Quatrième des « Cinq
rêves »
d'André Breton
|
André Breton,
Clair de terre,
recueil de poésies,
1922
IV (a)
Une partie de ma matinée s'était passée
à
conjuguer un
nouveau temps du verbe être -- car on venait d'inventer un
nouveau temps
du
verbe être. Au cours de l'après-midi j'avais
écrit un
article
qu'autant que je me rappelle je trouvais peu profond mais assez
brillant. Un
peu
plus tard je m'étais mis à continuer d'écrire
un roman.
Cette
dernière entreprise m'avait conduit à effectuer des
recherches
dans
ma bibliothèque. [...]
Cette oeuvre n'est pas du domaine public et ce récit
de rêve est trop long pour être reproduit
comme une citation partielle de l'oeuvre dans le cadre d'une
utilisation équitable pour fin d'analyse, de critique ou de
recherche. Les premières et les dernières lignes du
texte vous serviront à le localiser dans l'ouvrage :
voyez les rubriques
Références et
Situation matérielle.
Nous reproduisons, à titre d'illustration, le second des
cinq rêves, le plus court :
Deuxième des « cinq
rêves » d'André Breton
|
|
[...] Nous
finîmes
par
les placer sous la protection des moulures supérieures,
contre la
pierre,
légèrement inclinés, à hauteur de
chevalet. Il
était question, je crois, de venir les reprendre plus tard.
Au moment
où nous les disposions j'observai que le cadre d'Aragon
était
doré, le mien blanc avec de très anciennes traces de
dorures,
de
dimensions sensiblement moins grandes.
Notes
(1) La galerie d'Apollon du Louvre.
(2) Charles Baron : bien qu'il n'ait jamais
publié, il
fut membre des groupes d'avant-garde de ce temps. On voit que,
dans le
synopsis
original, il est désigné comme le frère de
Jacques Baron
qui
s'est joint au groupe Littérature à 17 ans, en
1922
(cf.
Marguerite Bonnet, Pléiade, p. 153, n. 1).
Variantes
(a) Marguerite Bonnet reproduit un manuscrit de
premier jet
de ce
rêve qui permet d'en apprécier
l'« élaboration ». Il se trouve
relié dans
un
exemplaire de Clair de terre dédicacé à
Paul
Éluard et se trouvant aujourd'hui dans une collection
privée.
En
voici le texte, d'une rédaction
télégraphique :
« Ma journée s'est passée de cette
manière :
vers
la fin de l'après-midi j'ai écrit, d'inspiration en
qq sorte,
un
assez long article général tout de surface de chic
puis plus
tard je
me suis remis à dicter un roman commencé. Tout en
dictant je
découvre -- énigmat. -- gros livre de philos. dont
cela
constitue
chapitre. 4 ou 5 planches Adonis -- Homère -- multiplicat.
sur des
parquets
cirés, un des personnages absolument couché sur le
sol --
évêque Galerie d'Apollon * --
Arrivée
du
frère de Baron
qui surgit derrière moi pendant que je dicte, jeune hm que
je ne
reconnais
jamais 2 fs.
« Le matin occupé à une sorte de devoir :
la
conjugaison
à un tps nouveau du verbe être. Vers 8 h (l'horloge
marque 7h29)
nous
devons [mot illisible] de l'Arc de Triomphe Aragon et moi
nous allons
déposer des cadres ns montons rapidement une avenue vers
l'Étoile.
Je n'ai pas bien vu le cadre d'Aragon. Nous les posons à
l'abri de la
pluie
Ils doivent être déposés avant 8 heures, mon
cadre est
blanc,
dédoré, sensiblt < que le sien. Je
n'éprouve aucun
attachement pour ces cadres. Il n'est pas dit que nous viendrons
les
rechercher.
C'est Aragon qui les soigne.
« Je manque de données sur cette science comme si je
devais m'en
tenir
aux planches sans lire le texte. J'ai toutefois le souvenir, le
pressentiment
que
dans un livre cahier de médecine (observ. personn.) se
trouve une
image, un
cas qui à ce sujet m'en dit long. J'ai même
commencé
à
le feuilleter image de femme un peu grasse et plus toute jeune,
d'aspect
froid.
À ce moment, une autre fem que je connais de vue passe en
jetant un
regard
par dessus mon épaule, m'adresse une phrase
légèrement
comminatoire.
* En feuilletant un diction. aérostat
plusieurs
chinois
dans une sorte un
chinois par feuille je cherche un tableau de souris et les trouve
à
rongeurs. »
[Ici figure un petit dessin qui peut représenter les
nuages ou les
parachutes dont parle le récit élaboré; en
trois
endroits, des
points plus sombres semblent sortir de ces formes.]
-- Édition et note de Marguerite Bonnet, dans André
Breton,
« Clair de terre », OEuvres
complètes, vol
1,
Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la
pléiade »), 1988, p. 1193-1194.
(b) Ponctuation : l'édition de la
Pléiade donne ici
le point-virgule (;) et non les deux points (:).
Références
André Breton, Clair de terre,
précédé de
Monts de piété, suivi de le Révolver
à
cheveux blancs, et de l'Air et l'eau, Paris, Gallimard
(coll.
« Poésie »), 1966, p. 41-43.
Éditions originales
André Breton, « Rêve », dans la revue
Littérature (Paris), nouvelle série, no 7, 1er
décembre 1922, p. 23-24.
André Breton, quatrième des « Cinq
rêves »,
Clair de terre, Paris, Littérature (coll.
« Littérature »), 1923.
Édition critique
André Breton, OEuvres complètes, vol 1, Clair de
terre,
éd. Marguerite Bonnet, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1988,
p. 152-153.
Situation matérielle
Premières des vingt-six pièces du recueil,
quatrième des
« Cinq rêves ».
Situation narrative
Le titre désigne explicitement « Cinq
rêves »,
tous dédiés à Georges de Chirico (Giorgio de
Chirico,
1888-1978), peintre italien d'origine grecque, très actif
à
Paris
vers 1911-1914 et dont les rapports au surréalisme, nombreux
et
fluctuants,
vont de précurseur à exclu (à partir de 1926).
L'édition originale des trois premiers de ces rêves
s'accompagnait de
la reproduction d'une de ses toiles, le Cerveau de l'enfant
(1914),
que
possédait André Breton.
Bibliographie
Canovas : 94.
Alexandrian, Sarane, le Surréalisme et le rêve,
Paris,
Gallimard, 1974, p. 245-246. Sauf dans le cas de ce
quatrième
rêve justement, Alexandrian se contente d'évoquer les
« Cinq
rêves » comme illustration du rêve-programme,
c'est-à-dire du rêve destiné à
« dénouer un problème »
(p. 243-245).
À son avis, les quatre premiers des « Cinq
rêves »
s'appliquent à des problèmes du mouvement
surréaliste ou
de
son esthétique, comme il tente de le montrer avec ce
rêve sur
« Le nouveau temps du verbe être » (si
Breton ouvre
le
dictionnaire à Rh, c'est certainement qu'il pense à
« rhétorique », notamment à la
technique
mallarméenne qu'il venait de rejeter. Or, il y substitue
« rhéostat »,
d'où la définition de l'image poétique).
|