Le rêve de Philippe Cléry
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Julien Green,
Épaves,
roman,
1932
Comme ils (1) franchissaient
le palier du deuxième étage, une émotion
violente fit batte le coeur de Philippe, et il dut s'appuyer un
instant à la rampe qui trembla sous son poids. Sa
femme (2) était là,
derrière cette porte, il le savait [...].
[...]
Il prit son fils par la main et monta
lentement au troisième étage. Depuis un mois, il
luttait contre l'envie de se trouver là, un dimanche
après-midi. [...] Une nuit il y rêva : il se vit
dans cette maison dont il ne connaissait que la façade. En
songe il gravit un escalier circulaire et s'arrêta devant une
porte, n'osant entrer; des sentiments étranges agitaient
son coeur, le désir de surprendre sa femme au moment
où elle sortirait, de lui faire peur, de devenir tout
à coup une sorte de justicier à ses propres yeux, et
en même temps la crainte de tout cela. Et puis (mais
c'était toujours en rêve) un inexplicable plaisir de
se sentir là, tout près.
Aujourd'hui, certes, il n'éprouvait
aucun plaisir; seulement une curiosité, mais une
curiosité singulière, furieuse. Il essaya d'imaginer
la passion de cet homme pour sa femme, et s'aida de ses propres
souvenirs.
Notes
(1) Philippe et son jeune fils Robert, qu'il a
entraîné avec lui dans cette
« promenade ».
(2) Henriette, qu'il a fait suivre. Il sait depuis
un mois qu'elle vient chaque dimanche rejoindre son amant, Victor
Tisserand, dans cet appartement sordide du quartier de la
Madeleine.
Références
Julien Green, Épaves, Paris, Plon (coll.
« La
Palatine »), 1932, p. 261-262.
Édition originale
Julien Green, Épaves, Paris, Plon (coll.
« La
Palatine »), 1932, p. 261-262.
Éditions critiques
Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques
Petit, vol. 1, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1972, « Épaves », p. x-y.
Situation matérielle
Ce troisième rêve se situe au
milieu de la
troisième et dernière partie du roman, à la
fin du troisième de ses six chapitres.
Situation narrative
Philippe Cléry est marié depuis
onze ans avec Henriette, dont il a deux enfants.
L'aîné, Robert, est sur le point d'entrer au petit
lycée. Il fait avec lui de fréquentes promenades.
Philippe s'est toujours caché que son épouse ne l'a
jamais aimé, ce qui est de plus en plus évident, mais
il vient d'apprendre, l'ayant fait suivre, qu'elle a un amant
qu'elle voit tous les dimanches dans un quartier de la Madeleine.
Un dimanche après-midi, il entraîne son fils
jusqu'à l'immeuble sordide où sa femme riche et
élégante vient de rejoindre son amant; il passe
devant la porte du deuxième étage où se trouve
l'appartement de Victor Tisserand, puis monte au pallier du
troisième. C'est à ce moment que le narrateur
évoque ce « rêve ».
Bibliographie
Canovas : ce rêve ne fait pas partie de son corpus.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels of Julien Green », Modern Language
Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300, notamment
p. 292-294.
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