TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - Édition de Guy Laflèche TGdM

Les effilochures de rêve

    D'après les statistiques du réveil en clinique du sommeil, vous avez rêvé au moins durant une heure et demie la nuit dernière, comme ce sera le cas encore ce soir, et jour après jour. Toute une histoire ? Non, beaucoup d'histoires. Mais combien en racontez-vous chaque année ? Combien en entendez-vous ? Oui, en effet, sauf exception, bien peu, et c'est généralement exceptionnel. En revanche, attestant de toutes ces histoires perdues, des centaines d'effilochures de rêve traversent nos conversations chaque année. C'est la question que l'on peut aborder, paradoxalement, en radiographiant une prétendue base de données sur le rêve, « Reves.ca » de Christian Vandendorpe.

Table


Les  e-f-f-i-l-o-c-h-u-r-e-s  de rêve

Un rêve d'amour

Rêve et passion

J'ai rêvé amour toute la nuit, amour sentimental, amour jeune, comme je l'éprouvais à 20 ans. Trois fois dans ma vie, des rêves pareils ont été les avant-coureurs d'une passion violente.

—— Benjamin Constant, Journaux intimes, 1805 (Paris, Gallimard, 1952, p. 239). Entrée comme récit de rêve dans « Reves.ca » de Christian Vandendorpe, fiche no 1175.

Le jeune homme à la pomme

Un symbole de séduction

Je me trouve dans un jardin et j'y cueille une pomme. Je regarde avec précaution autour de moi, pour voir si personne ne m'a vu.

—— Jung, l'Homme à la découverte de son âme, Paris, Payot, 1962, p. 198-203 (sic, car c'est long). Fiche no 1444. Le jeune homme en question avait volé des poires (sic) dans sa jeunesse, ayant à la même époque rencontré par hasard une belle princesse, etc. Et la pomme, bien entendu, lui rappelle le Paradis terrestre. Toute une affaire. Cela dit, le récit de rêve, comme on l'a bien lu, c'est tout bonnement le FAIT de voler/cueillir une pomme incognito. Seul Christian Vandendorpe et les collaborateurs de « Reves.ca » peuvent voir là une histoire, un récit de rêve. Ils ont beaucoup d'imagination. Voilà en effet, au mieux, une effilochure de rêve.

      Effilochure de rêve. J'emprunte l'expression à la Banque des rêves de Jean et Françoise Duvignaud et Jean-Pierre Corbeau (1). Cette « banque » regroupe environ deux milliers d'enregistrements de toutes formes et de toutes provenances qui ont été recueillis de plusieurs façons, mais avec l'objectif de radiographier le rêve dans toute la population et dans son milieu naturel, dans la vie quotidienne de tous les individus qui composent la société. Le but avoué de l'exercice était de sortir le rêveur des cliniques et d'enlever à ses rêves son interlocuteur par trop convenu, le psychologue, voire le psychanalyste. Car normalement, c'est à ses proches, à ses amis, à ses confidents qu'on raconte ses rêves, lorsqu'on ne les garde pas pour soi. Voilà donc la matière sur laquelle a été menée cette passionnante enquête sociologique.

      Mais, à première vue, le corpus, qui se dessine tout au long de l'ouvrage, est décevant pour l'étude narrative, parce que les récits de rêve y sont rares et généralement courts, peu articulés et fragmentaires. Or, réflexion faite, voilà pourtant la première caractéristique du rêve et du récit de rêve : il s'agit d'une histoire qui, le plus souvent, n'est pas racontée. Résumé, sommaire, tranche d'histoire, segment ou fragment, lorsqu'il n'en reste pas seulement un événement ou une situation, une image. Sa caractéristique narrative la plus importante est donc le non-récit. Une histoire dont on ne se souvient pas toujours, certes, mais cela est bien secondaire par rapport au fait qu'on pourrait généralement s'en souvenir si on devait (pour le psychologue) ou voulait (pour le plaisir de la chose) la raconter, alors que sa narration se limite au contraire aux diverses formes fragmentaires du non-récit, voire simplement à sa désignation ou à son évocation (« j'ai rêvé à un tel, cette nuit », alors que la suite de la conversation portera sur lui, et non sur mon rêve). Ces non-récits, ce sont les effilochures du rêve.

      Dès qu'on s'y arrête, on voit là un phénomène assez extraordinaire. On ne trouvera aucune autre forme d'histoire qui soit dans cette situation. Prenons l'exemple du conte et celui du « Petit chaperon rouge » : on trouvera facilement des centaines de désignations, d'allusions et d'évocations de cette histoire, parce qu'elle compte parmi les plus connues dans les cultures d'expression française; en revanche, on ne trouvera jamais la moindre allusion ou désignation de contes merveilleux inconnus ! C'est ce qui se passe pour l'histoire rêvée. Des milliers d'effilochures de rêve doivent croiser chaque année nos conversations alors qu'on n'en comptera ou contera que quelques-uns. Et disons pourquoi d'un mot, puisque ce n'est pas ici notre sujet, mais que la cause en est précisément d'ordre narratif : d'abord parce que la très grande majorité des histoires rêvées sont sans intérêt (pour les autres, si ce n'est pas pour soi) et ensuite parce que notre performance ou compétence narrative s'oppose, on le sait, à reproduire l'histoire rêvée, avec ses propriétés, de sorte que le rêveur comprend (sait confusément) que l'histoire racontée n'est pas celle qu'il a rêvée, et pour cause (s'il a un psychologue ou un psychanalyste à satisfaire). Voilà pourquoi, s'il faut aller au-delà des effilochures qui viennent des rêves, les récits en sont presque toujours fragmentaires. Autrement, ils seront à tout le moins lacunaires. En revanche, dès qu'on rencontre ou raconte un récit de rêve, il s'agit d'un phénomène exceptionnel : c'est le cas des personnes qui se remémorent souvent leurs rêves et les racontent volontiers, c'est surtout le cas de tous les autres, face à un phénomène exceptionnel (2). Pourtant, nous rêvons tous, depuis le XVIIe siècle, dans la civilisation occidentale, depuis l'âge de sept ans, au moins une heure et demie par nuit. Et nous n'en retenons généralement que des bribes.

      Voilà ce qui est reflété dans la littérature, ni plus ni moins. La littérature de langue française, par exemple, comptera, des origines à nos jours, quelques centaines de récits de rêve, contre plusieurs milliers d'effilochures. Ce qu'on trouve pêle-mêle et confondu dans la banque « Reves.ca » de Christian Vandendorpe.

Le projet de recherche et sa réalisation en cours dans RRR

      Le Recueil de récits de rêves (RRR), ouvrage en cours, réalise au mieux le projet de recherche que j'avais conçu et partagé avec mes collègues Christian Vandendorpe, Antonio Zadra et Nicole Bourbonnais. C'est moi qui en ai rédigé le projet pour la demande de subvention au Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, subvention pour une durée de trois ans, obtenue pour 2001-2004. Voici mon « Résumé de la recherche », tel qu'on le lisait en tête de la description détaillée et qui en présente aussi bien l'esprit que la lettre.

Étude de la structure narrative du rêve et de ses interprétations
dans les littératures d'expression française

Résumé de la recherche

      Notre équipe de recherche, constituée de trois littéraires et d'un psychologue spécialisé dans l'étude du rêve, se propose, au cours des trois prochaines années, de mettre en place une base de données aussi complète que possible des récits de rêves dans les littératures d'expression française, depuis le Moyen Age jusqu'à 1980, et d'entreprendre, à l'aide de celle-ci, une analyse de la structure narrative du récit de rêve, ainsi que des modalités d'interprétation qui lui ont été appliquées au cours des temps. Nous comptons ainsi à la fois éclairer le rapport de la littérature avec la matière onirique, contribuer à une histoire de l'interprétation du rêve et rendre disponible un vaste corpus de rêves bien référencés et accompagnés des renvois aux interprétations dont ils ont fait l'objet.

      L'importance et l'originalité de notre projet reposent sur la mise au jour et l'histoire de ces corrélations entre histoire rêvée, récit de rêve et interprétation du rêve. Selon notre hypothèse de départ, le rêve est raconté pour être interprété — ou, dans une oeuvre littéraire, pour livrer des informations sur le personnage sous une forme acceptable. Il s'ajuste spontanément à la grille d'interprétation à laquelle il est destiné. Le récit de rêve doit donc avoir évolué : c'est le tracé de cette évolution que nous voulons rendre visible par cette recherche. L'invention d'un rêve est en soi un acte d'interprétation.

      Notre projet implique d'abord la constitution d'un corpus de récits de rêves. Pour ce faire, nous délimiterons notre champ de recherche à partir de la thèse de Frédéric Canovas (1992), des anthologies internationales, des travaux sur le rêve et de la base de données FRANTEXT. En étendant notre corpus à toute la littérature d'expression française, nous nous attendons à trouver, selon une estimation provisoire, quelque 500 récits. À cela s'ajouteront, pour des fins de comparaison, quelque 200 récits de rêve choisis dans la banque d'Antonio Zadra, et recueillis selon des protocoles scientifiques. Enfin, nous nous proposons de constituer une collection étrangère, qui regroupera les récits de rêves importants et représentatifs à travers le monde et à travers les âges. Avec un corpus limité dans un premier temps à 300 récits, ce second recueil nous permettra de situer concrètement nos 500 rêves des littératures d'expression française en regard des autres littératures, de même que par rapport à ses réalisations dans les autres cultures. Bref, en trois ans, nous aurons repéré, situé et édité un corpus d'un millier de rêves en français et en traduction française que nous rendrons accessibles sur l'internet.

      Les dépouillements seront menés systématiquement par les assistants sous la supervision des chercheurs. Pour chaque texte, il y aura référence dans l'édition originale et dans les dernières éditions critiques, et établissement du texte, avant son insertion dans la base de données; on procédera aussi à une transcription de l'analyse du rêve dans l'oeuvre, s'il s'en trouve; enfin, on établira une bibliographie systématique des analyses et des interprétations qui en ont été faites, le cas échéant. Chaque rêve fera l'objet d'une fiche, qui en présentera une description critériée [sic], en fonction de paramètres intéressant à la fois la recherche littéraire et la psychologie clinique.

      La première phase de ce programme de recherche culminera avec un colloque interdisciplinaire, réunissant littéraires et psychologues, au cours duquel on tentera de faire le point sur la question du rêve littéraire, de sa structure et de ses interprétations.

      Pour comprendre la nature du détournement dont mon projet sera victime à l'Université d'Ottawa, il faut être attentif à la description précise du corpus qu'il s'agissait de rassembler. Je proposais, comme on le voit, de mettre en place un recueil d'un millier de textes, réalisé à partir du dépouillement de Frédéric Canovas dans sa thèse de 1992 et dont le noyau serait constitué de 500 récits de rêve des littératures d'expression française. Et il ne s'agissait pas là d'un échantillon, mais bien du recueil rassemblant la population, assez proche donc de la totalité des récits de rêve que présentent les oeuvres littéraires de langue française. C'est pour fin de comparaison seulement que deux échantillons devaient s'ajouter à ce corpus, soit 200 rappels de rêves de l'équipe d'Antonio Zadra et 300 récits de rêves littéraires destinés à représenter les formes du rêves dans les autres littératures.

      Voilà répété ce qu'on vient de lire dans le résumé du projet et on comprendra vite pourquoi : Christian Vandendorpe, avec l'équipe que j'avais constituée, va réussir à mettre en place le psychodrame du couteau sans manche auquel manque la lame. Incroyable, mais vrai, j'en serai rendu à expliquer durant un an à des universitaire qu'un récit de rêve est forcément un récit et qu'il raconte nécessairement un rêve, une histoire rêvée. Les règles d'établissement du corpus étaient claires, puisque c'étaient celles de Frédéric Canovas, toutes très simples et raisonnables, doublées des résultats de mon analyse narrative en cours. L'objectif n'était pas d'étudier le rêve, mais bien le récit de rêve. Et ensuite, tout ce que l'on voudra dans le cadre de ce corpus — et notamment la question de l'interprétation du récit de rêve (sujet que V. Vandendorpe a suggéré, mais jamais étudié).

      Cela n'est pas difficile à comprendre. On connaît bien les règles qui président au corpus de RRR, s'agissant de récits de rêve littéraires : pour s'en tenir à l'essentiel, un récit de rêve doit être déclaré comme un rêve pour figurer dans le recueil et le rêve déclaré doit être un récit. Cela dit, j'ai dès le début développé une série de concepts simples, clairs et explicites, à partir du dépouillement de Frédéric Canovas, à l'intention des auxiliaires étudiants qui formaient mon équipe à Montréal et, assez vite, pour mes collègues d'Ottawa. Eux, bien au contraire, sont toujours restés sur la défensive, si je puis le dire d'une attitude passablement agressive, se contentant de dénigrer mes définitions, en jouant de psychologie pour déclarer, en fin de compte, que les rêves n'étaient pas toujours et par définition des... récits de rêve ! D'où l'entrée en scène des effilochures.

      Après un été de travail, on s'est retrouvé avec deux corpus hétérogènes, le mien à Montréal constitué de 90 récits de rêves édités à partir du dépouillement de Frédéric Canovas, et celui de Christian Vandendorpe à Ottawa comprenant de vingt à trente récits de rêve (de 10% à 15%), mais avec toutes sortes d'effilochures, pour un total de 206 entrées. Voilà qui n'avait aucun sens. Et cela n'en a toujours aucun : « Reves.ca » est aujourd'hui un épouvantable fouillis où n'importe qui enfourne n'importe quoi n'importe comment. Cela dit, avant de déclarer forfait, j'ai consacré quelques séances de mon séminaire (*), l'hiver suivant (soit en 2002-2003, la seconde année de la subvention) à étudier la banque de « Reves.ca » telle qu'elle se trouvait alors sur l'internet, avant même que Christian Vandendorpe n'y incorpore les récits de rêve que j'avais édités avec mes étudiants à Montréal.

« Reves.ca » en mars-avril 2003

      Mon séminaire étant consacré au récit de rêve, il s'agissait de savoir dans quelle mesure la banque mise en place à Ottawa pouvait contribuer à l'étude narrative du genre littéraire, premier objectif du travail de recherche. En quelque trois semaines, on a radiographié le corpus de « Reves.ca » pour en arriver à deux conclusions complémentaires que j'ai ensuite présentées plusieurs fois à mes collègues. La première, je l'ai dit, moins de 15% des textes de la banque était des récits de rêves au sens strict où nous l'entendions à Montréal (et moins de 20% au sens large de récit ou de narration, soit 36 entrées); moins de 50% présentait des éléments d'une structure narrative; et 30% échappait à la narration, dont 10% n'avait aucun rapport avec un rêve ou même avec le rêve. Bref, un fouillis.

      La seconde conclusion était abruptement négative : si aucune règle, aucun critère n'avait présidé à la mise en place du corpus d'Ottawa, si n'importe qui y avait mis n'importe quoi en présupposant que cela pouvait avoir rapport au rêve, il était impossible de faire l'inverse, à savoir de caractériser ce qui s'y trouvait. Il aurait pu se produire que les textes aient été choisis et retenus en fonction d'impératifs implicites, mais non moins rigoureux. Tel n'est pas le cas. C'est le syndrome du singe savant. Et la preuve en est qu'il est impossible de décrire le corpus en question.

Radiographie du corpus

      Pour mener à bien cette analyse, nous nous sommes partagé le corpus des 206 entrées de « Reves.ca », sur l'internet en mars 2003, selon les époques définies par la banque, soit 23 du Moyen Âge, 28 du XVIe au XVIIe siècle, 60 du XVIIIe, 78 du XIXe et 17 appartenant à la littérature québécoise (3). On a préparé le travail de classement en rassemblant pour notre usage les concepts qui pouvaient permettre d'évaluer la différence entre les histoires ou les récits et les non-récits. Il s'agit des formes du résumé ou du sommaire, de la séquence, de la tranche ou du fragment qui peuvent « représenter » une histoire (avec éventuellement une forme encore narrative); puis les concepts de sujet, de titre et de désignation de ces récits (alors atrophiés), notamment par l'évocation d'un personnage, d'un événement ou d'une situation. Pour notre travail, les deux concepts clés étaient le résumé et le récit lacunaire. On pose que le résumé d'une histoire s'obtient de manière rigoureuse par l'analyse événementielle et que, comme n'importe quel résumé, il peut être plus ou moins dense ou synthétique : lorsque le résumé d'une histoire peut être résumé à son tour, cela signifie qu'il raconte encore; lorsque tel n'est plus le cas, alors on considère qu'il s'agit d'une histoire minimale réalisée artificiellement, comme le linguiste produit les phrases minimales d'une langue (lorsqu'on ne peut plus rien soustraire à une phrase donnée sans qu'elle cesse d'être une phrase ou change de structure, procédure très simple et aujourd'hui très connue). Si l'on veut encore « résumer » cette histoire minimale, alors on cessera de la raconter pour la décrire (d'où l'ensemble des concepts décrivant les formes du non-récit : sommaire, sujet; personnage, situation ou événement principaux, etc.). Le récit lacunaire. Rien n'empêche, bien entendu, un récit d'être incomplet, lacunaire ou fragmentaire, s'agissant même d'une propriété du récit de rêve; mais pour notre usage, c'est la non-réalisation du récit qu'il s'agissait de pouvoir décrire et classer, le cas où les « fragments » du « récit lacunaire » ne sont plus que des îlots représentés par des éléments disparates, soit des éléments dont il est impossible de reconstituer les événements ou les situations d'où ils ont été tirés. Il suit que les effilochures de « Reves.ca » se trouveront dans l'ensemble, le vaste ensemble des prétendus récits de rêves qu'il est impossible de résumer et celles de ces entrées qui ne sont pas des histoires minimales, soit tous les cas où il est impossible de reconstituer une trame de l'histoire d'où les éléments devraient être extraits.

      Résultat ? Le travail préliminaire s'est avéré très intéressant en théorie, mais inutile en pratique. Les formes des effilochures de rêve, qui sont de l'ordre du non-récit, ne peuvent pas être classées de manière discrètes en catégories; chacun des participants du séminaire pouvait classer assez facilement sur une échelle continue tout ce qui n'avait aucun rapport ni avec un récit ni avec un rêve d'un côté jusqu'aux premiers récits lacunaires (mais récits tout de même) de l'autre, en passant par la simple évocation d'un rêve et les désignations du sujet ou de quelques éléments d'un rêve. Mais il a été impossible d'harmoniser ensuite collectivement ces résultats individuels sans reprendre toutes les entrées une à une pour chaque tranche en regard de chacune des autres. On a dû se contenter de classer les 206 entrées en sept degrés ou étapes. En revanche, c'est au cours de ce travail qu'il est apparu que la notion d'histoire minimale est extrêmement fragile en théorie et problématique en pratique.

      En théorie, une histoire articule deux concepts, l'événement et la situation, qui se définissent réciproquement, c'est-à-dire qu'un événement est un fait narratif fonctionnel qui change la situation en une autre (et inversement, la situation se définit comme l'état qui produit un événement qui la change en une autre, « la » change, car l'état est de ce fait une situation). Il devrait suivre que l'histoire sera composée d'au moins un événement et que ce sera alors l'histoire minimale (Hm = Si + E + Sf). C'est oublier que l'histoire événementielle est définie comme une suite d'événements qui fait évoluer la situation initiale vers et jusqu'à la situation finale. Mais alors, qu'est-ce qu'une « suite » d'événements ? Combien en faut-il pour créer une suite ? La réponse n'est pas « au moins deux », car elle se trouve dans la dynamique de l'enchaînement narratif qui conduit d'une situation initiale à une situation finale (pour cela, il faut distinguer deux sortes d'événement « unique » d'une histoire, soit l'événement nul (E0) et l'événement progressif (E1) propre à constituer à lui seul une suite, soit : H = Si + E0 + El + E2 + E3... + En + Sf). Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne s'agit pas là d'une donnée subjective qui dépendrait du jugement de l'auditeur ou de l'analyste. C'est au contraire une question de perception objective, d'analyse correcte du discours. Frédéric Canovas (4) n'a pas manqué de poser la question dans la justification de son corpus et de l'étudier en regard de la longueur des récits (p. 26-31). Dans le cas des oeuvres narratives en prose, les récits de rêve font en général au minimum une demi-page et au maximum cinq pages (c'est en quelque sorte la variance de la moyenne). Les allusions ou les descriptions succinctes ont bien entendu été écartées, alors que la question se pose de savoir distinguer « le récit de rêve bref de l'allusion au rêve » (p. 28). Frédéric Canovas étudie le discours narratifs, le récit de rêve, et non l'histoire ou l'histoire rêvée, mais il n'en propose pas moins une distinction opératoire. Récit bref et allusion : « Le premier, malgré sa brièveté, est constitué comme un mini-récit avec des personnages, des lieux, une action et un nombre limité mais substantiel de détails. Le second rapporte un rêve sous une forme condensée se limitant à évoquer le thème et/ou un motif du rêve » (p. 28). Suit l'exemple de l'épouse de César Birotteau qui constitue un exceptionnel récit minimum d'une seule phrase et qui ne saurait être confondu avec des formules « telles que les allusions de Pauline dans la Joie de vivre : "J'ai rêvé que ton Shopenhauer apprenait notre mariage dans l'autre monde, et qu'il revenait la nuit pour nous tirer par les pieds" (p. 124); "J'ai rêvé que je te prêtais tes douze mille francs" » (p. 29), etc. Il propose une solution théorique au problème et il la formule ainsi : « Nous pouvons avancer l'hypothèse qu'un énoncé devient récit de rêve dès qu'il se produit chez le lecteur un transfert, aussi éphémère soit-il, lors duquel l'univers diégétique de l'énoncé onirique éclipse, le temps de la lecture, celui du récit dans lequel il vient s'intercaler » (p. 31); « au contraire, les allusions aux rêves [...] ne fournissent qu'un nombre insuffisant d'éléments pour s'imposer au lecteur, même passagèrement, au détriment du récit principal » (p. 31). Et voilà une définition aussi rigoureuse qu'efficace. Elle repose sur la notion de niveau narratif.

      Ou bien le récit de rêve se donne comme tel et n'a alors qu'un niveau narratif (ce sont, par exemple, les récits de rêve surréalistes ou encore ceux que les bénévoles consignent dans leur cahier de rappels de rêve) ou bien il se trouve dans un autre discours, un essai sur le rêve ou un journal personnel, par exemple, ou encore dans un roman ou une autre forme narrative. Le rêve donné comme tel ne pose aucune difficulté, puisqu'il s'agit de récits de rêve bruts. Toutes les autres réalisations reposent par définition sur une distinction de niveaux narratifs : le récit de rêve est alors un récit de niveau intra-diégétique soit dans le récit principal (de niveau diégétique), soit à tout le moins dans le récit d'encadrement, le niveau méta-diégétique proprement dit. C'est le cas très fréquent de la présentation du type « j'ai fait le rêve que voici » et la clausule « c'est alors que je me suis réveillé », qui jouent le rôle d'incises narratives (exactement comme le « dit-il » du discours direct). Du point de vue de la substance narrative, le récit de rêve est alors une histoire dans l'histoire. Or, peu importe l'étendue du récit principal (ou du discours de présentation), celui-ci doit laisser sa place et toute la place au récit de rêve, une histoire de niveau intra-diégétique autonome. En pratique cela signifie que le récit de rêve doit pouvoir être raconté dans un autre contexte, c'est-à-dire sans le méta-discours où on l'a trouvé, et avoir toujours une forme narrative.

      On définit au contraire les effilochures de rêve comme des non-récits, c'est-à-dire des faits ou des événements qui ne changent pas le niveau narratif où ils se trouvent. Type : j'ai rêvé à mon ex-mari cette nuit [E1], ce qui m'a rappelé que je n'avais pas parlé à notre fils depuis un certain temps [E2], de sorte que je lui ai téléphoné ce midi pour avoir de ses nouvelles [E3]. Le « J'ai rêvé à mon ex-mari cette nuit » ne correspondra jamais à un niveau intra-marratif, bien entendu, sans s'organiser en une histoire (généralement [Sd] + Ex + Ey + Ez... + Ei + [Sf]), exactement comme la nuit et le réveil sont ici la situation initiale, d'une histoire de trois événements, avec sa situation finale (elle a parlé à son fils, en a eu de ses nouvelles).

      Et voilà qui caractérise et explique le fouillis de « Reves.ca » : ses réalisateurs n'ont pas fait la différence essentielle entre le passage d'un exposé ou d'une histoire où il est question de quelque façon d'un rêve (E1, ci-dessus) et le passage à un autre niveau, intra-discursif, qui laisse place au récit d'une histoire, à une autre histoire (Si + E1 + E2 + E3... + En + Sf).

      Alors voici pour commencer l'exemple qui nous servira d'exergue. On chercherait en vain un récit de rêve dans toute l'oeuvre de Samuel Beckett, tant le « genre » est contradictoire avec son contenu créaturel, qui mot à mot nous tient éveillé dans la réalité. Or, l'auteur lui-même a mis en scène le précepte dès le début de son oeuvre romanesque, dans Mercier et Camier où sur plusieurs pages Mercier tente d'intéresser Camier à un rêve qu'il voudrait bien lui raconter, alors que Camier veur alors lui expliquer pourquoi ils ont décidé de revenir en ville :

      J'ai fait un rêve étrange cette nuit, dit Mercier. Maintenant ça me revient.
      [...]
      J'étais dans un bois, avec ma grand-mère, dit Mercier. Je ne —.
      [...]
      Elle portait ses seins à la main, dit Mercier, elle les tenait par le téton, entre pouce et index. Mais, je ne —.
      Camier s'emporta [...].
      Mercier se défendit mollement.
      Tu me demandes des esplications, dit Camier. Je te les fournis. Tu ne m'écoutes pas.
      C'est que mon rêve m'avait repris, dit Mercier.
      Oui, dit Camier, au lieu de m'écouter tu ne penses qu'à me raconter ton rêve. Tu n'ignores pas cependant ce que nous avons arrêté à ce sujet : pas de récits de rêve, sous aucun prétexte (5).

On ne connaîtra donc pas le rêve de Mercier, qui se réduit à la situation particulièrement originale suivante : Camier marche en forêt avec sa grand-mère qui porte ses seins à la main, les tenant par le téton, où le caractère spectaculaire du « tableau » est précisément qu'il est impossible à visualiser et qu'il devrait très naturellement s'attirer les questions dont les réponses ne peuvent se trouver que dans l'histoire, le récit de rêve. Un auteur sans concession pour l'onirisme, un narrateur sans pitié pour son lecteur et un personnage obstiné à suivre les règles de la narration en cours et l'autre finalement docile, voilà ce qui nous vaut une des plus superbes effilochures de rêve qu'on pourra trouver dans la littérature française qui en compte pourtant des milliers, généralement sans intérêt, comme on va le voir à celles qui prennent place sans raison aucune dans la banque de Christian Vandendorpe à titre de « récits de rêve ».

      En mars 2003, « Reves.ca » ne contenait que 36 entrées (sur 206) racontant une histoire qui pouvait être résumée et qui constituait à proprement parler un récit de rêve. Ensuite, on a compté 33 histoires qui ne pouvaient être résumées, mais qu'on pouvait considérer comme des histoires minimales de facto (au sens donc où l'entendent les linguistes des phrases minimales d'une langue). C'est respectivement 0,1748 et 0,1602, soit une proportion de 0,3350 du corpus. Cela signifie qu'un tiers seulement des entrées de « Reves.ca » sont constituées de récits de rêve et qu'elles sont noyées dans un ramassis de non-récits qui n'ont évidemment pas leur place dans une banque de rêves.

      Pour notre travail de recherche sur les effilochures de rêve, l'intérêt est paradoxalement que 66% de la banque de « Reves.ca » (en 2003, car la proportion a augmenté depuis) soit... sans intérêt. On peut répartir ainsi les 137 entrées qui échappent au récit de rêve : 19 entrées (0,0922, environ 10%) sont des fragments ou de très brefs extraits de ce qui serait une trame narrative qui ne s'organise d'aucune manière [1]. Tout le reste échappe complètement à la narration : on ne trouve pas moins de 48 entrées (0,2330, c'est le quart du corpus) d'exposés sommaires portant sur des rêveries ou des rêves — et c'est une règle simple que de se prémunir contre le pluriel qui caractérise la réflexion sur le rêve et non le récit de rêve [2]; 21 entrées (0,1019) sont des évocations d'un rêve, voire de simples allusions à un rêve dont il n'est pas autrement question [3]. Dans 31 cas (0,1505) il s'agit soit du récit d'une histoire qui n'est pas un rêve ou encore, à l'inverse, d'un discours non narratif dont le thème tourne autour du rêve [4] : ce sont les entrées les plus surprenantes, d'abord parce qu'elles sont disparates, incongrues et vraiment inattendues dans un corpus de récits de rêve, ensuite parce qu'elles sont en conséquence inclassables et qu'elles sont donc les plus caractéristiques de l'opération « fouillis ». Restent enfin 18 entrées (0,0874) qui enregistrent des phénomènes qui non seulement ne sont ni des rêves ni des récits de rêve, mais des tableaux [5] ou des scènes [6] qui sont explicitement déclarés comme des visions ou des apparitions.

      Illustrons chacun de ces degrés de non-récit.

      [1] C'est d'abord l'accumulation d'éléments qui n'arrivent même pas à organiser une vision, mais qu'on peut présupposer extraits d'une histoire. Voici le cas limite où c'est la vision même qui doit être présupposée. Dans le Monde moral de l'Abbé Prévost, le père Célérier décrit un cauchemar d'où on a eu du mal à le réveiller. Non pas le cauchemar, mais l'état où il l'a laissé.

      Je m'endormis en effet; si l'état, où je passai, peut vous paroître un sommeil. Songe, ou vision terrible ! Dont je ne ferai jamais le récit tranquillement, quoique je sois condamné, par la justice du ciel, à porter jusqu'au tombeau cette image. Je vous épargne un détail qui vous glaceroit le sang. Je me l'épargne à moi-même, qui ne suis pas toujours sûr que mes forces y suffisent.

      Que vis-je ? Toutes les victimes de mon aveugle fureur et de ma cruelle tendresse, dans le plus horrible lieu dont la foi nous apprenne l'existence. Je les vis; je les reconnus. J'entendois leurs cris ! Elles m'appeloient par mon nom. Elles me reprochoient leurs tourmens. Elles m'annonçoient le même sort. Ajouterai-je que l'ardeur du cruel élément, qui les dévoroit, se fit sentir jusqu'à moi ? Songe ou vérité, dois-je répéter : mais l'impression en fut si vive et si pénétrante, que m'arrachant au sommeil, comme l'application d'un fer embrâsé, elle me fit pousser un cri fort aigu.

      Je demeurai dans un trouble, que je vous laisse à vous figurer. Mes gens, accourus au bruit, me trouvèrent baigné de sueur, tremblant, les yeux égarés, tenant un de mes rideaux des deux mains, comme le premier secours qui s'étoit offert. Mais, ce qui vous surprendra beaucoup, j'arrêtai leurs soins, je leur ordonnai même le silence; pour m'attacher, dans l'attitude où j'étois, au spectacle que j'avois encore devant les yeux, et contre l'horreur duquel leur présence sembloit me fortifier. Je prêtai l'oreille; j'observai ce qui me consternoit et me déchiroit le coeur; avec une attention obstinée, que je regarde aujourd'hui comme l'ouvrage du ciel, qui vouloit faire servir cette scène d'horreur au soutien, comme à la naissance de mes résolutions, en la gravant pour jamais dans ma mémoire. Elle disparut enfin. Mes domestiques prirent le désordre de mes sens et de mon imagination, pour un de mes accès ordinaires. En sortant de cette étrange extâse, je considérai mon songe, ou ma vision, avec un peu plus de liberté d'esprit; et le fruit de mes réflexions ne fut pas long-tems incertain. Il falloit, ou renoncer à tout sentiment de religion, ou se rendre à des éclaircissemens forcés, qui faisoient évanouir toutes mes fausses idées d'honneur (6).

Ce qui évoque la « vision terrible » se limite aux éléments suivants : je vois mes victimes et les victimes de mon destin en enfer, dont je sens la brûlure; je les entends se plaindre et me crier que j'aurai le même sort qu'eux. Si les lecteurs du roman peuvent identifier les victimes, ils seraient bien en peine de reconstituer la descente aux enfers. Or, si l'on relit le passage censé rapporter le cauchemar, on verra qu'il ne décrit même pas la vision de Célérier, ce qu'il voit, entend et ressent, mais simplement les effets de ces perceptions.

      [2] Évocations de rêves, le mot se trouvant au pluriel. On connaît tous l'ouverture de la Recherche du temps perdu de Proust, dont on sait qu'il ne s'agit pas d'un récit de rêve (on y reviendra plus bas). Voici un extrait de la Religieuse de Diderot.

      — Chère mère, que faites-vous ici à l'heure qu'il est ? Qu'est-ce qui peut vous avoir amenée ? Pourquoi ne dormez-vous pas ?

      — Je ne saurais dormir, me répondit-elle, je ne dormirai de longtemps. Ce sont des songes fâcheux qui me tourmentent; à peine ai-je les yeux fermés, que les peines que vous avez souffertes se retracent à mon imagination; je vous vois entre les mains de ces inhumaines, je vois vos cheveux épars sur votre visage; je vous vois les pieds ensanglantés, la torche au poing, la corde au cou, je crois qu'elles vont disposer de votre vie; je frissonne, je tremble, une sueur froide se répand sur tout mon corps; je veux aller à votre secours; je pousse des cris, je m'éveille, et c'est inutilement que j'attends que le sommeil revienne. Voilà ce qui m'est arrivé cette nuit. J'ai craint que le ciel ne m'annonçât quelque malheur arrivé à mon amie (7).

Comme dans le cas précédent, il n'y a aucun changement de niveau narratif; or, si le lecteur reconstruit le tableau d'une femme emprisonnée et tourmentée, comme cela ne peut manquer, évidemment, il le fait en dépit du contenu immédiat de la réplique qui dit explicitement que ce sont là des images et des sensations venues de divers songes. Voici maintenant, toujours chez Diderot, l'évocation d'une amusante situation, unique, choisie parmi « mille rêves ».

Mes nuits sont agitées de mille rêves bizarres : imaginez que l'avant-dernière je me croyais marié à Mme Rodier. Je n'ai jamais connu un pareil désespoir (8).

      [3] Évocations et allusions.

Toutes les nuits, dans ses rêves, il voyait la tête de Charlemagne, et, chaque fois qu'il voulait la saisir, elle se dérobait en ricanant (9).

La prière, Mendo, te délivrera de ces visions. Quand j'entrai dans les ordres, je voyais la nuit, dans mes rêves, l'image de ma cousine qui me disait de jeter mon froc, et de m'enfuir avec elle en Amérique. Le jeûne et la prière ont éloigné de moi pour toujours ces fantômes incommodes (10).

      Tu ne saurais croire, chère amie, à quels inconcevables mouvements je suis livré; la nuit, dans mes insomnies, j'embrasse mon lit avec convulsions d'amour en pensant à toi; dans mes rêves, je t'appelle, je te vois, je t'embrasse, je prononce ton nom, je voudrais me traîner dans la poussière de tes pieds, être une fois à toi, et mourir (11).

      Ce fut pour moi comme une seconde naissance; de tous les momens, celui du réveil étoit le plus rempli de charmes, parce que mon esprit me reportant souvent en Pologne pendant mes rêves, me trouver habitant de l'Amérique septentrionale, et citoyen de cet état, étoit une jouissance exquise et nouvelle (12).

Toute la nuit j'ai rêvé que je voyais Suzanne berçant une tête d'enfant qui lui ressemblait (13).

Le samedi soir, après avoir éteint la chandelle, elle s'était justement demandé ce qu'il arriverait, s'il la prenait ainsi; puis, en s'endormant, elle avait rêvé qu'elle ne disait plus non, toute lâche de plaisir. Pourquoi donc, à la même idée, aujourd'hui, éprouvait-elle une répugnance et comme un regret ? (14).

—— Elle rêve qu'elle compte s'abandonner à lui ? Mettons qu'elle rêve qu'elle s'abandonne, alors c'est déjà beaucoup plus jouissant ! Mais pas très narrant, ni même très figuratif en « imagerie »...

« Je t'ai rêvé cette nuit », me dit-elle; « il m'a semblé que nous allions être mariés. J'en étais ravie ! ». Sa main blanche pressa la mienne; sa bouche de rose me donna un baiser (15).

      Le commandeur m'a dit il y a quelques jours : l'état violent où sont les choses en France ne peut durer, et je suis persuadé que d'ici à un an vous serez dans votre château de Saint Alban; si cela est, je vous promets d'aller vous y faire une visite, avec ma soeur et ma nièce, et je suis bien sûr que nous y serons bien reçus. Vous devinez aisément ce que j'ai répondu; mais ce qui vous surprendra, c'est que depuis ce moment je vois souvent la contre-révolution faite, et cette nuit j'ai rêvé que la comtesse était chez moi; je la voyais dans ce grand appartement qui donne sur la terrasse; sa mère au rez de chaussée, ainsi que le commandeur. Le reveil a dissipé cette heureuse réunion de personnes qui me seront éternellement chères (16).

Il n'arrive pas à saisir la tête de Charlemagne qui ricane; une cousine lui propose de défroquer pour la suivre en Amérique; il se découvre habitant de l'Amérique septentrionale; et vraiment pathétique, comme « récit de rêve » choisi dans le cadre d'une recherche scientifique subventionnée du CRSH : il la découvre et l'embrasse (il aimerait se traîner à ses pieds, lui faire l'amour, et mourir) — franchement ! Il voit X bercer la tête d'un enfant qui ressemble à Y; Elle rêve qu'elle s'abandonne à lui. Puis, elle a rêvé de lui (là, comme histoire minimale, il faut l'avouer, c'est fort). Mieux encore ? La comtesse est chez lui, dans le grand appartement, sa mère et le commandeur au rez-de-chaussé. — Une « réunion de personnes » au château de Saint Alban, ce n'est même pas une image, mais le vague sentiment d'un bonheur ou plutôt son souvenir au réveil...

      Cela dit, il n'y a aucune raison de ne pas enfoncer le clou dans le cercueil de « Reves.ca ». Alors voici un dernier bel exemple, avec ses titre et sur-titre.

Rêves [sic, pluriel] d'un amant

Continuer le travail en dormant

      Je la priai d'approcher sa bouche de l'ouverture, et je respirai son haleine. Nous nous souhaitâmes avec peine le bon soir, pour nous endormir tous deux dans les songes les plus délicieux. Je rêvai de mon côté, que j'ouvrois le reste du mur, et que je pénétrois jusqu'à ma Julie, qui me recevoit dans ses bras (17).

Bref, il faut comprendre qu'il vient lui faire l'amour. Comme rêve érotique, on en aura vu de plus développé. N'empêche, le titre vaut son pesant de lourd comique, « continuer le travail en dormant ». Misère...

      [4] Discours non narratif sur le thème du rêve. Il est impossible de choisir un exemple caractéristique de ce degré de non-récit, car il représente la catégorie « divers », le n'importe quoi du fouillis. Allons-y de l'exemple suivant pris d'André Chénier.

      Et dormant ou veillant, moi je rêve toujours. Je dors. Mon esprit veille et poursuit son vol infat [fat (d'infatué, infatuer, « rendre sot, excessivement content de soi »)]. Tantôt il va fouler d'un pied fantastique l'herbe et les fleurs... tantôt il gravit la montagne, ou il traverse une forêt sombre et frémit de terreur en en mesurant la longue obscurité et s'inquiète de n'apercevoir sur le sable les traces d'aucun voyageur... tout à coup, emporté par un torrent écumeux, il roule avec lui de précipice en précipice au milieu des rochers; de là il est jeté dans une mer tumultueuse, il nage, il lutte contre ses vagues... des monstres, les requins dévorants et les vastes baleines, accourent autour de lui. Pour les fuir, il agite ses bras et ses pieds avec plus de force. Au milieu de ce travail, je me réveille trempé de sueurs; et mon coeur palpite encore du long effroi de ces monstres que j'ai vus en songe.

      Je dors; mais mon coeur veille, il est toujours à toi.

      Je te tiens, je sens ton sein, ta bouche, ta joue sous mes baisers..., ta peau voluptueuse... sous ma main chatouilleuse... mais bientôt des transports ennemis de la paix du sommeil me réveillent en sursaut et je trouve ma bouche collée sur l'oreiller que je presse dans mes bras. Car mes bras, doucement abusés par le songe, pressaient l'oreiller en croyant te presser toi-même.

Je dors, mais mon coeur veille; il est toujours à toi.
Un songe aux ailes d'or te descend près de moi.
Ton coeur bat sur le mien. Sous ma main chatouilleuse
tressaille et s'arrondit ta peau voluptueuse.
Des transports ennemis de la paix du sommeil
m'agitent tout à coup en un soudain réveil;
et seul, je trouve alors que ma bouche enflammée
crut, baisant l'oreiller, baiser ta bouche aimée;
et que mes bras, en songe allant te caresser,
ne pressaient que la plume en croyant te presser.
Et dormant ou veillant, moi je rêve toujours (18).

Bel exemple du « songe d'amour », exemple propre à illustrer que le genre médiéval n'est pas de l'ordre du récit de rêve : « Et dormant ou veillant, moi je rêve toujours. Je dors ». Avec l'amoureux oreiller, l'amoureuse-oreiller...

      [5] Tableau. Deux vers suffisent à illustrer ce qui n'est plus un degré, mais bien une catégorie.

Forcadin de fureur s'élance sur le bord;
Et du premier assaut met Berenger à mort.
L'aimable Berenger, pour qui sur la Durance,
Ormonde s'épuisoit de pleurs et de souffrance.
Tous les iours en esprit elle passoit la mer,
Sans aisles tous les iours elle voloit par l'air;
Et fidelle moitié d'une moitié fidelle,
N'ayant que son amour qui marchoit devant elle,
Dans l'Egypte elle alloit du brave Berenger,
Les travaux, les perils, les combats partager.
La nuit qui preceda sa derniere iournée,
Par un songe fatal au camp françois menée,
Elle vit son espoux sanglant et renversé,
Qui luy montroit son coeur d'une lance percé
.
D'une soudaine mort à ce triste presage,
Elle prevint son dueil et prevint son vevage :
Et son ame sortant en larmes par ses yeux,
À sa moitié s'alla name="r19" rejoindre dans les cieux (19).

      [6] Scène. C'est encore une catégorie. Aussi bien donner le meilleurs exemple de ce qui n'a rien à voir avec les grands tableaux des songes gréco-romains ou médiévaux. « Reves.ca » rivalisera toujours d'originalité dans l'ordre de l'improbable.

      Je fus examinée, et après le rapport fait, que j'étois agitée des mouvemens, dont j'ai parlé, ordinairement à jeun ou lorsque je commençois à manger, il fut conclu que le sentiment de mon pere l'emportoit sur les différentes inductions qu'on tira, et que dans un cas si extraordinaire et si pressant, il falloit avoir recours à l'incision, afin de me délivrer d'un être qui tôt ou tard me donneroit la mort. La famille et toute la maison fut effrayée de cette ordonnance; mon pere, après avoir essuyé ses pleurs, vint m'annoncer cette nouvelle, à laquelle il me prépara par tout ce que la religion et la raison ont de plus fort; j'avouërai naturellement que la fin de la conversation me fit frémir, puisqu'il étoit vrai que dans cette opération un rien étoit capable de m'ôter la vie. Je demandai la nuit pour me disposer à donner mon consentement : pour peu qu'on fasse de réfléxion à la situation où je me trouvai alors, l'on doit imaginer que je ne la passai pas tranquilement. Il étoit près du jour que je n'avois pas encore fermé l'oeil; cependant à force d'être accablée, je commençois à m'endormir lorsque je fus réveillée en sursaut par une voix qui me dit ces paroles : Lindamine, gardez-vous bien de consentir à l'opération, vous serez guérie avant deux mois. Je fus si effrayée de ce discours, qu'une sueur froide me couvrit le visage; j'apellai à mon secours de toutes mes forces mon pere, dont la chambre étoit voisine de la mienne; il se leva et vint aprendre la cause de mes cris; je lui racontai ce qui m'étoit arrivé; il fit tout ce qu'il pût pour me remettre, et pour me persuader que dans l'inquiétude où je m'étois couchée, il n'étoit pas surprenant que les vapeurs d'un sommeil si justement agité eussent produit un songe qui paroissoit d'autant plus signifier qu'il étoit enfanté par la crainte de l'ame qui tremble perpétuellement pour la dissolution du corps: pour apuyer cette raison, il me rapella ce que j'avois lû cent fois dans nos traitez, qui est, lorsque la tête est échauffée par les vapeurs subtiles portées dans le cerveau par une fiévre ardente, il s'y produit un tel dérangement et une telle confusion dans les parties voisines de la glande que nous nommons pinéale qu'elle conçoit les objets si différens de ce qu'ils sont, que non-seulement elle les representent tels à l'imagination prévenuë, mais même à nos yeux : il arrive encore que les oreilles semblent entendre, en veillant même, des discours seuls formez par le déréglement du cerveau (20).

Ouf !

      Oui, comme on le voit, la radiographie du corpus de « Reves.ca » aura permis d'illustrer quelles formes peut prendre le non-récit de rêve, mais cette banque n'est manifestement pas propre à les étudier. On inversera donc maintenant l'analyse, pour montrer le caractère incongru d'une banque de « récits de rêve », voire de « rêves », qui s'amuse aux effilochures sans le savoir.

Les effilochures proustiennes

      Dans l'oeuvre de Marcel Proust, on trouve cinq récits de rêves, soit celui de Jean Santeuil et celui de Swann, qui le réécrit et l'approfondit; puis le rêve de Saint-Loup dans le Côté de Guermantes et les deux récits où Marcel rêve de sa grand-mère dans Sodome et Gomorrhe. RRR édite également trois passages parce qu'ils sont retenus et étudiés par Frédéric Canovas et c'est pour les écarter explicitement du recueil des récits de rêve (on les retrouve, évidemment, sans ces précisions dans « Reves.ca ») : les célèbres évocations de rêves à l'incipit de la Recherche, puis deux extraits sur les siestes et le sommeil et les rêves de Marcel à Doncière et à Paris, respectivement dans Du côté de chez Swann et le Côté de Guermantes.

      « Rêves.ca » amalgame pas moins de quatorze entrées supposées correspondre à autant de récits de rêve dans l'oeuvre de Proust. Un seul des non-récits ajoutés dans la banque est explicitement désigné comme un rêve : il s'agit d'un tableau, celui du paysage gothique de Venise (fiche no 421), sans rapport avec un récit de rêve. Dans les autres cas (sauf un), il ne s'agit même pas de rêve.

Puis il arriva que sur le côté de Guermantes je passai parfois devant de petits enclos humides où montaient des grappes de fleurs sombres. Je m'arrêtais, croyant acquérir une notion précieuse, car il me semblait avoir sous les yeux un fragment de cette région fluviatile que je désirais tant connaître depuis que je l'avais vue décrite par un de mes écrivains préférés. Et ce fut avec elle, avec son sol imaginaire traversé de cours d'eau bouillonnants, que Guermantes, changeant d'aspect dans ma pensée, s'identifia, quand j'eus entendu le docteur Percepied nous parler des fleurs et des belles eaux vives qu'il y avait dans le parc du château. Je rêvais que Mme de Guermantes m'y faisait venir, éprise pour moi d'un soudain caprice; tout le jour elle y pêchait la truite avec moi. Et le soir me tenant par la main, en passant devant les petits jardins de ses vassaux, elle me montrait le long des murs bas, les fleurs qui y appuient leurs quenouilles violettes et rouges et m'apprenait leurs noms. Elle me faisait lui dire le sujet des poèmes que j'avais l'intention de composer. Et ces rêves m'avertissaient que puisque je voulais un jour être un écrivain, il était temps de savoir ce que je comptais écrire (21).

Pas besoin d'étudier ce texte bien longtemps pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'un rêve, ni de rêves, mais bien de rêveries de Marcel : « je rêvais que... » et « ces rêves m'avertissaient... ». Titre donné au texte par « Reves.ca » : Pêche à la truite ! Comme le ridicule ne tue presque plus, allons-y d'une seconde entrée de « Reves.ca ».

Je serais peut-être dès lors retourné chez Mme Swann sans un rêve que je fis et où un de mes amis, lequel n'était pourtant pas de ceux que je me connaissais, agissait envers moi avec la plus grande fausseté et croyait à la mienne. Brusquement réveillé par la souffrance que venait de me causer ce rêve et voyant qu'elle persistait, je repensai à lui, cherchai à me rappeler quel était l'ami que j'avais vu en dormant et dont le nom espagnol n'était déjà plus distinct. À la fois Joseph et Pharaon, je me mis à interpréter mon rêve. Je savais que dans beaucoup d'entre eux il ne faut tenir compte ni de l'apparence des personnes, lesquelles peuvent être déguisées et avoir interchangé leurs visages, comme ces saints mutilés des cathédrales que des archéologues ignorants ont refaits, en mettant sur le corps de l'un la tête de l'autre, et en mêlant les attributs et les noms. Ceux que les êtres portent dans un rêve peuvent nous abuser. La personne que nous aimons doit y être reconnue seulement à la force de la douleur éprouvée. La mienne m'apprit que devenue pendant mon sommeil un jeune homme, la personne dont la fausseté récente me faisait encore mal était Gilberte. Je me rappelai alors que, la dernière fois que je l'avais vue, le jour où sa mère l'avait empêchée d'aller à une matinée de danse, elle avait soit sincèrement soit en le feignant, refusé tout en riant d'une façon étrange, de croire à mes bonnes intentions pour elle. Par association, ce souvenir en ramena un autre dans ma mémoire. Longtemps auparavant, ç'avait été Swann qui n'avait pas voulu croire à ma sincérité, ni que je fusse un bon ami pour Gilberte. Inutilement je lui avais écrit, Gilberte m'avait rapporté ma lettre et me l'avait rendue avec le même rire incompréhensible. Elle ne me l'avait pas rendue tout de suite, je me rappelai toute la scène derrière le massif de lauriers. On devient moral dès qu'on est malheureux. L'antipathie actuelle de Gilberte pour moi me sembla comme un châtiment infligé par la vie à cause de la conduite que j'avais eue ce jour-là (22).

Le plaisantin qui a enregistré ce passage dans « Reves.ca » commente : « Ce rêve convaincra le narrateur que Gilberte ne l'aime pas et il prendra la résolution de ne plus la revoir ». Ce rêve ? Mais quel rêve ? Ah oui, Marcel fait un rêve « où un de [ses] amis [...] agissait envers [lui] avec la plus grande fausseté et croyait à la [sienne] »... Nous ne trouvons pas là, disons-le, un très substantiel récit. Ces confusions pourraient être de simples inadvertances d'auxiliaires de recherche si elles ne finissaient par compter 14 récits de rêve dans l'oeuvre de Proust où il s'en trouve cinq (peut-être six si l'extrait intitulé « Rêve », pris dans les Plaisirs et les jours en est bien un : Paris, Gallimard, 1924; fiche no 569). Dès lors, c'est la question inverse qui doit être posée. En effet, ces deux exemples ne peuvent même pas être considés comme des effilochures de rêve, puisqu'ils ne correspondent nullement au phénomène de l'expérience onirique. Or, face à ces quelques passages incongrus, je peux sur l'heure en trouver plusieurs autres — et beaucoup plus significatifs et intéressants, s'il s'agissait d'étudier le rappel avorté du rêve.

      Le TLF compte 221 occurrences du vocable « rêve » dans l'oeuvre de Proust et 35 du vocable « songe », tandis qu'on rencontre 26 occurrences du syntagme « rêver + que » (je rêvai que, il rêva que, etc.). Si « Reves.ca » tient vraiment aux effilochures, alors voilà une mine d'information pas mal plus pertinentes que les entrées qu'il a retenues tout à fait arbitrairement, où de vagues effilochures se perdent dans de long discours à propos du rêve ou de la rêverie. Ce sera pour le moins de bonnes évocations, désignations, brefs rappels, sommaires succincts, etc., de rêves donnés, lorsque ce ne sont pas des exemples explicitement désignés, présenté et analysés comme des effilochures de rêve. Et cela se trouve dans l'oeuvre de nul autre que Proust.

(1) Et comme le rêve d'une femme qui m'aurait aimé était toujours présent à ma pensée, ces étés-là ce rêve fut imprégné de la fraîcheur des eaux courantes; et quelle que fût la femme que j'évoquais, des grappes de fleurs violettes et rougeâtre s'élevaient aussitôt de chaque côté d'elle comme des couleurs complémentaires (Swann, p. 86)

(2) ...elle s'éveilla et tourna à demi son visage que je pus voir alors; il exprimait une sorte de terreur; elle venait évidemment d'avoir un rêve affreux [...]; mais déjà elle semblait revenue au sentiment de la réalité et avait reconnu le mensonge des visions qui l'avaient effrayée; un sourire de joie, de pieuse reconnaissance envers Dieu qui permet que la vie soit moins cruelles que les rêves, éclaira faiblement son visage, et avec cette habitude qu'elle avait prise de se parler à mi-voix à elle-même quand elle se croyait seule, elle murmura : « Dieu soit loué ! Nous n'avons comme tracas que la fille de cuisine qui accouche. Voilà-t-il pas que je rêvais que mon pauvre Octave était ressuscité et qu'il voulait me faire faire une promenade tous les jours !... » (Swann, p. 110).

(3) Mais il arrivait qu'en dormant l'intention du voyage renaissait en lui — sans qu'il se rappelât que ce voyage était impossible — et elle s'y réalisait. Un jour il rêva qu'il partait pour un an; penché à la portière du wagon vers un jeune homme qui sur le quai lui disait adieu en pleurant, Swann cherchait à le convaincre de partir avec lui. Le train s'ébranlant, l'anxiété le réveilla, il se rappela qu'il ne partait pas, qu'il verrait Odette ce soir, le lendemain et presque chaque jour. Alors, encore tout ému de son rêve, il bénit les circonstances particulières qui le rendaient indépendant... [...] il songea [...] que ce rêve dont l'effroi était encore proche aurait pu être vrai... (Swann, p. 354).

(4) ... tous ces mystères que nous croyons reconnaître et auxquels nous sommes en réalité initiés presque toutes les nuits, ainsi qu'à l'autre grand mystère de l'anéantissement et de la résurrection. Rendue vagabonde par la digestion difficile du dîner de Rivebelle, l'illumination successive et errante de zones assombries de mon passé faisait de moi un être dont le suprême bonheur eût été de rencontrer Legrandin avec lequel je venais de causer en rêve. Puis, même ma propre vie m'était entièrement cachée par un décor nouveau, comme celui planté tout au bord du plateau et devant lequel, pendant que, derrière, on procède aux changements de tableaux, des acteurs donnent un divertissement. Celui où je tenais alors mon rôle était dans le goût des contes orientaux, je n'y savais rien de mon passé ni de moi-même à cause de cet extrême rapprochement d'un décor interposé; je n'étais qu'un personnage qui recevais la bastonnade et subissais des châtiments variés pour une faute que je n'apercevais pas, mais qui était d'avoir bu trop de porto. Tout à coup je m'éveillais... (Ombre, p. 820).

(5) ... Tout un promontoire du monde inaccessible surgit alors de l'éclairage du songe, et entre dans notre vie, dans notre vie où comme le dormeur éveillé nous voyons les personnes dont nous avions si ardemment rêvé que nous avions cru que nous ne les verrions jamais qu'en rêve (Ombre, p. 865).

(6) Mes rêves de jeune vierge féodale dans une île brumeuse avaient frayé le chemin à un amour encore inexistant (Ombre, p. 393).

(7) [En promenade à Carqueville avec Mme De Villeparisis, Marcel se demande où il a déjà vu ces paysages]. Fallait-il croire qu'ils venaient d'années déjà si lointaines de ma vie que le paysage qui les entourait avait été entièrement aboli dans ma mémoire et que, comme ces pages qu'on est tout d'un coup ému de retrouver dans un ouvrage qu'on s'imaginait n'avoir jamais lu, ils surnageaient seuls du livre oublié de ma première enfance ? N'appartenaient-ils au contraire qu'à ces paysages du rêve, toujours les mêmes, du moins pour moi en qui leur aspect étrange n'était que l'objectivation dans mon sommeil de l'effort que je faisais pendant la veille, soit pour atteindre le mystère dans un lieu derrière l'apparence duquel je le pressentais, comme cela m'était arrivé si souvent du côté de Guermantes, soit pour essayer de le réintroduire dans un lieu que j'avais désiré connaître et qui, du jour où je l'avais connu, m'avait paru tout superficiel, comme Balbec ? N'étaient-ils qu'une image toute nouvelle détachée d'un rêve de la nuit précédente, mais déjà si effacée qu'elle me semblait venir de beaucoup plus loin ? (Ombre, p. 718).

(8) ... comme ma mère, dans les moments de désespoir où elle fut incapable de se représenter jamais ma grand'mère (sauf une fois dans la rencontre fortuite d'un rêve dont elle sentit tellement le prix, quoique endormie, qu'elle s'efforça, avec ce qui lui restait de forces dans le sommeil, de le faire durer), aurait pu s'accuser et s'accusait en effet de ne pas regretter sa mère dont la mort la tuait, mais dont les traits se dérobaient à son souvenir... (Fugit, p. 466).

(9) D'autres fois Albertine se trouvait dans mon rêve, et voulait de nouveau me quitter, sans que sa résolution parvînt à m'émouvoir. C'est que de ma mémoire avait pu filtrer dans l'obscurité de mon sommeil un rayon avertisseur, et ce qui, logé en Albertine, ôtait à ses actes futurs, au départ qu'elle annonçait toute importance, c'était l'idée qu'elle était morte. Mais souvent même plus clair, ce souvenir qu'Albertine était morte se combinait sans la détruire avec la sensation qu'elle était vivante. Je causais avec elle, pendant que je parlais ma grand'mère allait et venait dans le fond de la chambre. Une partie de son menton était tombée en miettes comme un marbre rongé, mais je ne trouvais à cela rien d'extraordinaire. Je disais à Albertine que j'aurais des questions à lui poser relativement à l'établissement de douches de Balbec et à une certaine blanchisseuse de Touraine, mais je remettais cela à plus tard puisque nous avions tout le temps et que rien ne pressait plus. Elle me promettait qu'elle ne faisait rien de mal et qu'elle avait seulement la veille embrassé sur les lèvres Mlle Vinteuil. « Comment ? Elle est ici ? — Oui, il est même temps que je vous quitte, car je dois aller la voir tout à l'heure ». Et comme depuis qu'Albertine était morte je ne la tenais plus prisonnière chez moi comme dans les derniers temps de sa vie, sa visite à Mlle Vinteuil m'inquiétait. Je ne voulais pas le laisser voir. Albertine me disait qu'elle n'avait fait que l'embrasser, mais elle devait recommencer à mentir comme au temps où elle niait tout. Tout à l'heure elle ne se contenterait probablement pas d'embrasser Mlle Vinteuil. Sans doute à un certain point de vue j'avais tort de m'en inquiéter ainsi, puisque, à ce qu'on dit, les morts ne peuvent rien sentir, rien faire. On le dit, mais cela n'empêchait pas que ma grand'mère qui était morte continuait pourtant à vivre depuis plusieurs années, et en ce moment allait et venait dans la chambre. Et sans doute, une fois que j'étais réveillé, cette idée d'une morte qui continue à vivre aurait dû me devenir aussi impossible à comprendre qu'elle me l'est à l'expliquer. Mais je l'avais déjà formée tant de fois, au cours de ces périodes passagères de folie que sont nos rêves, que j'avais fini par me familiariser avec elle; la mémoire des rêves peut devenir durable, s'ils se répètent assez souvent. Et j'imagine que, même s'il est aujourd'hui guéri et revenu à la raison, cet homme doit comprendre un peu mieux que les autres ce qu'il voulait dire au cours d'une période pourtant révolue de sa vie mentale, qui voulant expliquer à des visiteurs d'un hôpital d'aliénés qu'il n'était pas lui-même déraisonnable, malgré ce que prétendait le docteur, mettait en regard de sa saine mentalité les folles chimères de chacun des malades, concluant : « ainsi celui-là qui a l'air pareil à tout le monde, vous ne le croiriez pas fou, eh bien ! Il l'est, il croit qu'il est Jésus-Christ, et cela ne peut pas être, puisque Jésus-Christ c'est moi ! ». Et longtemps après mon rêve fini, je restais tourmenté de ce baiser qu'Albertine m'avait dit avoir donné en des paroles que je croyais entendre encore, etc. (Fugit, p. 539).

(10) Le surlendemain matin je me réjouis que Bergotte fût un grand admirateur de mon article, qu'il n'avait pu lire sans envie. Pourtant au bout d'un moment ma joie tomba. En effet Bergotte ne m'avait absolument rien écrit. Je m'étais seulement demandé s'il eût aimé cet article, en craignant que non. À cette question que je me posais, Mme De Forcheville m'avait répondu qu'il l'admirait infiniment, le trouvait d'un grand écrivain. Mais elle me l'avait dit pendant que je dormais : c'était un rêve. Presque tous répondent aux questions que nous nous posons par des affirmations complexes, mises en scène à plusieurs personnages, mais qui n'ont pas de lendemain (Fugit, p. 591).

(11) ... comme nous le sommes dans ces rêves où nous souffrons de ne pas trouver dans sa maison vide une personne que nous avons bien connue dans la vie mais qui peut-être en est ici une autre et a seulement emprunté les traits d'un autre personnage, incertaine comme nous le sommes plus encore après le réveil quand nous cherchons à identifier tel ou tel détail de notre rêve. Quel air avait notre amie en nous disant cela ? N'avait-elle pas l'air heureux, ne sifflait-elle même pas, ce qu'elle ne fait que quand elle a quelque pensée amoureuse et que notre présence l'importune et l'irrite ? Ne nous a-t-elle pas dit une chose qui se trouve en contradiction avec ce qu'elle nous affirme maintenant, qu'elle connaît ou ne connaît pas telle personne ? Nous ne le savons pas, nous ne le saurons jamais; nous nous acharnons à chercher les débris inconsistants d'un rêve, et pendant ce temps notre vie avec notre maîtresse continue, notre vie distraite devant ce que nous ignorons être important pour nous, attentive à ce qui ne l'est peut-être pas, encauchemardée par des êtres qui sont sans rapports réels avec nous, pleine d'oublis, de lacunes, d'anxiétés vaines, notre vie pareille à un songe (Priso, p. 147.

(12) Le valet de chambre entrait. Je ne lui disais pas que j'avais sonné plusieurs fois, car je me rendais compte que je n'avais fait jusque-là que le rêve que je sonnais. J'étais effrayé pourtant de penser que ce rêve avait eu la netteté de la connaissance. La connaissance aurait-elle, réciproquement, l'irréalité du rêve ? En revanche, je lui demandais qui avait tant sonné cette nuit. Il me disait : personne, et pouvait l'affirmer, car le « tableau » des sonneries eût marqué. Pourtant j'entendais les coups répétés, presque furieux, qui vibraient encore dans mon oreille et devaient me rester perceptibles pendant plusieurs jours. Il est pourtant rare que le sommeil jette ainsi dans la vie éveillée des souvenirs qui ne meurent pas avec lui. On peut compter ces aérolithes. Si c'est une idée que le sommeil a forgée, elle se dissocie très vite en fragments ténus, irretrouvables. Mais, là, le sommeil avait fabriqué des sons. Plus matériels et plus simples, ils duraient davantage (Sodo, p. 985-986). [Suit le fragment de rêve où Charlus à 110 ans gifle sa propre mère, effilochure retenu par « Reve.ca » (fiche no 78), mais pas celle-ci, qui porte explicitement sur le mécanisme de l'« effilochure »] (23).

      Bref, on le voit bien, il faut choisir. Ou bien on étudie le récit de rêve et, dans ce cas, on s'en tient aux cinq ou six rêves dans l'oeuvre de Proust, avec le tableau gothique vénitien (si l'on tient à illustrer les avatars du rêve médiéval dans la littérature moderne) — puisque l'auteur aura été le premier romancier moderne, contemporain de Freud, à mettre en scène le récit de l'histoire rêvée moderne, du rêve de Santeuil au rêve de Swann, avec un étonnant réalisme psychologique. Ou bien encore on s'intéresse aux effilochures de rêve dans son oeuvre, qu'il a magistralement illustrées. La banque de « Reves.ca » ne permet évidemment pas, comme on le voit, de faire ni l'un ni l'autre. Il ne s'agit pas d'un corpus justifié qui pourrait être la base d'un travail scientifique.

Les analyses de « Reves.ca » par C. Vandendorpe et A. Zadra

      Deux articles à ce jour ont été rédigés en se fondant sur le corpus de « Reves.ca ». Ils encadrent le recueil des actes du colloque (24) dont j'étais responsable à Montréal au printemps 2004 et que Christian Vandendorpe s'est accaparé pour en faire sa chose. Peu importe ici. La communication de C. Vandendorpe se trouve en tête du recueil, après l'article liminaire de Pierre Pachet. Elle consiste, purement et simplement, à reprendre les idées depuis longtemps exposées par la psychologie cognitive, celle de Jacques Montangero par exemple (qui n'est pas cité en bibliographie de l'article), pour les illustrer d'exemple pris n'importe où et sans analyse de « Reves.ca », et les appliquer à ce qui est censé être le « récit de rêve littéraire ». Cela dit, ces généralités sont doublées de formules lapidaires, dont on peut je crois évaluer ici, maintenant, l'insondable, du genre : « le récit de rêve n'est pas seulement une entité problématique parce qu'il existe beaucoup de ces histoires à peine esquissées et qui tiennent en une phrase » (p. 37). La « phrase » (c'est le cas de le dire), un peu boiteuse, confond clairement le récit de rêve et les effilochures, celles-ci amalgamées aux « images » du « processus imageant » ! Cela dit, c'est le manque de méthode qui surprend : « en consultant la banque de récits [sic] www.reves.ca, on constate que la plupart des récits [sic] publiés depuis un siècle et demi présentent des caractéristiques communes. Au plan de la structure, ils consistent en un ou plusieurs segments qu'on peut aussi appeler des scènes ou des tableaux, car le rêve est souvent comparé à un drame » (p. 39). Produire un tel amalgame en un tout petit alinéa de cinq lignes relève évidemment du tour de force. Scènes et tableaux sont deux formes de récit (dialogue et description, par exemple); le drame (surtout chez Jung) correspond à un scénario (suite d'événements, par exemple); or, figurez-vous, les effilochures de « Reves.ca » (il s'agit de 60% des entrées) correspondent pour Christian Vandendorpe, au plan de la structure à « un ou plusieurs segments » de cette nature (scènes et/ou tableaux = drames) !

      Cela ne s'arrange pas, malheureusement, avec l'article d'Élisabeth Décary et d'Antonio Zadra, qui a été ajouté aux actes du colloque et que je n'avais jamais lu avant la publication. Si tel avait été le cas, je suis persuadé que l'article ne serait jamais paru. Du moins si je fais confiance à mes collègues de psychologie. Du début à la fin de l'article, Décary et Zadra parlent du « récit de rêves littéraires » (dès le titre de leur article), comme si cela ne correspondait pas à moins de 40% de leur corpus, « Reves.ca », qu'ils n'interrogent d'ailleurs jamais. Lorsqu'ils parlent du « rêve littéraire au Moyen Âge », nous devons traduire : ce qui est représenté ainsi dans « Reves.ca » au printemps 2004, soit pour l'essentiel des rêves pris des épopées et d'un seul roman populaire (un des quatre tomes du Livre de Graal); même chose en ce qui concerne le récit de rêve de la littérature moderne, où mon corpus est noyé dans les effilochures — alors qu'il était à l'origine clairement discriminé, comme on le voit sur RRR. Il est donc surprenant de voir appliquer à cet ensemble disparate quelques critères d'une des variantes de la bonne vieille grille de C. S. Hall et R. L. Van de Castle, puisque son premier impératif a toujours été d'être ajustée aux corpus en cause (en fait, chez Hall et Castle, c'est le corpus qui permettait de produire le questionnaire). Cela me paraît tout à fait impertinent. Et s'il fallait le faire pour voir ce que cela donnerait, alors c'est inutile, car je le sais d'avance : rien du tout, sauf à discréditer la variante en cause de la gille de Hall et de Van de Castle. Je suis vraiment surpris de voir, en psychologie, une analyse d'effilochures de rêves distribuer des émotions que l'on classe en positives et négatives, pour les énumérer globalement sous la forme de la peur, du désespoir, de la détresse, de la tristesse, de la solitude, etc. Avec des déclarations comme celle-ci : « la joie est, de toutes les émotions positives, la plus exploitées dans les rêves littéraires. En effet, évoquée dans 13% de l'ensemble des rêves à l'étude, elle compte pour 48% des émotions positives rapportées » (p. 345). Alors, qu'est-ce que la joie ? c'est la joie, la jouissance, le contentement, le soulagement, le fait de se sentir renaître, la tendresse, le fait d'être ému ou ébloui. Et cela s'oppose à la curiosité, à la surprise, au calme et à... l'excitation, qui sont les autres émotions positives. Au total, les récits et effilochures de rêves amalgamés dans « Reves.ca » comportent une fois sur deux des émotions négatives (contre un tiers seulement dans les rappels de rêves obtenus par questionnaires le matin, au réveil); un tiers sont affectés d'émotions positives (pour 18% des rappels). Bref, les effilochures seraient deux fois plus émotives que les rappels, mais exactement dans la même proportion.

      Rapports personnels agressif ou amical, malchance ou chance et échec et succès : dans tous les cas, les récits et effilochures de rêves seraient négatifs. Or, ces catégories ne se comportent pas de manière comparable ni dans les entrées de « Reves.ca » ni dans les rappels de rêves. Échec/succès concernent moins de 5% des données et les interactions près de 50%; tandis que la malchance et la chance entremêlent des données qui affectent respectivement plus de 50% et moins de 5% des cas. Et effectivement, la définition restrictive de la chance est celle d'un gain (p. 351), tandis que la malchance a un très vaste répertoire qui correspond aux diverses mésaventures (p. 352) : les réponses se trouvent donc dans la question (on n'a même pas besoin d'un test de distribution statistique pour voir que les écarts ne sont pas significatifs ni entre chance/malchance, ni entre « Reves.ca » / rappels).

      Par ailleurs, il y a évidemment anachronisme à comparer les personnages de spectres, anges, Dieu et diable dans des effilochures qui remontent au Moyen Âge avec des rappels contemporains (banque de rappels incidemment jamais décrite dans l'article).

      Restent donc les « catégories de rêves » qui ne sont nulle part définies et ne sont pas hétérogènes : prémonitoire, cauchemar, lucide et récurrent. Mais peu importe ici les résultats, car rien de cela ne peut s'appliquer à des effilochures. Or, c'est ici qu'Élisabeth Décary et Antonio Zadra paraissent tirer leurs conclusions les plus spectaculaires, du moins en ce qui concerne le rêve prémonitoire ou paranormal et le cauchemar. Mais « Reves.ca » n'y est pour rien : il s'agit tout simplement de la différence entre le songe et le rêve : le premier, au Moyen Âge et en période classique, est précisément caractérisé par le fait qu'il s'agit de ce que l'on coderait aujourd'hui comme un cauchemar et qu'il est prémonitoire ou du moins visionnaire. On sait cela depuis longtemps. Heureusement l'analyse ne le contredit pas ! Il suit (et reste) que les effilochures de « Reves.ca » évoquent deux fois plus souvent le cauchemar que les rappels (mais pas trois fois plus). Il est possible que ce soit vrai pour le rêve littéraire, mais cela reste à voir, comme toutes les propositions de l'article : sans compter que dans ce cas, la définition même du cauchemar est problématique, surtout qu'elle est amalgamée avec le mauvais rêve, ce qui enlève beaucoup de rigueur à l'évaluation.

      Que penser de psychologues qui confondent les récits de rêve et les effilochures ? De littéraires qui proposent un corpus de récits de rêve et y entremêlent plus de 60 % d'effilochures ? Non : que penser de chercheurs qui ont résisté durant trois ans à l'analyse qui s'achève ici ? Je crois que la réponse tient aux idées dites préconçues. C'est la conviction, les convictions qui présupposent que l'objet d'étude qu'on s'est choisi (le rêve ou le rêve littéraire) doit forcément résister aux simplifications.

      L'étude narrative du récit de rêve n'est pas difficile et conduit à des conclusions d'une simplicité désarmante. Et ensuite, forcément, à des questions tout aussi simples qu'il est impossible d'esquiver. Et cela commence avec les définitions et les désignations claires des concepts et des objets à l'étude. Rêves, récits de rêve et récits de rêve littéraires ne sauraient être confondus avec les innombrables effilochures multiformes qui surnagent à nos nuits de sommeil.

      Soyons sérieux et concluons avec humour. Nous savons tous, puisque c'est la loi de leur art et de leurs sciences, que les archéologues doivent presque toujours composer avec des miettes, des morceaux, des parcelles, des bouts, bref des effilochures. Qu'un ethnologue, en face d'un peuple bien vivant, s'amuse à étudier leurs restes pour reconstituer leurs vêtements, leur alimentation, leur mode de vie (sauf, bien entendu, comme je l'ai suggéré ici, s'il s'agissait d'étudier ce que ces individus rejettent ou ce qui surnagent de leurs activités), on le trouverait vraiment bizarrre. Voir Christian Vandendorpe et Antonio Zadra se lancer dans l'étude des miettes du rêve (sans avoir jamais eu l'intention de les étudier comme telles), c'est bizarre.

      Bizarre. Ils rêvent. Est-ce que je peux compter les avoir réveillés ? On ne s'esquive pas à ce qui est écrit noir sur blanc, parfois souligné en rouge, et du domaine public. J'ai hâte, nous avons tous hâtes de les lire à ce sujet. Mais, s'il ne faut pas trop compter là-dessus, nous pouvons d'ores et déjà les remercier, puisque l'inconscient de leurs positions intenables est un important sujet de recherche, les effilochures de rêves.

Notes

(*) Mae-Lyna Beaubrun, Nicolas Doire, Dominique Garou, Imen Guesmi, Marie-Hélène Larochelle, Maria Popica et Marie-Ève St-Pierre ont participé à ce travail dans le cadre de mon séminaire sur le récit de rêve au cours de l'hiver 2003. À ce moment, « Reves.ca » classait ses entrées par périodes (les entrées du Moyen Âge, de 1500-1700, du XVIIIe, etc.), numérotation refaite de manière continue au cours de l'été 2004. Je devais donc retrouver dans l'état actuel de « Reves.ca » (au printemps 2010) les citations de leurs rapports de recherche faites avec les références de 2003. Dans quelques cas, cela n'a pas été sans peine, et parfois, impossible. Ponson du Terrail, par exemple, est apparemment disparu de « Reves.ca ». Cela dit, si je remercie tous ces participants attentifs et passionnés, je dois préciser que le sommaire de nos travaux qu'on lira ici n'engage que moi.

(1) La Banque des rêves : essai d'anthropologie du rêveur contemporain, Paris, Payot, 1979, 259 p.

(2) Les récits de rêve qui survivent au jour qui suit le réveil sont généralement assez rares pour être de ce fait exceptionnels, sauf dans une certaine mesure pour les cauchemars, ce qui ne tient pas au rêve ou à l'histoire rêvée, mais au sommeil, au réveil et à la peur, à l'angoisse ou à l'anxiété qui les accompagnent. Jusqu'à mieux informé, il apparaît que les cauchemars et les mauvais rêves ne présentent aucune forme narrative particulière.

(3) « Reves.ca » ne comprenait alors que des extraits de langue française (sauf peut-être dans la catégorie « Documents non classés » que nous n'avons pas étudiés). Les entrées, je le rappelle, étaient numérotées selon les périodes, le Moyen Âge de 1 à 23, la période 1500 à 1700, de 1 à 28, etc. La structure de la banque va changer momentanément au cours de l'été 2003, lorsque les 90 récits de rêves édités à Montréal s'y ajouteront, rapidement noyés dans les entrées beaucoup plus nombreuses d'effilochures à Ottawa, le tout numéroté de manière continue. C'est l'état du printemps 2004 qu'on trouve décrit dans l'article d'Antonio Zadra et d'Élisabeth Décary (cf. n. (24)) : « Reves.ca » compte alors 545 entrées (numérotées de 1 à 545). Au printemps 2010, le répertoire « Reves.ca » affiche 1753 entrées considérées comme des « récits de rêves littéraires », corpus daté du 30 août 2008. On comprendra et on verra sans peine que la proportion des récits de rêve a considérablement diminué après l'enregistrement de ma contribution, tandis que la proportion des effilochures de rêve a augmenté en conséquence, sans compter les entrées qui échappent à la fois au rêve et au récit : il suffit de choisir dix, cinquante ou cent entrées au hasard (le répertoire comprend une procédure qui permet de le faire automatiquement) pour le confirmer. On appelle cela un fouillis.

(4) F. Canovas, Narratologie du récit de rêve dans la prose française de Charles Nodier à Julien Gracq, thèse de doctorat, University of Oregon, 1992.

(5) Samuel Beckett, Mercier et Camier, Paris, Minuit, 1970, p. 97-100.

(6) L'abbé Prévost, le Monde moral, 1760. Sur « Reves.ca », c'est aujourd'hui la fiche no 77.

(7) Diderot, la Religieuse, 1784 (Paris, Colin, 1961, p. 135). Fiche no 96.

(8) Diderot, Lettres à Sophie Volland, 1762 (éd. A. Babelon, Paris, Gallimard, 1950, p. 168). Fiche no 92. Il est amusant de voir pris comme récit de rêve une évidente plaisanterie, soit une situation qui tient en trois mots, le mariage avec Mme Rodier.

(9) Jules Sandeau, Sacs et parchemins, 1851 (Paris, Lévy, 1855, p. 51). Fiche no 192.

(10) Prosper Mérimé, Ines Mendo ou le Préjugé vaincu, 1857, (Théâtre de Clara Gazul, Paris, Gallimard, 1985, p. 161). Fiche no 195 .

(11) Victor Hugo, Lettres à la fiancée, 1822 (OEuvres complètes, Paris, Albin Michel, 1947, p. 115). Fiche no 161.

(12) Michel Crèvecoeur, Voyage dans la haute Pensylvanie et dans l'État de New York, Paris, Maradan, 1801, p. 60. Fiche no 134.

(13) Maxime Ducamp, Mémoire d'un suicidé, Paris, Librairie nouvelle, 1855, p. 296. Fiche no 252.

(14) Émile Zola, Germinal, 1885 (Paris, Gallimard (coll. « Pléiade) », t. 3, 1964, p. 1244). Fiche 270.

(15) Nicolas Rétif de la Bretonne, Histoire de Sara, 1796 (Monsieur Nicolas, tome 12, Paris, Lisieux, 1883, p. 232). Fiche no 122.

(16) Gabriel Sénac de Meilhan, l'Émigré, 1797 (dans Romanciers du 18e siècle, Étiemble, t. 2, Paris, Gallimard, 1965, p. 1761). Fiche no 129.

(17) Robert-Martin Lesuire, l'Aventurier Francois, l782 (l'Aventurier Francois ou Mémoires de Grégoire Merveil, Paris, Quillaud, 1782, p. 234, texte pris de Gallica). Fiche no 128.

(18) André Chénier, « Les amours, amours diverses », 1794 (OEuvres complètes, éd. Dimoff, Paris, Delagrave, 1919, p. 99-101). Fiche no 130.

(19) Pierre Le Moyne, Saint Louys ou le Héros chrestien, 1653 (Paris, du Mesnil, 1653, livre 3, p. 97). Fiche no 47.

(20) Charles de Mouhy, la Paysanne parvenue, 1735 (Amsterdam, 1739, p. 341-342, pris de Gallica). Fiche no 67.

(21) Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard (coll. « Quarto »), 1999, p. 142. Fiche no 1216.

(22) À l'ombre des jeunes filles en fleurs, ibid., p. 498. Fiche no 1730.

(23) Ces douze extraits, avec leurs références abrégées, sont prises de la banque du TLF, identiques au ARTFL de Chigago ou au FRANTEXT de Nancy. On sait que la Fugitive correspond aujourd'hui à Albertine disparue.

(24) Christian Vandendorpe, éditeur, le Récit de rêve : fonctions, thèmes et symboles, Nota Bene, Québec, 2005, 378 p. Les deux articles en question : C. Vandendorpe, « Le rêve entre imagerie et narrativité » (p. 35-55) et Élisabeth Décary et Antonio Zadra, « Analyse quantitative du contenu des récits de rêves littéraires du Moyen-Âge au XXe siècle » (p. 339-368).


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