Le rêve de Breton dans Arcane 17 (a)
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André Breton,
Arcane 17,
essai poétique,
1944
J'attends que tout soit rendu à sa
sérénité première. La jeune femme
continue à incliner sur la terre et sur l'eau ses deux
vases, le dos tourné à l'arbre épineux. Mais
imperceptiblement la scène tourne... que se
passe-t-il ? l'acacia se rapproche jusqu'à occuper tout
le champ, ne dirait-on pas qu'il écarte de ses bras les
montants de la fenêtre ? Prodige ! il marche sur
moi, il va me renverser : je fais un rêve (1).
Des étangs d'où émergent
des pierres douteuses (parmi lesquelles peut-être des fronts
de crocodiles ?). L'une d'elles dresse au-dessus de l'eau un
volume pyramidal et semble flotter, à en juger par la
guenille d'algues suspendue à son sommet, dont les accrocs
prennent au vent des formes hiéroglyphiques. [...]
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de rêve est trop long pour être reproduit
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Références et
Situation matérielle.
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[...] La foule s'assemble dans les temples, autour des statues
rivales. Mais, à travers les temps, le regard plus
perspicace des enfants ne parvient pas à se détacher
de la tête qui est à Memphis (6).
À mon tour j'ouvre les yeux. L'acacia
reverdi a réintégré la figure primitive tandis
qu'en moi le mythe splendide démêle peu à peu
les courbes de sa signification d'abord si complexe sur les divers
plans.
Notes
(1) Arcane 17 commence
par la phrase suivante : « Dans le rêve
d'Élisa, cette vieille gitane qui voulait m'embrasser et que
je fuyais, mais c'était l'île Bonaventure, un des plus
grands sanctuaires d'oiseaux de mer qui soient au
monde ». Ainsi, toute l'oeuvre pourrait bien
découler du rêve d'Élisa. En tout cas, le
passage retenu ici est bien désigné comme un
rêve : ce pourrait être un rêve dans un
rêve.
(2) L'anatife est un crustacé qui ressemble
à un mollusque à cause de sa coquille : on le
trouve généralement attaché aux bois flottants
par un fort pédoncule, d'où l'image qu'on trouve
ici.
(3) Le scribe, le récit : ce sont ses
sources que désigne ainsi Breton, Plutarque, Apulée
et finalement Frazer. — Voir la variante (a).
(4) Ces éléments, qui proviennent de
Frazer, sont profondément transformés. On le voit au
sommaire que Breton en a retenu.
(5) Dans le manuscrit de Breton,
l'« Atelier de la déesse » aux quatorze
angles se trouve dessiné sur un carré
d'écorce.
(6) On comprend qu'une des quatorze tatues se
trouve à Memphis, celle qui contient la tête d'Osiris,
ce que les enfants comprennent spontanément.
Variantes
(a) On trouve souvent des récits de
rêve dont la forme préliminaire consiste en une prise
de notes de forme télégraphique. Le rêve
d'Arcane 17 correspond précisément
à ce mécanisme. Sauf que dans ce cas, ce n'est pas
un rêve, mais quelques pages d'un ouvrage qui sont le sujet
de l'annotation. C'est ce que nous apprend Étienne-Alain
Hubert dans son édition de la Pléiade.
Victime d'une conjuration, Osiris est
assassiné. Son corps a été mis dans un coffre,
jeté dans le Nil et entraîné vers la mer. La
déesse Isis, sa soeur et son épouse, prend la forme
d'un faucon (sic), va voltiger au-dessus du corps de son
époux et conçoit ainsi un fils, Horus.
La légende d'Isis et d'Osiris est
racontée par Plutarque et on trouve le portrait de la
déesse dans l'Âne d'or d'Apulée.
Toutefois, Breton s'inspire ici d'Atys et Osiris de James
George Frazer (p. 43-48 de l'édition anglaise
originale), dont on possède son annotation, traduisant
approximativement la légende en style
télégraphique. C'est Seligmann qui lui a transmis
copie de ces quelques pages de l'ouvrage. — Ces
informations sont prises de l'édition de la
Pléiade, p. 1190-1192. Voici copie du texte de la
transcription d'Étienne-Alain Hubert :
« Isis conçoit son fils Horus en
volant sous forme [de faucon biffé] d'épervier
au-dessus de la dépouille d'Osiris jetée dans les
étangs du delta du Nil. Horus est piqué par un
scorpion (Isis le ressuscite). Le coffre contenant le corps
d'Osiris s'arrête à Byblos sur la côte syrienne.
lmméd[iatement] un arbre (erica) commence à
pousser jusqu'à enfermer le coffre dans son tronc. Isis
parfume les femmes du roi en soufflant sur elles. Isis allaite
l'enfant du roi avec son doigt. Sous la forme d'une hirondelle elle
voltige autour du pilier ([dont est fait le biffé]
fait de l'arbre dressé sur l'ordre du roi). Isis se fait
donner le pilier par la reine et se lamente si fort que les enfants
du roi meurent de peur. Elle entoure le tronc de lin (linum)
et l'arrose de baumes parfumés. Isis dans une chalouppe de
Papyrus cherche les 14 morceaux du corps d'Osiris
découpé par Typhon, frère d'Osiris; le sexe
d'Osiris avait été mangé par les poissons.
Autour de chaque morceau du corps d'Osiris, elle refait le corps
tout entier en cire et en épices. Elle fait jurer aux
prêtres de ne pas révéler dans quelle statue
repose tel morceau du corps. Elle fait croire à chacun que
lui seul tient le corps et le secret. On consacre à Osiris
des animaux différents. Le Taureau (Apis). Le tête
d'Osiris était à Memphis » (Pléiade,
p. 1191).
(b) « Est-ce à dire que rien n'est
jamais retrouvé mais » (le point d'interrogation
manque dans l'original, l'édition de la Pléiade
l'ajoute).
(c) « ... qui la compense, mieux même
[,] qui est capable de concilier l'esprit avec la première
[,] et cette certitude... » (les deux virgules manquent
dans l'original).
(d) « ... les yeux bandés [,] je me
tiens... » (la virgule
manque dans l'original).
Références
André Breton, Arcane 17, New York, Brentano's, 1945,
p. 146-149.
Édition originale
André Breton, Arcane 17, New York, Brentano's, 1944,
p. 146-149.
Édition critique
André Breton, « Arcane 17 », OEuvres
complètes, tome 3, éd. préparée par
Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1988, p. 84-85.
Situation matérielle
Le rêve (du moins le passage retenu pour
tel) se trouve quelques pages avant la fin de l'oeuvre.
Situation narrative
À partir de la description de la
péninsule gaspésienne, Breton effectue un va-et-vient
analogique entre l'intérieur et l'extérieur,
associant souvent la beauté de la Gaspésie à
la beauté féminine.
Bibliographie
Canovas : 85, 94, 99.
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