Julien Green,
Minuit,
roman,
1936
-- Mes amis, dit tout à coup M. Edme, je vais vous raconter
un
rêve
que j'ai fait, il y a des années. Dans ce rêve, je me
trouvais
à peu près là où nous sommes, mais
à une
époque si lointaine que je ne saurais la situer. En tout
cas,
Fontfroide ne
s'élevait pas encore. Je savais pourtant qu'elle existerait
un jour,
car
j'en gardais le souvenir, mais par une espèce de jeu
d'optique du
rêve, ma mémoire, en cette circonstance, jouait le
rôle de
l'intuition.
« Passée la première émotion de me
sentir si
loin
dans le temps sans avoir changé de place, je regardai
à mes
pieds et
vis un petit étang dont l'eau noire reflétait la
lune (1). [...]
Droits d'auteur / Copyrights
Cette oeuvre n'est pas du domaine public et ce récit
de rêve est trop long pour être reproduit
comme une citation partielle de l'oeuvre dans le cadre d'une
utilisation équitable pour fin d'analyse, de critique ou de
recherche. Les premières et les dernières lignes du
texte vous serviront à le localiser dans l'ouvrage :
voyez les rubriques
Références et
Situation matérielle.
|
|
[...] Mes amis, si je me rappelais tout ce que j'ai appris dans
cette
maison, je
serais le plus savant et le plus utile des hommes. Malheureusement,
le
souvenir de
cette science aussi précieuse que la vie même me fut
ravi
à mon
réveil, de même qu'on arrache à un voleur le
butin qu'il
emportait. Comme un voleur en effet, je m'étais
glissé jusque
dans
cette région d'ordinaire inaccessible,
protégée par des
Himalayas de désespoir, et qui pourtant n'est ailleurs qu'au
dedans de
nous-mêmes ».
Notes
(1) Comme l'indique Jacques Petit, « un
petit
étang dont l'eau noire reflétait la lune »
rappelle
la
rêverie où Élisabeth se voyait au bord d'un
étang
et se
regardait dans ses eaux noires » (p. 595,
n. 1 : voir
p. 462 de son édition).
Variantes
(a) Halliers : buissons touffus,
broussailles.
(b) Redan : bastion, partie d'une
fortification formant
un
angle saillant.
(c) Le charme est un « arbre ou
arbrisseau, à
bois
blanc, dur, à grain fin » (PR).
Références
Julien Green, Minuit, Paris, Librairie Plon, 1936,
p. 280-284.
Édition originale
Julien Green, Minuit, Paris, Plon (coll. « La
Palatine »), 1936.
Édition critique
Julien Green, OEuvres complètes : Minuit,
éd.
Jacques
Petit,
vol. 2, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la
pléiade »), 1972, p. 594-597.
Situation matérielle
Troisième partie, milieu du chapitre 11.
Situation narrative
La mère d'Élisabeth s'est suicidée dans un
champ par
amour
pour un homme. Le petite fille est recueillie tout d'abord par ses
tantes qui
ne
l'aiment pas ni ne la considèrent. C'est Rose, celle qui
semble la plus
raisonnable et la plus sensée qui la prend sous son aile,
mais ce n'est
guère pour longtemps. Le premier soir, après avoir
été
obligée
de se coucher dans une chambre à débarras sans aucune
lumière, Élisabeth fait un cauchemar : elle
assiste
à son
propre enterrement. Se réveillant en sursaut, elle
décide de
sortir
de la chambre car elle a entendu un bruit. Quelle n'est pas sa
surprise
lorsqu'elle
aperçoit sa tante en train de laver
frénétiquement le
plancher
de la cuisine en parlant à son mari et à ses enfants
décédés. C'est à ce moment qu'elle
décide
de
s'enfuir. Pendant quelques années, elle se réfugie
chez
monsieur Lerat, un homme qu'elle a rencontré le soir de son
évasion,
mais à la mort de ce dernier, on l'envoie à
Fontfroide, une
prétendue maison d'enseignement qui appartient à
monsieur Edme,
l'ancien amant de sa mère. C'est au cours de la
dernière
soirée d'Élisabeth dans cette demeure que le
propriétaire
raconte ce rêve qu'il a fait plusieurs années
auparavant.
Bibliographie
Canovas : 23, 39, 48, 62.
BRUDO, Annie, Rêve et fantastique chez Julien Green,
Paris,
Presses
universitaires de France, 1995, p. 138-176.
DERIVIÈRE, Philippe, Julien Green : les chemins de
l'errance,
Bruxelles, Éditions Talus d'approche, coll.
« Essais »,
1994, p. 116-136.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels
of
Julien Green », Modern Language Review, Cambridge,
1980,
no 75,
p. 291-300, notamment p. 294.
|