Marcel Proust,
le Côté de Guermantes,
roman,
1914
Cependant lui, à Doncières ne
dormait plus un instant la nuit. Une fois, chez moi, vaincu par la
fatigue, il s'assoupit un peu. Mais tout d'un coup, il
commença à parler, il voulait courir, empêcher
quelque chose, il disait : « Je l'entends, vous ne... vous
ne... ». Il s'éveilla. Il me dit qu'il venait de
rêver qu'il était à la campagne chez le
maréchal des logis chef. Celui-ci avait tâché
de l'écarter d'une certaine partie de la maison. Saint-Loup
avait deviné que le maréchal des logis avait chez lui
un lieutenant très riche et très vicieux qu'il savait
désirer beaucoup son amie. Et tout à coup dans son
rêve il avait distinctement entendu les cris intermittents et
réguliers qu'avait l'habitude de pousser sa maîtresse
aux instants de volupté. Il avait voulu forcer le
maréchal des logis de le mener à la chambre. Et
celui-ci le maintenait pour l'empêcher d'y aller, tout en
ayant un certain air froissé de tant d'indiscrétion,
que Robert disait qu'il ne pourrait jamais oublier.
« Mon rêve est idiot »,
ajouta-t-il encore (a) tout essoufflé.
Mais je vis bien que, pendant l'heure qui
suivit, il fut plusieurs fois sur le point de
téléphoner à sa maîtresse pour lui
demander de se réconcilier.
[...]
Le cauchemar qu'avait eu Saint-Loup
s'effaça un peu de son esprit (p. 120).
Variantes
(a) « ... ajouta-t-il tout
essouflé... ». L'adverbe
« encore » manque dans l'édition de
référence, alors qu'il se trouve dans toutes les
autres éditions.
Références
Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu : le
Côté de Guermantes I, Paris, Gallimard, tome 4,
1919-1927, p. 119.
Édition originale
Marcel Proust, le Côté de Guermantes, Paris,
Grasset, 1914.
Le texte fut réimprimé chez
Gallimard en 1919 avec les modifications apportées par
Proust entre autres sur les noms de lieux et de personnes. Le
Côté de Guermantes est alors publié en un
seul volume. C'est en mars 1920 que Gaston Gallimard, pour des
raisons commerciales, demande la permission à Proust de
publier son texte en deux volumes. Le Côté de
Guermantes I sera publié le 25 octobre 1920 et le
Côté de Guermantes II, le 2 mai 1921.
Éditions critiques
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu : le
Côté de Guermantes I, édition
établie sous la direction de Jean Milly, édition du
texte, introduction, bibliographie par Elyane Dezon-Jones, Paris,
Flammarion, vol, 4, 1984, p. 197-198.
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu : le
Côté de Guermantes I, préface de Thierry
Laget, édition présentée, établie et
annotée par Thierry Laget, Paris, Gallimard (coll. «
Folio »), vol. 3, 1988, p. 116.
Situation matérielle
Ce rêve se situe environ à la fin
du premier tiers du roman le Côté de Guermantes
I.
Situation narrative
Marcel tente de se rapprocher de Mme de
Guermantes en allant voir Saint-Loup à sa garnison. Pendant
qu'il séjourne à Doncières, Saint-Loup se
brouille avec sa maîtresse. Ce rêve résulte de
l'angoisse créée par cette brouille chez Saint-Loup.
Bibliographie
Canovas : 47, 70, 107.
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