TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - édition de Guy Laflèche TGdM

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Le rêve de Daniel O'Donovan
Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie

Julien Green, « Le voyageur sur la terre », nouvelle, 1926

Rêve

Cette nuit-là et la nuit suivante je fis plusieurs fois le même rêve. Je dormais profondément, mais je voyais les choses autour de moi aussi bien que si j'avais été éveillé. Une lumière blanche dessinait sur le plancher le rectangle de la fenêtre. Les rideaux de tulle étaient agités par la brise et semblaient vivants.

J'entendais la respiration égale d'un dormeur : c'était la mienne et je me voyais dans mon lit, par un dédoublement inexplicable. Mon visage était blanc, quelquefois mes lèvres s'entrouvraient et j'entendais alors un gémissement qui me faisait peur. Mes mains étaient étendues sur la couverture. [...]

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[...] Alors je fis un nouvel effort et je courus après mon guide. Bientôt il s'arrêta en haut d'une crête boisée et lorsque je l'eus rejoint je vis que nous étions sur une longue route dont on ne pouvait voir la fin. Mais Paul me prit par la main et nous allâmes jusqu'au bout de cette route. Là il n'y avait plus d'arbres et je vis que nous étions dans une plaine qui côtoyait un gouffre. C'est en cet endroit que nous nous arrêtâmes. Du fond du gouffre arrivait jusqu'à nous un mugissement énorme. J'eus peur, mais je regardai. L'aube éclairait le ciel et je vis de grandes eaux bouillonnantes qui se précipitaient avec violence entre deux murailles de rochers. Parfois l'eau se creusait au milieu du courant et j'apercevais un abîme d'où montaient des cris lointains, mais des vagues impétueuses le recouvraient aussitôt. Alors j'entendis la voix de Paul qui criait : La source des eaux vives ! (3) et en même temps je tombai à terre.

Lorsque je revins à moi, je me trouvais de nouveau dans ma chambre, près de mon lit. J'étais seul. Sur le lit mon corps était étendu, mais non comme je l'y avais laissé. Les membres étaient rompus et saignaient de toutes parts comme si on en eût arraché la peau. La figure était changée, mais d'une manière que je ne peux me résoudre à décrire. Une telle épouvante me saisit alors que je me mis à souffler comme font les animaux qui prennent peur et je vis à ce moment les lèvres s'écarter et la bouche s'agrandir peu à peu pour crier, et c'est le cri qui sortait de cette face qui me réveilla.

Je fis ce rêve trois fois et chaque fois je me réveillai dans une terreur plus grande car il me semblait qu'il devenait plus précis et qu'il se rapprochait de plus en plus de la réalité, mais de quelle réalité ? Je savais maintenant tous les détails de cette course nocturne, je savais qu'après avoir passé l'Université je prendrais la route qui menait au bois, et ce bois je le traverserais et j'arriverais ainsi à la route qu'il fallait suivre jusqu'au bout. Là j'entendrais le mugissement des grandes eaux, j'aurais peur et m'évanouirais, mais cette peur n'était rien. La vraie peur m'attendait dans ma chambre et celle-là était abominable au point de me tirer de mon cauchemar.


Notes

(1) Paul est le jeune homme que Daniel (le narrateur) a rencontré en arrivant dans la ville universitaire de Fairfax.

(2) Jacques Petit suggère de voir ici une allusion biblique : « L'expression peut être banale; on notera toutefois que cette image est fréquente chez saint Paul (I Cor., 9 : 22-26, ou plus nettement, II Tim., 4 : 7) : « ... j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi. » Julien Green a lu assez la Bible pour qu'une réminiscence soit ici probable » (Pléiade, vol. 2, p. 1054).

(3) Image du Paradis de l'Apocalypse de Jean, où l'on ne craindra plus l'ardeur du soleil : « car l'agneau qui est au milieu du trône les paîtra (Psaumes, 23 : 1) et les conduira aux sources des eaux de la vie, et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux » (Apocalypse, 7 : 17). Très prosaïquement : vitae fontes aquarum, l'oasis où l'on s'abreuve dans le désert, les sources, les sources d'eau (8 : 10; 14 : 7; 16 : 4; et plus particulièrement encore : « Je suis l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin; à celui qui a soif je donnerai de la source de l'eau de vie, gratuitement », 21 : 6).


Variantes


Références

Julien Green, le Voyageur sur la terre, Paris, Plon, 1930, p. 59-63.

Éditions originales

Julien Green, « Le voyageur sur la terre », la Nouvelle Revue française, vol. 27 (août-septembre 1926), p. 197- 222 et 318-351.

--, le Voyageur sur la terre, Paris, Gallimard (coll. « Une oeuvre, un portrait »), 1927.

Édition critique

Julien Green, OEuvres complètes : le Voyageur sur la terre, éd. Jacques Petit, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), vol. 1, 1972, p. 42-44.


Situation matérielle

Vers le milieu de la nouvelle, le chapitre intitulé « Rêve ».


Situation narrative

Daniel O'Donovan, un orphelin, a été recueilli par son oncle et sa tante dès son jeune âge. Ce couple vit dans une petite ville avec le père de l'épouse. L'enfant grandit au milieu de ces personnes égoïstes, qui ne s'aiment pas et ne se parlent pas. Daniel ne va pas à l'école car son oncle l'interdit; il devient très solitaire en vieillissant. Quelque temps après la mort de sa tante, Daniel reçoit de l'argent de son grand-père afin qu'il puisse quitter cette ville minable et aller étudier à l'université de Fairfax. C'est en arrivant là-bas qu'il rencontre un jeune homme, Paul, qui s'avérera n'être visible que pour lui. C'est à l'époque de ses premières soirées dans la ville qu'il fera ce rêve singulier, tel qu'on le trouvera plus tard dans son journal. Puisque Danmiel a été retrouvé mort (ce que l'on apprend dès le début de la nouvelle), et que sa mort est suspecte, on comprend que son rêve était « prémonitoire ». Il permet, en fait, à ceux qui ne manqueront pas d'imagination, de combler la lacune du récit et de tout expliquer...

Daniel y voit sa mort.


Bibliographie

Canovas : 81, 82, 107.

BRUDO, Annie, Rêve et fantastique chez Julien Green, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 28-48, notamment 42-46.

FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in the novels of Julien Green », Modern Language Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300 (l'auteur n'étudie toutefois que les romans de Green).



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