Les apparitions du rêve de Tahoser
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Théophile Gautier,
le Roman de la momie,
roman,
1857
Pendant ce temps, Tahoser dormait près
de Ra'hel : un rêve bizarre hantait son sommeil.
Il lui semblait être dans un temple
d'une grandeur immense; d'énormes colonnes d'une hauteur
prodigieuse soutenaient un plafond bleu constellé
d'étoiles comme le ciel; d'innombrables lignes
d'hiéroglyphes montaient et descendaient le long des
murailles, entre les panneaux de fresques symboliques
bariolés de couleurs lumineuses; tous les dieux de
l'Égypte s'étaient donné rendez-vous dans ce
sanctuaire universel, non pas en effigies d'airain, de basalte ou
de porphyre, mais sous leurs formes vivantes. Au premier rang
étaient assis les dieux super-célestes, Knef, Bouto,
Phta, Pan-Mendès, Hâthor, Phré, Isis; ensuite
venaient douze dieux célestes, six (1)
dieux mâles : Rempha, Pi-zéous, Ertosi,
Pi-Hermès, Imuthès; et six dieux femelles : la
Lune, l'Éther, le Feu, l'Air, l'Eau, la Terre.
Derrière eux fourmillaient, foule indistincte et vague, les
trois cent soixante-cinq Décans ou démons familiers
de chaque jour. Ensuite apparaissaient les divinités
terrestres : le second Osiris, Haroéri, Typhon, la
deuxième Isis, Nephtys, Anubis à la tête de
chien, Thoth, Busiris, Bubastis, le grand Serapis. Au-delà,
dans l'ombre, s'ébauchaient les idoles à formes
animales : boeufs, crocodiles, ibis (a),
hippopotames. Au milieu du temple, dans son cartonnage ouvert,
gisait le grand prêtre Pétamounoph (1), qui, la face démaillotée,
regardait d'un air ironique cette assemblée étrange
et monstrueuse. Il était mort, mais il vivait et parlait,
comme cela arrive souvent en rêve, et il disait à sa
fille : « Interroge-les, et demande-leur s'ils sont
des dieux ».
Et Tahoser allait posant à chacun la
question, et tous répondaient : « Nous ne
sommes que des nombres, des lois, des forces, des attributs, des
effluves et des pensées de Dieu, mais aucun de nous n'est le
vrai Dieu » (1).
Et Poëri paraissait sur le seuil du
temple et, prenant Tahoser par la main, la conduisait vers une
lumière si vive, qu'auprès le soleil eût paru
noir, et au milieu de laquelle scintillaient dans un triangle des
mots inconnus (4).
Notes
(1) Sic. L'énumération qui
suit compte cinq dieux, et non six. Non seulement Pierre Laubriet
identifie tous les dieux dont il est question dans ce
« rêve », mais il évalue
également les sources de Gautier chez Hérodote,
Champollion, etc. (sur ces sources, cf. p. 1356-1357,
n, 3).
(2) Le grand prêtre Pétamounoph
était le père de Tahoser. C'est son tombeau que
décrit ici la vision, telle que le désignait la
première mention de son nom au début du
chapitre 2, Pétamounoph « dont la momie
ignorée repose dans un riche tombeau »
(p. 528). Son nom est emprunté à Ernest
Feydeau, l'égyptologue auquel Gautier dédie son
roman.
(3) C'est l'enseignement de Poëri sur ses
« faux dieux » égyptiens et auxquels
Tahoser vient de renoncer pour pouvoir l'épouser
(« Fille d'un grand prêtre, elle était
habituée à vénérer ces dieux que le
jeune Hébreux blasphémait avec tant
d'audace », p. 600).
(4) Poëri la conduit manifestement vers la
Lumière, le triangle qui est le symbole de Dieu où
s'inscrit son nom, Yavhé, en signes hébreux
illisibles pour l'Égyptienne.
Variantes
(a) L'ibis est un oiseau, un échassier
à long bec recourbé. Comme les autres animaux
désignés ici, il fait partie des symboles
sacrés égyptiens (incarnation du dieu Thot, dans le
cas de l'ibis).
Références
Théophile Gautier, « Le roman de la
momie », éd. de Pierre Laubriet, Romans, contes
et nouvelles, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
2002, 2 vol., vol. 2, p. 483-634, p. 604-605.
Édition originale
Théophile Gautier, « Le roman de la
momie », le Moniteur universel, mars-avril
1857.
—, le Roman de la momie, Paris, Hachette, 1858.
Éditions critiques
Théophile Gautier, « Le roman de la
momie », éd. de Pierre Laubriet, Romans, contes
et nouvelles, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
2002, 2 vol., vol. 2, p. 483-634, p. 604-605.
Situation matérielle
Vers la fin du roman, au chapitre 12 (le
roman en compte 18).
Situation narrative
Nous sommes en Égypte, à
l'époque biblique. Avec la complicité d'une
servante, le Pharaon vient enlever Tahoser dont il est follement
amoureux; celle-ci a trouvé refuge chez des Juifs,
Poëri d'abord, Ra'hel ensuite. En fait, Tahoser est amoureuse
de Poëri, alors que lui est amoureux de Ra'hel, qui ne
s'oppose nullement à ce qu'il la prenne une seconde
épouse. Pendant qu'il est en route, pendant que son char se
précipite sur la route, Tahoser a en rêve la vision
religieuse qu'on va lire.
Bibliographie
Voir la bibliographie du « Rêve
d'Onuphrius ».
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