TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - édition de Guy Laflèche TGdM

Texte précédent < Julien Green > texte suivant.

Introduction Auteurs OEuvres Chronologie


Le premier rêve de Wilfred Ingram
Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie

Julien Green, Chaque homme dans sa nuit, roman, 1960

      Tout à coup il se revit sur la route, assis à côté du garçon méprisant qui secouait les rênes du cheval entre ses mains paresseuses... À ce moment, Wilfred s'endormit (1).

      Un grand bruit le réveilla et se jetant à bas du lit, il courut à la fenêtre. Ce qu'il vit lui arracha un cri de surprise : debout dans la carriole, le jeune cocher de tout à l'heure faisait claquer son fouet au-dessus de sa tête, tout en retenant d'un poing vigoureux le cheval qui se cabrait en agitant sa crinière. [...]

Droits d'auteur / Copyrights

Cette oeuvre n'est pas du domaine public et ce récit de rêve est trop long pour être reproduit comme une citation partielle de l'oeuvre dans le cadre d'une utilisation équitable pour fin d'analyse, de critique ou de recherche. Les premières et les dernières lignes du texte vous serviront à le localiser dans l'ouvrage : voyez les rubriques Références et Situation matérielle.

[...]       — Arrêtez ! » cria Wilfred.

      La voiture s'arrêta net et Wilfred se trouva soudain seul sur la route. À ses pieds, il vit le gant qu'il avait perdu (4) et déjà il se courbait pour le prendre, mais il n'osa y toucher, car le gant saignait comme une main coupée. Alors il poussa un cri d'effroi (5) et se réveilla, le corps moite de sueur, puis chercha la petite lampe qu'il alluma aussitôt. Pendant longtemps il demeura les yeux ouverts, jusqu'à ce que les battements de son coeur se fussent apaisés.


Notes

(1) C'est l'épisode qui ouvre le roman, comme on le voit à la situation narrative : on a envoyé Gheza le chercher en carriole à la gare, alors que son cousin aurait pu venir le prendre avec sa luxueuse voiture.

(2) Dès qu'il a franchi le seuil de Wormsloe, dans l'antichambre : « le premier objet qui frappa sa vue fut une grande femme de bronze poli, à peu près nue et dont le poing se changeait en flambeau. Elle se tenait au pied d'un escalier et souriait au visiteur qui, sa valise à la main, la considéra avec attention » (p. 418-419). Wilfred est perdu dans ses pensées, de sorte qu'il n'entend pas venir la jeune domestique qui le conduira à sa chambre. Lorsqu'il redescend ensuite, seul, il se délecte des chairs de la statue et se mortifie en même temps d'y prendre plaisir (p. 420-421). Rien n'indique, évidemment, que Gheza soit témoin d'aucune de ces deux scènes — au contraire.

(3) La ville rêvée correspond à la ville évoquée par Gheza : « Les filles sont jolies, dans la grande ville ? » (p. 417).

(4) À environ un mille de la gare, alors que Wilfred a enlevé ses gants qu'il tient sur ses genoux, il en échappe un, mais se garde de faire arrêter la carriole pour le ramasser, par une inexplicable crainte du ridicule dont il a de plus en plus honte, jusqu'à ce que le gant soit hors de sa vue (p. 416). Plus tard, il a évoqué cet incident avec son cousin Angus, inexplicablement (« comme un enfant, un peu pour rompre le silence », p. 427). Or, justement, il apprendra le lendemain qu'en pleine nuit, Angus a tenté en vain de le retrouver. Évoquant le bruit de la voiture (qui déclenche donc implicitement le rêve de Wilfred), il demande : « J'ai pris la voiture. Tu n'as rien entendu ? — non rien » (p. 445).

(5) Voir à la bibliographie l'interprétation proposée par Jacques Petit de ce cauchemar.


Variantes

(a) On comprend : « Wilfred ne sut comment il s'était habillé », ou encore, si la proposition est temporellement reliée à la suivante, « Wilfred ne savait comment il s'était habillé ». Le passé simple (« s'habilla ») est toutefois significatif du télescopage des deux séquences.


Références

Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques Petit, vol. 3, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), 1972, « Chaque homme dans sa nuit », p. 411-708, p. 437-438.

Édition originale

Julien Green, Chaque homme dans sa nuit, Paris, Plon, 1960.

Éditions critiques

Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques Petit, vol. 3, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), 1972, « Chaque homme dans sa nuit », p. 411-708, p. 437-438.


Situation matérielle

      Ce premier rêve se situe au début du roman, à la fin du troisième chapitre.


Situation narrative

      Le vieil oncle Horace, qui a dépensé sa vie dans le plaisir, va bientôt mourir. Wilfred Ingram est invité à son chevet. Lorsqu'il descend à la gare, au lieu de la belle voiture qu'il avait prévue, c'est un petit cabriolet qui l'attend, conduit par un jeune déluré qui en impose tout de suite au puritain par ses manières et ses propos. Il annonce en effet qu'il se marie dans quinze jours, qu'il quittera dès demain matin le domaine de Wormsloe où l'on s'ennuie ferme et demande à brûle-point s'il y a beaucoup de jolies filles dans la grande ville (d'où Wilfred vient ?), présupposant qu'il doit en connaître long à ce sujet.

      Arrivé à Wormsloe, Wilfred décide de ne pas attendre dans sa chambre l'heure du repas. En bas, il rencontre son cousin Argus Howard. Puis il mange seul, servi par le vieux domestique. Ce dernier lui laisse entendre qu'il craint pour le salut de son oncle, mais pas pour... le sien !

      Là-dessus, Wilfred monte se coucher, assez démoralisé de se trouver là catholique parmi des protestants et pauvre parmi des riches.       En plus, à cause d'une sensualité qu'il contrôle mal, il craint pour son salut.


Bibliographie

Canovas : ce rêve ne fait pas partie de son corpus.

FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in the novels of Julien Green », Modern Language Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300, notamment p. 297-298.

PETIT, Jacques, annotation des OEuvres complètes de Julien Green, vol. 3, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), 1972, « Chaque homme dans sa nuit », p. 1663-1664.

Jacques Petit propose une interprétation « infernale » (le mot est de lui) de ce rêve, Gheza étant le diable et la ville en flamme, l'enfer. Ces forces du mal s'organiseraient à partir de la vague sensualité dégagée par Gheza lors du trajet en carriole. En revanche, l'évocation du personnage de la mère, le fait que le rêveur descende finalement de la carriole infernale et, surtout, la peur de la castration représentée par le gant ensanglanté, tout cela signifierait, selon Jacques Petit, le refus victorieux de la sexualité inspiré par sa conversation avec le vieux domestique et donnerait son sens au rêve.



Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie
Table du présent fichier