Julien Green,
Épaves,
roman,
1932
II faisait beaucoup plus sombre lorsqu'elle s'éveilla. La
nuit d'hiver
tombait vite. Derrière les carreaux, le ciel prenait des
tons d'un rose
cendré qui tournait au rouge en s'approchant de la terre et
cernait les
toits d'un trait de flamme. De son lit, Éliane admira ces
couleurs.
Elle
laissait aller son esprit à mille pensées confuses
qu'elle
abandonnait tour à tour. Au bout d'un instant, elle fit un
effort et
se
leva, chercha la poire de la lampe électrique, ne la trouva
pas et se
dirigea à tâtons vers la fenêtre. [...]
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Cette oeuvre n'est pas du domaine public et ce récit
de rêve est trop long pour être reproduit
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utilisation équitable pour fin d'analyse, de critique ou de
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texte vous serviront à le localiser dans l'ouvrage :
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Références et
Situation matérielle.
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[...] Des traces de feu s'y voyaient et elle pensa d'abord que des
nomades avaient
dû allumer des branchages dans la solitude de ces monts pour
lutter
contre
le froid et peut-être la peur. Toutefois, en y regardant de
plus
près,
elle observa un morceau de papier au centre même du cercle
noir
qu'avaient
dessiné les flammes sur la terre. Sur ce papier où
des
caractères se distinguaient encore, une pierre de la
grosseur d'une
tête humaine était tombée avec la force d'un
aérolithe.
Éliane étendit la main. Et dans la lumière de
l'aurore,
elle
reconnut un fragment déchiqueté de sa lettre à
son
beau-frère : « Mon cher Philippe, tu
désirais
savoir... » (2).
Elle s'éveilla.
Notes
(1) Ce gouffre symbolise évidemment les onze
ans
qu'Éliane a vécu avec le couple Cléry.
(2) Il s'agit exactement du début de la
longue lettre
rédigée à la section précédente
du
même
chapitre (p. 173).
Variantes
(a) Avarement : l'adverbe est disparu
de l'usage
moderne, probablement parce qu'il était trop attaché
au sens
premier
d'avare en français classique
(« cupide »
au lieu
d'« excessivement
économe »). Il a ici le sens de
« chichement ».
Références
Julien Green, Épaves, Paris, Plon (coll.
« La
Palatine »), 1932, p. 177-184.
Édition originale
Julien Green, Épaves, Paris, Plon (coll.
« La
Palatine »), 1932, p. 177-184.
Éditions critiques
Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques
Petit, vol.
1,
Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la
pléiade »), 1972,
« Épaves »,
p. x-y.
Situation matérielle
Ce second rêve se situe au chapitre 7, l'avant dernier
chapitre de la
deuxième des trois parties du roman.
Situation narrative
Éliane est de trois ans l'aînée de sa soeur
Henriette dont
elle
a favorisé le mariage avec le bel et riche Philippe
Cléry. Elle
vit
depuis onze ans avec le couple qui a maintenant deux enfants, mais
rien
d'autre en
commun, sa soeur Henriette ayant pris un amant qu'elle n'arrive pas
à
aimer.
Or Éliane est amoureuse de son beau-frère qui,
lui-même,
se
doute confusément d'être
« aimé »
d'elle,
ce qui est la dernière de ses préoccupations.
De désespoir, Éliane se décide à
quitter la maison
et
annonce qu'elle prendra pension à Passy. En fait, elle est
déjà décidée à ne plus revenir.
Le
soir-même, elle écrit une longue lettre
à Philippe pour lui dénoncer cet
« indifférent » dont elle est
secrètement
amoureuse et lui annoncer qu'elle ne le reverra plus. Cela fait,
elle
« se gliss(e) sous l'édredon rouge » et
s'endort.
Bibliographie
Canovas : ce rêve ne fait pas partie de son corpus.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels
of
Julien Green », Modern Language Review, Cambridge,
1980,
no 75, p. 291-300, notamment p. 292-294.
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