Le rêve de Constance Birotteau
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Honoré de Balzac,
Histoire de la grandeur et de la
décadence de
César Birotteau,
roman,
1837
Au milieu de ce point d'orgue qui, dans la
grande symphonie du tapage parisien, se rencontre vers une heure du
matin, la femme de monsieur César Birotteau, marchand
parfumeur établi près de la place
Vendôme (1), fut
réveillée en sursaut par un épouvantable
rêve (a). La parfumeuse s'était
vue double, elle s'était apparu à elle-même en
haillons, tournant d'une main sèche et ridée le
bec-de-cane (2) de sa propre boutique,
où elle se trouvait à la fois et sur le seuil de la
porte et sur son fauteuil dans le comptoir; elle se demandait
l'aumône, elle s'entendait parler à la porte et au
comptoir.
[...]
Je viens de me voir en mendiante à ma
propre porte, quel avis du ciel ! Dans quelque temps, il ne
nous restera que les yeux pour pleurer (p. 199).
[...]
Tu as été juge au tribunal de
commerce, tu connais les lois, tu as bien mené ta barque, je
te suivrai, César ! Mais je tremblerai jusqu'à
ce que je voie notre fortune solidement assise, et Césarine
bien mariée. Dieu veuille que mon rêve ne soit pas une
prophétie ! (p. 204).
[...]
Oh ! le vilain rêve ! Mon
Dieu ! se voir soi-même ! Mais c'est affreux !
(p. 204).
Notes
(1) Place Vendôme : place du premier
arrondissement de Paris.
(2) Bec-de-cane (notre texte témoin porte
« bec de canne ») : il s'agit du bouton ou
de la poignée qui sert à maintenir la porte
fermée.
Variantes
(a) L'édition de P.-G. Castex fait ici un
nouvel alinéa.
Références
Honoré de Balzac, OEuvres complètes :
Histoire de la grandeur et de la décadence de César
Birotteau, tome II, Paris, Alexandre Houssiaux, 1866,
p. 188-191.
Édition originale
Honoré de Balzac, César Birotteau, Paris,
Boulé, 1837, 2 vol.
Édition critique
Honoré de Balzac, la Comédie humaine :
Histoire de la grandeur et de la déchéance de
César Birotteau, éd. Pierre-Georges Castex, tome
VI, Paris, Gallimard, 1977, p. 35-312.
Situation matérielle
Début du premier chapitre de la
première partie.
Situation narrative
Le roman de Balzac débute par le
rêve de Constance Birotteau, la femme de César qui est
parfumeur dans le premier arrondissement. Ce cauchemar annonce la
chute de son mari qui, en tentant de faire prospérer son
commerce afin de s'élever dans la sphère sociale,
contracte de trop grandes dettes et sombre dans la faillite. Leurs
proches, mais surtout Pillerault, l'oncle de Constance, et aussi
Anselme Popinot, leur ancien commis et l'amoureux de leur fille
Césarine, tenteront de les sauver et resteront toujours
à leurs côtés.
Bibliographie
Canovas : p. 28, 37, 47 et 85.
Anne-Marie Baron, « Le rêve balzacien :
théorie et mise en oeuvre », l'Année
balzacienne, 1991, no 12, p. 203-224.
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