quitte peu. Vous me portez dans votre chair obscure,
moi dont la lumière fut l'essence — dans le triple
recès de vos tripes — moi, Lucifer... Je vous
dénombre. Aucun de vous ne m'échappe. Je
reconnaîtrais à l'odeur chaque bête de mon petit
troupeau.
Il écarta le bras dont il
étreignait encore les reins de l'abbé Donissan, et
s'écarta légèrement, comme pour lui laisser la
place où tomber. Le visage du saint de Lumbres avait la
pâleur et la rigidité du cadavre. Par sa bouche,
relevée aux coins d'une grimace douloureuse qui ressemblait
à un effrayant sourire, par ses yeux durement clos, par la
contraction de tous ses traits, il exprimait sa souffrance. Mais
c'est à peine néanmoins s'il s'inclina
légèrement sur le côté. Il restait assis
sur le pan du manteau, dans une immobilité sinistre.
L'ayant observé d'un regard oblique,
aussitôt détourné, le compagnon fit un
imperceptible mouvement de surprise. Puis, reniflant avec bruit, il
tira de sa poche un large mouchoir et, le plus simplement du monde,
s'essuya le cou et les joues. —
Trêve de plaisanterie, monsieur l'abbé, fit-il. La
nuit, à sa fin, est rudement fraîche, dans cette
sacrée saison !
Il lui donna sur l'épaule une bourrade
amicale, ainsi qu'on pousse par jeu un objet en état
d'équilibre instable, ou les enfants cet homme de neige qui
s'effondre aussitôt sous leurs huées. Cependant le
vicaire de Campagne ne chancela point, mais il ouvrit lentement les
yeux. Et, sans qu'aucun des traits de son visage ne se
détendît, commença de couler entre ses
paupières un regard noir et fixe.
— L'abbé ! Monsieur
l'abbé ! Hé ! l'abbé !...
appela le maquignon d'une voix forte. Vous passez, l'ami !
Vous êtes froid... Hé là !
Il lui prit les deux mains dans une seule de
ses larges paumes, et de l'autre il frappait sur elles à
petits coups.
— Levez-vous, sacrebleu !
Mettez-vous debout, nom de nom ! Il y a de quoi se geler le
sang, ma parole !
Il glissa les doigts sous la soutane et
tâta le coeur. Puis, par une succession de gestes plus
rapides, et pour ainsi dire instantanés, il lui toucha le
front, les yeux, la bouche. Puis, encore, il reprit les mains entre
les siennes, et il souffla dedans son haleine. Chacun de ses
mouvements trahissait une hâte un peu fébrile, celle
de l'ouvrier qui achève un travail délicat, et craint
d'être surpris par la tombée du jour, ou par quelque
visite importune. Enfin, tout à coup, ramenant ses mains sur
sa propre poitrine, et agité d'un grand frisson, comme s'il
eût plongé lentement dans une eau profonde et
glacée, il se mit brusquement debout.
— Je résiste au froid,
dit-il : je résiste merveilleusement au froid et
au chaud. Mais je m'étonne de vous voir encore là,
sur cette boue glacée, immobile, assis. Vous devriez
être mort, ma parole... Il est vrai que vous vous êtes
bien agité tout à l'heure, sur la route, mon cher
ami... Pour moi, j'ai froid, je l'avoue... J'ai toujours froid...
Ce sont là des choses que vous ne me ferez pas
aisément dire... Elles sont vraies pourtant.. Je suis le
Froid lui-même. L'essence de ma lumière est un froid
intolérable... Mais laissons cela... Vous voyez devant vous
un pauvre homme, avec les qualités et les défauts de
son état... un courtier en bidets normands et bretons. un
maquignon, qu'ils disent... Laissons cela encore ! Ne
considérez que l'ami, le compagnon de cette nuit sans lune,
un bon copain... N'insistez pas ! Ne pensez point obtenir
beaucoup d'autres renseignements sur cette rencontre inattendue. Je
ne désire que vous rendre service et que vous m'oubliiez
aussitôt. Je ne vous oublierai pas, moi. Vos mains m'ont fait
beaucoup de mal... et aussi votre front, vos yeux et votre
bouche... Je ne les réchaufferai jamais : elles m'ont
littéralement glacé la moelle, gelé les os; ce
sont les onctions, sans doute, votre sacré barbouillage
d'huiles consacrées — des sorcelleries. N'en parlons
plus... Laissez-moi aller... J'ai encore un long ruban de route. Je
ne suis pas rendu. Quittons-nous ici. Tirons chacun de notre
côté.
Il marchait de long en large, avec agitation,
avec colère, gesticulant, mais sans s'écarter de plus
de quelques pas. C'est que l'abbé Donissan le suivait
ça et là de son regard ténébreux. Et
maintenant les lèvres ne remuaient plus dans sa face
immobile.
Ce que le visage exprimait désormais,
c'était d'ailleurs moins la crainte qu'une curiosité
sans bornes. On eût pu dire la haine, mais la haine suscite
une flamme dans le regard humain. L'horreur, mais l'horreur est
passive, et aucun cri d'angoisse ou de dégoût
n'eût desserré les mâchoires refermées
sur une résolution farouche. Le vain appétit de
savoir n'a pas non plus cette dignité souveraine. Encore
humble dans son triomphe, à chaque instant plus complet et
plus sûr, le vicaire de Campagne ne doutait point qu'une
victoire sur un tel adversaire est toujours précaire,
fragile, de peu de durée. Qu'importe de voir un instant
l'ennemi à ses pieds, à sa merci ? Mais c'est
là le tueur d'âmes, auquel il faut arracher quelqu'un
de ses secrets.
Tout à coup l'étrange marcheur
s'arrêta net, comme s'il eût, dans ses gesticulations,
resserré d'invisibles liens, tel qu'un taureau
garrotté. Sa voix, un moment plus tôt montée
jusqu'au ton le plus aigu, reprit son habituel accent, et il
prononça les paroles suivantes, avec une certaine
simplicité :
— Laisse-moi. Ton expérience est
finie. Je ne te savais pas si fort. Nous nous reverrons plus tard
sans doute. Même, si tu le désires, nous ne nous
reverrons plus du tout. Depuis une minute, je n'ai plus aucun
pouvoir sur toi.
Il retira de sa poche le large mouchoir, et
s'essuya frénétiquement le visage et les mains. La
respiration faisait entre ses lèvres un sifflement
douloureux.
— Ne bredouille pas tes prières.
Tais-toi. Ton exorcisme ne vaut pas un clou. C'est ta
volonté que je n'ai pu forcer. Ô singulières
bêtes que vous êtes !
Il regardait à droite et à
gauche avec une inquiétude grandissante. Même il se
retourna subitement, et scruta l'ombre, derrière lui.
— Cette guenille commence à me
peser, fit-il encore, en agitant violemment les épaules. Je
me sens mal dans ma gaine de peau... Donne un ordre, et tu ne
trouveras plus rien de moi, pas même une odeur...
Il resta un long moment, le visage entre ses
paumes, comme pour recueillir des forces. Quand il releva la
tête, l'abbé Donissan, pour la première fois,
vit ses yeux, et gémit.
Celui qui, noué des deux mains à
la pointe extrême du mât, perdant tout à coup
l'équilibre gravitationnel, verrait se creuser et s'enfler
sous lui, non plus la mer, mais tout l'abîme sidéral,
et bouillante à des trillions de lieues l'écume des
nébuleuses en gestation, au travers du vide que rien ne
mesure et que va traverser sa chute éternelle, ne sentirait
pas au creux de sa poitrine un vertige plus absolu. Son coeur
battit deux fois plus furieusement contre ses côtes, et
s'arrêta. Une nausée souleva ses entrailles. Les
doigts, d'une étreinte désespérée,
seuls vivants dans son corps pétrifié d'horreur,
grattèrent le sol comme des griffes. La sueur ruissela entre
ses épaules. L'homme intrépide, comme ployé et
arraché de terre par l'énorme appel du néant,
se vit cette fois perdu sans retour. Et pourtant, à cet
instant même, sa suprême pensée fut encore un
obscur défi.
Aussitôt, d'une seule poussée, la
vie suspendue reprit sa course dans ses veines, ses tempes
battirent de nouveau. Le regard, toujours fixé sur le sien,
ressemblait à n'importe quel autre regard, et la même
voix parlait à ses oreilles, comme si elle ne s'était
jamais tue.
— Je vais te quitter, disait-elle. Tu ne
me reverras jamais. On ne me voit qu'une fois. Demeure dans ton
entêtement stupide. Ah ! si vous saviez le salaire que
ton maître vous réserve, tu ne serais pas si
généreux, car nous seuls — nous, dis-je —
nous seuls ne sommes point ses dupes et, de son amour ou sa haine,
nous avons choisi — par une sagacité magistrale,
inconcevable à vos cervelles de boue — sa haine...
Mais pourquoi t'éclairer là-dessus, chien couchant,
bête soumise, esclave qui crée chaque jour son
maître !
Se baissant avec une agilité
singulière, il prit au hasard un caillou du chemin, le leva
vers le ciel entre ses doigts, prononça les paroles de la
consécration, qu'il termina par un joyeux hennissement...
D'ailleurs, tout se fit avec la rapidité de l'éclair.
L'écho du rire parut retentir jusqu'à l'extrême
horizon. La pierre rougit, blanchit, éclata soudain d'une
lueur furieuse. Et, toujours riant, il la rejeta dans la boue,
où elle s'éteignit avec un sifflement terrible.
— Cela n'est qu'un jeu, fit-il, un jeu
d'enfant. Cela ne vaut même pas la peine d'être vu.
Néanmoins, voici l'heure où nous devons nous quitter
pour toujours.
— Va-t'en ! dit le saint de
Lumbres. Qui te retient ?...
Sa voix était basse et tranquille, avec
on ne sait quel frémissement de pitié.
— On nous accueille avec effroi,
répondit l'autre d'une voix également basse, mais on
ne nous quitte pas sans péril.
—Va-t'en, répondit doucement le
vicaire de Campagne.
L'affreuse créature fit un bond, tourna
plusieurs fois sur elle-même avec une incroyable
agilité, puis fut violemment lancée, comme par une
détente irrésistible, à quelques pas, les deux
bras étendus, ainsi qu'un homme qui chercherait en vain
à rattraper son équilibre. Si grotesque que fût
cette cabriole inattendue, la succession des mouvements, leur
violence calculée, plus encore leur brusque arrêt
avaient je ne sais quelle singularité qui ne prêtait
pas à rire. L'obstacle invisible contre lequel le noir
lutteur s'était tout à coup heurté
n'était certes pas ordinaire, car, bien qu'il eût paru
en esquiver le choc avec une souplesse infinie, dans le grand
silence, imperceptiblement, mais jusque dans ses profondeurs, le
sol trembla et gémit.
Il recula lentement, tête basse, et
s'assit sans bruit, comme humblement.
— Vous me tenez donc, dit-il en haussant
les épaules. Jouissez de votre pouvoir tout le temps qui
vous est donné.
— Je n'ai aucun pouvoir, répondit
l'abbé Donissan, avec tristesse : pourquoi me
tenter ? Non ! cette force ne vient pas de moi, et tu le
sais. Cependant je t'observe depuis un moment avec quelque profit.
Ton heure est venue.
— Cela n'a pas beaucoup de sens,
repartit l'autre, doucement. De quelle heure parlez-vous ?
Est-il encore une heure pour moi ?
— Il m'est donné de te voir,
prononça lentement le saint de Lumbres. Autant que cela est
possible au regard de l'homme, je te vois. Je te vois
écrasé par ta douleur, jusqu'à la limite de
l'anéantissement — qui ne te sera point
accordé, ô créature suppliciée !
À ce dernier mot, le monstre roula de
haut en bas du talus sur la route, et se tordit dans la boue,
tiré par d'horribles spasmes. Puis il s'immobilisa, les
reins furieusement creusés, reposant sur la tête et
sur les talons, ainsi qu'un tétanique. Et sa voix
s'éleva enfin, perçante, aiguë,
lamentable :
— Assez ! Assez ! chien
consacré, bourreau ! Qui t'a appris que de tout au
monde la pitié est ce que nous redoutons le plus, bête
ointe ! Fais de moi ce qu'il te plaira... Mais si tu me
pousses à bout...
Quel homme n'eût entendu avec effroi
cette plainte proférée avec des mots — et
cependant hors du monde ? Quel homme n'eût au moins
douté de sa raison ? Mais le saint de Lumbres, son
regard fixé vers le sol, ne songeait qu'à celles des
âmes que celui-ci avait perdues...
Tout le temps que dura l'oraison, l'autre
continua de gémir et de grincer, mais avec une force
décroissante. Lorsque le vicaire de Campagne se releva, il
se tut tout à fait. Il gisait, pareil à une
dépouille.
— Que me voulais-tu, cette nuit ?
demanda l'abbé Donissan, avec autant de calme que s'il se
fût adressé à quelqu'un de ses familiers.
De la dépouille immobile une nouvelle
voix monta :
— Il nous est permis de
t'éprouver, dès ce jour et jusqu'à l'heure de
ta mort. D'ailleurs, qu'ai-je fait moi-même, sinon
obéir à un plus puissant ? Ne t'en prends pas
à moi, ô juste, ne me menace plus de ta
pitié.
— Que me voulais-tu ?
répéta l'abbé Donissan. N'essaie pas de
mentir. J'ai le moyen de te faire parler.
— Je ne mens pas. Je te répondrai. Mais relâche
un peu ta prière. À quoi bon, si
j'obéis ? Il m'a envoyé vers toi pour
t'éprouver. Veux-tu que je te dise de quelle
épreuve ? Je te le dirai. Qui te résisterait,
ô mon maître ?
— Tais-toi, répondit
l'abbé Donissan, avec le même calme. L'épreuve
vient de Dieu. Je l'attendrai, sans en vouloir rien apprendre,
surtout d'une telle bouche. C'est de Dieu que je reçois
à cette heure la force que tu ne peux briser.
Au même instant, ce qui se tenait devant
lui s'effaça, ou plutôt les lignes et contours s'en
confondirent dans une vibration mystérieuse, ainsi que les
rayons d'une roue qui tourne à toute vitesse. Puis ces
traits se reformèrent lentement.
Et le vicaire de Campagne vit soudain devant
lui son double, une ressemblance si parfaite, si subtile, que cela
se fût comparé moins à l'image
reflétée dans un miroir qu'à la
singulière, à l'unique et profonde pensée que
chacun nourrit de soi-même.
Que dire ? C'était son visage
pâli, sa soutane souillée de boue, le geste instinctif
de sa main vers le coeur; c'était là son regard, et,
dans ce regard, il lisait la crainte. Mais jamais sa propre
conscience, dressée pourtant à l'examen particulier,
ne fût parvenue, à elle seule, à ce
dédoublement prodigieux. L'observation la plus sagace,
tournée vers l'univers intérieur, n'en saisit qu'un
aspect à la fois. Et ce que découvrait le futur saint
de Lumbres, à ce moment, c'était l'ensemble et le
détail, ses pensées, avec leurs racines, leurs
prolongements, l'infini réseau qui les relie entre elles,
les moindres vibrations de son vouloir, ainsi qu'un corps
dénudé montrerait dans le dessin de ses
artères et de ses veines le battement de la vie. Cette
vision, à la fois une et multiple, telle que d'un homme qui
saisirait du regard un objet dans ses trois dimensions,
était d'une perfection telle que le pauvre prêtre se
reconnut, non seulement dans le présent, mais dans le
passé, dans l'avenir, qu'il reconnut toute sa vie...
Hé quoi ! Seigneur, sommes-nous ainsi transparents
à l'ennemi qui nous guette ? Sommes-nous donnés
si désarmés à sa haine pensive ?...
Un moment, ils restèrent ainsi, face
à face. L'illusion était trop subtile pour que
l'abbé Donissan ressentît proprement de la terreur.
Quelque effort qu'il fît, il ne lui était pas tout
à fait possible de se distinguer de son double, et pourtant
il gardait à demi le sentiment de sa propre unité.
Non : ce n'était point de la terreur, mais une
angoisse, d'une pointe si aiguë, que l'entreprise de sommer
cette apparence, ainsi qu'un ennemi revêtu de sa propre
chair, lui parut presque insensée. Il l'osa cependant.
— Retire-toi, Satan ! dit-il, les
dents serrées...
Mais les mots s'étranglèrent
dans sa gorge et sa main tremblait encore quand il la dressa contre
lui-même. Il saisit pourtant cette épaule, il en
sentit l'épaisseur sans mourir d'effroi, il la serra pour la
briser, il la pétrit dans ses doigts avec une fureur
soudaine. Son visage était devant lui, devant lui son propre
regard, son souffle sur sa joue, sa chaleur sous sa paume... Puis
tout disparut.
De la lamentable dépouille, encore
gisante dans la boue, la voix s'éleva de nouveau.
— Tu me brises, tu me mâches, tu
me dévores, geignait-elle. Quel homme es-tu donc pour
anéantir une vision si précieuse avant de l'avoir
seulement contemplée ?
— Ce n'est pas cela dont j'ai
besoin, continua l'abbé Donissan. Que m'importe de me
connaître ? L'examen particulier, sans autre
lumière, suffit à un pauvre pécheur.
Il parlait ainsi, bien que le regret de la
vision perdue blessât toutes ses fibres. Le vertige d'une
curiosité surnaturelle, désormais sans effet,
à jamais, le laissait haletant, vide. Mais il croyait
toucher au but.
— Tu es au bout de tes ruses, dit-il
à la chose frémissante que son pied repoussait hors
de la route. Qui sait le temps dont je dispose encore ?
Hâtons-nous ! Hâtons-nous !
Il se pencha très bas, moins pour
prêter l'oreille que par un geste instinctif du zèle
qui le dévorait :
— Réponds donc ! (Il
traça le signe de la croix, non sur l'objet, mais sur sa
propre poitrine). Dieu t'a-t-il donné ma vie ? Dois-je
mourir ici même ?
— Non, dit la voix, du même accent
déchirant. Nous ne disposons pas de toi.
— En ce cas, que je vive un jour, ou
vingt ans, je devrai t'arracher ton secret. Je te l'arracherai,
dussé-je te suivre où sont les tiens. Je ne te crains
pas ! je n'ai pas peur ! Sans doute, tu m'es de nouveau
obscur, mais je t'ai vu tout à l'heure, ô
supplicié. N'as-tu pas perdu assez d'âmes ? Te
faut-il encore d'autres proies ? Tu es entre mes mains.
J'essaierai ce que Dieu m'inspirera. Je prononcerai des paroles
dont tu as horreur. Je te clouerai au centre de ma prière
comme une chouette. Ou tu renonceras à tes entreprises
contre les âmes qui me sont confiées.
À sa grande surprise, et à
l'instant même où il croyait donner toute sa force,
irrésistiblement, il vit la dépouille s'agiter,
s'enfler, reprendre une forme humaine, et ce fut le jovial
compagnon de la première heure qui lui
répondit :
— Je vous crains moins, toi et tes
prières, que celui... (Commencée dans un ricanement,
sa phrase s'achevait sur le ton de la terreur). Il n'est pas
loin... Je le flaire depuis un instant... Ho ! Ho ! que
ce maître est dur !
Il trembla de la tête aux pieds. Puis sa
tête s'inclina sur l'épaule, et son visage
s'éclaira de nouveau, comme s'il entendait
décroître le pas ennemi. Il reprit :
— Tu m'as pressé, mais je
t'échappe. M'arrêter dans mes entreprises ! Fou
que tu es ! je n'ai pas fini de m'emplir de sang
chrétien ! Aujourd'hui une grâce t'a
été faite. Tu l'as payée cher. Tu la paieras
plus cher !
— Quelle grâce ?
s'écria l'abbé Donissan.
Il eût voulu retenir cette parole, mais
l'autre s'en empara aussitôt. La bouche impure eut un frisson
de joie.
— Ainsi que tu t'es vu toi-même
tout à l'heure (pour la première et dernière
fois), ainsi tu verras... tu verras... hé !
hé !...
— Qu'entends-tu par là,
menteur ? cria le vicaire de Campagne.
Comme si le cri de la curiosité, en
dépit de l'outrage, l'eût tout à fait
rétabli dans son équilibre, remis d'aplomb,
l'être étrange se dressa lentement, s'assit avec un
calme affecté, boutonna posément sa veste de cuir. Le
maquignon picard était à la même place, comme
s'il ne l'eût jamais quittée. La main du futur saint
de Lumbres retomba. Chose étrange ! Après avoir
soutenu tant de visions singulières ou farouches, il osait
à peine lever les yeux sur cette apparence inoffensive, ce
bonhomme si prodigieusement semblable à tant d'autres. Et le
contraste de cette bouche à l'accent familier, au pli
canaille, et des paroles monstrueuses était tel que rien
n'en saurait donner l'idée.
— Ne t'échappe pas si vite. Ne
sois pas trop gourmand de nos secrets. Un prochain avenir prouvera
si j'ai menti ou non. D'ailleurs, si tu t'étais donné
la peine, il n'y a qu'un instant, de voir ce que je te mettais sous
les yeux, tu pourrais te dispenser de m'injurier. (Il employa un
autre mot). Tel tu t'es vu toi-même, te dis-je, tel tu verras
quelques autres... Quel dommage qu'un don pareil à un
lourdaud comme toi !
Il souffla dans ses deux mains jointes, en
faisant vibrer les lèvres, ainsi qu'un homme saisi d'un
grand froid. Ses yeux riaient dans sa face rougeaude, et leur
extrême mobilité, sous les paupières
demi-closes, pouvait aussi bien exprimer la joie que le
mépris. Mais la joie l'emporta.
— Ho ! Ho ! Ho ! quel
embarras ! quel silence ! disait-il en bégayant...
Vous étiez plus fringant tout à l'heure, terrible aux
démons, exorciste, thaumaturge, saint de mon coeur !
À chaque éclat de ce rire,
l'abbé Donissan tressaillait, pour retomber aussitôt
dans une immobilité stupide, son cerveau engourdi ne formant
plus aucune pensée.
L'autre se frottait vigoureusement les
paumes.
— Quelle grâce ?... Quelle
grâce ?... répétait-il en imitant
comiquement sa victime... Dans le combat que tu nous livres, il est
facile de faire un faux pas. Ta curiosité te donne à
moi pour un moment.
Il s'approcha, confidentiel :
— Vous ignorez tout de nous, petits
dieux pleins de suffisance.
Notre rage est si patiente ! Notre fermeté si
lucide ! Il est vrai qu'Il nous a fait servir ses
desseins, car sa parole est irrésistible. Il est vrai
— pourquoi le nierais-je ? — que notre entreprise
de cette nuit paraît tourner à ma confusion...
(Ah ! quand je t'ai pressé tout à l'heure, sa
pensée s'est fixée sur toi et ton ange lui-même
tremblait dans la giration de l'éclair !). Cependant,
tes yeux de boue n'ont rien vu.
Il s'ébroua dans un rire
hennissant :
— Hi ! Hi ! Hi ! De tous
ceux que j'ai vus marqués du même signe que toi, tu es
le plus lourd, le plus obtus, le plus compact !... Tu creuses
ton sillon comme un boeuf, tu bourres sur l'ennemi comme un bouc...
De haut en bas, une bonne cible !
Et toujours l'abbé Donissan,
secoué de brusques frissons, le suivait du regard, avec une
frayeur muette. Toutefois, quelque chose comme une prière
— mais hésitante, confuse, informe — errait dans
sa mémoire, sans que sa conscience pût la saisir
encore. Et il semblait que son coeur contracté
s'échauffait un peu sous ses côtes.
— Nous te travaillerons avec
intelligence, poursuivait l'autre. Aie souci de nous nuire. Nous te
tarauderons à notre tour. Il n'est pas de rustre dont nous
ne sachions tirer parti. Nous te dégraisserons. Nous
t'affinerons.
Il approchait sa tête ronde, toute
flambante d'un sang généreux.
— Je t'ai tenu sur ma poitrine; je t'ai
bercé dans mes bras. Que de fois encore, tu me dorloteras,
croyant presser l'autre sur ton coeur ! Car tel est ton
signe. Tel est sur toi le sceau de ma haine.
Il mit les deux mains sur ses épaules,
le força à plier les genoux, lui fit toucher le sol
des genoux... Mais, tout à coup, d'une poussée, le
vicaire de Campagne se rua sur lui. Et il ne rencontra que le vide
et l'ombre.
*
* *
De nouveau la nuit s'était faite autour
de lui, en lui. Il ne se sentait capable d'aucun mouvement. Il ne
vivait que par l'ouïe. Car il entendait des paroles,
proférées alentour, mais sans consistance, comme
suspendues en l'air, dans l'irréalité d'un
rêve. Puis, par un grand effort, il parvint à les
rapporter à des êtres vivant et marchant, tout
proches. L'un de ces personnages — imaginaires ou non —
s'éloigna. Il écouta sa voix décroître,
décroître aussi le grincement de ses semelles sur le
sable. Enfin il se sentit soulevé, retenu par un bras
replié dont la forte étreinte était
douloureuse à son épaule. Quelque chose lui meurtrit
encore les lèvres et les dents. Un jet de flamme traversa sa
gorge et sa poitrine. Le noir où se heurtait son regard
s'entrouvrit. Une lueur diffuse naquit lentement dans ses yeux, se
précisa lentement. Et il reconnut, posée sur le sol,
à quelque distance, une de ces fortes lanternes comme en
portent les pêcheurs par les nuits de grand vent. Un inconnu
le soutenait d'une main et le faisait boire au goulot d'un bidon de
soldat.
— Monsieur l'abbé, dit cet homme,
ce n'est pas trop tôt...
— Que me voulez-vous ? balbutia
l'abbé Donissan.
Il parlait le plus lentement possible et le
plus posément. Mais la vision était encore dans son
regard et 1'homme eut un mouvement de surprise ou d'effroi qui
parut incompréhensible au pauvre prêtre
accablé.
Je suis Jean-Marie Boulainville, carrier
à Saint-Pré (5), le
frère de Germaine Duflos, de Campagne. Je vous connais bien.
Êtes-vous mieux ?
Il détournait les yeux d'un air
d'embarras mais plein de pitié.
Je vous ai trouvé sur le chemin,
évanoui. Un brave gars de Marelles (5), un
marchand de bidets, retour de la foire d'Étaples, vous avait
trouvé avant moi. À nous deux, on vous a porté
là.
— Vous l'avez vu ? cria
l'abbé Donissan. Il est là !
Il s'était levé si brusquement
que Jean-Marie Boulainville, heurté, chancela. Mais,
interprétant à sa manière un empressement si
singulier :
— Avez-vous quelque chose à lui
demander ? dit cet homme simple. Voulez-vous que je le
hèle ? Il n'est pas loin, sûrement.
— Non, mon ami, dit le vicaire de
Campagne, ne le rappelez pas. Je me sens bien mieux, d'ailleurs.
Laissez-moi faire seul quelques pas.
Il s'éloigna en chancelant. Son pas se
raffermissait à mesure. Quand il s'approcha de nouveau, il
était calme.
— Vous le connaissez ?
demanda-t-il.
— Qui ça ? répondit
l'autre, surpris.
Et, se reprenant aussitôt :
— Le gars de Marelles !
s'écria-t-il joyeusement. Si je le connais ! Le mois
passé, à la foire de Fruges (5), il
m'a vendu deux pouliches. Ainsi !... Mais, si vous m'en
croyez, monsieur l'abbé, nous ferons côte à
côte un bout de chemin. De marcher, ça vous remettra
plutôt. Je vais de ce pas aux carrières
d'Ailly (6), où je travaille. D'ici
là, vous vous tâterez. Si vous vous sentez plus mal,
vous trouverez une voiture, chez Sansonnet, au cabaret de la Pie
voleuse.
— Avançons donc, répondit
le futur saint de Lumbres.
J'ai
repris
mes forces. Tout va très bien, mon ami.
Notes
(*) Il ne s'agit ni d'un rêve, ni d'un
récit de rêve. La confusion tient simplement aux
expressions « Ais-je donc rêvé »
(p. 159), « Possédé, ou fou, dupe de
ses rêves ou des démons, qu'importe, si cette
grâce est due... » (p. 153); « Car
il entendait des paroles, proférées alentour, mais
sans consistance, comme suspendues en l'air, dans
l'irréalité d'un rêve », etc. Aucune
de ces expressions attribuées au doute de l'abbé
Donissan ne saurait évidemment être prises au sens
premier. Jamais il ne rêve. Bien au contraire, et le
narrateur et le lecteur connaissent parfaitement bien la
vérité confirmée par le supérieur du
vicaire, le curé de Campagne, l'abbé Menou-Segrais.
Bien plus, c'est tout simplement la première apparition de
Lucifer au futur saint de Lumbres qui nous est racontée. On
ne saurait donc compter ce texte parmi les récits de
rêve sans contredire le sens le plus immédiat du roman
de Bernanos.
En revanche, pour l'analyse narrative, il est
extrêmement heureux que ce texte figure en annexe à
nos récits de rêve car il possède exactement la
même structure que l'histoire fantastique et montre combien
ces formes narratives hyperréalistes (c'est la
« police du réalisme ») sont
éloignées de la « narration »
onirique, de l'histoire rêvée. Ces formes narratives,
jouant de la thématique du rêve, ont au contraire
toutes les propriétés de l'histoire
événementielle la plus courante qui soit.
(1) L'abbé Donissan est vicaire de
Campagne, dont le curé est l'abbé Menou-Segrais. Il
s'agit de Campagne-lès-Hesdins, en effet à environ
25 km d'Étaples où le Canche se jette dans la Manche.
Nous sommes dans le Pas-de-Calais, en Artois.
(2) Cette mise en situation est suivie d'une longue
description d'abord de l'état spirituel du vicaire, mais
ensuite des premières aventures qui vont le mener,
épuisé, au milieu de la nuit. En effet, à
trois reprises, l'abbé Donissan, après une longue
marche pénible, se retrouve exactement au même point
et doit reprendre son trajet. Complètement
épuisé, il renonce à se rendre à
Étaples et décide de rentrer à Campagne. Mais
il glisse bientôt deux fois de suite dans un
évanouissement d'où il sera tiré par un
« brave gars de Marelles un marchand de bidets, retour de
la foire d'Étaples », comme le confirmera plus
tard le compagnon qui prendra sa relève, Jean-Marie
Boulainville (on le lira à la fin de l'extrait reproduit
ici). Ce marchand de Marelle, il s'agit du maquignon ou
commerçant de chevaux qui vient de venir à son
secours et dont il sera question maintenant, l'âme où
réside Lucifer.
(3) Lorsqu'il s'est retrouvé pour la
deuxième fois au même point de son trajet,
l'abbé a cherché à quatre pattes les traces de
ses pas dans la boue, mais sans pouvoir les suivre au-delà
de quelques mètres.
(4) Lumbres est un autre petit village, plus au
nord, près de Saint-Omer. L'abbé Donissan y finira
ses jours, considéré comme un saint.
(5) Un carrier est celui qui travaille dans une
carrière. Saint-Pré, comme plus bas Marelle, puis
Fruges, doit être un village des alentours.
(6) Probablement Ailly-Haut-Clocher, mais dans tous
les cas le carrier doit prendre la route d'Abbeville (à
Montreuil-sur-Mer, environ au milieu du trajet
Étaples-Campagne).
Références
Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan, Paris, Plon,
1926, p. 120, 138-153.
2 Édition originale
Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan, Paris, Plon,
1926.
3 Éditions critiques
Georges Bernanos, OEuvres romanesques : Sous le soleil de
Satan, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque
de la pléiade »), 1961, p. 155, 172-185.
Situation matérielle
Ce premier roman de Bernanos se divise en
trois parties. Un prologue (« Histoire de
Mouchette »), puis deux « parties »,
« La tentation du désespoir » et
« Le saint de Lumbres ». La partie centrale ou
la « première partie » comprend quatre
chapitres. Les aventures d'une nuit où se trouve le texte
reproduit ici se situe donc au centre du roman.
Situation narrative
L'abbé Donissan est le tout jeune
vicaire de Campagne. C'est déjà un saint, comme le
pressentent ses supérieurs, son confesseurs et son
curé, l'abbé Menou-Segrais (ce qui ne fait aucun
doute, puisque c'est l'objet du roman). Celui-ci l'envoie exercer
le ministère dans un village voisin, la paroisse
d'Étaples, à quelques trois lieues. Le futur saint
de Lumbres (car l'abbé Donissan deviendra à son tour
curé, à Lumbres, où sa sainteté se
confirmera), le modeste vicaire de Campagne ne se rendra jamais
à destination. Ses aventures spirituelles d'une nuit
complète le ramèneront à Campagne où il
expliquera au curé Menou-Segrais comment il a
rencontré (pour la première fois) Lucifer dans
l'âme d'un pauvre compagnon de voyage — c'est
l'épisode reproduit ici — puis comment il a connu
miraculeusement toute la vérité sur l'âme d'une
pauvre fille rencontrée ensuite, Germaine Malorthy, dite
Mouchette, qui a tué son amant après une grossesse
avortée.
Bibliographie
Canovas : Sous le soleil de Satan figure au corpus de
l'appendice (1926), mais c'est Un mauvais rêve (1951)
que l'on trouve en bibliographie. Aucune des deux oeuvres ne
paraît citée dans la thèse.
VERNIÈRES, Bernard. l'Aventure humaine dans
« Sous le soleil de satan », Paris, Minard,
1992, p. 125-138.
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