TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - Édition de Guy Laflèche TGdM

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Le songe de Pauline
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Pierre Corneille (*), Polyeucte, tragédie, 1643

  • Le songe de Pauline
  • Le songe de Polyeucte dans la chronique des Vies de saints

    Acte 1, scène 1

    Néarque








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    Quoi ! vous vous arrêtez aux songes d'une femme ! (2).
    De si faibles sujets troublent cette grande âme !
    Et ce coeur tant de fois dans la guerre éprouvé
    S'alarme d'un péril qu'une femme a rêvé ! (3).

    Polyeucte

    Je sais ce qu'est un songe, et le peu de croyance
    Qu'un homme doit donner à son extravagance,
    Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit (4)
    Forme de vains objets que le réveil détruit;
    Mais vous ne savez pas ce que c'est qu'une femme,
    Vous ignorez quels droits elle a sur toute l'âme,
    Quand, après un long temps qu'elle a su nous charmer,
    Les flambeaux de l'hymen (5) viennent de s'allumer.
    Pauline, sans raison dans la douleur plongée,
    Craint et croit déjà voir ma mort qu'elle a songée,
    Elle oppose ses pleurs au dessein que je fais
    Et tâche à m'empêcher de sortir du palais.
    Je méprise sa crainte, et je cède à ses larmes,
    Elle me fait pitié sans me donner d'alarmes,
    Et mon coeur, attendri sans être intimidé,
    N'ose déplaire aux yeux dont il est possédé..
    L'occasion (6), Néarque, est-elle si pressante
    Qu'il faille être insensible aux soupirs d'une amante ?
    Par un peu de remise épargnons son ennui (7),
    Pour faire en plein repos ce qu'il trouble aujourd'hui.

    Néarque

    Avez-vous cependant une pleine assurance
    D'avoir assez de vie ou de persévérance;
    Et Dieu qui tient votre âme et vos jours dans sa main (8),
    Promet-il à vos voeux de le pouvoir demain ?
    Il est toujours tout juste et tout bon, mais sa grâce
    Ne descend pas toujours avec même efficace (9).
    Après certains moments que perdent nos longueurs (a),
    Elle quitte ces traits qui pénètrent les coeurs;
    Le nôtre s'endurcit, la repousse, l'égare (10),
    Le bras qui la versait en devient plus avare
    Et cette sainte ardeur qui doit porter au bien
    Tombe plus rarement ou n'opère plus rien.
    Celle qui vous pressait de courir au baptême,
    Languissante déjà, cesse d'être la même,
    Et pour quelques soupirs qu'on vous a fait ouïr,
    Sa flamme se dissipe et va s'évanouir.

    Polyeucte

    Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle,
    Et le désir s'accroît quand l'effet se recule :
    Ces pleurs, que je regarde avec un oeil d'époux,
    Me laissent dans le coeur aussi chrétien (11) que vous;
    Mais pour en recevoir le sacré caractère,
    Qui lave nos forfaits dans une eau salutaire,
    Et qui purgeant notre âme et, dessillant nos yeux,
    Nous rend le premier droit que nous avions aux Cieux (12),
    Bien que je le préfère aux grandeurs d'un empire,
    Comme le bien suprême et le seul où j'aspire,
    Je crois, pour satisfaire un juste et saint amour,
    Pouvoir un peu remettre et différer d'un jour.

    Néarque

    Ainsi du genre humain l'ennemi vous abuse :
    Ce qu'il ne peut de force, il l'entreprend de ruse.
    Jaloux des bons desseins qu'il tâche d'ébranler,
    Quand il ne les peut rompre, il pousse à reculer;
    D'obstacle sur obstacle, il va troubler le vôtre,
    Aujourd'hui par des pleurs, chaque jour par quelque autre,
    Et ce songe rempli de noires visions
    N'est que le coup d'essai de ses illusions.
    II met tout en usage, et prière et menace,
    II attaque toujours et jamais ne se lasse,
    II croit pouvoir enfin ce qu'encore il n'a pu,
    Et que ce qu'on diffère est à demi rompu (b).
          Rompez ses premiers coups, laissez pleurer Pauline.
    Dieu ne veut point d'un coeur où le monde domine,
    Qui regarde en arrière et douteux en son choix,
    Lorsque sa voix l'appelle, écoute une autre voix.

    Polyeucte

    Pour se donner à lui faut-il n'aimer personne ?

    Néarque

    Nous pouvons tout aimer : il le souffre, il l'ordonne.
    Mais, à vous dire tout, ce seigneur des seigneurs
    Veut le premier amour et les premiers honneurs.
    Comme rien n'est égal à sa grandeur suprême,
    II ne faut rien aimer qu'après lui, qu'en lui-même,
    Négliger, pour lui plaire, et femme et biens et rang,
    Exposer pour sa gloire et verser tout son sang.
    Mais que vous êtes loin de cette ardeur parfaite
    Qui vous est nécessaire, et que je vous souhaite !
    Je ne puis vous parler que les larmes aux yeux.
    Polyeucte, aujourd'hui qu'on nous hait en tous lieux,
    Qu'on croit servir l'État quand on nous persécute,
    Qu'aux plus âpres tourments un chrétien est en butte.
    Comment en pourrez-vous surmonter les douleurs,
    Si vous ne pouvez pas résister à des pleurs ?

    Polyeucte

    Vous ne m'étonnez point : la pitié qui me blesse (13)
    Sied bien aux plus grands coeurs et n'a point de faiblesse.
    Sur mes pareils, Néarque, un bel oeil est bien fort (14),
    Tel craint de le fâcher qui ne craint pas la mort,
    Et s'il faut affronter les plus cruels supplices,
    Y trouver des appas (15), en faire mes délices,
    Votre Dieu, que je n'ose encor nommer le mien,
    M'en donnera la force en me faisant chrétien.

    Néarque

    Hâtez-vous donc de l'être.

    Polyeucte

    Oui, j'y cours, cher Néarque,
    Je brûle d'en porter la glorieuse marque.
    Mais Pauline s'afflige, et ne peut consentir,
    Tant ce songe la trouble, à me laisser sortir.

    Néarque

    Votre retour pour elle en aura plus de charmes :
    Dans une heure au plus tard vous essuierez ses larmes,
    Et l'heur de vous revoir lui semblera plus doux,
    Plus elle aura pleuré pour un si cher époux.
    Allons, on nous attend.

    Polyeucte

    Apaisez donc sa crainte,
    Et calmez la douleur dont son âme est atteinte.
    Elle revient.

    Néarque

    Fuyez.               

    Polyeucte

    Je ne puis.                    

    Néarque

    II le faut :
    Fuyez un ennemi qui sait votre défaut (16),
    Qui le trouve aisément, qui blesse par la vue,
    Et dont le coup mortel vous plaît quand il vous tue.

    Scène 2

    Polyeucte







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    Fuyons, puisqu'il le faut. Adieu, Pauline, adieu :
    Dans une heure au plus tard je reviens en ce lieu.

    Pauline

    Quel sujet si pressant à sortir vous convie ?
    Y va-t-il de l'honneur, y va-t-il de la vie ?

    Polyeucte

    II y va de bien plus.

    Pauline

    Quel est donc ce secret ?

    Polyeucte

    Vous le saurez un jour. Je vous quitte à regret.
    Mais enfin il le faut.

    Pauline

    Vous m'aimez ?

    Polyeucte

    Je vous aime,
    Le ciel m'en soit témoin, cent fois plus que moi-même,
    Mais...

    Pauline

            Mais mon déplaisir ne vous peut émouvoir !
    Vous avez des secrets que je ne puis savoir !
    Quelle preuve d'amour ! Au nom de l'hyménée,
    Donnez à mes soupirs cette seule journée.

    Polyeucte

    Un songe vous fait peur !

    Pauline

    Ses présages sont vains,
    Je le sais, mais enfin je vous aime et je crains.

    Polyeucte

    Ne craignez rien de mal pour une heure d'absence.
    Adieu, vos pleurs sur moi prennent trop de puissance.
    Je sens déjà mon coeur prêt à se révolter,
    Et ce n'est qu'en fuyant que j'y puis résister.

    Scène 3

    Pauline

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    Va, néglige mes pleurs, cours, et te précipite
    Au-devant de la mort que les dieux m'ont prédite.
    Suis cet agent (17) fatal de tes mauvais destins,
    Qui peut-être te livre aux mains des assassins.
    Tu vois, ma Stratonice, en quel siècle nous sommes :
    Voilà notre pouvoir sur les esprits des hommes,
    Voilà ce qui nous reste et l'ordinaire effet
    De l'amour qu'on nous offre et des voeux qu'on nous fait !
    Tant qu'ils ne sont qu'amants, nous sommes souveraines,
    Et jusqu'à la conquête ils nous traitent de reines ;
    Mais après l'hyménée ils sont rois à leur tour.

    Stratonice

    Polyeucte pour vous ne manque point d'amour.
    S'il ne vous traite ici d'entière confidence,
    S'il part malgré vos pleurs, c'est un trait de prudence;
    Sans vous en affliger, présumez avec moi
    Qu'il est plus à propos qu'il vous cèle pourquoi.
    Assurez-vous sur lui qu'il en a juste cause;
    II est bon qu'un mari nous cache quelque chose,
    Qu'il soit quelquefois libre, et ne s'abaisse pas
    A nous rendre toujours compte de tous ses pas.
    On n'a tous deux (18) qu'un coeur qui sent mêmes traverses,
    Mais ce coeur a pourtant ses fonctions diverses,
    Et la loi de l'hymen qui vous tient assemblés
    N'ordonne pas qu'il tremble alors que vous tremblez.
    Ce qui fait vos frayeurs ne peut le mettre en peine :
    Il est Arménien, et vous êtes Romaine
    Et vous pouvez savoir que nos deux nations
    N'ont pas sur ce sujet mêmes impressions :
    Un songe en notre esprit passe pour ridicule,
    II ne nous laisse espoir ni crainte ni scrupule,
    Mais il passe dans Rome avec autorité
    Pour fidèle miroir de la fatalité (19).

    Pauline

    Quelque peu de crédit que chez vous il obtienne,
    Je crois que ta frayeur égalerait la mienne,
    Si de telles horreurs t'avaient frappé l'esprit,
    Si je t'en avais fait seulement le récit.

    Stratonice

    À raconter ses maux souvent on les soulage.

    Pauline

    Écoute, mais il faut te dire davantage,
    Et que, pour mieux comprendre un si triste discours,
    Tu saches ma faiblesse et mes autres amours.
    Une femme d'honneur peut avouer sans honte
    Ces surprises des sens que la raison surmonte;
    Ce n'est qu'en ces assauts qu'éclate la vertu
    Et l'on doute d'un coeur qui n'a point combattu.
          Dans Rome, où je naquis, ce malheureux visage
    D'un chevalier romain captiva le courage.
    Il s'appelait Sévère. Excuse les soupirs
    Qu'arrache encore un nom trop cher à mes désirs.

    Stratonice

    Est-ce lui qui naguère aux dépens de sa vie
    Sauva des ennemis votre empereur Décie,
    Qui leur tira mourant la victoire des mains,
    Et fit tourner le sort des Perses aux Romains ?
    Lui qu'entre tant de morts immolés à son maître,
    On ne put rencontrer, ou du moins reconnaître,
    A qui Décie enfin, pour des exploits si beaux,
    Fit si pompeusement dresser de vains tombeaux ?

    Pauline

    Hélas ! c'était lui-même, et jamais notre Rome
    N'a produit plus grand coeur ni vu plus honnête homme.
    Puisque tu le connais, je ne t'en dirai rien.
    Je l'aimai, Stratonice : il le méritait bien.
    Mais que sert le mérite où manque la fortune ? (20)
    L'un était grand en lui, l'autre faible et commune;
    Trop invincible obstacle, et dont trop rarement
    Triomphe auprès d'un père un vertueux amant !

    Stratonice

    La digne occasion d'une rare constance !

    Pauline

    Dis plutôt d'une indigne et folle résistance.
    Quelque fruit qu'une fille en puisse recueillir,
          Ce n'est une vertu que pour qui veut faillir.
    Parmi ce grand amour que j'avais pour Sévère,
    J'attendais un époux de la main de mon père,
    Toujours prête à le prendre, et jamais ma raison
    N'avoua de mes yeux l'aimable trahison.
    Il possédait mon coeur, mes désirs, ma pensée,
    Je ne lui cachais point combien j'étais blessée (21).
    Nous soupirions ensemble et pleurions nos malheurs
    Mais au lieu d'espérance, il n'avait que des pleurs,
    Et malgré des soupirs si doux, si favorables,
    Mon père et mon devoir étaient inexorables.
    Enfin je quittai Rome et ce parfait amant,
    Pour suivre ici mon père en son gouvernement,
    Et lui, désespéré, s'en alla dans l'armée
    Chercher d'un beau trépas l'illustre renommée.
    Le reste, tu le sais : mon abord en ces lieux
    Me fit voir Polyeucte et je plus à ses yeux,
    Et comme il est ici le chef de la noblesse,
    Mon père fut ravi qu'il me prît pour maîtresse,
    Et par son alliance il se crut assuré
    D'être plus redoutable et plus considéré.
    Il approuva sa flamme, et conclut l'hyménée,
    Et moi, comme à son lit je me vis destinée,
    Je donnai par devoir à son affection
    Tout ce que l'autre avait par inclination.
    Si tu peux en douter, juge-le par la crainte
    Dont en ce triste jour tu me vois l'âme atteinte.

    Stratonice

    Elle fait assez voir à quel point vous l'aimez.
    Mais quel songe, après tout, tient vos sens alarmés ?

    Pauline

    Je l'ai vu cette nuit, ce malheureux Sévère,
    La vengeance à la main, l'oeil ardent de colère.
    Il n'était point couvert de ces tristes lambeaux
    Qu'une ombre désolée emporte des tombeaux;
    II n'était point percé de ces coups pleins de gloire
    Qui, retranchant sa vie, assurent sa mémoire;
    II semblait triomphant, et tel que sur son char
    Victorieux dans Rome entre notre César.
    Après un peu d'effroi que m'a donné sa vue :
    « Porte à qui tu voudras la faveur qui m'est due,
    Ingrate, m'a-t-il dit; et ce jour expiré,
    Pleure à loisir l'époux que tu m'as préféré ».
    A ces mots, j'ai frémi; mon âme s'est troublée;
    Ensuite des (22) chrétiens une impie assemblée,
    Pour avancer l'effet de ce discours fatal,
    A jeté Polyeucte aux pieds de son rival.
    Soudain à son secours j'ai réclamé mon père.
    Hélas ! c'est de tout point (23) ce qui me désespère,
    J'ai vu mon père même, un poignard à la main,
    Entrer le bras levé pour lui percer le sein.
    Là ma douleur trop forte a brouillé ces images,
    Le sang de Polyeucte a satisfait leurs rages,
    Je ne sais ni comment ni quand ils l'ont tué,
    Mais je sais qu'à sa mort tous ont contribué.

    Voilà quel est mon songe.

    Stratonice

    II est vrai qu'il est triste,
    Mais il faut que votre âme à ces frayeurs résiste.
    La vision, de soi, peut faire quelque horreur,
    Mais non pas vous donner une juste terreur,
    Pouvez-vous craindre un mort, pouvez-vous craindre un père
    Qui chérit votre époux, que votre époux révère,
    Et dont le juste choix vous a donnée à lui
    Pour s'en faire en ces lieux un ferme et sûr appui ?

    Pauline

    II m'en a dit autant et rit de mes alarmes;
    Mais je crains des chrétiens les complots et les charmes,
    Et que sur mon époux leur troupeau ramassé
    Ne venge tant de sang que mon père a versé.

    Stratonice

    Leur secte est insensée, impie et sacrilège,
    Et dans son sacrifice use de sortilège,
    Mais sa fureur ne va qu'à briser nos autels :
    Elle n'en veut qu'aux Dieux, et non pas aux mortels.
    Quelque sévérité que sur eux on déploie,
    Ils souffrent sans murmure, et meurent avec joie;
    Et depuis qu'on les traite en criminels d'État,
    On ne peut les charger d'aucun assassinat.

    Pauline

    Tais-toi, mon père vient.

    Scène 4

    Félix



















    270
    Ma fille, que ton songe
    En d'étranges frayeurs ainsi que toi me plonge !
    Que j'en crains les effets, qui semblent s'approcher !

    Pauline

    Quelle subite alarme ainsi vous peut toucher ?

    Félix

    Sévère n'est point mort.

    Pauline

    Quel mal nous fait sa vie ?

    Félix

    II est le favori de l'empereur Décie.

    [...]

    Acte 2, scène 3

    Stratonice



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    Je vous ai plaints (c) tous deux, j'en verse encor des larmes
    Mais du moins votre esprit est hors de ses alarmes,
    Vous voyez clairement que votre songe est vain,
    Sévère ne vient pas la vengeance à la main.

    Pauline

    Laisse-moi respirer du moins, si tu m'as plainte :
    Au fort de ma douleur tu rappelles ma crainte;
    Souffre un peu de relâche à mes esprits troublés,
    Et ne m'accable point par des maux redoublés.

    Stratonice

    Quoi ! vous craignez encor ?

    Pauline

    Je tremble. Stratonice,
    Et bien que je m'effraye avec peu de justice,
    Cette injuste frayeur sans cesse reproduit
    L'image des malheurs que j'ai vus cette nuit.

    Stratonice

    Sévère est généreux.

    Pauline

    Malgré sa retenue,
    Polyeucte sanglant frappe toujours ma vue.

    Stratonice

    Vous voyez ce rival faire des voeux pour lui.

    Pauline

    Je crois même au besoin qu'il serait son appui;
    Mais soit cette croyance ou fausse ou véritable,
    Son séjour en ce lieu m'est toujours redoutable :
    A quoi que sa vertu puisse le disposer,
    Il est puissant, il m'aime, et vient pour m'épouser.

    Scène 4

    Polyeucte



    595










    600
    C'est trop verser de pleurs : il est temps qu'ils tarissent,
    Que votre douleur cesse, et vos craintes finissent.
    Malgré les faux avis par vos Dieux envoyés,
    Je suis vivant, Madame, et vous me revoyez.

    Pauline

    Le jour est encor long, et ce qui plus (24) m'effraie,
    La moitié de l'avis se trouve déjà vraie :
    J'ai cru Sévère mort, et je le vois ici.

    Polyeucte

    Je le sais, mais enfin j'en prends peu de souci.


    Notes

    (*) Il existe un second songe, ou plutôt « mille songes affreux », dans l'oeuvre de Corneille, celui ou ceux de Camille dans Horace, qui semblent contredire un oracle annonçant par équivoque et la paix et le mariage de Camille et d'Horace. Toutefois, ces images oniriques ne sont pas rapportées, mais simplement caractérisée et évoquées. Elles n'en jouent pas moins un rôle important (en contrepoint avec l'oracle) dans la tragédie, se trouvant en écho dans son dernier vers, [Tulle :] « Je veux qu'un même jour, témoin de leurs deux morts / En un même tombeau voie enfermer leurs corps » (sans compter l'« interprétation » de l'oracle, et par conséquent des songes, par Julie dans les stances qui fermaient la première version de la tragédie). Voici ces vers qui caractérisent les songes de Camille et contredisent l'oracle rassurant auquel celle-ci avait accordé foi jusqu'à cette nuit :

    La nuit a dissipé des erreurs si charmantes;
    Ou plutôt mille amas de carnage et d'horreur,
    M'ont arraché ma joie, et rendu ma terreur.
    J'ai vu du sang, des morts, et n'ai rien vu de suite;
    Un spectre en paraissant prenait soudain la fuite;
    Ils s'effaçaient l'un l'autre; et chaque illusion
    Redoublait mon effroi par sa confusion.

    —— Horace, 1: 2, vers 215-222.

    La confidente Julie a alors cette réplique qui se révèlera inspirée (par un narrateur qui sait la fin de l'histoire), ne pouvant s'appliquer qu'à l'oracle (singulier) que les songes (pluriel) interprètent correctement : « C'est en contraire sens qu'un songe s'interprète » (v. 223).

    (1) Voici l'ouverture de l'« Abrégé du martyre de saint Polyeucte écrit par Siméon Métaphraste [Vies des saints, Xe siècle] et [tel que] rapporté par Surius [1570] » qui donne la trame de la pièce et que Corneille a placé en tête de l'examen de sa tragédie lors de sa publication. L'important pour notre sujet, c'est que le songe de Pauline n'y figure pas (au contraire, comme le dit Corneille, il compte pour la première des « inventions » et des « embellissements de théâtre »); en revanche, on y trouve un songe de Polyeucte qui, tout au contraire, n'a pas été retenu par Corneille. Or, il s'agit, comme on va le voir, bel et bien d'un « songe », qui présente tous les traits du genre et rien d'autre; tel n'est pas le cas du « songe de Pauline », qui est pourtant encore loin de réaliser la forme narrative du rêve, comme le songe d'Athalie.

          « Polyeucte et Néarque étaient deux cavaliers étroitement liés ensemble d'amitié; ils vivaient en l'an 250, sous l'empire de Décius; leur demeure était dans Mélitène, capitale d'Arménie : leur religion différente : Néarque étant chrétien, et Polyeucte suivant encore la secte des gentils, mais ayant toutes les qualités dignes d'un chrétien, et une grande inclination à le devenir. L'Empereur ayant fait publier un édit très rigoureux contre les chrétiens, cette publication donna un grand trouble à Néarque, non pour la crainte des supplices dont il était menacé, mais pour l'appréhension qu'il eut que leur amitié ne souffrît quelque séparation ou refroidissement par cet édit, vu les peines qui y étaient proposées à ceux de sa religion et les honneurs promis à ceux du parti contraire. Il en conçut un si profond déplaisir, que son ami s'en aperçut; et l'ayant obligé de lui en dire la cause, il prit de là occasion de lui ouvrir son coeur : « Ne craignez point, lui dit-il, que l'édit de l'Empereur nous désunisse; j'ai vu cette nuit le Christ que vous adorez; il m'a dépouillé d'une robe sale pour me revêtir d'une autre toute lumineuse, et m'a fait monter sur un cheval ailé pour le suivre : cette vision m'a résolu entièrement à faire ce qu'il y a longtemps que je médite; le seul nom de chrétien me manque; et vous-même, toutes les fois que vous m'avez parlé de votre grand Messie, vous avez pu remarquer que je vous ai toujours écouté avec respect; et quand vous m'avez lu sa vie et ses enseignements, j'ai toujours admiré la sainteté de ses actions et de ses discours. Ô Néarque ! si je ne me croyais pas indigne d'aller à lui sans être initié de ses mystères et avoir reçu la grâce de ses sacrements, que vous verriez éclater l'ardeur que j'ai de mourir pour sa gloire et le soutien de ses éternelles vérités ! ». Néarque l'ayant éclairci de l'illusion du scrupule où il était par l'exemple du bon larron, qui en un moment mérita le ciel, bien qu'il n'eût pas reçu le baptême, aussitôt notre martyr, plein d'une sainte ferveur, prend l'édit de l'Empereur, crache dessus et le déchire en morceaux qu'il jette au vent; et voyant des idoles que le peuple portait sur les autels pour les adorer, il les arrache à ceux qui les portaient, les brise contre terre, et les foule aux pieds, étonnant tout le monde et son ami par la chaleur de ce zèle, qu'il n'avait pas espéré ».

    (2) Corneille, avec la cours, s'amuse manifestement des « songes » des « faibles femmes », mais l'argument ne dépasse pas l'effet du premier vers de la tragédie. D'abord, Stratonice, la confidente de Pauline, ne se prépoccupe nullement des songes, ni de celui-là, tandis que Félix, son père, s'en inquiétera, lui, dès qu'il apprendra l'arrivée de Sévère, comme on va le lire plus bas (v. 265-266). Ensuite, surtout, c'est à la faveur du lieu commun du premier vers que Corneille lance la dynamique des rapports amoureux, dont le premier ressort est le tout jeune amour conjugal de Polyeucte et de Pauline. Polyeucte corrige donc tout de suite son ami (caractérisé comme le célibataire qui ne connaît rien aux femmes, v. 9) : ce n'est pas le songe d'une femme, qui l'arrête, mais bien celui de sa femme. — Cette situation actantielle est mise en relief du fait qu'elle soit la première « invraisemblance » de la pièce (si Polyeucte était touché de la « grâce de conversion », Néarque n'aurait pas à lui expliquer que son baptême passe avant tout, s'agissant de la dynamique religieuse de la tragédie).

    (3) Pauline reprendra elle-même la proposition pour tenter de fléchir l'enthousiasme suicidaire (ou le « zèle téméraire » inspiré du Saint-Esprit, selon l'interprétation de Georges Couton !, p. 1638-1643) de son époux (4: 3, v. 1167-1170) :

    Vous n'avez point ici d'ennemi que vous-même;
    Seul vous vous haïssez, lorsque chacun vous aime;
    Seul vous exécutez ce que j'ai rêvé :
    Ne veuillez pas vous perdre, et vous êtes sauvé

    (4) C'est le vers le plus proche du modèle qui inspire Corneille, soit les songes de la Sophonisbe (1634) de Jean Mairet. On trouve d'ailleurs le vers « original » dans un passage qui entremêle la croyance au songe et son déni, combinaison qui caractérise les deux pièces, comme l'a bien montré R. D. J. Collins (p. 202).




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    Sophonisbe

    Les songes que je fais depuis deux ou trois nuits,
    Ne me présagent pas de vulgaires ennuis;
    Et ce qui m'en asseure avec plus de science,
    C'est que moi, qui bien loin de leur donner créance,
    Les ai toujours tenus ridicules, trompeurs,
    Et produits d'un amas de grossières vapeurs,
    Je ne puis m'empêcher, si bien [= quoique] que je résiste
    De croire à ces derniers, qui n'ont rien que de triste.

    Phénice

    Madame, volontiers nos seules passions,
    Sans suite et sans dessein font ces impressions;
    Et notre fantaisie en dormant imagine,
    Suivant les qualités de l'humeur qui domine.
    Si les pensers du jour sont remplis de souci,
    Les songes de la nuit seront fâcheux aussi.
    Vraiment vous n'avez garde en l'état où vous êtes,
    De songer des festins, des danses, et des fêtes.
    Votre esprit inquiet, triste, noir, soucieux,
    Ne vous produira pas des songes gracieux.
    Ne redoutez donc plus ces monstres en peinture,
    Dans ces miroirs obcurs, qui donnent, quoique faux,
    Aux crédules esprits de véritables maux.

    ——Mairet, Théâtre complet, sous la direction de Georges Forestier, Paris, Champion, 2004, 613 p., « La Sophonisbe », édition de Bénédicte Louvat-Molozay, p. 25-197, acte 2, scène 1, p. 127-129.
          Vapeur. Avant Descartes (Traité de l'homme, 1662) et même bien au-delà, la médecine et la physiologie expliquent le songe naturel comme un effet des vapeurs et des humeurs (ou des vapeurs des humeurs) qui viennent du ventre et de l'estomach pour agir sur le cerveau du dormeur où elles activent sa fantaisie. Florence Dumora, qui présente un exposé systématique de ces théories dans la première partie de son ouvrage, donne l'exemple à la fois caractéristique et original de Moyse Amyaut (« Le songe et la vapeur », chap. 2.2, p. 57-67) dans l'introduction de son Discours sur les songes divins (Saumur, Desbordes, 1659).

    (5) Hymen, hyménée, « mariage », vocable classique du français classique, notamment dans la tragédie. Le mariage de Polyeucte et de Pauline vient d'être célébré, après de longues fiançailles, comme le dit ce vers. Corneille poursuit sur ce second point le jeu ironique du premier vers (et propre à lancer sa tragédie de la manière la plus « naturelle »  qui soit) : autant le mariage accentue pour Polyeucte l'amour des amants, autant Pauline misera sur le lieu commun pour expliquer le peu de cas que son jeune époux fait déjà de ses sentiments, comme tous les maris, après le mariage (v. 129-135).

    (6) Chez Corneille, le mot a son sens latin, occasio, « les circonstances, le moment favorable pour agir ». L'« occasion pressante » est donc celle qui risque de ne plus se présenter aussi favorablement. Le vocable ne désigne évidemment pas le baptême.

    (7) Sens fort, proche du sens étymologique, inodium, « douleur odieuse ». L'ennui qui trouble le repos de Pauline est une angoisse pressante et insupportable (cf. Cayrou).

    (8) Si Dieu tient notre âme entre ses mains, alors la réciproque est impérative. C'est d'ailleurs la dernière parole du Christ en croix, Pater in manus tuas commendo spiritum meum, « je remets mon esprit entre tes mains » (Luc, 23: 46) : « Je remets mon esprit entre tes mains; / tu me délivreras, Seigneur Dieu de vérité / je hais ceux qui vénèrent de vaines idoles / et je me confie en Dieu » (ma trad. de la Vulgate, Psaumes, 30: 6-7).

    (9) L'efficace (féminin), l'« efficacité » : du vocabulaire théologique, la « grâce efficace », qui désigne ici la « grâce de la conversion » (soit proprement le don de la foi), est aussi d'usage courant, s'agissant de l'enseignement traditionnel de l'Église. À remarquer que la coloration janséniste du mot (la grâce efficace des jansénistes s'opposant à la grâce suffisante des molinistes) ne commencera pas à se répandre avant plus de deux décennies (les Provinciales de Pascal sont de 1656-1657).

    (10) L'égare : non pas la perd, mais l'écarte.

    (11) Il s'agit évidemment de la vertu chrétienne (cet emploi, à lui seul, illustre combien Corneille ne s'exprime pas en théologien dans sa tragédie).

    (12) Avant le péché originel.

    (13) Blesser, « frapper, toucher profondément ». Cayrou rappelle qu'au dictionnaire de l'Académie le mot enployé en ce sens est du style « poétique » : « se dit au figuré en matière d'amour, exemple : "les beaux yeux de cette dame l'ont blessé" ». Mais il se dit de tous les sentiments.

    (14) Mes pareils, « ceux qui sont tels que moi » (DGLF). — Curiace à Camille, au sujet de ses plaintes : « Que les pleurs d'une amante ont de puissant discours ! / Et qu'un bel oeil est fort avec un tel secours ! » (Horace, 2: 3, v. 577-578).

    (15) Nos dictionnaires font encore la différence entre les appas (pluriel, le charme de ce qui attire, l'attirance) et l'appât, les appâts (ce qui attire, l'objet convoité), mais la nuance s'est perdue.

    (16) Défaut, « faiblesse, lacune ». Furetière en fait le sens figuré du défaut de la cuirasse, son point faible.

    (17) Le mot paraît bien désigner Néarque et on doit supposer que Pauline le sait chrétien. D'où l'interprétation littérale de Charles Delaitre : « pris en mauvaise part, agent, homme chargé par le destin de te perdre et de te livrer aux assassins, c'est-à-dire aux chrétiens » (p. 326, n. 5).

    (18) On a tous deux : « un mari et nous » des vers précédents, ici « un mari et moi » (avec le pronom inféfini), puis « un mari et vous » des vers suivants.

    (19) S'il est peu probable que Corneille mette en scène deux cultures réellement observées à travers leur perception du songe (du moins je n'ai rien trouvé de tel chez les commentateurs de ces vers), l'habileté consiste à jouer de la conception gréco-latine du songe, non pas en soi, mais telle que l'Église l'a présupposée et combattue dans les croyances populaires.

    (20) Sévère n'est pas comme Polyeucte au rang de la noblesse, v. 209.

    (21) Blesser, « toucher désagréablement, chagriner ». Comparer avec l'autre emploi fréquent du français classique, plus haut, v. 85, n. (13).

    (22) Charles Delaitre fait remarquer avec raison qu'il ne s'agit pas d'une assemblée de chrétiens, mais d'une « assemblée des chrétiens », c'est-à-dire une assemblée chrétienne et c'est cette assemblée qui « a jeté Polyeucte aux pieds de son rival »; ce ne sont donc pas des chrétiens ou des individus qui ont joué ce rôle, même si Pauline sautera bien entendu à cette conclusion. — À noter qu'aucune assemblée de cette sorte n'est le moindrement évoquée dans le déroulement de la pièce (sauf à déduire qu'une « assemblée » s'est réunie lors ou pour le baptême de Polyeucte).

    (23) De tout point, « entièrement » : « il était ruiné de tout point » (Furetière).

    (24) La forme simple (plus) pour le superlatif (le plus), qui était la norme en ancien français, est encore courante au XVIIe siècle.


    Variantes

          À remarquer que le texte du songe de Pauline ne présente aucune variante au fil des éditions de la pièce corrigées par Corneille.

    (a) Coquille de notre texte témoin : langueurs.

    (b) Dans notre transcription du texte, nous conservons les alinéas (ou les retraits à l'alinéa) qui divisent logiquement le texte des répliques, ce qui est particulièrement approprié aux vers 64-65, les deux parties de la réplique étant marquées par la reprise de « rompre ». Ces alinéas ne se trouvent pas dans les établissements critiques modernes. En revanche, on les trouvait dans l'édition rigoureuse de Pierre Lièvre, d'où ils sont repris.

    (c) L'accord du participe du passé composé avec le régime qui suit (laissé à la discrétion des scribes au Moyen Âge) se fait encore parfois au XVIIe siècle.


    Références

    Pierre Corneille, « Polyeucte », Théâtre choisi, éd. de Charles Delaitre, Paris, Garnier, 1903, version révisée de l'édition de Polyeucte en un volume de J. Fabre, aux mêmes éditions Garnier.

    Édition originale

    Pierre Corneille, Polyeucte martyr, tragédie, Paris, Antoine de Sommaville et Augustin Couré (imprimé à Rouen, chez Laurens Maurry), 1643.

    Éditions critiques

    P. Corneille, OEuvres complètes, édition de Georges Couton, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), 3 vol., 1980, 1984 et 1987, vol. 1, p. 971-1050.

    —, Théâtre complet, édition d'Alain Niderst, publications de l'Université de Rouen, 1984, 3 tomes de 2 vol. chacun, « Polyeucte martyr, tragédie chrétienne », t. 2, vol. 1, p. 23-92; les notes et variantes se trouvent au vol. 2, p. 753-757.

    Autres éditions

    Corneille, Théâtre complet, édition de Pierre Lièvre, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), 1950, 2 vol., vol. 1, p. 909-988. — Sans annotation ni variantes, l'établissement du texte n'est donc pas justifié, mais il n'en est pas moins rigoureux.

    Polyeucte, édition de Patrick Dandrey, Paris, Gallimard (coll. « Folio/théâtre »), 1996. — Voir la section du dossier intitulée « La vision de Pauline » (p. 25-28).


    Situation matérielle

          Acte I, scène 3, vers 221-244.


    Situation narrative

          On lirait d'abord avec profit l'« abrégé » (1) de la notice biographique de Polyeucte qui inspire Corneille et qu'il a placée en tête du texte de sa pièce lors de la publication.

          Pauline, la jeune épouse romaine de Polyeucte, Arménien de noble et puissante famille, vient d'avoir un songe terrible, où figure un amant de sa jeunesse (Valère, aujourd'hui décédé, croit-on), dans une scène où se joue l'assassinat de son mari. Elle souhaite donc que celui-ci ne quitte pas le palais de toute la journée. Mais c'est précisément le moment qui a été choisi pour que Polyeucte se rende avec son ami Néarque à l'endroit où il sera baptisé et fait chrétien comme lui.

          On édite ici l'ouverture de la tragédie qui met le songe en contexte et un extrait (acte 2, scènes 3-4) qui en relance l'analyse après le retour de Valère et sa rencontre avec Pauline.

          À partir de là, toutefois, l'« interprétation » du songe est laissée à la discrétion des spectateurs ou des lecteurs. Pour sa bonne évaluation, il faut savoir que tous les faits que le songe préfigure (souvent très vaguement, comme l'événement capital du martyre de Polyeucte) vont se révéler métaphoriquement « vrais » (métaphoriquement, car être assassiné et martyrisé, ce n'est évidemment pas équivalent), tandis que les motivations des personnages sont ou bien fautives (notamment les sentiments de Valère), ou bien passées sous silence. Cette opposition radicale des contenus événementiel et actantiel du songe fait en sorte qu'il n'y a pas d'adéquation possible entre l'histoire racontée par la tragédie et celle esquissée par les divers tableaux du songe. Le rôle, pourtant essentiel, de ce songe est de justifier la crainte tout à fait injustifiée de Pauline que son mari ne soit assassiné, puisqu'en fait c'est lui qui se livrera au martyre. Le dénominateur commun entre le récit « profane » du songe et celui « chrétien » de la pièce, c'est évidemment la mort tragique, et du héros classique, et du héros de la « tragédie chrétienne ».


    Bibliographie

    Planète : 52-54.

    Théâtre de Pierre Corneille, édition de Voltaire, Genève, 1764, 12 vol.

    Voltaire, Commentaires sur Corneille, édition de David Williams, 1975, 3 vol., the Complete Works, sous la direction de Theodore Besterman, Voltaire Foundation, Banbury, vol. 53-55, sur le songe de Pauline, vol. 2 ou vol. 54, p. 301-302.

          Le commentaire de Voltaire sur le songe de Pauline figure parmi les références obligées des études du songe au théâtre classique, d'autant qu'il implique la comparaison avec le songe d'Athalie. Voltaire l'ouvre sur une rumeur destinée à appuyer son jugement critique (défavorable).

          « Plusieurs personnes ont entendu dire au marquis de Sainte-Aulaire, mort à l'âge de cent ans, que l'hôtel de Rambrouillet avait condamné ce songe de Pauline. On disait que dans une pièce chrétienne ce songe est envoyé par Dieu même; et que, dans ce cas Dieu, qui a en vue la conversion de Pauline, doit faire servir ce songe à cette même conversion; mais qu'au contraire, il semble uniquement fait pour inspirer à Pauline de la haine contre les chrétiens, qu'elle voit les chrétiens qui assassinent son mari, et qu'elle devait voir tout le contraire.

    Des chrétiens une impie assemblée
    A jeté Polyeucte aux pieds de son rival.

    —— [synthèse des v. 234-236].

    Ce qu'on pourrait encore reprocher peut-être à ce songe, c'est qu'il ne sert de rien dans la pièce; ce n'est qu'un morceau de déclamation. Il n'en est pas ainsi du songe d'Athalie, envoyé exprès par le Dieu des juifs; il fait entrer Athalie dans le temple pour lui faire rencontrer ce même enfant qui lui est apparu pendant la nuit, et pour amener l'enfant même, le noeud et le dénouement de la pièce. Un pareil songe est à la fois sublime, vraisemblable, intéressant et nécessaire. Celui de Pauline est à la vérité un peu hors d'oeuvre, la pièce peut s'en passer. L'ouvrage serait sans doute meilleur s'il avait le même art que dans Athalie; mais si ce songe de Pauline est une moindre beauté, ce n'est pas du tout un défaut choquant; il y a de l'intérêt et du pathétique. On fait souvent des critiques judicieuses qui subistent, mais l'ouvrage qu'elles attaquent subsiste aussi. Je ne sais qui a dit que ce songe est envoyé par le diable. [...] À l'égard du songe, s'il n'a pas l'extrême mérite de celui d'Athalie, il a le mérite de celui de Camille [dans Horace]; il prépare ».

    COLLINS, R. D. J., « Two dreams : la Sophonisbe ans Polyeucte », Aumla, no 36 (novembre 1971), p. 201-205. — Il ne fait pas de doute que Corneille s'est inspiré des songes de Sophonisbe dans la tragédie du même nom de Jean Mairet (1634) : R. D. J. Collins montre bien la concordance de ton, de vocabulaire et d'esprit entre les deux traitements des songes, alors que Corneille ne reprend jamais mot à mot aucun fragment du texte de Mairet sur ce point. Pour Collins, ce sont finalement les différences qui caractérisent le songe de Pauline en regard de son modèle : Pauline n'est pas hantée de vagues songes, mais d'un seul, clair et net; on en trouve le rapport détaillé dès l'ouverture de la tragédie (et non des bribes à la toute fin); surtout, Corneille accentue le rôle du songe dans l'économie de sa pièce.

    DUMORA, Florence, « Polyeucte et les plis du songe », l'OEuvre nocturne : songe et représentation au XVIIe siècle, Paris, Champion (coll. « Lumière classique », no 60), 2005, 585 p., chap. 11, p. 345-362.

    MOREL, Jacques, Agréables songes : essais sur le théâtre français du XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1991, 460 p.



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