TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - édition de Guy Laflèche TGdM

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L'encouragement au mariage : la peur d'une vision (*)
Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie

Guy de Maupassant, « Lui ? », nouvelle, 1883

      J'entrai. Mon feu brûlait encore et éclairait même un peu l'appartement. Je pris une bougie pour aller l'allumer au foyer, lorsque, en jetant les yeux devant moi, j'aperçus quelqu'un assis dans mon fauteuil, et qui se chauffait les pieds en me tournant le dos.

      Je n'eus pas peur, oh ! non, pas le moins du monde. Une supposition très vraisemblable me traversa l'esprit; celle qu'un de mes amis était venu pour me voir. La concierge, prévenue par moi à ma sortie, avait dit que j'allais rentrer, avait prêté sa clef. Et toutes les circonstances de mon retour, en une seconde, me revinrent à la pensée : le cordon tiré tout de suite, ma porte seulement poussée.

      Mon ami, dont je ne voyais que les cheveux, s'était endormi devant mon feu en m'attendant, et je m'avançai pour le réveiller. Je le voyais parfaitement, un de ses bras pendant à droite; ses pieds étaient croisés l'un sur autre; sa tête, penchée un peu sur le côté gauche du fauteuil, indiquait bien le sommeil. Je me demandais : Qui est-ce ? on y voyait peu d'ailleurs dans la pièce. J'avançai la main pour lui toucher l'épaule !...

      Je rencontrai le bois du siège ! Il n'y avait plus personne. Le fauteuil était vide !

      Quel sursaut, miséricorde !

      Je reculai d'abord comme si un danger terrible eût apparu devant moi.

      Puis je me retournai, sentant quelqu'un derrière mon dos; puis, aussitôt, un impérieux besoin de revoir le fauteuil me fit pivoter encore une fois. Et je demeurai debout, haletant d'épouvante, tellement éperdu que je n'avais plus une pensée, prêt à tomber.

      Mais je suis un homme de sang-froid, et tout de suite la raison me revint. Je songeai : « Je viens d'avoir une hallucination, voilà tout. » Et je réfléchis immédiatement sur ce phénomène. La pensée va vite dans ces moments-là.

      J'avais eu une hallucination (a) — c'était là un fait incontestable. Or mon esprit était demeuré tout le temps lucide, fonctionnant régulièrement et logiquement. Il n'y avait donc aucun trouble du côté du cerveau. Les yeux seuls s'étaient trompés, avaient trompé ma pensée. Les yeux avaient eu une vision, une de ces visions qui font croire aux miracles les gens naïfs. C'était là un accident nerveux de l'appareil optique, rien de plus, un peu de congestion peut-être (p. 100-102).

      [...]

      Puis je refis l'obscurité et je tâchai de m'endormir. Je n'avais pas perdu (b) connaissance depuis plus de cinq minutes, quand j'aperçus en songe, et nettement comme dans la réalité, toute la scène de la soirée. Je me réveillai éperdument, et, ayant éclairé mon logis, je demeurai assis dans mon lit, sans oser même essayer de redormir.

      Deux fois cependant le sommeil m'envahit, malgré moi, pendant quelques secondes. Deux fois je revis la chose. Je me croyais devenu fou.

      Quand le jour parut, je me sentis guéri et je sommeillai paisiblement jusqu'à midi.

      C'était fini, bien fini. J'avais eu la fièvre, le cauchemar, que sais-je ? J'avais été malade, enfin. Je me trouvai néanmoins fort bête (p. 103).

      [...]

      Depuis ce jour-là j'ai peur tout seul, la nuit. Je la sens là, près de moi, autour de moi, la vision. Elle ne m'est point apparue de nouveau. Oh non ! Et qu'importe, d'ailleurs, puisque je n'y crois pas, puisque je sais que ce n'est rien !

      Elle me gêne cependant parce que j'y pense sans cesse. — Une main pendait du côté droit; sa tête était penché du côté gauche comme celle d'un homme qui dort... Allons, assez, non de Dieu ! (c) je n'y veux plus songer ! (p. 104-105).


Notes

(*) Il s'agit d'une hallucination ou d'une vision revue en rêve et dès lors d'une très classique vision de rêve (la vision ou l'apparition en rêve), nullement d'un récit de rêve, ni même d'un rêve.


Variantes

(a) Version proposée par l'édition Garnier : « J'avais une hallucination... », vraisemblablement de l'édition originale, dans Gil Blas.

(b) Gil Blas : « Je n'avais pas perdu la connaissance... » (note de l'éd. Garnier)

(c) Gil Blas : nom de D...! (Garnier).


Références

Guy de Maupassant, OEuvres complètes, « Oeuvres posthumes I », vol. 5, le texte de cette édition est conforme à celui de l'édition originale, Paris, Louis Conard Libraire-Éditeur, 1921, p. 103.

Édition originale

Maufrigneuse [Maupassant signa quelques-unes de ses nouvelles sous ce nom], « Lui ? », Gil Blas, 3 juillet 1883.

Ce texte fut repris dans le recueil les Soeurs Rondoli, Albin Michel et Ollendorff, 1884, 1899-1904, 1912, puis Louis Conard, 1907-1910. Entretemps, il était paru dans le supplément du Petit Journal du 8 août 1891.

Éditions critiques

Guy de Maupassant, Contes et nouvelles, éd. Louis Forestier, Paris, Gallimard (coll. « Biblothèque de la pléiade »), 2 vol., 1974 et 1979.

Guy de Maupassant, le Horla et autres contes cruels et fantastiques, introduction, chronologie, bibliographie, notes et dossier de l'oeuvre par M.-C. Bancquart, Paris, Garnier Frères, 1976, p. 92-93.

Guy de Maupassant, Apparition et autres contes d'angoisse, établissement du texte, introduction, bibliographie et notes par Antonia Fonyi, chronologie par Pierre Cogny, Paris, Garnier Flammarion, 1987, p. 58-59.


Situation matérielle

      Ce rêve occupe le centre de la nouvelle.


Situation narrative

      Un homme explique à son ami pourquoi il s'est engagé à épouser une femme quelconque qu'il n'aime même pas. Il a eu une vision fantomatique qui le hante dans ses rêves et le terrorise à tel point qu'il ne peut plus dormir seul la nuit.


Bibliographie

Canovas : 42.



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