Si vous avez déjà tout compris
et n'avez peur de rien,
alors vous pouvez passer tout de suite à la
table.
Mise en garde
Vous avez lu l'épigraphe, la première
citation en
exergue, et
vous
n'êtes pas mort de rire ?
Alors, un instant, cher lecteur internaute. Car si
vous ne
savez rien
de
la CGMM, vous prenez des risques en
entrant dans les arcanes délirants de cette recherche
inédite.
Vous
êtes ici dans un brouillon. Je dois vous mettre en garde.
Tapez vite
sur
la flèche gauche de votre clavier. Braquez votre souris sur
la case
Retour où j'étais innocent et en
sécurité
(c'est en haut à gauche, sur l'écran de NetScape,
avec un petit
icône « flèche gauche ») et
cliquez, cliquez !
je
vous dis. Vous êtes ici en plein brouillon, vous ne
comprenez donc
pas ? Vous n'êtes plus dans la rassurante clôture
du texte
fini
et définitif. Vous êtes dans l'informe. Ne touchez
pas votre
écran, car l'encre n'est virtuellement pas encore
sèche. C'est
pire
que dans les
poils de la moustache de Lautréamont, au moment de se désorienter dans les
Chants
de
Maldoror.
Vous ne savez peut-être absolument rien encore
de la « critique génétique du
manuscrit moderne », la
CGMM.
Pour vous, la génétique, c'est peut-être
toujours
la
génétique, c'est-à-dire l'étude de tout
ce qui est
relatif aux gènes et à
l'hérédité, tandis
que
l'adjectif peut correspondre à la
« genèse »
des
oeuvres d'art et en particulier à celle des oeuvres
littéraires.
Alors ce sera pour vous un choc. Dangereux. À mourir de
rire.
Ah !... Voilà une instruite et
intelligente
personne
qui fait
la
moue. Elle lève le bec pour que je vois virtuellement
combien elle est
savante. Je l'embrasse, même si elle n'est pas bien
éduquée.
Laissez-là entrer, faites le gros dos Géryon !
(c'est une
personne savante, il faut donc lui parler en italien : c'est
du Dante,
ce qui
convient bien, puisque vous êtes ici au dixième cercle
de
l'Enfer,
cela dit par honnêté, et non pour vous faire peur).
Une personne
qui
s'imagine que la « génétique
littéraire »
doit être une façon bien savante de désigner ce
que l'on
appelle depuis plus de deux siècles les études de
genèse.
Pourquoi pas ? Études littéraires ou critique
de
genèse
= étude de la genèse des oeuvres littéraires
=
génétique littéraire.
Eh bien non ! Vous êtes ici au pays plus
que
rabelaisien du
Royaume de la brouillonnologie. Mais chez des
brouillonnologues qui ne savent pas qu'ils le sont et se croient au
contraire
au
septième ciel. Ils sont au dixième cercle de
l'Enfer, celui de
la
bêtise (dangereuse) et de l'ignorance (contagieuse). Alors
retournez
d'où vous venez. N'allez pas plus loin.
Non ! Vous avez finalement relu la citation en
exergue ? Alors je vous en explique le
contexte, ce sera
encore plus drôle. Le 20 décembre 1996, le Monde
des
livres,
le supplément du journal le Monde sur la
littérature qui
paraît tous les vendredis, a consacré un petit dossier
d'une
double
page aux délires des tenants de la CGMM. Or, justement, un
professeur
de l'Université de Genève, Laurent Jenny, qui venait
probablement de
faire paraître en anglais dans la revue Yale French
Studies aux
États-Unis, la première dénonciation
sérieuse et
bien
informée de l'imposture, en a publié un bref sommaire
en
français. Pour l'édification des lecteurs du
Monde. Le
titre de son article : « Divagations
généticiennes ». On reparlera du contenu
de ce texte
clé. C'est le fonctionnaire Pierre-Marc de Biasi, à
titre de
directeur adjoint de l'Institut des textes et manuscrits modernes
(ITEM),
organisme
du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) de France,
qui a
imposé sa réplique au Monde, le 14
février
suivant.
Ce texte est pour l'essentiel une attaque gratuite
contre
Laurent
Jenny et
ne répond à aucune des critiques et objections de
l'article du
professeur de Genève. On voit vite que Pierre-Marc de Biasi
est en
service
commandé et se livre à un règlement de
comptes, comme il
sied
à un fonctionnaire, surtout si vous le sortez de la
béatitude
de ses
certitudes. Mais, direz-vous, voilà que je donne moi aussi
dans
l'attaque
ad hominem. Pas du tout. Je cite le fonctionnaire :
« les
critiques de Laurent Jenny relèvent d'une inquiétude
de
passéiste [ça, c'est une attaque gratuite, car c'est
tout
à
fait faux] et d'une hostilité spontanée [ce n'est pas
vrai]
contre
« les organismes de recherches »,
c'est-à-dire
en un mot contre le CNRS, sans lequel en effet, l'étude des
manuscrits
modernes n'aurait jamais connu le développement [tout cela,
c'est un
simple
discours de fonctionnaire] qui attire sur elle tant de vindicte
[nouvelle
attaque
gratuite, doublée d'une fausseté évidente,
s'agissant
d'un
petit article dans le Monde, première critique
sérieuse
des
mythes de l'ITEM depuis plus de deux décennies] ».
Comme
vous le
voyez, je ne fais pas d'attaque gratuite, c'est bien un
fonctionnaire du CNRS
qui
parle, le directeur adjoint de l'ITEM. Plaidoyer pro domo.
Laurent Jenny a
montré une chose fort simple : les adeptes de la CGMM
sont,
à l'origine, des fonctionnaires qui ont réussi
à mettre
en
place une pseudo-science propre à justifier d'importantes
dépenses
d'État, depuis l'achat des brouillons par l'État
jusqu'à leur
publication.
Quelle vindicte, en effet ! Elle en vaut bien tant et des
centaines.
Cela dit, les « divagations
généticiennes » de Pierre-Marc de Biasi
n'en sont pas
moins
passionnantes que celles d'Almuth Grésillon. Dès la
première
phrase de sa réplique, il voudrait nous faire croire que les
chevaliers de la CGMM sont des révolutionnaires, des
anarchistes des
études littéraires, des soixante-huitards
peut-être, ayant
perturbé le « champ intellectuel » en y
garrochant
à pleines mains des éditions
génétiques. Le
pauvre ne
se doute pas que les futurs
« spécialistes » de la
CGMM
brouillonnaient encore leurs cahiers
d'écolier, lorsque les Jacques Scherer et Jean-Pierre
Richard
publiaient les
brouillons de Stéphane Mallarmé. Sans compter qu'il
en faudrait
un
peu plus pour nous perturber, vraiment. Et c'est sur cette
lancée de
la
première phrase que le fonctionnaire de l'ITEM va enfermer
de force
Laurent
Jenny dans la clôture du texte, pour pouvoir
impunément le
traiter de
tous les noms, « intégriste »,
« passéiste », « à
genoux devant
le
Dieu Texte », etc. On croit rêver. Le contexte
immédiat de la citation est le suivant :
« D'où
vient
cette animosité ? L'herméneutique a toujours
flirté avec l'idéalisme et l'intemporel; elle
déteste la science parce que son modèle implicite est
le
Livre, le texte sacré étayé sur la glose et le
commentaire. Pour l'herméneutique, le Texte est le seul
Dieu et
le critique son prophète. Difficile dans ces conditions
d'échapper longtemps à la tentation
intégriste. La
critique génétique, au contraire... ».
De tous ces niais propos (qu'on me permette de le
dire
à la
défense de Laurent Jenny), qui se veulent insultants (et
c'est
réussi, du moins si le ridicule ne tue pas l'insulte), on ne
trouve
qu'une idée intéressante. Elle porte
sur le
fait de savoir si le rapport que Laurent Jenny établit entre
la
fragilité matérielle du brouillon et sa
transfiguration dans
la virtualité électronique est fondé sur autre
chose
qu'une métaphore et s'il a bien compris l'objectif de la
saisie
électronique des brouillons (sous forme d'images ou de
textes).
Or, à mon avis le rapprochement est plus que
juste et
Laurent
Jenny
ne l'a pas poussé assez loin. Il se contente d'expliquer
que la
CGMM aura réussi à justifier sur le
modèle des sciences de la nature une entreprise qui a toutes
les
apparences
d'une « science » mais n'en n'a pas l'objet ni
la
problématique. Équipes nombreuses et
équippements
lourds,
donc gros budgets. Or, le point de départ de ces travaux
est
un
très
fragile brouillon et le point d'arrivée un disque
multi-média de données virtuelles.
En
additionnant
les coûts payés pour l'achat, la conservation et le
classement
des
brouillons des écrivains par l'État,
jusqu'au coût de la
mise en forme
des
fichiers électroniques correspondants (lecture et
déchiffrage
des
textes, entrée sur ordinateur d'abord par scanner pour les
versions par
image, et ensuite la frappe des textes déchiffrés
pour
les
versions
textualisées, édition et analyse hypertextuelle et
diffusion
télématique, généralement sur disque
multi-média),
coûts qui se chiffrent en appareils et en
heures de
travail
pour des centaines de personnes depuis trois décennies, sans
compter
l'aboutissement de quelques-uns de ces travaux sur papier, en
« édition génétique »,
alors cet
investissement doit être divisé par le chiffre de la
réponse
à la question qui va suivre.
Quelle question et quel nombre ? Pierre-Marc
de Biasi
ose
demander
(tout le contraire de ce qu'affirment généralement la
plupart
des
spécialistes de la CGMM, d'ailleurs) : « Que
penser des
interprétations [des oeuvres littéraires] qui,
à l'abri
de
cette fameuse « clôture », se
trouvent en
contradiction flagrante avec ce que nous disent les brouillons de
l'oeuvre ?
Les cas ne sont pas si rares ».
Lesquels, s'il-vous-plaît, monsieur
Pierre-Marc de
Biasi ?
On
veut des exemples. Combien de cas peut-on citer ? Trop
heureux que les
dizaines de milliards de dollars investis dans la CGMM
depuis
trente
ans aient conduit à la réinterprétation de
quelques
oeuvres
littéraires.
« Les cas ne sont pas si
rares » ?
La
vérité est qu'il n'y en a pas un seul et qu'on n'en
trouvera
jamais
par principe. Comme on le verra, les brouillons de Madame
Bovary ont
beaucoup à nous apprendre sur le brouillon, sur les
méthodes de
rédaction romantiques et l'esthétique de
l'écriture selon
Flaubert, de même que sur les collectionneurs et les fonds
d'archives,
mais
ils ne nous apprendront jamais rien sur le roman de Flaubert. Ils
ne peuvent
ni
confirmer ni infirmer aucune analyse de Madame Bovary.
On ne divisera donc par rien du tout ces
« investissements », si l'on ignore qu'il
s'agit de
brouillonnologie. C'est la science du brouillon.
Or, n'en déplaise aux fonctionnaires de
l'ITEM et
aux
universitaires
qui en ont fait le jeu pour faire carrière à bon
compte, la
science
du brouillon ne saurait naître que d'une analyse critique des
présupposés théoriques de la CGMM.
Mais contrairement à la critique entreprise par Laurent
Jenny, je ne
pense
pas qu'il soit possible de le faire sans s'amuser des idées
loufoques
qu'elle a répandues avec autant d'ignorance que
d'incompétence
depuis
si longtemps. Il y a des ridicules qu'on ne saurait prendre
sérieusement en
considération sans d'abord s'en moquer, tout simplement.
Le mot d'ordre : le brouillonnologue
s'amuse !
Autant les
livres et les articles de la CGMM sont
ennuyants,
autant
la brouillonnologie est amusante. D'ailleurs, si c'est
intéressant et
passionnant, c'est tout simplement parce que c'est intelligent.
Par
conséquent, pour faire de manière radicale la
genèse
de la CGMM, il faut bien y appliquer le principe
premier
de la
logique. La dérision du dérisoire. En fait, la
CGMM est ennuyante quand on parvient, comme Laurent Jenny,
à prendre au sérieux ses âneries. On
comprendra vite, si
ce
n'est déjà fait depuis l'exergue, que c'est
impossible.
Quelle était cette citation en exergue
déjà ? Ha ! ah ! ah ! Pourtant
Pierre-Marc de
Biasi, qui
compte
parmi les plus sérieux, n'est pas le plus comique, je vous
jure.
Vous venez donc de tomber dans le brouillon du
brouillonnologue !
Le
sujet de cette « écriture à
programme »
(ah !
ah ! ah !) toute entremêlée
d'« écriture à
processus » (ouh ! ouah ! ah !), c'est
de la CGMM. En tout cas, je vous aurai
mis en garde, avant de vous présenter la table des
matières qui
vous
permettra d'aller plus loin, en connaissance de cause, à vos
risques
et
périls :
Table et sommaire
Guy Laflèche — 8 juin 1999.
Note : « médiologique » ? un lapsus
pour
photogénique, photogénétique,
photomédiologique,
abrégé : médiogénique ?
(médiogénique, qui fait bien dans les média).
Pas du
tout,
c'est bel et bien médiologique, et non un lapsus.
C'est un
superlatif, s'appliquant à l'étude des média.
Sur le
même modèle que l'emploi de
« narratologique » par
nos étudiants, lorsqu'ils nous proposent des
« études
narratalogiques » pour désigner leurs
études
narratives.
Voilà ce que vient de nous apprendre Genesis
(no 13) :
Pierre-Marc
de Biasi éditait alors (avec Marc Guillaume) un
numéro
spécial
des Cahiers de MÉDIOLOGIE intitulé
« Pouvoir
du
papier ». C'est ce que l'on appelle le pouvoir de
papier : les
travaux sur la génétique, laïques et
antifondamentalistes,
se
publient dans les Cahiers de médiologie. La CGMM est
médiologique. — 10 mai 2000 : on en apprend tous
les
jours.
TdM —
TGdM
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