Une nuit d'insomnie de Joseph Day (*)
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Julien Green,
Moïra,
roman,
1950
Brusquement il cessa de voir la longue tache
blanchâtre du plafond, et comme un homme qui tombe dans le
vide, il eut l'impression que tout son sang refluait vers son cou
et que ses entrailles se soulevaient.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il vit la porte
dans une lueur grise qui frôlait sournoisement les murs; les
deux panneaux blancs s'encadraient d'un trait noir qui semblait
conduire la vue de bas en haut et de gauche à droite,
indéfiniment. Non sans effort il tourna un peu la tête
et aperçut le lit dont les colonnes luisaient, puis la
commode aux poignées de cuivre. Quelque chose le saisit
à la gorge et il crut qu'il allait pleurer, mais il se
contint. Alors une joie désordonnée l'envahit. Sous
les arbres un oiseau jetait quelques notes timides,
s'arrêtant comme pris d'inquiétude. Joseph (1) reconnut le chant de la grive et poussa un soupir
de bonheur. « J'ai dormi, pensa-t-il. J'ai
rêvé ».
Notes
(*) Le « j'ai
rêvé » qui achève la description
d'une nuit d'insomnie ne renvoie nullement à un rêve,
mais précisément à la description de la nuit
qui précède. Le texte reproduit ici décrit
l'endormissement et le réveil. Ce n'est pas un récit
de rêve.
(1) Joseph Day est le personnage principal de
l'histoire. Cette nuit est la première qu'il passe dans la
maison où son ami David demeure, car il vient juste de
quitter son ancienne logeuse, la mère de Moïra.
Références
Julien Green, Moïra, Genève-Paris, Plon (coll.
« La Palatine », « Les maîtres
du roman »), 1952, p. 160.
Édition originale
Julien Green, Moïra, Paris, Plon, 1950.
Édition critique
Julien Green, Moïra, éd. Jacques Petit, Paris,
Gallimard (coll. « Bibliothèque de la
pléiade »), 1972, vol. 3, p. 119.
Situation matérielle
Deuxième et dernière partie, fin
du chapitre 9 (sur
25).
Situation narrative
« Joseph Day est un jeune homme
timide que son austérité et son puritanisme livrent
aux moqueries de ses camarades d'université. En
réalité, il ignore ou feint d'ignorer les passions
qui sont en lui. Ainsi les mobiles profonds du suicide de Simon,
qui s'est tué par amour pour lui, lui échappent-ils.
Mais lorsque sa logeuse lui apprend qu'il couche dans le lit de la
jeune et belle Moïra, momentanément absente, des images
obsédantes commencent à l'assaillir »
(Dictionnaire des grandes oeuvres de la littérature
française).
Aussi, Moïra revenue dans
« son » lit, Joseph, qui passe sa
première nuit chez son ami David, est-il incapable de
dormir. Lorsqu'à la fin il y parvient, il croira avoir
rêvé. On assiste ici à son réveil.
Bibliographie
Canovas : le roman se trouve en bibliographie, mais n'est pas
évoqué dans la thèse.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels of Julien Green », Modern Language
Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300, notamment
p. 298.
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