Le premier rêve de Hoël (*)
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Julien Green,
Varouna,
roman,
1940
II
Pendant trois jours, Hoël garda la
chaîne dans son sarrau et ne la fit voir à personne.
Si parfois il se trouvait seul, il la tirait de son vêtement
pour l'admirer, car bien qu'elle fût d'un métal noir,
elle brillait comme verre et l'on avait beau la regarder de
près, il n'était pas possible de voir par où
le dernier anneau se joignait au premier, en sorte qu'elle
paraissait n'avoir ni commencement ni fin. Mais ce qui ravissait
l'enfant plus que toute autre chose, c'était qu'elle se
réchauffât si vite dans ses mains; il se figurait
alors qu'entre ses doigts remuait une créature vivante et
que cette chaîne était fée. Une fois, il se la
passa autour du cou et s'endormit au pied d'un rocher, et il fit un
rêve dans lequel il vit un homme richement vêtu qui
tenait la chaîne dans son poing. [...]
Droits d'auteur / Copyrights
Cette oeuvre n'est pas du domaine public et ce récit
de rêve est trop long pour être reproduit
comme une citation partielle de l'oeuvre dans le cadre d'une
utilisation équitable pour fin d'analyse, de critique ou de
recherche. Les premières et les dernières lignes du
texte vous serviront à le localiser dans l'ouvrage :
voyez les rubriques
Références et
Situation matérielle.
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[...] Ce fut alors que Hoël s'éveilla à son
tour, les doigts crispés sur la chaîne et la poitrine
appuyée sur une roche dont une pointe lui froissait la
chair.
L'enfant se frotta les yeux.
— J'ai rêvé, dit-il tout
haut.
Et il essaya de se souvenir de son rêve,
mais le grand hourvari (a) de la mer
brouillait tout.
Notes
(*) Varouna est un roman fantastique et
plus précisément un récit d'aventures
fantastique se présentant d'abord sous la forme du conte
merveilleux. Il comprend une quinzaine de rêves. On trouve
ici le début et la fin du premier de ces rêves. On
donnera aussi comme échantillon le dernier des rêves
de Jeanne, qui ferme le roman.
À remarquer qu'un autre roman de Julien
Green joue de l'opposition (fantastique) du rêve et de la
réalité (et plus précisément de la
réalité de la folie, de la maladie qui conduit le
héros à la mort), Si j'étais vous
(Paris, Plon, 1947), où Fabien prend, paraît prendre
la personnalité et l'identité des autres. Le roman
ne contient toutefois aucun récit de rêve.
(1) Il s'agit maintenant de Hoël devenu
l'homme en rouge, mais très vite on perd complètement
de vue le petit garçon, l'homme devenant le sujet du
récit.
(2) Cet ermite que l'homme en rouge rencontre
était un sage qui avait renoncé à tout et ne
conservait que cette chaîne. On l'enterra avec à sa
mort. Sa sépulture violée par des brigands, la
chaîne est jetée comme sans valeur. Beaucoup plus
tard, elle est découverte par un terrassier qui la met au
cou de sa fille; elle en meurt et son père jette la
chaîne sur la route, où elle est ramassée par
des marchands. Etc. Il fallait qu'elle parvienne à l'homme
en rouge. Après avoir évoqué les histoires de
ceux qui l'avaient eue avant lui, l'ermite raconte encore des
histoire et des bribes d'histoires de ceux qui l'auront
après lui, jusqu'au moment d'évoquer Hoël. Nous
reproduisons le texte à partir de là.
Variantes
(a) Le sens premier de hourvari
désigne le cri des chasseurs qui rappellent les chiens
lancés dans une course inutile. Son sens second,
littéraire, est celui de la clameur d'un grand tumulte.
Références
Julien Green, Varouna, Paris, Plon (coll. « La
Palatine »), 1940, p. 6-7 et 11-112.
Édition originale
Julien Green, Varouna, Paris, Plon (coll. « La
Palatine »), 1940, p. 6-7 et 11-112.
Éditions critiques
Julien Green, OEuvres complètes, éd. Jacques
Petit, vol. 2, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1972, « Varouna ».
Situation matérielle
Le second chapitre de la première
partie, « Hoël », dont on trouve ici le
début et la fin.
Situation narrative
L'histoire de Hoël se déroule il
y a plusieurs siècles, s'opposant à celle
d'Hélène au Moyen Âge et à celle de
Jeanne au début du XXe siècle. Ces trois histoires
en impliquent plusieurs autres, toutes liées par une
chaînette que Hoël trouve sur la plage au début
du roman, chaîne qui vient du fond des âges et que
Jeanne retrouvera au British Museum dans les toutes
dernières pages.
Hoël est un jeune enfant que ses parents
exploitent pour jouer le rôle du bateau le long des
récits où les embarcations qui veulent le suivre les
soirs de tempêtes viennent s'échouer. Là,
elles sont pillées. L'enfant trouve un jour une
chaîne sur la plage et la cache dans sa tunique. Le second
chapitre du roman raconte le premier rêve de Hoël.
Bibliographie
Canovas : les rêves de Varouna ne font pas partie
de son corpus.
FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in
the novels of Julien Green », Modern Language
Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300, notamment
p. 294-295.
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