Deuxième rêve d'Isaac Jogues
|
Isaac Jogues,
« Le rêve du Palais »
(*),
biographie/autobiographie,
1640
Traduction et édition de Jérôme Lalemant,
la Relation
des jésuites de Nouvelle-France en 1647, Paris,
1648.
Dieu conserve le père Isaac Jogues après le
massacre de son
compagnon, il l'instruit d'une façon bien
remarquable
[...]
Quelque temps après la mort de son
compagnon (1), Dieu lui communiqua dans son
sommeil, comme il faisait jadis à ces anciens
patriarches (2), ce que je vais raconter.
C'est lui-même qui l'a couché par écrit de sa
propre main : voici comme il parle en langue latine, rendue
en notre français (3).
Après la mort de mon très cher
compagnon d'heureuse mémoire, lors qu'on me cherchait tous
les jours à la mort, et que mon âme était
remplie d'angoisses, ce que je vais dire m'arriva dans mon
sommeil.
Egressus eram e pago nostro solito meo more
ut tibi Deo meo liberius gemerem, ce sont ses premières
paroles : j'étais sorti de notre bourgade à mon
accoutumée pour gémir plus librement devant vous
ô mon Dieu, pour vous présenter mon oraison, et pour
lever la bonde en votre présence à mes angoisses et
à mes plaintes (4). À mon
retour j'ai trouvé toutes choses nouvelles : ces
grands pieux qui entouraient notre bourgade me parurent
changés en des tours, en des boulevards, et en des
murailles, d'une insigne beauté, en sorte néanmoins
que je ne voyais rien qui fut nouvellement bâti, mais bien
une ville toute vénérable pour son antiquité.
Doutant si c'était notre bourgade, je vis sortir quelques
Iroquois que je connaissais fort bien qui me semblaient assurer
qu'en effet c'était notre bourgade. J'approche de cette
ville tout plein d'étonnement : ayant passé la
première porte, je vis ces deux lettres, L. N.,
gravées en gros caractères sur la colonne droite de
la seconde porte, et ensuite un petit agneau
massacré (5). Je fus surpris, ne
pouvant concevoir comme des Barbares (a) qui
n'ont aucune connaissance de nos lettres auraient pu graver ces
caractères. Et comme j'en cherchais l'explication dans mon
esprit, je vis au dessus dans un rouleau ces trois paroles
écrites, laudent nomen ejus (6). Et à même temps je reçus
une grande lumière dans le fond de mon âme, qui me fit
voir que ceux-là proprement louaient le nom de l'agneau, qui
dans leurs presses et dans leurs tribulations s'efforçaient
d'imiter la douceur de celui qui comme un agneau n'avait dit mot
à ceux qui, l'ayant dépouillé de sa toison, le
conduisaient à la mort (7).
Cette vue m'ayant donné courage,
j'entre dans la seconde porte bâtie de grandes pierres
carrées de toutes façons (8),
qui faisaient un grand portique ou une entrée enrichie d'une
voûte admirable; continuant mon chemin, j'aperçus
environ le milieu de ce portique, un corps-de-garde (b) tout rempli d'armes et de toutes façons,
sans voir aucun soldat; je leur fis une grande
révérence, me souvenant qu'on leur devait ce
respect : comme je les saluais, une sentinelle posée
vers l'endroit où je marchais s'écrie,
« demeurez là ! ». Or soit que
j'eusse la face tournée d'un autre côté, ou que
la beauté des choses que je voyais occupât fortement
mon esprit, je ne vis et n'entendis rien (9).
Cette sentinelle redouble une autre fois, criant plus fort,
« demeurez là ! ». Je
m'arrête tout court. « Comment, me fit ce soldat,
est-ce ainsi que vous obéissez à la voix de celui qui
est en garde devant le palais royal ? Il a donc fallu vous
crier deux fois, "demeurez là" ? allons vite,
paraissez devant notre juge, et devant notre capitaine ».
J'entendis ces deux mots de juge, et de capitaine (10). « Entrez, me dit-il, dans cette
porte, pour recevoir le châtiment de votre
témérité ». « Je vous
assure, ô mon cher ami, lui repartis-je, que je ne vous avais
ni vu, ni entendu ». Il m'entraîne sans recevoir
mes excuses.
La porte de ce palais, devant lequel il
était en faction, était un petit au-dessous de ce
corps-de-garde, dont je viens de parler. Ce lieu me parut d'abord
comme ces chambres dorées, dans lesquelles on rend la
justice en Europe, ou comme ces beaux endroits qu'on voit encore
dans quelques anciens monastères où jadis les
religieux tenaient leur chapitre. Dans cette salle ou dans ce
palais tout ravissant, je vis un vieillard tout plein de
majesté semblable à l'Ancien des jours (11); il était couvert d'une grande robe
d'écarlate d'une extrême beauté; il
n'était point assis dans son trône, mais il se
promenait doucement, rendant la justice à son peuple, duquel
il était séparé par de riches balustres. Je
vis à la porte de ce palais quantité de personnes de
toutes sortes de conditions [comme on a coutume d'en voir en
Europe. J'en vis même quelques-uns qui m'étaient
connus et qui me demandèrent des nouvelles du pays des
Hurons. Je me disais en moi-même, c'est bien, ceux-ci savent
qui je suis et combien c'est en innocent que je suis
traîné devant le juge; on me traitera
doucement] (c). Le soldat qui m'avait
conduit ayant parlé, mon juge sans m'entendre tire une
baguette ou une verge, d'un faisceau semblable à ceux qu'on
portait jadis devant les consuls romains (12); il me frappa longtemps et rudement de cette
baguette sur les épaules, sur le cou et sur la tête,
et encore qu'une seule main me frappât, je sentais autant de
douleur que je ressentis à mon entrée dans la
première bourgade des Iroquois, lors que toute la jeunesse
du pays, étant armée de bâtons, nous traita
avec une cruauté non-pareille (13).
Jamais je ne poussai aucune plainte, jamais je ne jetai aucun
gémissement dessous ces coups : je souffrais avec
douleur tout ce qui m'était appliqué, trouvant de la
patience dans la vue de ma bassesse. Enfin, comme si mon juge eut
admiré ma patience, il quitte la verge, et se jetant
à mon col, il m'embrassa et, en bannissant mes ennuis, il me
remplit d'une consolation toute divine et entièrement
inexplicable. Regorgeant de cette joie céleste, je baisais
la main qui m'avait frappé, et me sentant tomber comme dans
une extase je m'écriai, « virga tua domine mi
rex et baculus tuus ipsa me consolata sunt, votre verge ô
mon Seigneur et mon Roi, et votre bâton m'ont
consolé » (14). Cela fait
il me reconduit et me laisse sur le seuil de la porte.
Étant revenu à moi (d) (15), je ne pus douter que
Dieu n'eut opéré des merveilles dans mon âmes,
non seulement pour le rapport que ces choses avaient par entre
elles, mais particulièrement pour le grand feu d'amour que
mon juge avait allumé au fond de mon coeur (16) dont le seul souvenir plusieurs mois
après me tirait des larmes d'une très douce
consolation (17).
La créance aussi que ma mort
était retardée me fut plusieurs fois imprimée
dans mon sommeil : m'étant avis que je suivais mon
très cher compagnon reçu dans la béatitude, je
courais après lui par des voies et par des détours
qui me dérobaient sa vue; d'autres fois, en le poursuivant,
je rencontrais des temples superbes dans lesquels je me jetais
attiré par leur beauté, et pendant que je faisais
oraison et que la douceur des voix que j'entendais en ces grands
édifices me charmait, je me consolais dans son absence; mais
si tôt que je sortais de ces douceurs, je rentrais dans les
désirs de le suivre. Tout ceci est tiré quasi mot
à mot du mémoire de ce bon Père, qui ne
comprenait pas pour lors que ces coups qui lui furent
déchargés sur la tête par son juge
dénotaient son retour dans ce pays où il devait
trouver l'entrée de la sainte Sion, par un coup de hache qui
l'a logé avec son cher compagnon.
Voici
l'« interprétation » d'Isaac Jogues que
Jérôme Lalemant soustrait, de sorte qu'elle est
remplacée par la sienne dans le contexte de sa biographie,
soit le « martyre » qui conduira Jogues
à ce palais. L'original latin est donné ici dans la
traduction de François Roustang.
Étant revenu à moi, je
commençai à méditer sur ce que j'avais vu. Je
ne pus douter que Dieu avait opéré en moi de grandes
choses, non seulement à cause de la liaison étonnante
et parfaite des choses que je voyais et dont je n'avais jamais eu
dans l'esprit aucune image, mais surtout à cause de l'amour
ardent dont brûlait le fond de mon coeur, lorsque mon juge
m'avait embrassé et qu'avaient jailli ces paroles :
Virga tua, etc. À lui seul, le souvenir très
suave de tout cela, après plusieurs mois, me tirait des
larmes de très tendre consolation.
J'ai donc pensé que cette cité,
placée de façon singulière où se trouve
notre bourgade, était la demeure des bienheureux, où
je ne méritais pas d'entrer, mais où j'entrerais un
jour, si je persévérais avec patience et
fidélité jusqu'à la fin, et j'espérais
que cette bourgade en laquelle j'avais tant souffert et souffrais
encore, se changerait pour moi en cette sainte cité.
En cette cité que je considérais
comme notre bourgade, du moins à l'endroit exact où
peu avant notre bourgade était placée, je ne vis
aucun Barbare; lorsque je passai la porte, j'en vis certes
quelques-uns qui sortaient, mais aucun à l'intérieur.
Car il n'entrera en elle rien de souillé (18), dehors les chiens, dehors les
impudiques (19). Je pensai que ce
corps-de-garde (où Je ne vis personne) était celui
des anges qui veillaient sur ce lieu, céleste plus que
terrestre. Enfin, ce tribunal et ce jugement auquel je fus
livré et où je reçus des coups, je pensai que
c'était le jugement divin dans lequel sont purifiés
ceux qui doivent être admis à cette cité
sainte, ou grâce auquel, taillées par le ciseau qui
sauve et frappées de coups répétés par
le marteau polisseur (20), les pierres
qui la construisent sont mises à leur place. Enfin,
reconduit au seuil, là je fus abandonné et je
n'entrai pas en cette cité sainte; j'ai cependant
tourné les yeux pour voir du moins celle où je ne
pénétrais pas, et j'ai vu ses voies semblables
à celles de la cité que décrit saint Jean dans
l'Apocalypse, des voies pures, des voies limpides, des voies
respirant la sainteté même. Les coups qui me furent
donnés sur le dos, je les interprétais comme
étant tous ces tourments extérieurs que j'avais
subis chez les Barbares; ceux sur le col, comme les mépris,
les moqueries et les injures, ainsi que le joug de cet esclavage;
ceux sur la tête, comme les haches ou les flammes, la mort
elle-même. Cependant, je m'étonnais de ce que,
accueilli par les coups du juge, je n'avais pas été
admis et je me disais : « Peut-il se faire que, dans
une telle cruauté des Barbares qui Journellement cherchent
à me tuer, je vive et ne meure pas ? ». Je
n'avais pas été admis, mais renvoyé, et je
croyais du moins ne pas mourir si rapidement. Les coups que j'avais
reçus sur la tête, je les interprétais aussi
comme les tortures et les douleurs les plus profondes de
l'âme. Cela me persuadait davantage de ce que je croyais pour
l'avoir vu souvent dans mon sommeil : je suivais celui qui me
précédait (21), mais non d'un pas égal.
Or, je croyais que c'était mon très cher compagnon,
que l'éternelle félicité des saints avait
alors accueilli. Et, tandis que je le suis de loin, à
travers les détours et les courbes du chemin, je me plains
qu'il se dérobe à ma vue. Parfois aussi, le
poursuivant, attiré par la beauté des temples que je
rencontrais en chemin, j'y entrais pour faire oraison. Et, lorsque
j'y reste longtemps, retenu par la beauté elle-même ou
charmé par la suavité des chants, ensuite, je souffre
de l'avoir encore perdu.
Notes
Dans les notes qui suivent, on trouve un
sommaire de l'annotation de Guy Laflèche, analysant et
interprétant ces pages de la Relation de 1647, SMC, 2 :
210-214.
(*) Le titre du rêve est de nous.
(1) René Goupil, assassiné le 29
septembre 1642. Le rêve est du mois d'octobre (avant le
départ pour la chasse).
(2) Pour Jérôme Lalemant, comme pour
Jacques Buteux, les rêves de Jogues sont évidemment
des communications divines. Cela ne tient pas seulement à
la biographie édifiante qu'ils préparent pour la
Relation de 1647, à la suite de l'assassassinat ou
plutôt (dans cette perspective) du
« martyre » de Jogues.
C'est toute la tradition chrétienne
qui, petit à petit, a réussi à
récupérer la tradition gréco-latine à
laquelle elle a dû longtemps s'opposer. En tout cas, dans le
contexte d'une biographie édifiante, on n'attend rien de
moins qu'une « communication divine ». Ce sont
évidemment les songes du Pharaon interprétés
par Joseph qui sont ici évoqués (Genèse,
chap. 41).
(3) En effet, il s'agit bien d'une traduction et
non d'une simple utilisation du texte d'Isaac Jogues, ce qui est
paradoxal, étant donné les libertés que
Jérôme Lalemant prendra.
(4) C'est bien l'ouverture textuelle et la
traduction du texte de Jogues. C'est, au XVIIe siècle, une
façon d'indiquer le style direct, l'ouverture des
guillemets. Jogues adapte le texte de la Vulgate pour
l'intégrer à son texte : « Je
répands ma plainte en sa présence, j'expose devant
lui ma détresse » (Psaumes, 141 : 3).
(5) Le manuscrit ajoute : « hoc modo
[de cette manière] : L N (fault icy figurer un
agneau) » (Manuscrit de 1652, p. 98). Il s'agit d'un
emblème qui sera dessiné plus bas dans le manuscrit,
avec le rouleau contenant l'inscription qui le surplombe. La valeur
symbolique de l'emblème, dont la pédagogie
jésuite fait un grand usage, dédouble ici la
série des symboles du rêve prophétique :
c'est le symbole symbolisé, marque redondante du discours
herméneutique caractéristique du
« songe ».
(6) Laudent nomen ejus. Il s'agit du
thème des six derniers Psaumes (145-150) : laudate
Dominum, laudale nomen Domini. La formule retenue est celle du
Psaume 149 : 3, laudent nomen ejus (in choro),
« qu'ils louent son nom (dans leurs danses) ».
On trouvera le dessin de l'emblème que porte le manuscrit de
1652 (p. 98) dans la gravure qui accompagne la traduction de
Félix Martin (bg. 475, éd. 1873, p. 142),
reproduite dans SMC, 2 : 61).
(7) « Il a été
maltraité et opprimé. Et il n'a point ouvert la
bouche; Semblable à un agneau qu'on mène à la
boucherie, À une brebis muette devant ceux qui la tondent,
II n'a pas ouvert la bouche ». Ce passage d'Isaïe
(53 : 7), cité explicitement dans les Actes des
Apôtres (8 : 32), a toujours été mis en
parallèle par la tradition avec le silence de Jésus
devant Pilate et ses accusateurs (Matthieu, 26 : 63; 27 :
12, 14; et Marc, 24 : 61; 25 : 5).
(8) « Tout rempli d'armes et de toutes
façons » traduit et omnis armatura fortium
(Manuscrit de 1652, p. 99), allusion de Jogues au Cantique
4 :4, « tous les boucliers des
héros ».
(9) Très curieuse
« synchronie » dans un récit de
rêve (moderne) : on voit tout de suite que le narrateur
dit ici ce que le rêveur comprendra ensuite.
(10) Jogues écrit : ad judicem
ducemque nostrum (duae enim illae voces mihi innotuerunt, quorum
una erat judicaturae, altera militiae) (Manuscrit de 1652,
p. 99). Littéralement : « à notre
juge et à notre chef (car on me le fit connaître sous
ces deux noms, dont l'un était de la magistrature, et
l'autre de l'armée) ».
(11) L'expression antiquus dierum pour
désigner Dieu comme juge vient du chapitre 7 où est
consigné le premier rêve prophétique de Daniel
(9, 13 et 22). « Et l'Ancien des jours s'assit. Son
vêtement était blanc comme la neige, et les cheveux de
sa tête étaient comme de la laine pure. »
Mais son trône est de flamme et de feu.
(12) « Les faisceaux, assemblages
de verges liées autour d'une hache, portés par les
licteurs devant le titulaire d'une grande magistrature comme
symbole de son autorité » (le Petit
Robert). La hache symbolise la peine de mort tandis que les
verges (auxquelles Jogues s'en tient) figurent plutôt les
peines corporelles et bien plus rarement la peine capitale par la
flagellation (voir le Dictionnaire des Antiquités
grecques et romaines, Paris, Hachette, 1918, à
Lictor).
(13) La « bastonnade » est la
première phase du supplice du feu qui conduit le captif
à son adoption, plus rarement à sa mort. Isaac
Jogues a dû l'affronter le 14 août 1642, à 15
heures, alors que tous les habitants du village d'Ossernonon
formaient sur deux haies le chemin qui conduisait les vingt-trois
captifs en Iroquoisie.
(14) Le manuscrit porte seulement Virga tua
etc. qui correspond au Virga tua et baculus tuus ipsa me
consolata sunt, « ta houlette et ton bâton me
rassurent » (Psaumes, 22 : 4) -- mais Lalemant
transforme l'image du pasteur en celle du juge et du roi (domine
mi rex) et sa houlette en verge à la faveur d'un
gallicisme (virga), transformations fidèles, bien
sûr, au contexte du rêve de Jogues.
(15) C'est-à-dire : à mon
réveil.
(16) Jogues précisait : par son baiser
et ses paroles.
(17) Jérôme Lalemant ne traduit pas
la longue interprétation
« littérale » que Jogues donne ici de
son rêve, en le complétant, n'en donnant dans
l'alinéa suivant que la conclusion, sans plus en suivre le
mot à mot. On la trouvera ci-dessous. Comme on le voit,
Lallemant remplace l'interprétation de Jogues par la sienne
(implicite), du simple fait de la supprimer. Évidemment,
s'agissant d'une communication divine il est assez naturel qu'il
s'estime mieux placé que Jogues pour comprendre son
rêve dans sa signification historique. Il faut en
effet conprendre que du point de vue religieux le rêve
« prophétique » n'a rien d'une
« prophétie », s'agissant de prescience,
de connaissance.
Les trois notes suivantes sont de
François Roustang.
(18) Apocalypse, 21 : 27.
(19) Apoc., 12 : 15.
(20) Hymne de vêpre, office de la
dédicace d'une église.
Comme on le voit à
l'intertextualité de l'interprétation de Jogues, son
rêve comprend de nombreux « symboles »
bibliques, édifiant le palais.
Variantes
(a) « Barbare » désigne
les Iroquois (et particulièrement ici les Agniers). Il faut
le comprendre par opposition à
« Sauvage » (moins péjoratif !),
qui désigne les Amérindiens alliés des
Français.
(b) Le corps de garde est une pièce qui ici,
comme on le voit plus loin, domine le vaste portique.
(c) Jérôme Lalemant ne traduit pas ce
fragment du texte de Jogues donné ici dans la traduction de
François Roustang (p. 191, n. 2).
(d) Comme on le verra ci-dessous, Lalemant commence
à s'écarter avec cet alinéa du texte de Jogues
qu'il traduisait fidèlement jusqu'ici.
Références
Jérôme Lalemant, la Relation de 1647 dans
« Le Martyre d'Isaac Jogues », les Saints
Martyrs canadiens, Laval, Singulier, vol. 2, 1989,
chap. 3, p. 59-63. En abrégé, pour les
spécialistes : SMC, 2 : 59-63.
Édition originale
Jérôme Lalemant, la Relation de 1647, Paris,
Cramoisy, 1648, p. 90-95
Sources
Original latin :
Isaac Jogues, « Le rêve du palais »,
traduction du latin au français par Jérôme
Lalemant : première des « Illustrationes
nonullae P. Isaaci Jogues ex ejus manu scriptis
excerptae » [« Quelques faits extraordinaires
du P. Isaac Jogues tirés de ses
manuscrits »], Manuscrit de 1652, éd. Paul
Ragueneau, Archives de la Compagnie de Jésus de
Saint-Jérôme,
anciennement Collège Sainte-Marie de
Montréal, p. 97-107, premier texte du recueil,
p. 97-104.
—, « Prisonnier des Iroquois, un rêve
(1642) », François roustang, les
Jésuites de la Nouvelle-France, Paris, Desclée de
Brouwer (coll. « Christus », no 6),
p. 189-193.
Éditions critiques
Édition documentaire : Relations des jésuites
dans la Nouvelle-France, Québec, Augustin
Côté, 1858, « Relation de 1647 »,
p. 26a-28b.
Édition diplomatique : The Jesuit Relations and
allied documents of the jesuit missionnaries in New France,
éd. Reuben Gold Thwaites, Cleveland Burrows, 1896-1901,
73 vol., vol. 31, p. 60-68. En
abrégé, pour les spécialistes : JR,
31 : 60-68.
Édition critique : Jérôme Lalemant, la
Relation de 1647 dans « Le Martyre d'Isaac
Jogues », les Saints Martyrs canadiens, éd.
de Guy Laflèche, Laval, Singulier, vol. 2, 1989,
chap. 3, p. 59-63.
Situation matérielle
Seconde partie du chapitre 5 de la Relation de
1647. Il s'agit du deuxième des six chapitres
(chap. 4-8) que la relation consacre à la biographie de
Jogues. La relation de Jérôme Lalemant comprend 15
chapitres.
L'original latin se trouve en tête des
fragments des Illustrationes.
Situation narrative
Isaac Jogues est en Huronie depuis six ans en
1642. Le missionnaire jésuite est chargé de conduire
à Trois-Rivières, puis de ramener à la baie
georgienne (dans la région actuelle de Midland), la part
missionnaire du convoi annuel des Hurons qui descendent traiter la
fourrure. Au retour, le 2 août, le lendemain du
départ, le convoi huron tombe dans une embuscade iroquoise
(devant la ville actuelle de Sorel). Des quarante personnes du
convoi, trois sont tuées et vingt-trois sont
capturées, 20 Hurons et 3 Français, Guillaume
Couture, René Goupil et Isaac Jogues, qui sont
considérés comme de véritables trophés
par les Iroquois agniers. Les trois Français survivent au
supplice du feu, c'est-à-dire aux sévices auxquels
ils sont soumis durant près de dix jours dans les trois
villages des Agniers, avant d'être adoptés par chacun
des clans de la tribu. Jogues et Goupil vivent au village
d'Ossernenon (près de la ville actuelle d'Albany, où
se trouvent alors les Hollandais de Rensselaerswyck, fort
d'Orange). Le 29 septembre, à la suite d'un conseil
houleux, une faction radicale du clan de l'ours commande
l'assassinat de René Goupil pour faire échec aux
pourparlers de paix qui se dessinent alors. Isaac Jogues, qui se
retrouve seul, dans la crainte constante d'être
assassiné à son tour, vit une longue période
de désespoir psychologique et d'exaltation spirituelle.
C'est dans ces circonstances qu'il fait les deux rêves dont
il a rédigé le récit plus tard, en 1644-1645,
à Trois-Rivières, à la demande de son
supérieur Jacques Buteux.
En effet, avec la complicité des
Hollandais, Jogues réussit à s'enfuir après un
an de captivité, en juillet 1643, pour arriver en France en
décembre, d'où il revient dès que possible en
Nouvelle-France, au printemps 1644. Il passe les deux
années suivantes à Trois-Rivières. Au
printemps 1646, il fait un premier et difficile voyage diplomatique
en Iroquoisie, avec l'ingénieur Jean Bourdon, chargé
de préparer une attaque militaire. Jérôme
Lalemant, au péril évident et inutile de sa vie, le
charge (contre son gré) d'une nouvelle mission diplomatique
en Iroquoisie, à l'automne, une impossible
« mission de paix » d'où il ne reviendra
pas. Il est assassiné d'un coup de hache dès son
arrivée, le 18 octobre 1646.
Bibliographie
Tous les biographes de Jogues situent
évidemment ses trois rêves comme autant
d'expériences spirituelles. Pour Félix Martin, par
exemple, ses deux rêves d'Iroquoisie, dans sa
captivité, sont des consolations.
En revanche, François Roustang, dans sa
traduction de l'oeuvre complète de Jogues, va plus loin et
en propose des interprétations biographiques
éclairantes, en développant et en actualisant
l'interprétation de Jogues lui-même.
LAFLÈCHE, Guy, SMC, 2 : 210-212. Au-delà de
l'utilisation hagiographique du « rêve
prophétique » par ses biographes, mettant l'accent
sur la communication divine, le contenu du rêve de Jogues
manifeste une radicalisation de la spiritualité de la croix
propre aux missionnaires jésuites de la Huronie.
MARTIN, Félix, le Père Isaac Jogues, Paris,
Albanel, 1873, p. 141.
ROUSTANG, François, Jésuites de la
Nouvelle-France, Paris, Desclée de Brouwer (collection
« Christus », no 6), 1961,
p. 172-173. Pour Roustang, les coups infligés à
Jogues par son juge représentent son supplice -- et non
l'inverse ! comme le donne la comparaison portée n.
(13) --, de sorte que le paradis auquel il aspire est le Palais de
l'agneau immolé. Ce n'est donc plus « le paradis
de son enfance, havre des seules délices et de la
suavité, mais celui où l'on contemple l'Agneau
immolé qui avait gardé toute sa douceur, lorsqu'on
l'avait conduit à l'abattoir » (p. 172).
|