Le premier des trois « Rêves » de
Breton
dans
la Révolution surréaliste
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André Breton,
« Rêves », la
Révolution
surréaliste,
récit de rêve,
1924
Rêves
I
La première partie de ce rêve est
consacrée à la réalisation et à la
présentation d'un costume. Le visage de la femme à
laquelle (a) il est destiné doit y
jouer le rôle d'un motif ornemental simple, de l'ordre de
ceux qui entrent plusieurs fois dans une grille de balcon, ou dans
un cachemire. Les pièces du visage (yeux, cheveux, oreille,
nez, bouche et les divers sillons) sont très finement
assemblées par des lignes de couleurs
légères : on songe à certains masques de
la Nouvelle-Guinée (1) mais celui-ci
est d'une exécution beaucoup moins barbare. La
vérité humaine des traits ne s'en trouve pas moins
atténuée et la répétition à
diverses reprises sur le costume, notamment dans un (b) chapeau, de cet élément purement
décoratif ne permet pas plus de le considérer seul et
de lui prêter vie (c) qu'à un
ensemble de veines dans un marbre uniformément veiné.
La forme du costume est telle qu'elle ne laisse en rien subsister
la silhouette humaine. C'est, par exemple, un triangle
équilatéral.
Je me perds dans sa contemplation.
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En dernier lieu je remonte, à Pantin,
la route d'Aubervilliers dans la direction de la Mairie lorsque,
devant une maison que j'ai habitée (2), je rejoins un enterrement qui, à ma
grande surprise, se dirige dans le sens opposé à
celui du Cimetière parisien. Je me trouve bientôt
à la hauteur du corbillard. Sur le cercueil un homme d'un
certain âge, extrêmement pâle, en grand deuil et
coiffé d'un chapeau haut de forme, qui ne peut être
que le mort, est assis et, se tournant alternativement à
gauche et à droite, rend leur salut aux passants. Le
cortège pénètre dans la manufacture
d'allumettes.
Notes
(1) L'« art nègre » fait
partie de l'abc du cubisme tout comme du surréalisme :
cf. les Demoiselles d'Avignon (1907) de Picasso et la
Vierge Marie corrigeant l'Enfant Jésus devant trois
témoins : André Breton, Paul Éluard et
l'auteur (1928) de Max Ernst.
(2) Né à Tinchebray (Orne),
André Breton avait six ans lorsque ses parents se sont
installés à Pantin où il fera ses petites
classes (1902-1907), avant d'être en demi-pension au
lycée Chaptal de Paris. Pendant qu'il commence sa
médecine, ses parents déménagent au 70 de
l'avenue d'Aubevilliers, au début de 1914 (cf. la
chronologie de Marguerite Bonnet, éd. de la Pléiade,
vol. 1, p. xxxii).
Variantes
Marguerite Bonnet signale qu'un manuscrit des
trois rêves se trouve sur quatre feuillets à la
bibliothèque Jacques-Doucet (no 7208-4), et qu'il ne
présente que des variantes mineures.
(a) « Auquel » est
évidemment mis pour « à
laquelle », le costume étant destiné
à la femme et non à son visage. Cela dit, la
leçon n'est pas absolument impossible, étant
donné le sujet de la première séquence (le
visage féminin en question), mais il s'agirait là
d'un raccourci vraiment inattendu en regard du style classique de
Breton.
(b) Notre texte de base porte « un
chapeau»; Pléiade : « le
chapeau ».
(c) Notre texte : « prêter
vie »; Pléiade : « prêter
une vie ».
Références
André Breton, « Rêve no 1 », dans
Sarane Alexandrian, le Surréalisme et le rêve,
Paris, Gallimard, 1974, p. 246-247.
Édition originale
André Breton, « Rêves », la
Révolution surréaliste, no 1 (décembre
1924), p. 3-5.
Éditions critiques
André Breton, « Rêves »,
OEuvres complètes, éd. Marguerite Bonnet,
vol. 1, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
p. 887-890, 887-888.
Situation matérielle
Sauf pour les numéros 6 et 12, la
Révolution surréaliste publiera toujours des
récits de rêves, comme ceux-ci dans le premier
numéro.
Situation narrative
Contrairement aux récits de rêves
qui prennent place en tête du recueil de poésies
Clair de terre sous le titre de « Cinq
rêves », ceux-ci se présentent
résolument comme des récits de rêves, sans
aucune mise en perspective littéraire ou poétique.
Bibliographie
Alexandrian, Sarane, le Surréalisme et le rêve,
Paris, Gallimard, 1974, p. 246-249 : l'auteur
édite d'abord le rêve de Breton et en propose ensuite
une analyse (interprétation aussi ingénieuse
qu'amusante, de l'ordre des mots croisés
surréalistes).
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