TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - édition de Guy Laflèche TGdM

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Deuxième rêve d'Isaac Jogues
Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie

Isaac Jogues, « Le rêve du Palais » (*), biographie/autobiographie, 1640

Traduction et édition de Jérôme Lalemant, la Relation des jésuites de Nouvelle-France en 1647, Paris, 1648.

Dieu conserve le père Isaac Jogues après le massacre de son compagnon,
il l'instruit d'une façon bien remarquable

      [...]

      Quelque temps après la mort de son compagnon (1), Dieu lui communiqua dans son sommeil, comme il faisait jadis à ces anciens patriarches (2), ce que je vais raconter. C'est lui-même qui l'a couché par écrit de sa propre main : voici comme il parle en langue latine, rendue en notre français (3).

      Après la mort de mon très cher compagnon d'heureuse mémoire, lors qu'on me cherchait tous les jours à la mort, et que mon âme était remplie d'angoisses, ce que je vais dire m'arriva dans mon sommeil.

      Egressus eram e pago nostro solito meo more ut tibi Deo meo liberius gemerem, ce sont ses premières paroles : j'étais sorti de notre bourgade à mon accoutumée pour gémir plus librement devant vous ô mon Dieu, pour vous présenter mon oraison, et pour lever la bonde en votre présence à mes angoisses et à mes plaintes (4). À mon retour j'ai trouvé toutes choses nouvelles : ces grands pieux qui entouraient notre bourgade me parurent changés en des tours, en des boulevards, et en des murailles, d'une insigne beauté, en sorte néanmoins que je ne voyais rien qui fut nouvellement bâti, mais bien une ville toute vénérable pour son antiquité. Doutant si c'était notre bourgade, je vis sortir quelques Iroquois que je connaissais fort bien qui me semblaient assurer qu'en effet c'était notre bourgade. J'approche de cette ville tout plein d'étonnement : ayant passé la première porte, je vis ces deux lettres, L. N., gravées en gros caractères sur la colonne droite de la seconde porte, et ensuite un petit agneau massacré (5). Je fus surpris, ne pouvant concevoir comme des Barbares (a) qui n'ont aucune connaissance de nos lettres auraient pu graver ces caractères. Et comme j'en cherchais l'explication dans mon esprit, je vis au dessus dans un rouleau ces trois paroles écrites, laudent nomen ejus (6). Et à même temps je reçus une grande lumière dans le fond de mon âme, qui me fit voir que ceux-là proprement louaient le nom de l'agneau, qui dans leurs presses et dans leurs tribulations s'efforçaient d'imiter la douceur de celui qui comme un agneau n'avait dit mot à ceux qui, l'ayant dépouillé de sa toison, le conduisaient à la mort (7).

      Cette vue m'ayant donné courage, j'entre dans la seconde porte bâtie de grandes pierres carrées de toutes façons (8), qui faisaient un grand portique ou une entrée enrichie d'une voûte admirable; continuant mon chemin, j'aperçus environ le milieu de ce portique, un corps-de-garde (b) tout rempli d'armes et de toutes façons, sans voir aucun soldat; je leur fis une grande révérence, me souvenant qu'on leur devait ce respect : comme je les saluais, une sentinelle posée vers l'endroit où je marchais s'écrie, « demeurez là ! ». Or soit que j'eusse la face tournée d'un autre côté, ou que la beauté des choses que je voyais occupât fortement mon esprit, je ne vis et n'entendis rien (9). Cette sentinelle redouble une autre fois, criant plus fort, « demeurez là ! ». Je m'arrête tout court. « Comment, me fit ce soldat, est-ce ainsi que vous obéissez à la voix de celui qui est en garde devant le palais royal ? Il a donc fallu vous crier deux fois, "demeurez là" ? allons vite, paraissez devant notre juge, et devant notre capitaine ». J'entendis ces deux mots de juge, et de capitaine (10). « Entrez, me dit-il, dans cette porte, pour recevoir le châtiment de votre témérité ». « Je vous assure, ô mon cher ami, lui repartis-je, que je ne vous avais ni vu, ni entendu ». Il m'entraîne sans recevoir mes excuses.       La porte de ce palais, devant lequel il était en faction, était un petit au-dessous de ce corps-de-garde, dont je viens de parler. Ce lieu me parut d'abord comme ces chambres dorées, dans lesquelles on rend la justice en Europe, ou comme ces beaux endroits qu'on voit encore dans quelques anciens monastères où jadis les religieux tenaient leur chapitre. Dans cette salle ou dans ce palais tout ravissant, je vis un vieillard tout plein de majesté semblable à l'Ancien des jours (11); il était couvert d'une grande robe d'écarlate d'une extrême beauté; il n'était point assis dans son trône, mais il se promenait doucement, rendant la justice à son peuple, duquel il était séparé par de riches balustres. Je vis à la porte de ce palais quantité de personnes de toutes sortes de conditions [comme on a coutume d'en voir en Europe. J'en vis même quelques-uns qui m'étaient connus et qui me demandèrent des nouvelles du pays des Hurons. Je me disais en moi-même, c'est bien, ceux-ci savent qui je suis et combien c'est en innocent que je suis traîné devant le juge; on me traitera doucement] (c). Le soldat qui m'avait conduit ayant parlé, mon juge sans m'entendre tire une baguette ou une verge, d'un faisceau semblable à ceux qu'on portait jadis devant les consuls romains (12); il me frappa longtemps et rudement de cette baguette sur les épaules, sur le cou et sur la tête, et encore qu'une seule main me frappât, je sentais autant de douleur que je ressentis à mon entrée dans la première bourgade des Iroquois, lors que toute la jeunesse du pays, étant armée de bâtons, nous traita avec une cruauté non-pareille (13). Jamais je ne poussai aucune plainte, jamais je ne jetai aucun gémissement dessous ces coups : je souffrais avec douleur tout ce qui m'était appliqué, trouvant de la patience dans la vue de ma bassesse. Enfin, comme si mon juge eut admiré ma patience, il quitte la verge, et se jetant à mon col, il m'embrassa et, en bannissant mes ennuis, il me remplit d'une consolation toute divine et entièrement inexplicable. Regorgeant de cette joie céleste, je baisais la main qui m'avait frappé, et me sentant tomber comme dans une extase je m'écriai, « virga tua domine mi rex et baculus tuus ipsa me consolata sunt, votre verge ô mon Seigneur et mon Roi, et votre bâton m'ont consolé » (14). Cela fait il me reconduit et me laisse sur le seuil de la porte.

      Étant revenu à moi (d) (15), je ne pus douter que Dieu n'eut opéré des merveilles dans mon âmes, non seulement pour le rapport que ces choses avaient par entre elles, mais particulièrement pour le grand feu d'amour que mon juge avait allumé au fond de mon coeur (16) dont le seul souvenir plusieurs mois après me tirait des larmes d'une très douce consolation (17).

      La créance aussi que ma mort était retardée me fut plusieurs fois imprimée dans mon sommeil : m'étant avis que je suivais mon très cher compagnon reçu dans la béatitude, je courais après lui par des voies et par des détours qui me dérobaient sa vue; d'autres fois, en le poursuivant, je rencontrais des temples superbes dans lesquels je me jetais attiré par leur beauté, et pendant que je faisais oraison et que la douceur des voix que j'entendais en ces grands édifices me charmait, je me consolais dans son absence; mais si tôt que je sortais de ces douceurs, je rentrais dans les désirs de le suivre. Tout ceci est tiré quasi mot à mot du mémoire de ce bon Père, qui ne comprenait pas pour lors que ces coups qui lui furent déchargés sur la tête par son juge dénotaient son retour dans ce pays où il devait trouver l'entrée de la sainte Sion, par un coup de hache qui l'a logé avec son cher compagnon.


      Voici l'« interprétation » d'Isaac Jogues que Jérôme Lalemant soustrait, de sorte qu'elle est remplacée par la sienne dans le contexte de sa biographie, soit le « martyre » qui conduira Jogues à ce palais. L'original latin est donné ici dans la traduction de François Roustang.

      Étant revenu à moi, je commençai à méditer sur ce que j'avais vu. Je ne pus douter que Dieu avait opéré en moi de grandes choses, non seulement à cause de la liaison étonnante et parfaite des choses que je voyais et dont je n'avais jamais eu dans l'esprit aucune image, mais surtout à cause de l'amour ardent dont brûlait le fond de mon coeur, lorsque mon juge m'avait embrassé et qu'avaient jailli ces paroles : Virga tua, etc. À lui seul, le souvenir très suave de tout cela, après plusieurs mois, me tirait des larmes de très tendre consolation.

      J'ai donc pensé que cette cité, placée de façon singulière où se trouve notre bourgade, était la demeure des bienheureux, où je ne méritais pas d'entrer, mais où j'entrerais un jour, si je persévérais avec patience et fidélité jusqu'à la fin, et j'espérais que cette bourgade en laquelle j'avais tant souffert et souffrais encore, se changerait pour moi en cette sainte cité.

      En cette cité que je considérais comme notre bourgade, du moins à l'endroit exact où peu avant notre bourgade était placée, je ne vis aucun Barbare; lorsque je passai la porte, j'en vis certes quelques-uns qui sortaient, mais aucun à l'intérieur. Car il n'entrera en elle rien de souillé (18), dehors les chiens, dehors les impudiques (19). Je pensai que ce corps-de-garde (où Je ne vis personne) était celui des anges qui veillaient sur ce lieu, céleste plus que terrestre. Enfin, ce tribunal et ce jugement auquel je fus livré et où je reçus des coups, je pensai que c'était le jugement divin dans lequel sont purifiés ceux qui doivent être admis à cette cité sainte, ou grâce auquel, taillées par le ciseau qui sauve et frappées de coups répétés par le marteau polisseur (20), les pierres qui la construisent sont mises à leur place. Enfin, reconduit au seuil, là je fus abandonné et je n'entrai pas en cette cité sainte; j'ai cependant tourné les yeux pour voir du moins celle où je ne pénétrais pas, et j'ai vu ses voies semblables à celles de la cité que décrit saint Jean dans l'Apocalypse, des voies pures, des voies limpides, des voies respirant la sainteté même. Les coups qui me furent donnés sur le dos, je les interprétais comme étant tous ces tourments extérieurs que j'avais subis chez les Barbares; ceux sur le col, comme les mépris, les moqueries et les injures, ainsi que le joug de cet esclavage; ceux sur la tête, comme les haches ou les flammes, la mort elle-même. Cependant, je m'étonnais de ce que, accueilli par les coups du juge, je n'avais pas été admis et je me disais : « Peut-il se faire que, dans une telle cruauté des Barbares qui Journellement cherchent à me tuer, je vive et ne meure pas ? ». Je n'avais pas été admis, mais renvoyé, et je croyais du moins ne pas mourir si rapidement. Les coups que j'avais reçus sur la tête, je les interprétais aussi comme les tortures et les douleurs les plus profondes de l'âme. Cela me persuadait davantage de ce que je croyais pour l'avoir vu souvent dans mon sommeil : je suivais celui qui me précédait (21), mais non d'un pas égal. Or, je croyais que c'était mon très cher compagnon, que l'éternelle félicité des saints avait alors accueilli. Et, tandis que je le suis de loin, à travers les détours et les courbes du chemin, je me plains qu'il se dérobe à ma vue. Parfois aussi, le poursuivant, attiré par la beauté des temples que je rencontrais en chemin, j'y entrais pour faire oraison. Et, lorsque j'y reste longtemps, retenu par la beauté elle-même ou charmé par la suavité des chants, ensuite, je souffre de l'avoir encore perdu.


Notes

      Dans les notes qui suivent, on trouve un sommaire de l'annotation de Guy Laflèche, analysant et interprétant ces pages de la Relation de 1647, SMC, 2 : 210-214.

(*) Le titre du rêve est de nous.

(1) René Goupil, assassiné le 29 septembre 1642. Le rêve est du mois d'octobre (avant le départ pour la chasse).

(2) Pour Jérôme Lalemant, comme pour Jacques Buteux, les rêves de Jogues sont évidemment des communications divines. Cela ne tient pas seulement à la biographie édifiante qu'ils préparent pour la Relation de 1647, à la suite de l'assassassinat ou plutôt (dans cette perspective) du « martyre » de Jogues.       C'est toute la tradition chrétienne qui, petit à petit, a réussi à récupérer la tradition gréco-latine à laquelle elle a dû longtemps s'opposer. En tout cas, dans le contexte d'une biographie édifiante, on n'attend rien de moins qu'une « communication divine ». Ce sont évidemment les songes du Pharaon interprétés par Joseph qui sont ici évoqués (Genèse, chap. 41).

(3) En effet, il s'agit bien d'une traduction et non d'une simple utilisation du texte d'Isaac Jogues, ce qui est paradoxal, étant donné les libertés que Jérôme Lalemant prendra.

(4) C'est bien l'ouverture textuelle et la traduction du texte de Jogues. C'est, au XVIIe siècle, une façon d'indiquer le style direct, l'ouverture des guillemets. Jogues adapte le texte de la Vulgate pour l'intégrer à son texte : « Je répands ma plainte en sa présence, j'expose devant lui ma détresse » (Psaumes, 141 : 3).

(5) Le manuscrit ajoute : « hoc modo [de cette manière] : L N (fault icy figurer un agneau) » (Manuscrit de 1652, p. 98). Il s'agit d'un emblème qui sera dessiné plus bas dans le manuscrit, avec le rouleau contenant l'inscription qui le surplombe. La valeur symbolique de l'emblème, dont la pédagogie jésuite fait un grand usage, dédouble ici la série des symboles du rêve prophétique : c'est le symbole symbolisé, marque redondante du discours herméneutique caractéristique du « songe ».

(6) Laudent nomen ejus. Il s'agit du thème des six derniers Psaumes (145-150) : laudate Dominum, laudale nomen Domini. La formule retenue est celle du Psaume 149 : 3, laudent nomen ejus (in choro), « qu'ils louent son nom (dans leurs danses) ». On trouvera le dessin de l'emblème que porte le manuscrit de 1652 (p. 98) dans la gravure qui accompagne la traduction de Félix Martin (bg. 475, éd. 1873, p. 142), reproduite dans SMC, 2 : 61).

(7) « Il a été maltraité et opprimé. Et il n'a point ouvert la bouche; Semblable à un agneau qu'on mène à la boucherie, À une brebis muette devant ceux qui la tondent, II n'a pas ouvert la bouche ». Ce passage d'Isaïe (53 : 7), cité explicitement dans les Actes des Apôtres (8 : 32), a toujours été mis en parallèle par la tradition avec le silence de Jésus devant Pilate et ses accusateurs (Matthieu, 26 : 63; 27 : 12, 14; et Marc, 24 : 61; 25 : 5).

(8) « Tout rempli d'armes et de toutes façons » traduit et omnis armatura fortium (Manuscrit de 1652, p. 99), allusion de Jogues au Cantique 4 :4, « tous les boucliers des héros ».

(9) Très curieuse « synchronie » dans un récit de rêve (moderne) : on voit tout de suite que le narrateur dit ici ce que le rêveur comprendra ensuite.

(10) Jogues écrit : ad judicem ducemque nostrum (duae enim illae voces mihi innotuerunt, quorum una erat judicaturae, altera militiae) (Manuscrit de 1652, p. 99). Littéralement : « à notre juge et à notre chef (car on me le fit connaître sous ces deux noms, dont l'un était de la magistrature, et l'autre de l'armée) ».

(11) L'expression antiquus dierum pour désigner Dieu comme juge vient du chapitre 7 où est consigné le premier rêve prophétique de Daniel (9, 13 et 22). « Et l'Ancien des jours s'assit. Son vêtement était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête étaient comme de la laine pure. » Mais son trône est de flamme et de feu.

(12) « Les faisceaux, assemblages de verges liées autour d'une hache, portés par les licteurs devant le titulaire d'une grande magistrature comme symbole de son autorité » (le Petit Robert). La hache symbolise la peine de mort tandis que les verges (auxquelles Jogues s'en tient) figurent plutôt les peines corporelles et bien plus rarement la peine capitale par la flagellation (voir le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, Paris, Hachette, 1918, à Lictor).

(13) La « bastonnade » est la première phase du supplice du feu qui conduit le captif à son adoption, plus rarement à sa mort. Isaac Jogues a dû l'affronter le 14 août 1642, à 15 heures, alors que tous les habitants du village d'Ossernonon formaient sur deux haies le chemin qui conduisait les vingt-trois captifs en Iroquoisie.

(14) Le manuscrit porte seulement Virga tua etc. qui correspond au Virga tua et baculus tuus ipsa me consolata sunt, « ta houlette et ton bâton me rassurent » (Psaumes, 22 : 4) -- mais Lalemant transforme l'image du pasteur en celle du juge et du roi (domine mi rex) et sa houlette en verge à la faveur d'un gallicisme (virga), transformations fidèles, bien sûr, au contexte du rêve de Jogues.

(15) C'est-à-dire : à mon réveil.

(16) Jogues précisait : par son baiser et ses paroles.

(17) Jérôme Lalemant ne traduit pas la longue interprétation « littérale » que Jogues donne ici de son rêve, en le complétant, n'en donnant dans l'alinéa suivant que la conclusion, sans plus en suivre le mot à mot. On la trouvera ci-dessous. Comme on le voit, Lallemant remplace l'interprétation de Jogues par la sienne (implicite), du simple fait de la supprimer. Évidemment, s'agissant d'une communication divine il est assez naturel qu'il s'estime mieux placé que Jogues pour comprendre son rêve dans sa signification historique. Il faut en effet conprendre que du point de vue religieux le rêve « prophétique » n'a rien d'une « prophétie », s'agissant de prescience, de connaissance.

      Les trois notes suivantes sont de François Roustang.

(18) Apocalypse, 21 : 27.

(19) Apoc., 12 : 15.

(20) Hymne de vêpre, office de la dédicace d'une église.

      Comme on le voit à l'intertextualité de l'interprétation de Jogues, son rêve comprend de nombreux « symboles » bibliques, édifiant le palais.


Variantes

(a) « Barbare » désigne les Iroquois (et particulièrement ici les Agniers). Il faut le comprendre par opposition à « Sauvage » (moins péjoratif !), qui désigne les Amérindiens alliés des Français.

(b) Le corps de garde est une pièce qui ici, comme on le voit plus loin, domine le vaste portique.

(c) Jérôme Lalemant ne traduit pas ce fragment du texte de Jogues donné ici dans la traduction de François Roustang (p. 191, n. 2).

(d) Comme on le verra ci-dessous, Lalemant commence à s'écarter avec cet alinéa du texte de Jogues qu'il traduisait fidèlement jusqu'ici.


Références

Jérôme Lalemant, la Relation de 1647 dans « Le Martyre d'Isaac Jogues », les Saints Martyrs canadiens, Laval, Singulier, vol. 2, 1989, chap. 3, p. 59-63. En abrégé, pour les spécialistes : SMC, 2 : 59-63.

Édition originale

Jérôme Lalemant, la Relation de 1647, Paris, Cramoisy, 1648, p. 90-95

Sources

Original latin :

Isaac Jogues, « Le rêve du palais », traduction du latin au français par Jérôme Lalemant : première des « Illustrationes nonullae P. Isaaci Jogues ex ejus manu scriptis excerptae » [« Quelques faits extraordinaires du P. Isaac Jogues tirés de ses manuscrits »], Manuscrit de 1652, éd. Paul Ragueneau, Archives de la Compagnie de Jésus de Saint-Jérôme, anciennement Collège Sainte-Marie de Montréal, p. 97-107, premier texte du recueil, p. 97-104.

—, « Prisonnier des Iroquois, un rêve (1642) », François roustang, les Jésuites de la Nouvelle-France, Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Christus », no 6), p. 189-193.

Éditions critiques

Édition documentaire : Relations des jésuites dans la Nouvelle-France, Québec, Augustin Côté, 1858, « Relation de 1647 », p. 26a-28b.

Édition diplomatique : The Jesuit Relations and allied documents of the jesuit missionnaries in New France, éd. Reuben Gold Thwaites, Cleveland Burrows, 1896-1901, 73 vol., vol. 31, p. 60-68. En abrégé, pour les spécialistes : JR, 31 : 60-68.

Édition critique : Jérôme Lalemant, la Relation de 1647 dans « Le Martyre d'Isaac Jogues », les Saints Martyrs canadiens, éd. de Guy Laflèche, Laval, Singulier, vol. 2, 1989, chap. 3, p. 59-63.


Situation matérielle

      Seconde partie du chapitre 5 de la Relation de 1647. Il s'agit du deuxième des six chapitres (chap. 4-8) que la relation consacre à la biographie de Jogues. La relation de Jérôme Lalemant comprend 15 chapitres.

      L'original latin se trouve en tête des fragments des Illustrationes.


Situation narrative

      Isaac Jogues est en Huronie depuis six ans en 1642. Le missionnaire jésuite est chargé de conduire à Trois-Rivières, puis de ramener à la baie georgienne (dans la région actuelle de Midland), la part missionnaire du convoi annuel des Hurons qui descendent traiter la fourrure. Au retour, le 2 août, le lendemain du départ, le convoi huron tombe dans une embuscade iroquoise (devant la ville actuelle de Sorel). Des quarante personnes du convoi, trois sont tuées et vingt-trois sont capturées, 20 Hurons et 3 Français, Guillaume Couture, René Goupil et Isaac Jogues, qui sont considérés comme de véritables trophés par les Iroquois agniers. Les trois Français survivent au supplice du feu, c'est-à-dire aux sévices auxquels ils sont soumis durant près de dix jours dans les trois villages des Agniers, avant d'être adoptés par chacun des clans de la tribu. Jogues et Goupil vivent au village d'Ossernenon (près de la ville actuelle d'Albany, où se trouvent alors les Hollandais de Rensselaerswyck, fort d'Orange). Le 29 septembre, à la suite d'un conseil houleux, une faction radicale du clan de l'ours commande l'assassinat de René Goupil pour faire échec aux pourparlers de paix qui se dessinent alors. Isaac Jogues, qui se retrouve seul, dans la crainte constante d'être assassiné à son tour, vit une longue période de désespoir psychologique et d'exaltation spirituelle. C'est dans ces circonstances qu'il fait les deux rêves dont il a rédigé le récit plus tard, en 1644-1645, à Trois-Rivières, à la demande de son supérieur Jacques Buteux.

      En effet, avec la complicité des Hollandais, Jogues réussit à s'enfuir après un an de captivité, en juillet 1643, pour arriver en France en décembre, d'où il revient dès que possible en Nouvelle-France, au printemps 1644. Il passe les deux années suivantes à Trois-Rivières. Au printemps 1646, il fait un premier et difficile voyage diplomatique en Iroquoisie, avec l'ingénieur Jean Bourdon, chargé de préparer une attaque militaire. Jérôme Lalemant, au péril évident et inutile de sa vie, le charge (contre son gré) d'une nouvelle mission diplomatique en Iroquoisie, à l'automne, une impossible « mission de paix » d'où il ne reviendra pas. Il est assassiné d'un coup de hache dès son arrivée, le 18 octobre 1646.


Bibliographie

      Tous les biographes de Jogues situent évidemment ses trois rêves comme autant d'expériences spirituelles. Pour Félix Martin, par exemple, ses deux rêves d'Iroquoisie, dans sa captivité, sont des consolations.       En revanche, François Roustang, dans sa traduction de l'oeuvre complète de Jogues, va plus loin et en propose des interprétations biographiques éclairantes, en développant et en actualisant l'interprétation de Jogues lui-même.

LAFLÈCHE, Guy, SMC, 2 : 210-212. Au-delà de l'utilisation hagiographique du « rêve prophétique » par ses biographes, mettant l'accent sur la communication divine, le contenu du rêve de Jogues manifeste une radicalisation de la spiritualité de la croix propre aux missionnaires jésuites de la Huronie.

MARTIN, Félix, le Père Isaac Jogues, Paris, Albanel, 1873, p. 141.

ROUSTANG, François, Jésuites de la Nouvelle-France, Paris, Desclée de Brouwer (collection « Christus », no 6), 1961, p. 172-173. Pour Roustang, les coups infligés à Jogues par son juge représentent son supplice -- et non l'inverse ! comme le donne la comparaison portée n. (13) --, de sorte que le paradis auquel il aspire est le Palais de l'agneau immolé. Ce n'est donc plus « le paradis de son enfance, havre des seules délices et de la suavité, mais celui où l'on contemple l'Agneau immolé qui avait gardé toute sa douceur, lorsqu'on l'avait conduit à l'abattoir » (p. 172).



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