Le cauchemar d'Élisabeth chez sa tante Rose
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Julien Green,
Minuit,
roman,
1936
[...] Tout à coup, la fatigue d'une
émotion si violente et si prolongée la coucha sur le
sol et lui ferma les yeux.
Elle (1) rêva qu'on
marchait près d'elle, à droite et à gauche, en
avant, en arrière. C'étaient des pas martelés
comme ceux d'une troupe d'hommes allant dans un sens et dans
l'autre. D'une manière impossible à décrire,
l'enfant se trouvait au centre de cet innombrable
piétinement qui passait sur elle et à travers elle
avec autant de facilité que si elle n'eût pas
existé. Sourd et profond, ce bruit grondait à ses
oreilles comme la rumeur d'une catastrophe souterraine, et
bientôt elle sentit qu'on la soulevait du sol avec
précaution et qu'elle se mettait à flotter
horizontalement. [...]
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Situation matérielle.
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[...] La frayeur lui arracha un cri : il y avait quelqu'un
dans la cuisine.
Son premier mouvement fut de rentrer dans le
débarras et elle allait le faire quand la voix de sa tante
la fit tressaillir; elle reconnut en effet la voix qu'elle avait
entendue dans son sommeil.
Notes
(1) Élisabeth, l'héroïne de
l'histoire.
(2) Importante suggestion de Jacques Petit :
« Ce rêve pourrait être une
réminiscence du film de Dreyer, Vampyr :
"l'enterrement vu de l'intérieur du
cercueil... " (Journal, 12 octobre
1932) » (Pléiade, vol. 2, p. 433,
n. 1). Carl Dreyer (1889-1968) — dont la Passion de
Jeanne d'Arc (1928) compte toujours parmi les dix meilleurs
films au monde — a réalisé en France
« Vampyr » ou l'Étrange aventure de
David Gray en 1932.
Références
Julien Green, Minuit, Paris, Plon, 1936, p. 54-55.
Édition originale
Julien Green, Minuit, Paris, Plon (coll. « La
Palatine »), 1936.
Édition critique
Julien Green, OEuvres complètes : Minuit,
éd. Jacques Petit, Paris, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
vol. 2, 1972, p. 433-434.
Situation matérielle
Première partie, fin du chapitre 8.
Situation narrative
La mère d'Élisabeth s'est
suicidée dans un champ par amour pour un homme. La petite
fille est recueillie tout d'abord par ses tantes qui ne l'aiment
pas ni ne la considèrent. C'est Rose, celle qui semble la
plus raisonnable et la plus sensée, qui la prend sous son
aile mais ce n'est guère pour longtemps. Le premier soir,
après avoir été obligée de se coucher
dans une chambre à débarras sans aucune
lumière, Élisabeth fait un cauchemar : elle
assiste à son propre enterrement. Se réveillant en
sursaut, elle décide de sortir de la chambre car elle a
entendu un bruit. Quelle n'est pas sa surprise lorsqu'elle
aperçoit sa tante en train de laver
frénétiquement le plancher de la cuisine en parlant
à son mari et à ses enfants
décédés. C'est à ce moment qu'elle
décide de s'enfuir.
Bibliographie
Canovas : 23, 39, 48, 62.
BRUDO, Annie, Rêve et fantastique chez Julien Green,
Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 138-176.
DERIVIÈRE, Philippe, Julien Green : les Chemins de
l'errance, Bruxelles, Éditions Talus d'approche (coll.
« Essais »), 1994, p. 116-136.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels of Julien Green », Modern Language
Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300, notamment
p. 294.
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