Le rêve d'Henriette Cléry
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Julien Green,
Épaves,
roman,
1932
La jeune femme rêva qu'elle se trouvait
couchée dans une chambre basse (1). Il
y faisait sombre et frais, et son lit était placé de
telle manière qu'elle pouvait surveiller la porte ouverte
sans perdre de vue la fenêtre où battait une jalousie.
Le long d'un des murs, six ou sept pieds de citronnier poussaient
dans de grands vases de terre, et les fruits brillaient parmi le
feuillage noir. [...]
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Situation matérielle.
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[...] Il lui semblait que, dans ses rêves, elle était
meilleure, avec des ambitions plus modestes, et des infortunes, des
déceptions qui la rendaient digne de sympathie, mais
dès qu'elle s'éveillait — comment cela se
fait-il ? — elle redevenait cette petite personne
égoïste et capricieuse qu'elle voyait maintenant dans
la glace, le regard un peu maussade sous les cheveux en
désordre, et la bouche serrée.
Notes
(1) C'est-à-dire une chambre qui a un
plafond bas : Henriette vient en effet d'expliquer à sa
soeur qu'elle n'aime pas les chambres comme la sienne, ayant des
plafonds trop hauts, qu'elle préfère les
pièces aux plafonds bas comme celles de son enfance. Alors
que sa soeur Éliane ne voit là que babillage qu'elle
n'écoute plus, le lecteur comprend assez clairement que la
remarque d'Henriette porte en fait sur sa vie avec Philippe, sa
richesse, le regret de son enfance rue Monge, de sa pauvreté
même.
(2) Le rêve est porté au second
degré, comme le signale Trevor Field, puisque Henriette ne
s'est pas encore réveillée depuis le début de
l'alinéa précédent.
(3) Puisqu'à la phrase suivante la
rêveuse revient implicitement à la chambre de son
enfance, elle paraît donc se trouver ici dans l'appartement
de son amant, Victor Tisserand, dont elle aime justement la
pauvreté; le couple a été décrit plus
haut, près du lit de cuivre, suggérant qu'Henriette
s'y trouve, goûtant ensuite le plaisir, d'où le
bonheur dont elle rêve maintenant (cf. la fin de la seconde
section du chap. 3).
(4) Ce second
« réveil », véritable
celui-là, marque la fin du rêve. L'alinéa qui
suit, sans en être à proprement parler
l'interprétation, oppose le désir d'être
heureuse qui se trouve réalisé au coeur de ses
rêves (et c'est ici le rêve dans le rêve)
à sa vie qu'elle n'aime pas, la vie où elle ne s'aime
pas.
(5) Le chèque de sept mille francs que sa
soeur a obtenu de son mari en le demandant pour elle et
qu'Éliane vient de lui remettre avant qu'elle ne
s'endorme.
Références
Julien Green, Épaves, Paris, Plon (coll.
« La Palatine »), 1932, p. 142-144.
Édition originale
Julien Green, Épaves, Paris, Plon (coll.
« La Palatine »), 1932, p. 142-144.
Éditions critiques
Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques
Petit, vol. 2, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1972, « Épaves ».
Situation matérielle
Ce premier rêve se situe environ au
centre du roman, à la seconde partie (le roman en compte
trois), au cinquième de ses huit chapitres.
Situation narrative
Mariée depuis onze ans, Henriette
n'aime pas son mari Philippe Cléry qui ne comprend pas
qu'elle a une autre vie avec son amant Victor Tisserand, alors
même qu'ils n'ont plus de vie amoureuse depuis la naissance
de leur petite fille. Henriette charge sa soeur Éliane, qui
vit avec eux et qui aime sans le savoir son beau-frère, de
lui demander comme si c'était pour elle-même la forte
somme de sept mille francs, qu'elle destine à son amant qui
vit dans la pauvreté. Philippe vient de faire sans poser de
question un chèque à sa belle-soeur. Celle-ci attend
qu'il aille dormir avant de l'apporter à sa soeur dans sa
chambre. Les deux femmes ont parlé un moment, Henriette
s'est endormie et sa soeur l'a couchée sans la
réveiller.
Bibliographie
Canovas : ce rêve ne fait pas partie de son corpus.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels of Julien Green », Modern Language
Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300, notamment
p. 292-294.
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