Le second rêve de Wilfred Ingram
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Julien Green,
Chaque homme dans sa nuit,
roman,
1960
Il regagna sa chambre et se jetant tout
habillé sur son lit tomba dans un profond sommeil. D'abord
il rêva qu'il était étendu au fond d'une longue
barque, les deux mains sous la tête, et qu'il voguait ainsi
très doucement sur un fleuve dont les eaux boueuses
s'étendaient à perte de vue. Le ciel d'un bleu
pâle n'était traversé d'aucun nuage, mais
à le regarder longtemps on finissait par éprouver une
sorte de vertige. [...]
Droits d'auteur / Copyrights
Cette oeuvre n'est pas du domaine public et ce récit
de rêve est trop long pour être reproduit
comme une citation partielle de l'oeuvre dans le cadre d'une
utilisation équitable pour fin d'analyse, de critique ou de
recherche. Les premières et les dernières lignes du
texte vous serviront à le localiser dans l'ouvrage :
voyez les rubriques
Références et
Situation matérielle.
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[...] La vie est pleine de jolies femmes. Il y en a des centaines
qui t'attendent ». II pensa : « J'ai
dû rêver à elle ou à
Phoebé ». Et par un geste rapide de ses deux
grandes mains, il déchira la photographie. Ce geste
n'était pas difficile à faire et pourtant il lui
avait paru impossible, mais Wilfred l'avait fait et il regarda les
petits fragments de carton avec une stupéfaction
douloureuse. Un instant s'écoula, puis il eut l'impression
qu'autour de son coeur un étau se desserrait.
Notes
(1) Cette situation rappelle le moment où
Wilfred et Phoebé se sont déclaré leur amour,
devant le fleuve, alors que la jeune femme tenait la nuque du jeune
homme (p. 652). L'image qui suit, comme l'explique Jacques
Petit, est liée à la figure de la noyée qui
vient alors à l'esprit de Wilfred : elle
« s'accrochait à lui de telle sorte que l'image
d'une noyée se présenta à son
esprit » (p. 652, cf. 678, n 1).
(2) On peut voir se superposer le visage de la
vieille Alicia à celui de la jeune Phoebé :
« On ne pouvait savoir de quoi elle avait l'air quand
elle était jeune, mais à présent, dans
l'impitoyable lumière de la rue, sa pauvre face molle et
meurtrie semblait avoir été boxée par la
mort » (p. 675). Le narrateur adopte le point de
vue de Wilfred qui n'aura qu'à la fin de sa conversation
avec la vieille dame la révélation de son
identité, cette Alicia dont il a dévoré les
lettres amoureuses.
(3) Ce second alinéa, et en particulier ce
qui suit, ne décrit plus le rêve et son contenu, mais
exactement l'inverse, c'est-à-dire l'effet d'un rêve
(oublié) sur les actions de Wilfred.
Références
Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques
Petit, vol. 3, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1972, « Chaque homme dans sa nuit »,
p. 411-708, p. 677-678.
Édition originale
Julien Green, Chaque homme dans sa nuit, Paris, Plon,
1960.
Éditions critiques
Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques
Petit, vol. 3, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1972, « Chaque homme dans sa nuit »,
p. 411-708, p. 677-678.
Situation matérielle
Ce second rêve se situe vers la fin du
roman, au chapitre 45 de la seconde partie (qui en compte 47).
Situation narrative
Wilfred Ingram, orphelin, pauvre, s'est rendu
au chevet de son oncle mourant qui lui a donné, de la main
à la main, outre quelques valeurs qu'il dérobait
ainsi aux héritiers qui attendent et auront tout de lui, sa
correspondance avec son amante Alicia Beauchamp, de même que
sa photographie.
Jamais il n'avait eu le courage de
détruire ces reliques et il les confie à son neveu
pour qu'elles ne tombent pas en d'autres mains. Wilfred sera
évidemment fasciné par cette correspondance.
Par ailleurs, lors de la veillée
funèbre, il a rencontré Phoebé, une cousine
mariée à un certain James Knight. Elle est tout de
suite amoureuse de lui, et ce sera bientôt réciproque.
Pourtant, tous les deux sont torturés par une conscience
chrétienne, une foi catholique qui leur interdit de
réaliser leurs désirs. Wilfred reçoit une
lettre de Phoebé qui s'impose le courage de renoncer
à leur amour. Sur cela, Wilfred rencontre la vieille amante
de son oncle défunt, Alicia Beauchamp, qui voudrait obtenir
de lui le portrait de son oncle en uniforme, dont il a
hérité.
Wilfred rentre chez lui épuisé.
Les figures de Phoebé et d'Alicia se confondent durant et
après le rêve qui suit, de sorte que Wilfred
procédera sans trop savoir pourquoi à la destruction
de la correspondance dont il a hérité, comme aussi du
portrait d'Alicia, jeune. On comprend qu'il renonce ainsi à
Phoebé.
Bibliographie
Canovas : ce rêve ne fait pas partie de son corpus.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels of Julien Green », Modern Language
Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300, notamment
p. 297-298.
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