Julien Green,
Léviathan,
roman,
1928
Son sommeil dura jusque vers minuit. Quelque
chose qui passait et repassait obstinément tout près
de son visage l'avait éveillé, le frôlant
presque. Dans les rêves incohérents (a) qui traversaient son cerveau, c'était une
grande main cherchant à saisir ses cheveux et, pour
éviter ce contact, il faisait des mouvements convulsifs qui
lui secouaient les épaules. En réalité ce
n'était qu'un de ces gros rats lustrés et
repus (b) qui semblent être nés
spontanément du charbon, dormant le jour et se promenant la
nuit dans leur chantier comme dans un jardin merveilleux plein de
fortes senteurs et d'allées labyrinthiennes (c).
Il se leva et gagna en titubant le mur qu'il
suivit jusqu'à la grille [...].
[...] (1)
Il regarda devant lui quelque temps,
comprenant mal où son rêve avait pris fin et
l'état de veille recommencé (p. 693).
[...]
Ce n'était plus dans un rêve
qu'il traversait la cour. Le rêve, c'était la main
qui, tout à l'heure, cherchait à le saisir aux
cheveux, mais les pas qui le portaient vers la maison au bout du
chantier étaient vrais (2). Il
percevait leur son [...] (p. 693).
Notes
(*) Le rêveur se débat en secouant
les épaules (dans le rêve ou dans son sommeil ?)
pour échapper à une grande main qui tente de lui
saisir les cheveux. On ne trouve là aucune histoire
rêvée, mais une image de cauchemar,
menaçante.
(1) Une fois debout, Guérêt entreprend
de traverser la cour à nouveau, pour rejoindre la grille par
où il est entré. On comprend qu'il agit dans une
demi-conscience, comme l'exprime l'extrait qui suit.
(2) C'est-à-dire que la traversée de
la cour qu'il
vient d'entreprendre et qu'il poursuit n'est pas un rêve.
Variantes
(a) Revue de Paris : « Dans
l'incohérence
des
rêves qui... ».
(b) Revue de Paris : « ... un de ces
gros rats
lustrés [et repus sera ajouté à
l'édition en
volume] qui semblent naître spontanément du
charbon... ».
(c) Revue de Paris : « de
labyrinthe ».
Références
Julien Green, Léviathan, Paris, Plon (coll.
« Le Roseau
d'or », « OEuvres et chroniques,
série 4,
no 4 »), 1929, p. 166-168.
Édition originale
Julien Green, « Léviathan », la Revue
de Paris,
de
décembre 1928 à mars 1929. Le roman est
publié alors
qu'il
est en cours de rédaction. Le texte édité ici
correspond
à la sectionv IV, 15 janvier 1929, p. 421-423.
—, Léviathan, Paris, Plon (coll. « Le
Roseau
d'or », « OEuvres et chroniques,
série 4,
no 4 »), 1929, p. 166-168.
Éditions critiques
Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques
Petit, vol.
1,
Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la
pléiade »), 1972,
« Léviathan »,
p. 579-814, p. 691-692.
Situation matérielle
Environ au centre du roman, quelques pages
avant la fin de la
première
des
deux parties.
Situation narrative
Guérêt vient de commettre coup
sur coup deux meurtres,
dont celui d'un innocent vieillard qu'il croit avoir
été témoin du premier. La nuit tombée,
il se réfugie dans une cour, fermée d'une grille,
où se trouve un chantier de construction. Il se cache.
S'endort.
Bibliographie
Canovas : cette désignation d'un rêve ne fait pas
partie de
son
corpus.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels
of
Julien Green », Modern Language Review, Cambridge,
1980,
no 75, p. 291-300, notamment p. 292.
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