bibliographie
littéraire de la
Nouvelle-France
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Histoire littéraire
de la Nouvelle-France |
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Bibliographie littéraire de la
Nouvelle-France
Histoire littéraire de la
Nouvelle-France
Table
- Cadre historique
- La Nouvelle-France ou l'Amérique
française
- La littérature coloniale en
Nouvelle-France
Qu'est-ce que la Nouvelle-France ? Un
territoire qui s'est développé des Terres Neuves
jusqu'au golfe du Mexique, une colonie française dont on
doit
distinguer au moins trois régions l'Acadie, le Canada et la
Louisiane (après le Brésil et la Floride) et, pour
l'histoire du Canada, une période qui correspond à
l'Ancien Régime dans l'histoire de France. On a l'habitude
de dater la période de 1534 à 1763, soit du premier
voyage de découverte de Jacques Cartier à la
conquête militaire par l'Angleterre (1760),
sanctionnée
par le traité de Paris (1763).
La Nouvelle-France fut en fait une succession
de six mouvements : les voyages de découvertes qui
avaient commencés officiellement avec Verrazzano en 1524
(d'où le premier voyage de Cartier en 1534);
l'établissement de compagnies de monopole, dont la
première a été celle de De Monts en Acadie en
1604 (d'où la « fondation » de
Québec en 1608); la mise en place de l'entreprise
d'État que fut la Compagnie de la Nouvelle-France,
fondée en 1627, dont la Communauté des Habitants
prendra la relève en 1645. On peut dire que la
Nouvelle-France du Canada naît véritablement avec le
Conseil souverain en 1663 : la France impose la paix aux
Amérindiens et la colonie prend un essor territorial
considérable. À partir de 1884, les guerres avec les
Amérindiens recommencent, doublées des guerres avec
les
colonies anglaises. La Paix de Trente Ans (1713-1744) correspond,
pour une génération, au développement social
et
économique de la colonie. Finalement, les guerres
reprendront, jusqu'à la Conquête.
Mais la Nouvelle-France, ce fut bien plus
qu'un
territoire, plus qu'une période de l'histoire et même
plus qu'une société coloniale : ce fut la
France
d'Amérique, l'Amérique française.
Les écrits de la Nouvelle-France
correspondent à trois siècles de grande
littérature marginale. L'occasion en est parfois les
explorations ou les possessions françaises en
Amérique,
et en particulier le Canada. Il s'agit alors des écrits
français sur la Nouvelle-France, mais il faut dire que ces
textes portent bien peu et bien rarement sur la colonie
française. Leur sujet, c'est l'Amérique, ce sont les
Amérindiens. Et il faut entendre ici le mot
littérature au sens large, puisque les textes
littéraires ou ceux qui ont une valeur esthétique en
ce domaine sont très précieux,
précisément parce qu'ils sont rares, exceptionnels.
Et ce domaine, c'est l'anthropologie, la géographie humaine,
l'histoire naturelle, comme on l'appelait au XVIIe siècle.
Après la géographie des découvertes, des
explorations et des voyages, ce fut la longue et difficile
guérilla missionnaire menée surtout par les
jésuites, de sorte que les écrits de la
Nouvelle-France,
durant tout le Grand Siècle, nourriront un portrait
de l'Amérindien et un panorama des tribus et
confédérations de l'Amérique du Nord selon un
graphique culturel à deux dimensions : en
ordonnée, on va des amis et alliés (Micmacs,
Montagnais, Algonquins, Hurons, etc.) aux ennemis (la
Confédération des Iroquois, les Abénaquis,
etc.), des sauvages aux barbares; et en abscisse, des
chrétiens aux infidèles. Voilà les
personnages
et les grands rôles des écrits de la Nouvelle-France,
non pas les explorateurs, ni même les missionnaires et encore
moins les gouverneurs, les administrateurs et les militaires de la
colonie. La Nouvelle-France, contrairement aux autres colonies
européennes, n'est nullement une France d'Amérique,
mais tout au contraire une tentative de francisation de
l'Amérique et des Amérindiens, ce qui produira aussi
le contraire, c'est-à-dire une américanisation rapide
et efficace des Français d'Amérique. Voilà
comment une toute petite population, avec très peu de moyens
économiques et militaires, réussira à
contrôler un vaste empire, multiforme et imprenable, tout
juste
derrière les riches et puissantes colonies hollandaises et
anglaises du littoral atlantique. Si la Nouvelle-France du
Brésil, puis celle de Floride ont été
éphémères, le Canada avec l'Acadie et la
Louisiane auront perduré contre vents et marées
jusqu'en 1760. Et cette Amérique française survivra
à la conquête militaire. Il restera toujours,
à
l'honneur de la France, sa littérature de Nouvelle-France,
la
plus riche d'Europe sur l'Amérique du Nord, la plus ancienne
et la plus ample.
En 1545, paraît à Paris le
Bref
Récit du second voyage du capitaine Jacques Cartier en
Amérique, réalisé dix ans plus tôt, en
1535. On ne sait pas pourquoi Jehan Poullet, son secrétaire
(son écrivain, comme on disait à l'époque),
fait
paraître ce texte, alors qu'il a vraisemblablement
rédigé les manuscrits des trois récits des
voyages de l'explorateur en Nouvelle-France (en 1534, 1535-1536 et
1541-1542). En fait, on ignore les raisons historiques
(c'est-à-dire
politiques, certainement) de la publication, car du
point de vue littéraire, il est facile de l'expliquer
—
et probablement ne faut-il pas en chercher d'autres
prétextes.
Le récit du second voyage d'exploration de Cartier, qui le
conduira du détroit de Belle Isle jusqu'à Hochelaga
(aujourd'hui Montréal), avec un hivernement à
Stadaconé (aujourd'hui Québec), est un extraordinaire
récit d'aventures. Bien entendu, les trois récits
des
voyages de Cartier, comme avant celui de Giovanni da Verrazzano
(réalisé en 1524, rédigé en latin et
publié en italien à Venise en 1565 seulement), ou
après ceux du capitaine Roberval et du pilote Jean Alphonse,
sont des rapports d'exploration de portée politique d'abord,
scientifique et géographique ensuite. Ils ont
été destinés à la cour du roi de
France,
François Ier. Lorsque l'information stratégique sera
périmée, on les trouvera dans les ouvrages
scientifiques (en italien, puis en anglais, par Ramusio en 1556,
Florio en 1580 et Hakluyt en 1600). En histoire, les voyages de
Cartier représentent le début de ce que l'on appelle
les vaines tentatives d'occuper le golfe et la vallée du
Saint-Laurent; mais en littérature, le Bref
Récit de 1545 est un roman d'aventures plus
extraordinaire
qu'aucun des livres de Rabelais, parce que c'est le récit
véritable de l'exploration d'un continent nouveau et la
découverte de ses hommes sauvages. De ce point de vue, il
s'agit d'un ouvrage populaire.
Le Bref Récit est donc la
réécriture du journal de bord d'un voyage
d'exploration
de Jacques Cartier, tout comme celui de Christophe Colomb en 1492,
tel qu'il nous a été rapporté par Las Casas.
Mais près d'un demi-siècle plus tard, alors que
Cartier
en est à son second voyage en Amérique, les relations
avec les Amérindiens se sont approfondies et
personnalisées. À tel point que le Bref
Récit n'est plus simplement une relation de voyage, mais
aussi un reportage ethnographique. Voilà un capitaine
dirigeant une flotte de trois navires et ses officiers, avec deux
interprètes iroquois, jeunes prisonniers qui viennent de
passer avec lui un an en France, Taignoagny et Domagaya, un
« grand chef » du village, Donnacona, et tout
un
village, Stadaconé, que Cartier nomme Canada, mot qui
signifie
village en iroquois. Le récit d'aventures en
Nouvelle-France
commence par la navigation pour tourner à la
tragédie,
à la tragi-comédie et à l'histoire
héroïque. Cartier réussira à se rendre
à Montréal en dépit de l'opposition de ses
hôtes; mais il restera prisonnier des glaces de
Québec,
où il devra passer l'hiver, à la merci du village
iroquois, auquel il devra finalement sa survie; ce sont en effet
ces
villageois qui lui révéleront le remède qui
guérit le scorbut, de sorte qu'ils sauveront son
équipage et son entreprise.
Le récit comprend trois chapitres
thématiques. La description du fabuleux fleuve
Saint-Laurent,
celle du mystérieux Royaume de Saguenay et celle des
Iroquois
de la vallée laurentienne. En vérité, c'est
ce
dernier chapitre qui est le plus fabuleux et le plus
mystérieux. Ces hommes-là n'ont aucune, absolument
aucune religion. Ils n'ont aucune pudeur, allant presque tout nus,
même en plein hiver, du moins dans leurs cabanes. En plus,
les
filles ont une totale liberté sexuelle et les hommes
prennent
autant de femmes qu'ils le veulent, les uns et les autres se
séparant à leur guise. En 1545, en France, personne
n'a encore imaginé se retrouver en un tel milieu dans
l'histoire d'aventures la plus extraordinaire. En voici un
épisode bien anodin, celui d'une pratique très
ordinaire pour un lecteur moderne, qui permet d'apprécier
l'impact exotique du récit.
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Ilz ont aussi une herbe, de quoy ilz font
grand
amas durant l'esté pour l'yver, laquelle ilz estiment fort,
et en usent les hommes seullement en la façon qui ensuyt.
Ilz
la font secher [au soleil] et la portent à leur col, en une
petite peau de beste, en lieu de sac, avecques un cornet de pierre
ou de boys. Puys à toute heure, font pouldre de ladite
herbe,
et la mectent à l'un des boutz dudict cornet; et mectent ung
charbon de feu dessus et sussent par l'aultre bout tant qu'ilz
s'amplent le corps de fumee tellement qu'elle leur sort par la
bouche
et par les nazilles comme par un tuyau de chemynee. Et disent que
cela les tient sains et chaudement; et ne vont jamais sans avoir
cesdites choses. Nous avons esprouvé ladite fumee. Apres
laquelle avoyr mys dedans notre bouche, semble y avoir mys de la
pouldre de poivre tant est chaulde. (Cartier 1986 161).
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Nous n'en sommes pas encore au calumet de paix, mais au tout simple
usage du tabac, au simple usage du tabac. Voyez comme
l'opération est difficile à comprendre. Et à
peu près comprise, voyez combien elle est laborieuse
à
expliquer. Alors imaginez l'impact du reportage lorsqu'il s'agit
d'exposer la spiritualité ou la sexualité des
Amérindiens. Or, les écrits de la Nouvelle-France
vont
décrire les Micmacs, les Algonquins, les Hurons, les
Iroquois
de pied en cap, de leurs chaussures, de leur habillement,
jusqu'à leurs raisonnements, leurs moeurs guerrières,
avec leur cannibalisme rituel. Année après
année, ce sera un régal.
Si l'exploration française de
l'Amérique nous vaut le petit chef-d'oeuvre du Bref
récit, ce ne sont pas les voyages d'exploration, mais
les
tout simples récits de voyages personnels qui produiront les
prochaines oeuvres marquantes. Les écrits du cosmographe
André Thevet paraissent bien ternes et scolaires à
côté du vivant et émouvant témoignage du
protestant Jean de Léry dans son Histoire d'un voyage
faict
en la terre du Brésil parue en 1578 (alors que le
récit inaugural et mythique de Hans Staden sur ce Pays
des
hommes nus, féroces et anthropophages, le Brésil,
date de 1557 seulement). Même chose pour les importantes
relations d'exploration de Samuel de Champlain qui nous conduisent
de l'Acadie aux Grands Lacs en cinq livres, de 1604 à 1632,
le tout étant réédité avec le
cinquième et dernier : l'homme de science,
géographe et explorateur, négociateur et diplomate
avec
les Amérindiens, armateur et homme politique avec les
marchands et la royauté, propose des livres de propagande
coloniale, des mémoires qui sont une somme fabuleuse sur
l'Amérique et ses Amérindiens. Pourtant, du point de
vue littéraire ou tout bonnement narratif, ces
traités
ne sont rien en comparaison des récits personnels et
dramatiques de Pierre Biard chez les Micmacs en 1611, de Gabriel
Sagard chez les Hurons en 1632, de Paul Lejeune chez les Montagnais
en 1634 et de Jean de Brébeuf chez les Hurons encore en
1636,
quatre grandes oeuvres parmi plusieurs autres, dont un
chef-d'oeuvre,
la Relation de 1634 de Lejeune.
Après une année à
Québec, Paul Lejeune, le nouveau supérieur des
jésuites décide de se faire apôtre parmi les
Infidèles, missionnaire parmi les Montagnais. Pour
apprendre
la langue, il accompagne la cabane de Mestigoït lors de son
circuit de chasse au cours de l'hiver 1633-1634. Malheureusement
pour lui, selon lui (et on peut le comprendre), le chamane
Carigonan
s'est joint au groupe, de sorte que voilà
représenté en miniature le conflit de
l'Amérique
(chamanique et satanique) et de l'Europe (chrétienne). Mais
peu importe, avec ou sans le « sorcier » (comme
Lejeune l'appelle), l'objectif religieux et missionnaire
était
bien improbable, puisqu'il s'agissait de convertir magiquement ces
Montagnais à la religion de Celui qui a tout fait, le
Créateur, Dieu. Par conséquent, le circuit de chasse
tourne vite au roman d'aventures baroque, car ni les prières
du missionnaire, ni les pratiques du chamane ne permettent aux
chasseurs de nourrir le groupe. Pour ne pas être
accusé
de l'avoir laissé mourir, on devra ramener le missionnaire
gravement malade à Québec, encore tôt au
printemps, lors d'une véritable course de canot sur les
glaces
du Saint-Laurent, jusqu'au pied du Cap-aux-diamants. Avant
l'automne, le missionnaire aura pris sa revanche, rédigeant
dans un style enlevé le compte rendu de son hivernement.
Une
douzaine de chapitres décrivent minutieusement et
précieusement les Montagnais (nourriture, chasse et
pêche, vêtements et ornements, qualités et
défauts, langue et croyances), avec un long journal du
circuit
de chasse de près de six mois avec eux.
Voici le tambour des Montagnais, que Lejeune
avait déjà décrit trop rapidement dans sa
relation précédente, en 1633, et qu'il a vu depuis
aux
mains du « sorcier » Carigonan.
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Ils se seruent de ces chants, de ce tambour, & de ces bruits, ou
tintamarres en leurs maladies, ie le declaray assez amplement l'an
passé, mais depuis ce temps là, i'ay veu tant faire
de
sottises, de niaiseries, de badineries, de bruits, de tintamarres
à ce malheureux sorcier pour se pouuoir guerir, que ie me
lasserois d'escrire & ennuierois vostre reuerence, si ie luy
voulois
faire lire la dixiesme partie de ce qui m'a souuent lassé,
quasi iusques au dernier poinct. Par fois cest homme entroit comme
en furie, chantant, criant, hurlant, faisant bruire son tambour de
toutes ses forces: cependant les autres hurloient comme luy, &
faisoient vn tintamarre horrible auec leurs bastons, frappans sur
ce
qui estoit deuant eux: ils faisoient danser des ieunes enfans,
puis
des filles, puis des femmes; il baissoit la teste, souffloit sur
son
tambour: puis vers le feu, il siffloit comme vn serpent, il
ramenoit
son tambour soubs son menton, l'agitant & le tournoyant: il en
frappoit la terre de toutes ses forces, puis le tournoyoit sur son
estomach: il se fermoit la bouche auec vne main renuersée,
& de l'autre, vous eussiez dit qu'il vouloit mettre en pieces ce
tambour, tant il en frappoit rudement la terre: il s'agitoit, il se
tournoit de part & d'autre, faisoit quelques tours à
l'entour
du feu, sortoit hors la cabane, tousiours hurlant & bruyant: il se
mettoit en mille postures; & tout cela pour se guerir. Voila comme
ils traictent les malades. I'ay quelque croyance qu'ils veulent
coniurer la maladie, ou espouuanter la femme du Manitou, qu'ils
tiennent pour le principe & la cause de tous les maux, comme i'ay
remarqué cy dessus. (JR 6 186+188)
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Qui donc a le diable au corps ?
Carigonan
lorsqu'il joue du tambour ou Lejeune quand il en fait la
description ? Fumer la pipe, selon Cartier, ce n'était
rien en regard de cet amalgame illisible mettant en scène le
plus grand batteur des temps modernes. Le portrait du
médecin
en charlatan a toujours fait les délices de la
comédie.
Le voici qui tente de se guérir lui-même, dans une
chorégraphie digne du cirque. Or, ce morceau de bravoure
n'est pas une invention romanesque ou imaginaire. Paul Lejeune
rassemble une série d'observations qu'on peut
départager, à la lumière des écrits de
la Nouvelle-France, la principale étant l'opération
du
soufflement où le chamane agit magiquement sur le malade
pour
en extirper le mal, la source de la maladie; toutefois, le chamane
préside aussi à plusieurs sortes de danses, ce qui
est
tout autre chose, alors qu'on les trouve ici
entremêlées.
Mais le récit de Lejeune n'a pas qu'un
contenu ethnologique, il a aussi un très évident
impact
humain. Pour s'en tenir au médecin, on voit bien que le
rituel décrit est tout le contraire du silence feutré
que les Européens font assez entendre autour de leurs
malades.
Or, Paul Lejeune est malade, très malade, lorsque le chamane
s'évertue à se soigner ainsi dans la cabane. Et ce
chamane, c'est par ailleurs le maléfique sorcier qui refuse
l'aide de Dieu, alors que celui-ci pourrait, d'un petit miracle,
sortir tout le monde de la maladie, de la famine. De là le
combat aux mille formes entre les chamanes et les missionnaires qui
en viendront même aux coups, surtout aux pieds des moribonds
qu'il s'agit de guérir pour les uns, de baptiser pour les
autres, de garder sur terre ou de mettre au ciel.
Accumulation, répétition,
cacophonie, il faudrait certes un danseur exceptionnel pour
réaliser le rôle de Carigonan écrit par
Lejeune.
Mais il fallait aussi un grand écrivain pour rédiger
avec autant de brio une narration qui joue avec le comique,
l'humour
et le sarcasme, alors qu'il est question de vie et de mort, de
religion, de conversion. Si la forme narrative, stylistique et
esthétique de la Relation de 1634 est exceptionnelle, en
revanche son contenu humain se retrouve très souvent dans
les
écrits de la Nouvelle-France, puisqu'ils décrivent la
rencontre des Français et des Amérindiens — et
généralement dans cet ordre, car les écrits
sont
français et les témoignages amérindiens
doivent
être lus au second degré, très nets et tout
aussi
vivants pourtant. Pierre Biard raconte avec beaucoup d'humour le
rituel de la fosse (qui est aussi une forme de médecine,
puisqu'il s'agit d'y tuer symboliquement un chamane
éloigné, responsable de la maladie), alors que Jean
de
Brébeuf dénigre tout autant les carnavals, aussi
destinés parfois aux guérisons. Mais ces exemples,
comme ce sujet de la médecine amérindienne, sont
choisis à titre d'illustration parmi des centaines
d'autres.
Alors voici l'exception. Gabriel Sagard, dans
son Grand Voyage du pays des Hurons en 1632, propose lui
aussi
une description « Des dances, chansons et autres
cérémonies ridicules ». Ce missionnaire
récollet fait un récit de son séjour en
Huronie
et propose cette description des danses huronnes d'une
manière
bien différente des jésuites dont il vient
d'être
question. La première caractéristique est que son
exposé est inspiré du chapitre correspondant de la
relation de la Nouvelle-France de Marc Lescarbot sur les Micmacs en
1606, qui lui-même démarquait à ce sujet le
chapitre de Jean de Léry sur les Brésiliens en
1578 ! Toute l'Amérique devait danser au même
rythme... En revanche, et c'est la seconde caractéristique,
le récit de Sagard, en dépit du titre de ce chapitre
et de ses jugements de valeurs péremptoires, est
extrêmement positif, très favorable aux
Amérindiens qu'il admire sincèrement. Les
missionnaires récollets sont des franciscains et l'esprit de
François d'Assise se retrouve dans leurs écrits de la
Nouvelle-France. Ce sera le cas de la Nouvelle Relation de la
Gaspésie de Chrestien Leclercq en 1691, tout aussi bien
que des écrits ethnologiques de Louis Hennepin, dans sa
Description de la Louisiane en 1683.
À l'inverse et curieusement, c'est un
récollet comme eux, un de leurs supérieurs en plus,
Valentin Leroux, qui exposera une pensée religieuse sur las
missions d'Amérique qui s'écarte de la
mentalité
franciscaine pour épouser le jansénisme
antijésuite du théoricien Antoine Arnauld. Il
développera même cette théologie dans un
ouvrage
pamphlétaire important (qu'il publie sous le nom de son
confrère Chrestien Leclercq), Premier
Établissement
de la foi dans la Nouvelle-France ou Histoire des colonies
françaises en 1691. Il se propose de
réécrire l'histoire élaborée par les
jésuites dans leurs relations, thèse aussi juste que
virulente, qui montre sans peine que les écrits des
jésuites de Nouvelle-France ne sont que mensonges et
propagande. Les jésuites sont des imposteurs : ce
sont
les récollets qui ont été les premiers
missionnaires de la colonie, dès 1615 à
Québec,
dix ans avant les jésuites, qui les ont
empêchés
ensuite de revenir dans la colonie; les jésuites sont des
menteurs : il prétendent année après
année convertir des foules d'Amérindiens alors qu'il
n'y a aucune Église amérindienne dans la colonie;
les
jésuites sont des fabulateurs : jamais les
Amérindiens n'ont fait de martyre, étant, sans
religion
aucune, indifférents aux religions des Européens, le
catholicisme des Français comme les autres; les
jésuites sont des fourbes : non seulement ils
harcèlent les moribonds, baptisent les bébés
mourants en cachette de leurs parents et sont prêts aux pires
injustices pour faire des adeptes et des disciples, mais en plus
ils
enseignent un christianisme fait de dévotions, de
pudibonderies et de rituels imbéciles.
On doit dire en effet que les jésuites
avaient mis en place la colonie de la Nouvelle-France pour eux, en
1632, d'abord et avant tout pour leur travail
d'évangélisation des Amérindiens, de sorte
que,
tout au long du XVIIe siècle, la colonie sera une
théocratie de fait. Ce sont les jésuites qui, en
développant les missions, ont déployé la
France
d'Amérique de l'Acadie et du Saint-Laurent jusqu'aux Grands
Lacs, puis du Mississippi vers le Golfe du Mexique. Par
conséquent, ce sont eux qui ont rédigé la plus
grande part des écrits de la Nouvelle-France, notamment le
journal dévot annuel des missions de la colonie, de 1632
à 1672. Les Relations des jésuites de la
Nouvelle-France
(RJNF) ne comptent pas moins de soixante volumes en
quarante-neuf livraisons annuelles. En plus, il faut ajouter les
correspondances et écrits spirituels, les biographies et les
autobiographies, de même que les nombreux ouvrages de
dévotion, que les jésuites de la colonie adressent en
France et à Rome pour édifier leurs correspondants de
leurs travaux apostoliques auprès des Amérindiens.
Certes, une bonne partie des RJNF est très monotone,
notamment
l'énumération sans fin des faits d'édification
des bons sauvages chrétiens. Mais chaque fois que le diable
s'en mêle, et il s'en mêle souvent, chaque fois que la
guerre ou la guérilla menace, et elle menace très
souvent, alors les RJNF deviennent d'héroïques
récits de l'épopée missionnaire contre les
forces du mal.
Le sommet de cette épopée
missionnaire, ce seront les martyres de Goupil, Jogues et Lalande
en
Iroquoisie, puis ceux de Daniel, Gabriel Lalemant, Brébeuf,
Garnier et Chabanel en Huronie, récits qui seront
répétés et réécrits durant trois
siècles à partir des textes initiaux de
Jérôme Lalemant et de Paul Ragueneau, chefs-d'oeuvre
d'hagiographie (ou plus précisément de legenda, Vie
des
saints, où se nourrira l'hagiographie). Ainsi se
développera le premier des grands mythes du Canada
français, l'épisode des saints Martyrs canadiens,
fait
du récit insoutenable du supplice archaïque des
Amérindiens appliqué aux martyres des
jésuites : les Iroquois vont jouer le rôle des
empereurs romains et les jésuites celui des premiers
chrétiens. Aussi terrible que cela puisse paraître,
toute la littérature catholique de Nouvelle-France sera
organisée par les jésuites autour de cet
épisode
pathétique d'anachronisme, comme si les ennemis iroquois
étaient la réincarnation des armées
égyptiennes combattant les juifs du désert
biblique.
Mais c'est aussi parmi ces milliers de pages
dévotes qu'on trouve les remarquables récits de
voyage
que sont les oeuvres de Biard, Lejeune et Brébeuf, les
grandes
oeuvres dont il était question plus haut. Et même
dans
les ennuyants passages dévots, comme les interminables
énumérations de conversions et de baptêmes, les
écrits des jésuites de la Nouvelle-France sont
importants pour leur valeur documentaire en ce qui a trait à
l'ethnologie du Nouveau Monde. En effet, le récit de
conversion du moindre Amérindien implique un combat
victorieux
contre le chamane, le sorcier qui représente Satan, sans
compter que ce récit implique plusieurs forces
d'acculturation, car le missionnaire accepte souvent quelques
compromis (transformer des rituels magiques en dévotions
chrétiennes, par exemple), tout comme l'Amérindien
qui
doit en faire de très importants (n'avoir plus qu'une seule
femme, ne plus pouvoir divorcer et renoncer à toute aide des
chamanes pour la chasse, la pêche et la culture ou pour se
rendre les vents, les rapides et les portages favorables).
« Comme je me mocquais d'eux, écrit Paul Lejeune
dans sa Relation de 1634, et que je leur disais que les castors ne
savaient pas ce que l'on faisait de leurs os, ils me
répondirent : tu ne sais pas prendre les castors et tu
en veux parler » (JR 6 210); et le point de vue inverse,
rapporté par Barthélemy Vimont dans la Relation de
1643
est tout aussi dramatique : « C'est chose estrange,
disaient-ils, que depuis que la priere est entree dans nos cabanes,
nos anciennes coustumes ne nous servent plus de rien, & ce pendant
nous mourrons tous à cause que nous les quittons »
(JR 24 208).
Reuben Gold Thwaites a procuré au
tournant du XXe siècle (1896-1901) une édition
bilingue
des relations et autres documents des jésuites de la
Nouvelle-France
en pas moins de soixante-treize volumes qui ont
été maintes fois utilisés et on continue de
publier en éditions commentées un très grand
nombre de ces RJNF qui trouvent encore aujourd'hui de nombreux
lecteurs. La cause en est que tout au long du XVIIe siècle,
il s'agissait d'une littérature populaire et très
populaire. En effet, alors que les intellectuels français
comme Voltaire ou Arnauld méprisent profondément ces
écrits dévots, leurs éditions et
rééditions chez Cramoisy, l'éditeur officiel
des
jésuites à Paris, constituent chaque fois un
succès de librairie.
Et ce n'est pas tout. Non seulement les
écrits des jésuites de Nouvelle-France comptent parmi
les plus nombreux sur l'Amérique française, mais les
jésuites vont susciter d'autres écrits de la
même
veine, avant d'en faire eux-mêmes des synthèses. La
veuve Marie Martin-Guyart de l'Incarnation fonde le couvent des
religieuses ursulines de Québec. Parmi ses nombreuses
activités, elle joue le rôle de secrétaire des
jésuites, faisant des copies de la relation annuelle, afin
de
limiter les risques de la mer. De là, elle se fait la
propagandiste des jésuites, résumant,
réécrivant ou développant des passages de
leurs
relations dans sa correspondance qui prend la forme de la lettre
édifiante. Si elle écrit surtout à son fils
Claude, cette correspondance spirituelle n'est pas privée,
au
contraire, puisqu'elle est destinée à une forme de
publication très usuelle encore au XVIIe siècle, la
lettre circulaire. Cette volumineuse correspondance, à
laquelle s'ajoute quelques importantes relations ou autobiographies
spirituelles, est loin de n'être qu'un sous-produit des
écrits des jésuites. Elle en est souvent une forme
de
lecture, même si la pensée de Marie Guyart est toute
jésuite.
En 1677, lorsque Claude Martin écrira
la
biographie édifiante de sa mère à partir de
cette correspondance, il participera à un autre mouvement
important des écrits religieux de la Nouvelle-France, celui
qui nous vaut la biographie délirante de Catherine
Longpré de Saint-Augustin publiée en 1671 par Paul
Ragueneau qui la rédige aussi à partir des
écrits manuscrits de la religieuse atteinte d'obsession. De
façon plus générale, ces biographies ont
plutôt la forme de Vies, c'est-à-dire de brefs
éloges posthumes destinés à la lecture des
réfectoires. Les religieuses hospitalières de
Québec en feront un ouvrage historique, les Annales de leur
communauté qui en racontent les péripéties de
1636 à 1716, ouvrage fort précieux pour l'histoire de
la colonie et en particulier de la ville de Québec. Marie
Morin, hospitalière de Montréal, tentera la
même
chose, mais sans talent, son manuscrit restera un brouillon informe
et inachevé.
Il est impossible de rendre compte de tous les
écrits religieux de la Nouvelle-France. Il faut donc en
venir
à l'essentiel, à l'histoire de la Nouvelle-France.
Elle sera essentiellement rédigée par les
jésuites, qui vont se donner le beau rôle et
présenter les choses de leur point de vue, forcément.
La mise en place de l'histoire cléricale, religieuse et
missionnaire de la colonie, qui deviendra son histoire officielle,
se fait d'abord en trois étapes, en italien, en latin puis
en
français, respectivement par Giuseppe Bressany,
François Ducreux et François-Xavier de Charlevoix,
trois grands historiens, particulièrement le dernier qui
travaille à mettre en place une monumentale histoire
factuelle
de la colonie française. Ces historiens jésuites
reprennent à neuf ou réécrivent les travaux
historiques réalisés naguère ou depuis par
Marc
Lescarbot, Gabriel Sagard et surtout, on l'a vu, Valentin Leroux,
qui
ne leur étaient pas favorables. Or, c'est Charlevoix, par
son
talent (on y reviendra), qui réussira à imposer la
vision apostolique de la colonie française, d'autant qu'il
sera lui-même repris et développé par un autre
grand historien jésuite entre 1895 et 1906, Camille de
Rochemonteix, de sorte qu'aujourd'hui encore, notre vision de la
Nouvelle-France est celle des jésuites, alors qu'une bonne
partie de la vérité se trouve dans l'histoire
franciscaine et janséniste de Valentin Leroux.
Toutefois, le plus beau livre d'histoire sur
la
colonie, sinon le plus grand, est le fruit d'une collaboration.
L'Histoire du Montréal est en effet
rédigée par Dollier de Casson sous la dictée
de
Jeanne Mance en 1672. Celle-ci a été cofondatrice de
Montréal avec Maisonneuve, en 1642, et le livre constitue,
à la fin de sa vie, son testament spirituel anonyme, car
elle
a exigé que le sulpicien François Dollier de Casson
se
présente comme le seul auteur du livre. Or, chacun des
co-auteurs représente l'une des deux remarquables
qualités opposées et complémentaires de
l'ouvrage. D'abord la présence vivante du témoignage
de la vieille fondatrice qui a vécu année
après
année l'histoire héroïque des
Montréalistes, tels qu'elle les a connus à l'origine,
dans la ville sainte fortifiée (alors que Montréal
est
devenue à la fin de sa vie, une ville de paysans et de
commerçants qui ont perdu depuis longtemps les illusions des
fondateurs de créer une Ville-Marie vouée à la
sainteté de ses habitants et en particulier des
Amérindiens qui accepteraient d'y vivre
chrétiennement); mais ensuite, le plus inattendu est la
plume
enlevée du sulpicien qui n'est pas dans la ville depuis deux
ans et peut en rédiger avec brio la folle aventure
héroïque des combattants du Mont-Royal ! Le
lecteur
participe donc à la fondation de la ville tout au sud du
Saint-Laurent, en dépit du bon sens militaire du gouverneur
Montmagny qui propose à la colonie de s'installer à
l'île d'Orléans :
| |
|
Mr, ce que vous me dîtes serait bon, répond
Maisonneuve,
si on m'avait envoyé pour délibérer et choisir
un poste, mais, ayant été déterminé par
la Compagnie qui m'envoie que j'irais au Montréal, il est de
mon honneur et vous trouverez bon que j'y monte pour y commencer
une
colonie, quand tous les arbres de cette île se
devraient changer en autant d'Iroquois. (Dollier 64)
|
| |
Et la tirade des Iroquois à la suite du combat au Long-Sault
contre Dollard des Ormeaux et ses seize braves est connue de tous
au
Québec :
| |
|
Si dix-sept Français nous ont traité de la sorte,
étant dans un si chétif endroit, comment serons-nous
traités lorsqu'il faudra attaquer une bonne maison où
plusieurs de telles gens seront ramassés : il ne faut
pas
être assez fous pour y aller [attaquer Montréal], ce
serait pour nous faire tous périr, retirons nous.
(216-217)
|
| |
L'Histoire de Dollier de Casson sera d'ailleurs surtout connue pour
ce chapitre qui raconte comment Dollard des Ormeaux et un tout
petit
groupe de jeunes miliciens de Montréal ont sauvé la
colonie tout entière en se portant au devant de
l'armée
iroquoise qui se préparait à l'envahir pour rejeter
les
Français à la mer. Au sacrifice de leur vie, ils ont
sauvé le pays. Le manuscrit de Dollier de Casson,
adressé aux sulpiciens de Paris et destiné à
la
publication, est resté inédit. Lorsqu'on l'a
redécouvert, en 1845, il a servi à
réécrire de manière héroïque
l'histoire de la Nouvelle-France mise au point par les
jésuites et, lors de la Révolution tranquille des
années 1960 au Québec, le mythe séculier de
Dollard des Ormeaux a remplacé le mythe religieux des saints
martyrs canadiens. Cela tient à la qualité
littéraire du texte de Dollier de Casson, tout à fait
comparable aux grands récits des jésuites
Jérôme Lalemant et Paul Ragueneau.
Mais le plus important des auteurs sur la
Nouvelle-France, Lahontan, est sans conteste un plaisantin, un
anticlérical, un pamphlétaire et pour bien dire, de
tous, le seul véritable écrivain. Certes, Marc
Lescarbot avait publié ses Muses de la
Nouvelle-France,
un recueil de poèmes, en appendice de son Histoire en 1609,
Marin de Diéreville publiera très bientôt, en
1708, sa Relation du voyage du Port-Royal en alternant le
récit en prose et les passages versifiés, tandis que
Mathieu Sagean vers 1700 et surtout Claude Lebeau en 1738
préfigureront avec leurs affabulations romancées les
récits de voyages romanesques et exotiques en
Amérique;
mieux encore, le fabuleux récit de voyage en Amérique
de Chateaubriand sortira tout droit de l'Histoire de Charlevoix qui
l'inspire. Toutefois ces relations de voyage romancées qui
préfigurent les romans exotiques vont échapper
complètement aux écrits de la Nouvelle-France pour
devenir des récits, des fabulations et des romans
français, comme il en existera des centaines, menant leurs
héros où que ce soit, dans des contrées sans
rapport avec aucune réalité, en Amérique, dans
les mers du sud ou sur la lune.
Avec Louis Armand de Lom d'Arce, baron de
Lahontan, nous sommes au coeur des écrits de la
Nouvelle-France,
alors même qu'il inspirera à lui seul toute la
stratégie pamphlétaire du Siècle des
Lumières. Son ouvrage se présente d'un seul coup en
trois volumes de trois genres différents. Le jeune noble
militaire est arrivé dans la colonie en 1683 à 16 ans
et il en repartira dix ans plus tard avec une expérience
dont
il saura tirer une oeuvre littéraire exceptionnelle. Le
premier volume est une relation par lettres qui décrit la
colonie et l'Amérique : l'auteur raconte sa
traversée, son arrivée dans le Saint-Laurent et ses
déplacements de Québec aux Grands Lacs. L'une de ces
lettre, la Lettre 16, est célèbre pour son
récit
fabuleux de la prétendue découverte de la
Rivière Longue : Lahontan y réalise un pastiche
si bien réussi des relations de découverte que des
littéraires continuent encore aujourd'hui de débattre
de sa découverte ! Le second volume de son oeuvre est
constitué d'un mémoire sur l'Amérique qui
décrit les moeurs des Amérindiens;
déjà
s'y dessine le portrait du Bon Sauvage qui présente deux
caractères originaux par rapport à tous les
écrits de la Nouvelle-France : d'abord ce sauvage n'a
pas
à être converti, car il est bien meilleur que le
premier
chrétien venu; ensuite, il n'a pas à être
francisé ou européanisé, car il est somme
toute
incomparablement plus civilisé que le premier
Français
venu. Et déjà, Lahontan s'amuse à critiquer
la
pensée occidentale en lui opposant les croyances, les
coutumes, la justice et la moralité amérindiennes.
Le
comique et l'humour éclatent dans le troisième volume
de son oeuvre, les Dialogues avec un sauvage, dialogues avec
le Huron Adario, où l'auteur joue à tenir le mauvais
rôle sur cinq sujets choisis, la religion, les lois, le
bonheur, la médecine et l'amour ou le mariage. Le propos
est
grivois, irrévérencieux, polémique,
anticlérical et antiroyaliste, alors qu'en fait aucune
pensée ou philosophie cohérente ne se dégage
de
ces morceaux de bravoure et pour cause : Lahontan
s'amuse ! En fait, peu de passages peuvent être pris au
sérieux. En voici un extrait qui vaut bien son
vaudeville.
| |
|
Nos femmes, dit Adario, sont capricieuses, comme les vôtres,
ce qui fait que le plus chétif sauvage peut trouver une
femme.
Car, comme tout paraît à découvert, nos filles
choisissent quelquefois suivant leur inclination, sans avoir
égard à certaines proportions : les unes aiment
un homme bien fait, quoiqu'il ait je ne sais quoi de petit en lui;
d'autres aiment un mal bâti pourvu qu'elles y trouvent je ne
sais quoi de grand; et d'autres préfèrent un homme
d'esprit et vigoureux, quoiqu'il ne soit ni bien fait ni bien
pourvu
de ce que je n'ai pas voulu nommer. Voilà, mon
frère,
tout ce que je puis te répondre sur le crime de la
nudité. (Lahontan 879)
|
| |
Voilà certes ce qui est propre à
nous changer des écrits religieux et toujours fort
compassés des jésuites qui dominent les écrits
de la Nouvelle-France. Pourtant, l'oeuvre pamphlétaire de
Lahontan n'en est pas moins américaine que les écrits
des religieux (et notamment les RJNF) alors même que son
Adario
a peu de rapport avec les Amérindiens et que les propos
qu'il
fait tenir à ce Bon Sauvage ne représentent en rien
la
pensée véritable des Hurons ou des Algonquins. La
vérité procède ici de la révolte et de
la contestation systématique. De la Vieille France à
la Nouvelle France, on a découvert un Nouveau Monde,
l'Autre,
des formes de pensée et tout un univers différents,
de
sorte que les Français ont appris à négocier
avec les Amérindiens, pour tenter de retenir le meilleur de
deux mondes, afin de s'approprier l'Amérique. Lahontan en
vient brutalement à l'essentiel de ce que fut la
Nouvelle-France,
sans ménagement, et avec un cynisme cruel :
c'est la critique impitoyable de la France et de l'Europe.
Considérons les sujets de ses cinq dialogues et d'abord
celui
sur la médecine. Avec le tambour de Carigonan, le
missionnaire avait beau jeu de ridiculiser les rituels
amérindiens; mais comme on s'en doute, les Français
découvriront vite combien les chamanes sont des psychologues
et des médecins très efficaces; d'où le
renversement de la critique, l'autocritique : ce sera donc le
discours sur la médecine, pour se moquer de la science
européenne ! La religion, les lois et le mariage,
beaux
sujets pour mener la critique sarcastique des institutions, avant
d'en venir à l'essentiel, le bonheur et l'amour qui
devraient
toujours et partout être gratuits comme pour le Bon Sauvage
en
Amérique. C'est en 1703 que paraît cette oeuvre
incendiaire. Les dialogues connaîtront des dizaines de
rééditions. Mais l'important est que l'auteur met au
point un procédé qui servira en France à
développer une véritable autocritique, sous la forme
d'une critique raisonnée des moeurs et des institutions
françaises en regard de celles des Amérindiens. Ce
sera le Siècle des Lumières, ce sera la
Révolution française, qui bouleverseront toute
l'Europe
— l'Encyclopédie de Diderot (qui comprendra
d'importants articles sur le Canada, l'Amérique et ses
Amérindiens), le Discours sur
l'inégalité
de Rousseau, les Lettres philosophiques de Diderot ou encore
le Huron ou l'Ingénu de Voltaire. Le mouvement est
venu en bonne partie de Nouvelle-France. Modestement,
peut-être,
avec un Lahontan qui s'amusait, alors que toute la
littérature inspirée de la colonie américaine
avait permis d'ébranler les certitudes, à commencer
par
les écrits des jésuites.
Ceux-ci continuent d'ailleurs de se
développer tout au long du XVIIIe siècle. Les RJNF
changeront de forme et aussi de contexte pour paraître dans
les
Lettres édifiantes et curieuses où les lettres
d'Amérique prennent place à côté des
lettres du Moyen Orient, des Indes et de la Chine. L'important est
que la formule est venue de Nouvelle-France. Viendra encore de
Nouvelle-France le traité de Joseph-François Lafitau
sur les Moeurs des sauvages américains comparées
aux
moeurs des premiers temps. Cet ouvrage populaire dans son
style
et dans ses illustrations est tout le contraire d'un ouvrage
scientifique sérieux, mais la naïveté de son
auteur est telle qu'il est charmant de le voir comparer à
tout
venant les Iroquois aux Romains, aux Grecs, aux Égyptiens,
aux
Sumériens et aux Hébreux, pour tenter de nous prouver
(en 1724 !) que les Amérindiens, descendants de
Noé, connaissent encore dans leurs rituels magiques la
première révélation chrétienne, celle
de
Yahvé à Adam et Ève.
Plus sérieusement, Charlevoix, qui fait
paraître comme on l'a vu sa remarquable synthèse de
l'histoire de la Nouvelle-France en 1744, l'accompagne d'un journal
historique, son Journal d'un voyage dans l'Amérique
septentrionnale. Il emprunte la formule au premier des
ouvrages
de Lahontan, sa relation par lettres, mais sa matière est
une
synthèse sur l'Amérique et les Amérindiens
réalisée à partir de la collection des RJNF.
Si tout ou presque y est de seconde main, il n'empêche
toutefois qu'on trouve là pour finir la meilleure
introduction
aux écrits français sur l'Amérique.
Chateaubriand n'y trouvera pas pour rien la source d'inspiration de
son Voyage en Amérique et des chapitres correspondants de
ses
Mémoires d'outre-tombe.
Les écrits de la Nouvelle-France
s'achèvent, en queue de poisson, comme il se devait,
après la conquête de la colonie. Pourquoi faudrait-il
que tout finisse en beauté ? En tout cas, il faut
encore
compter une oeuvre peu étudiée, les Recherches
philosophiques sur les Américains par Cornelius de Paw
qui
paraissent en 1768 et qui seront rééditées pas
moins de quatre fois jusqu'en 1774. L'ouvrage savant en apparence
est plutôt de vulgarisation polémique; il propose une
série de dissertations ressassant des lieux communs sur
l'Amérique à la fin du XVIIIe siècle, vue
à partir de la colonie française.
À ce moment, la Nouvelle-France n'est
plus, mais la France en garde les écrits que le
Québec
redécouvrira au milieu du XIXe siècle. Les
récits des voyages de Cartier sont publiés à
Québec en 1843, les relations des jésuites sont
rééditées, toujours à Québec, en
1858. Durant un siècle, les historiens vont petit à
petit rassembler ce corpus des écrits français sur
l'Amérique jusqu'à ce que les littéraires en
fassent par anachronisme le premier chapitre de l'histoire de la
littérature québécoise à partir des
années 1960. Ce sera, par exemple, le premier volume de
l'Anthologie de la littérature
québécoise
de Gilles Marcotte par Léopold LeBlanc intitulé
« Écrits de la Nouvelle-France,
1534-1760 »
(1978), titre repris exactement dans le même
esprit un quart de siècle plus tard au premier chapitre de
l'Histoire de la littérature québécoise
de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth
Nardout-Lafarge
en 2007. Or, ce ne sont pas des écrits de la
Nouvelle-France, mais des oeuvres portant sur la Nouvelle-France,
ce
qui est bien différent.
Ces écrits français sur
l'Amérique ne sont pour rien dans les origines de la
littérature québécoise. Plusieurs d'entre
eux,
les plus importants et les plus significatifs, prennent place
aujourd'hui dans la culture québécoise, ce qui est
tout
autre chose, de telle sorte qu'ils sont mieux connus au
Québec
qu'en France, alors qu'on y trouve quelques chefs-d'oeuvre des
trois
grands siècles de la littérature française,
respectivement la Relation du Brésil par Jean de Léry
au temps des Découvertes, la Relation de 1634 par Paul
Lejeune
au Grand Siècle et les Dialogues de Lahontan qui inaugurent
le Siècle des Lumières. On peut même dire que
la littérature de la Nouvelle-France aura été,
par sa connaissance intime, précise de l'Amérique et
des Amérindiens, non seulement la première source
documentaire, mais également la première
réalisation de l'anthropologie du Nord-Est de
l'Amérique, avant les grands travaux de Charles de Bosses,
d'Auguste Comte, d'Émile Durkheim, de Lucien
Lévy-Bruhl,
de Claude Lévi-Strauss et de Rémi Savard.
Bref,
si la France a perdu son empire américain, elle nous en a
conservé un riche héritage, ses écrits sur la
Nouvelle-France.
En regard de la littérature
française sur la Nouvelle-France, il n'y a jamais eu de
littérature en Nouvelle-France, aucune littérature
digne de ce nom n'ayant été développée
dans la colonie américaine. Des origines à 1760, on
va voir naître l'embryon de ce qui était encore bien
éloigné d'une littérature au sens strict,
c'est-à-dire
une littérature coloniale capable de rivaliser
avec celle de la métropole, non pas en qualité ou en
importance, mais tout simplement par sa vitalité et son
intérêt pour les habitants de la colonie. Le
phénomène est universel. Comme la littérature
romaine s'est détachée de la grecque, comme les
littératures de langue romanes ont dû s'imposer devant
les formes latines « vernaculaires », une
littérature coloniale n'existe qu'au moment paradoxal
où elle peut — et aussitôt veut —
acquérir le statut de littérature nationale. Et ce
moment est toujours une longue période de
rivalités, de compétitions et d'échanges
où la littérature accompagne forcément les
aléas de la libération nationale. On le voit bien et
de manière spectaculaire actuellement au Québec
où la littérature de langue anglaise est
forcément et irrémédiablement canadienne et le
sera tant et aussi longtemps que le Québec ne sera pas
souverain.
Toute littérature est nationale, c'est
la condition littéraire. Certes, il ne fait pas de doute
que
les littératures ou du moins les grandes oeuvres survivent
aux
conditions qui les ont vues naître, mais jamais aucune oeuvre
littéraire n'a pu prendre forme hors d'une culture
nationale.
Lorsque la colonie française est
conquise
par les armes en 1760 et cédée à la Grande
Bretagne par le traité de Paris en 1763, elle était
une
colonie au sens strict, c'est-à-dire une
société
encore loin de pouvoir prendre son destin en main et personne ne
peut
imaginer aujourd'hui ni quand ni comment elle serait devenue ce
qu'elle est, la nation québécoise, sauf que cette
nation ne serait pas soumise au Canada, comme naguère
à
la couronne britannique. En revanche, si le Québec est
maintenant une nation, c'est parce que la Nouvelle-France avait
déjà développé en 1760 une culture
propre, la culture canadienne, une culture française
d'Amérique qui pouvait résister aux inlassables et
puissantes tentatives d'assimilation du pouvoir britannique puis
canadien (c'est la nature même de la fédération
canadienne), alors qu'elle était déjà
distincte
de la culture française (dont elle sera dorénavant
coupée durant près d'un siècle). Bref, en
1760,
la Nouvelle-France a déjà sa culture propre, mais
elle
n'a pas encore sa littérature, ce qui décrit
parfaitement la situation aussi bien des oeuvres de France qu'elle
a accueillies que des oeuvres littéraires qu'elle a
produites
ou pu produire — et la distinction est importante, car la
majeure partie des oeuvres qu'on y a produites n'ont pas
été conservées parce qu'elles étaient
de
circonstance et qu'on ne leur accordait pas plus d'importance
qu'elles n'en avaient.
Tout au contraire des écrits
français sur la Nouvelle-France qui se développent
à partir de traditions centenaires, le Bref
Récit de Cartier prenant le relais dans une chaîne
qui conduit de Marco Polo à Christophe Colomb, une
littérature nationale, l'avènement d'une
littérature coloniale se situe rétrospectivement. On
ne peut pas commencer par le commencement, pourrait-on dire,
puisque
celui-ci appartient forcément à la métropole.
Il est clair qu'on ne saurait faire remonter la naissance de la
littérature québécoise à 1534. Puisque
les entreprises de Cartier et de Roberval avortent aussitôt
(en
1541-1542), il faudrait être téméraire pour
laisser croire qu'une littérature de langue française
quelconque puisse prendre place alors sur les rives du
Saint-Laurent
qui ne verront pas d'autres hivernements ou habitations avant un
demi-siècle !
La question de la littérature coloniale
de Nouvelle-France se pose avec un peu plus de vraisemblance lors
des
premiers établissements commerciaux en Acadie au
début
du XVIIe siècle. Chose certaine, parmi les écrits
français de Port-Royal (ceux de Biard, Massé,
Champlain, Poutrincourt, etc.), on compte l'importante Histoire
des navigations des Français en Amérique de Marc
Lescarbot, Histoire comprenant une description des Micmacs. Or,
cet
écrit, cette publication française est
accompagnée en appendice ou parfois en édition
séparée du recueil de poésies intitulé
« Les muses de la Nouvelle-France ». Non
seulement il ne fait pas de doute que la majeure partie de ces
poèmes a été rédigée pour les
compagnons de voyage du poète, mais le
« Théâtre de Neptune » qu'on y
trouve est le premier spectacle français jamais
réalisé en Amérique. On peut y voir, si l'on
veut, l'origine de la littérature acadienne ou même la
préhistoire de la littérature
québécoise.
Pour cela, évidemment, il faut avoir les idées larges
et imaginer que la petite entreprise de Port-Royal en Acadie de
1605
à 1607 puisse avoir quelque rapport avec ce que sera plus
tard, beaucoup plus tard, la Nouvelle-France, soit une colonie
d'État, une société véritable, avec son
organisation politique, sociale et économique. Pour
l'instant, en Acadie, des compagnies à monopole
françaises établissent des comptoirs français,
avec quelques Français qui n'y hivernent jamais plus que
quelques années.
Marc Lescarbot est un jeune avocat de Paris
qui
accepte vers l'âge de 36 ans de tout quitter pour suivre l'un
de ses clients, Poutrincourt, qui lui-même seconde les
entreprises de Du Gua de Monts en Acadie. Il s'embarque à
La
Rochelle le 13 mai 1606 pour se rendre à Port-Royal,
d'où il est forcé de revenir avec toute la petite
colonie au printemps suivant. Il faut le répéter,
Lescarbot est surtout célèbre, avec raison, pour son
Histoire de la Nouvelle-France qu'il entreprend de rédiger
à son retour et qu'il mettra deux fois à jour de
manière très importante. Cette oeuvre
française
sur la Nouvelle-France comprend trois volets, l'histoire des
navigations françaises en Amérique du Nord, le
récit des entreprises de Poutrincourt et de De Monts et la
description des moeurs des Micmacs.
Mais son oeuvre poétique, d'une autre
nature, n'est pas non plus négligeable. D'abord et avant
tout, on ne peut qu'être touché par la pièce
que
Lescarbot fait paraître au moment de son départ de
France et qu'il reprendra dans son Histoire, mais pas dans ses
Muses, tellement elle est modeste et circonstancielle. Il
s'agit de son « Adieu à la France ».
Dans
ce poème, avant l'éloge à De Monts et à
Poutrincourt qu'il va servir en Amérique, avec les lieux
communs sur la colonisation et la christianisation, avant
même
la critique du clergé catholique qui s'est montré
trop
timide vis-à-vis de cette entreprise, les tout premiers vers
(ses trente-deux premiers vers en fait) sont proches de
l'improvisation, loin des lieux communs, près de
l'autobiographie, le poète évoquant même sa
profession (qui l'a déçu, on va le lire), en passant
de l'architecture à l'urbanisme, puis aux paysages de
France,
forêts et campagnes, ses collines, ses vignobles et ses
châteaux. Rien de plus simple, rien de plus vrai, puisque
c'est aujourd'hui encore ce qu'on retrouve en France et qu'on n'a
toujours pas reproduit en Amérique.
| |
|
Adieu riches palais, adieu nobles
cités
Dont l'aspect a mes yeux mille fois
contentés;
Adieu lambris doré, sainct temple de
Justice
Où Themis aux humains d'un penible
exercice
Rend le Droit, et Python d'un parler
eloquent,
Contre l'oppression defend l'homme
innocent;
Adieu tours et clochers dont les pointes
cornuës,
Avoisinans les cieux, s'elevent sur les
nuës;
Adieu prés emaillés d'un million
de fleurs
Ravissant mes esprits et leurs soüeves
odeurs;
Adieu belles forets, adieu larges
campagnes,
Adieu pareillement sourcilleuses montagnes
Adieu côtaux vineux, et superbes
châteaux. (Lescarbot 231-232)
|
| |
La description la plus juste de la
poésie
de Marc Lescarbot est de Lescarbot lui-même : la
poésie bardique ! En effet, le chercheur a
découvert que le poète se décrivait dans son
Histoire de la Nouvelle-France en souhaitant qu'Henri IV continue
de
conduire en Amérique des « Bardes chrétiens
portant la fleur de lis au coeur ». Il propose et
décrit donc ce qu'il a réalisé, une
poésie gauloise et plus précisément celtique
dont les trois traits caractéristiques sont l'aspect
musical,
ses thèmes gaulois et son caractère engagé,
particulièrement son engagement religieux. Certes, nous
voilà bien éloignés du travail
esthétique
de la pléiade de Ronsard, puis de la poétique de
Malherbe, mais justement, voici une poésie de circonstance
propre à accompagner la mise en place de la Nouvelle-France.
Le poète s'identifie à ceux qu'il a pour fonction de
servir, aux entrepreneurs, aux marins, aux commerçants, aux
artisans de la colonisation, aux missionnaires, tout comme aux
Souriquois (les Micmacs), dont il entend chanter les prouesses.
En effet, le contenu immédiat des
« Muses de la Nouvelle-France » désigne
des événements. Le premier fait mémorable,
avec
l'arrivée à Port Royal, c'est le départ du
navire qui retourne en France avec Pont Gravé et un nouvel
équipage. La première pièce est donc un
« Adieu aux François retournans de la
Nouvelle-France
en la France gaulloise », le 25 août 1606.
Il faut imaginer Marc Lescarbot lisant son poème au milieu
de
la petite colonie qui sera isolée durant une année
lorsque le Jonas lève l'ancre. Suivront une série
d'éloges et de portraits qui ont accompagné les
fêtes et les banquets de la colonie durant l'hiver, odes et
sonnets qui ne manquent jamais de piquant et d'humour, avec
beaucoup
de familiarité, alors même que le ton est
grandiloquent.
Le sonnet consacré à Champlain, en particulier, est
prémonitoire, parce que la source du Saint-Laurent qu'il
explorera se situe, dans l'imaginaire américain, bien plus
loin qu'en Chine, se perdant dans les Grands Lacs et de là
dans tous les portages d'Amérique.
| |
|
CHAMPLEIN, ja dés long temps je voy que
ton loisir
S'employe obstinément et sans aucune
treuve
A rechercher les flots, qui de la
Terre-neuve
Viennent, aprés maints sauts, les
rivages
saisir.
Que si tu viens à chef de ta belle
entreprise,
On ne peut estimer combien de gloire un
jour
Acquerras à ton nom que desja chacun
prise. (Lescarbot 188)
|
| |
L'ensemble s'achève, chronologiquement, il fallait bien s'y
attendre, sur l'« Adieu à la
Nouvelle-France »
du 30 juillet 1607.
Les « Muses de la
Nouvelle-France »
comprennent toutefois deux pièces
majeures
en regard de la littérature coloniale. La première,
dont on parlera ensuite, est « Le théâtre de
Neptune », la seconde est rien de moins qu'une
épopée tout à fait inattendue dans le registre
des pièces de Lescarbot : « La deffaite des
Sauvages Armouchiquois ». Elle raconte en un peu moins
de
cinq cents alexandrins la trahison des Armouchiquois qui
assassinent
le jeune Panoniac venu commercer chez eux pour lui prendre ses
marchandises, croyant que les Français qui ont quitté
Sainte-Croix pour Port-Royal n'appuieront plus dorénavant
les
Souriquois. Mais c'était sans compter sur le grand sagamos
Membertou qui réunit les forces des nations alliées
et
obtient l'appui des Français en marchandises et surtout en
armes. Sous prétexte de venir lui aussi commercer (des
armes !), il vengera avec les siens l'honneur de Panoniac.
L'histoire est fort bien menée, avec ruses et revirements,
elle est aussi bien composée, avec une rhétorique, un
style, une syntaxe et une versification proches de ce que sera dans
un demi-siècle la poésie baroque. Mais sa
gratuité est le trait caractéristique le plus
frappant,
surtout parce que toute l'oeuvre poétique de Lescarbot est
de
circonstance. Voilà une composition faite pour le simple
plaisir d'écrire et cela transparaît dans la
pièce et lui donne la qualité propre aux oeuvres
littéraires, la jouissance esthétique. C'est
ensuite,
c'est surtout son contenu américain qui frappe, même
dans le passage renvoyant aux « Femmes
vertueuses » de Plutarque et le rôle
pathétique et guerrier que l'auteur fait jouer à la
mère de Panoniac et à ses amies. Elles forcent les
fuyards à retourner au combat, en leur montrant cet endroit
de leur anatomie d'où ils viennent. L'épisode peut
évoquer le rôle important des femmes dans les
politiques
amérindiennes. Non seulement tous les personnages sont des
Amérindiens, mais en plus le narrateur est des leurs,
prenant
parti pour les uns, vilipendant les autres, sans jamais tenir le
rôle de l'Européen, ce qui est remarquable.
D'ailleurs,
tout dans ce poème est amérindien, très
justement observé et surtout fort bien
caractérisé : l'importance de la traite et le
jeu
des alliances commerciales, les moeurs guerrières
amérindiennes et l'importance de la technologie
française et pour le commerce et pour la guerre, ce qui sera
illustré ici non seulement par les coups de mousquets sur
lesquels s'achèveront les combats, mais par un trait
beaucoup
plus simple et bien plus important, les pointes de flèche en
fer.
| |
|
A cette charge ici quelques uns sont
blessés
Parmi les Souriquois; mais plus de
terrassés
Sont de l'autre côté : car de
ceux-ci les fleches
A pointes d'os, ne font de si mortelles
breches
Comme de ceux qui sont plus voisins des
François
Qui des pointes d'acier ont au bout de leurs
bois. (210)
|
| |
Bref, en un peu plus d'une année, il fallait beaucoup de
sensibilité et d'ouverture d'esprit pour devenir
américain, alors qu'aucune société
française n'est encore constituée en Amérique.
Et un réel talent d'écrivain. Le génie
littéraire de Marc Lescarbot se trouve, me semble-t-il, dans
cette oeuvre toute modeste peut-être, mais la première
oeuvre littéraire américaine de langue
française.
« Le théâtre de Neptune
en la Nouvelle-France » est au contraire le type
même
de l'oeuvre de circonstance et par conséquent la
pièce
la plus représentative des « Muses de la
Nouvelle-France ».
Le prétexte en est fort simple.
Poutrincourt a laissé la petite colonie de Port-Royal sous
la
responsabilité de Lescarbot pour aller à la
découverte sur les traces de De Monts et de Verrazano tout
au
long de l'été. Peu importe ces explorations qui
n'auront pas de suite, car c'est le retour qui est spectaculaire,
le
14 novembre 1606. Dans ses loisirs, Marc Lescarbot a
préparé rien de moins qu'un spectacle nautique
où Neptune accueille le grand Sagamos qui se prépare
à créer une nouvelle France sous l'égide de
l'entreprenant sieur De Monts et du roi Henri IV. La barque
de
Poutrincourt a traversé la baie et s'est approchée du
fort de Port-Royal, décoré pour l'occasion. Alors
Neptune s'avance vers lui, sur un radeau, tiré par quatre
tritons. Ce seront cinq discours, suivis de la réponse de
Poutrincourt (qui n'a pas été rapportée).
Puis,
plus original, quatre Amérindiens offrent leurs
présents au responsable du fort : cette seconde partie
est construite sous l'inspiration des Grands Conseils
amérindiens, toute humoristique qu'elle soit. En effet, on
est passé de la grandiloquence au lyrisme, mais on en est
maintenant au burlesque et le tout se terminera sous forme
rabelaisienne, tous étant conviés au banquet gaulois.
Nous avons là le premier exemple, et quel exemple !, de
l'adaptation en Amérique des réceptions que la France
a hérité des triomphes romains. S'il s'agit de
recevoir d'une manière grandiose un personnage attendu, le
genre qui sera bien représenté en Nouvelle-France,
commence tout de même avec un brio qui se sera pas
égalé. Musique, trompette et canonnade
achèvent
le spectacle nautique, avec barque, radeau et canots devant la
petite
colonie rassemblée sur le rivage.
La critique a tellement écrit et
débattu sur la valeur littéraire des
« Muses
de la Nouvelle-France » et de son
« Théâtre de Neptune » qu'on en a
oublié l'importance intrinsèque : toute la
littérature coloniale de Nouvelle-France est là
dès le début et ne sera pas surpassée, ce qui
est tout de même extraordinaire. Voilà une oeuvre de
génération spontanée, la naissance d'une
littérature coloniale alors qu'il n'y a encore aucune
colonie
pour la produire et en jouir. Cela signifie qu'aucun autre
poète, tout modeste que soit Lescarbot encore une fois, ne
viendra de France pour se faire américain et que la
Nouvelle-France,
devra se débrouiller toute seule !, pourrait-on
dire, ce qui est assez naturel. Voilà qui mesure et juge
d'avance à sa juste valeur la littérature coloniale
de
Nouvelle-France.
Donnons tout de suite l'exemple de Marin
Dières de Diéreville qui passera lui aussi une
année en Acadie, un siècle plus tard. Non seulement
sa relation de voyage en Nouvelle-France est pour moitié
écrite sous forme versifiée, mais Marin Dières
est par ailleurs l'auteur d'une nombreuse oeuvre poétique.
Or, tout au contraire de Lescarbot, aucun de ses écrits
poétiques n'est américain ni ne s'adresse de quelque
manière à la société acadienne. Et sa
remarquable Relation du voyage du Port Royal de l'Acadie
parue
en 1708, texte français sur l'Amérique, montre par
contraste l'originalité et la valeur propre de l'oeuvre
poétique de Lescarbot en 1609, qui prend place de ce fait
dans
la littérature coloniale.
Revenons maintenant sur terre. La
génération spontanée de la littérature,
c'est trop exceptionnel pour correspondre à la
réalité. La population de Port-Royal en 1606-1607
compte environ une cinquantaine de personnes, tous des hommes. En
Acadie, de petites sociétés comme celle-là,
qui
a pu accueillir Marc Lescarbot, ne cesseront de se succéder
durant des décennies et même quelques siècles.
Champlain fonde le poste de Québec en 1608. Il s'agit
toujours d'une petite colonie de compagnie commerciale. Or, c'est
dans la vallée du Saint-Laurent, d'abord entre Québec
et Trois-Rivières, puis jusqu'à Montréal, que
se développera la société française
d'Amérique, la Nouvelle-France. Avant de chercher la
littérature coloniale, cherchons la colonie, une
société coloniale capable de développer une
littérature qui lui soit propre. Il faut attendre 1627
avant
que les compagnies marchandes à monopole soient
remplacées par une compagnie étatique, la Compagnie
des
Cent Associés ou la Compagnie de la Nouvelle-France, mais
c'est tout de suite le naufrage de la flotte et un retentissant
échec commercial. La colonie française est
même
conquise par les frères Kirke pour l'Angleterre.
En 1632, on doit tout recommencer à
zéro. Zéro. Alors seulement la colonie va pouvoir
se
développer avec les Habitants (ce sont les colons qui
possèdent des terres) sur une base économique, loin
du
pouvoir politique. Ce sera en 1645 la société
commerciale de la Communauté des Habitants, où
Trois-Rivières
devient la métropole de la colonie. Le coup
de théâtre ne vient toutefois qu'en 1663. C'est un
formidable tremblement de terre (au sens géologique, qui ne
fera d'ailleurs que peu de ravages, les constructions de la colonie
étant très modestes); c'est l'arrivée de deux
importants régiments de militaires qui vont imposer aux
Amérindiens la Paix de 1667, avant d'en imposer plusieurs
autres; c'est surtout la mise en place de la première
véritable structure politique qui fait de la colonie une
institution socio-économique relevant directement de la
Royauté de France, le Conseil souverain. Cela dit, le
Conseil
souverain de 1663 n'était pas là pour que le Canada
se
mette enfin à la littérature, évidemment.
D'ailleurs le système politique doit engager toute son
énergie à gérer une formidable expansion
territoriale (la Nouvelle-France se développe jusqu'au
Mississippi et bientôt jusqu'au golfe du Mexique), en
même temps que les guerres amérindiennes se
transforment
en guerres intercoloniales. Et ces guerres aux noms artificiels
sont
le reflet en Amérique de la guerre de la Ligue d'Augsbourg
et
de la guerre de Succession d'Espagne. Alors survient un
phénomène rare pour les Français
d'Amérique, la paix. Ce sera la paix de Trente ans, de 1713
à 1744. Au cours de cette période, une toute petite
population de moins de 20.000 âmes passe à près
de 50.000. Évidemment, comparées aux colonies
anglaises du littéral (qui ne comptent pas moins d'un
million
d'habitants), on peut dire que les trois colonies françaises
(Acadie, Canada et Louisiane) ne font pas le poids.
Parmi ces 50.000 personnes (hommes, femmes et
enfants), s'est-il trouvé un seul romancier ? Non,
aucun. Et cela s'explique facilement, car cette population, tout
comme celle de France et d'Europe, est très largement
analphabète, alors qu'à l'inverse les lettrés,
très peu nombreux, sont des hommes politiques, des
fonctionnaires, des religieux et quelques rares membres des
fonctions
libérales (arpenteurs, notaires, avocats et
médecins),
tous étant de pieux catholiques contrôlés par
le
pouvoir théocratique au moins jusqu'en 1663,
régentés ensuite par les évêques
successifs de Québec et les jésuites dont ces
évêques sont les créatures. Le moins que l'on
puisse dire est que les conditions ne sont pas réunies pour
que se développe en Nouvelle-France une littérature.
L'instruction, lorsqu'elle existe, se limite aux toutes
premières classes, sauf si l'élève brillant se
destine à la prêtrise ou s'il peut accéder aux
quelques professions libérales, auxquels cas il passera par
le collège des jésuites de Québec ou ira en
France, notamment s'il veut être chirurgien ou
médecin.
Les bibliothèques privées (car il n'en existe pas de
publiques) sont si peu nombreuses qu'on ne pourrait réunir
plus de 25 000 livres dans toutes la colonie, pour l'essentiel
des livres religieux, missels, livres d'heures et ouvrages
sacrés.
D'ailleurs il n'y aura jamais d'imprimerie
dans
la colonie où le métier d'imprimeur est interdit.
Même les ordonnances du pouvoir politique et les mandements
de
l'évêque se copient de manière artisanale, leur
promulgation correspondant à leur lecture publique. Les
mandements, parlons-en, voilà bien les chefs-d'oeuvre
littéraires de la colonie. Et les plus
célèbres
ont consisté à interdire le
théâtre !
Certes, on ne peut douter qu'une
littérature populaire orale se soit organisée et
développée dans la colonie, faite des apports
successifs de l'immigration, à partir des régions de
France et des traditions des métiers. La preuve en est que
ce folklore tiendra lieu de littérature durant pas moins
d'un
siècle après la conquête militaire et que ces
danses, ces chants et ces contes sont encore connus. Cela dit,
seule
une institution littéraire vivante aurait alors permis
à ce folklore populaire de rejoindre les diverses formes
d'expression artistique et esthétique, en passant par le
théâtre où précisément la
littérature se donne en spectacle.
On ne trouvera rien de tel en Nouvelle-France
où le théâtre sera une sorte
d'événement politique périodique et
aléatoire, quelques gouverneurs de la colonie faisant monter
une ou deux pièces à leurs frais. En 1640
déjà, le gouverneur Montmagny d'un côté
et les jésuites de l'autre organisent ensemble un spectacle
en l'honneur du dauphin qui deviendra Louis XIV,
respectivement
une tragi-comédie et un mystère. En 1646, le
même Montmagny fait représenter une action à
Québec, pièce dont on ne sait rien, sauf que le
supérieur des jésuites, par respect pour
l'Église qu'il représente, se fait excuser, y
déléguant toutefois trois de ses prêtres. La
représentation pieuse plaît à tous. Par la
suite, le gouverneur Jean de Lauzon, tout pieux qu'il soit,
amène avec lui l'art de la capitale, de sorte qu'on jouera
à Québec deux pièces de Corneille qui
connaissent encore un énorme succès à Paris,
Héraclius, le 4 décembre 1651, et le
Cid,
le 16 avril suivant. Enfin Frontenac vint. Il fait jouer
Nicodème de Corneille et Mithridate de Racine
durant l'hiver 1693-1694. L'hiver suivant, le gouverneur
entreprend
de faire jouer Le Tartuffe. Cela ne passera pas !
L'évêque de Québec et ses prédicateurs,
dont les sermons sur la décence et la moralité
publique
comptent parmi les grandes oeuvres de la colonie, ne se laisseront
pas ridiculiser par le projet impie. Et ce sera, pour le plus
grand
plaisir de la postérité, quelques mémorables
textes ecclésiastiques, dont le célèbre
Mandement sur les discours impies, puis le Mandement au
sujet des comédies. Mgr de Saint-Valier aura gain de
cause, s'acquittant toutefois des frais engagés par
Frontenac
pour le spectacle auquel il renonce, soit 100 pistoles, une somme
considérable. Pour finir, les « comédies,
bals, danses, mascarades et autres spectacles dangereux »
seront interdits et les acteurs excommuniés. Au XVIIIe
siècle, en 1749, l'intendant Bigot présidera à
de grands bals, au risque de voir ses participants
excommuniés. Mais on est loin maintenant du
théâtre.
Justement, revenons-y, car si le pouvoir
religieux a dû interdire le théâtre public, il
a
dû renoncer au théâtre privé des
collèges, dont les représentations impliquaient la
haute société politique. Ces spectacles et
représentations exceptionnelles n'ont pas à figurer
dans une histoire de la littérature coloniale, certes, mais
il en est une forme digne d'intérêt pour la raison
inverse, c'est-à-dire sa répercussion sociale. Il
s'agit des réceptions, dont la première en
Nouvelle-France,
on l'a vu, aura été grandiose, s'agissant du
spectacle nautique de Lescarbot qui sert de réception
à
Poutrincourt. De la même manière, mais bien plus
modestement, les jésuites rédigeront-ils et
prépareront-ils la réception du gouverneur Louis
d'Ailleboust, le 20 août 1648. Même chose pour la
réception de Jean de Lauzon, le 18 octobre 1651. La
réception du gouverneur d'Argenson, le 28 juillet 1658, est
plus célèbre, tout simplement parce que c'est le seul
texte qui nous soit parvenu de ces cérémonies
protocolaires organisées par les professeurs jésuites
pour les autorités politiques. Ici, deux génies
président à la présentation des divers
groupes,
les Français puis les Hurons et les Algonquins, et pour
finir
tous les alliés amérindiens contre l'Iroquoisie, dont
un représentant fait chaque fois un compliment de bienvenue.
La dernière de ces réceptions dont on a gardé
trace est du 25 janvier 1727 et on en a conservé et le texte
et le nom de son auteur, le père de La Chasse, car cette
fois,
c'est l'évêque Saint-Vallier qui commande
lui-même
sa propre célébration !
Bref, s'il y eut du théâtre, on
ne
trouve, au moment où sonne le glas de la colonie
française avec la conquête militaire, aucune forme
viable de théâtre colonial en Nouvelle-France. Aucune
troupe, aucune oeuvre. Pas de roman, on le sait
déjà.
Alors qu'en est-il de la poésie ? Même constat.
Il y eut dans la colonie, des origines à la fin de ses
jours,
d'innombrables bouts rimés, au sens strict. L'intendant
Talon, par exemple, échange quelques rimes avec les bonnes
soeurs hospitalières, ce qui n'intéresse
évidemment pas la littérature. En revanche, deux
essais caractérisent du point de vue poétique la
colonie française. Un petit poème burlesque qui ne
paie pas de mine et une petite épopée sous forme de
pochade qui n'est rien de moins qu'un bijou.
Peu importe ce que deviendra René-Louis
Chartier de Lotbinière (un fonctionnaire
apprécié de la colonie). Peu importe même que
l'enfant soit arrivé avec sa famille à Québec
au bel âge de dix ans, en 1651. Peu importe enfin qu'il fut
l'élève des jésuites au collège de
Québec. Il importerait même fort peu qu'il eût
participé, avec une centaine d'autre Canadiens, à
l'expédition de trois cents soldats du régiment de
Carignan, des Français ceux-là, dirigée contre
l'Iroquoisie par Rémy de Courcelles, en plein hiver, en
janvier 1666, s'il ne s'agissait de littérature. Ce fut la
défaite ou plutôt l'échec pour de Courcelles,
mais un beau petit poème satirique pour notre Canadien. Il
est rédigé au retour, dans la maison familiale :
« Sur le voyage de monsieur de Courcelles gouverneur et
lieutenant général pour le roy en la Nouvelle-France
en l'année 1666, vers burlesques ».
| |
|
La victoire auroit bien parlé
De la démarche et
défilé
Que vous avez faict grand Courcelles
Sur des chevaux faicts de fiselles.
Mais en voyant vostre harnois
Et vostre pain plus secq que noix
Elle n'auroit peu nous descrire
Sans nous faire pasmer de rire. (TP 53)
|
| |
Ce poème, resté dans les cartons de l'histoire, est
une
belle pièce de la littérature coloniale de
Nouvelle-France.
Les « chevaux faicts de fiselles »,
les
raquettes, qui riment avec le grand Courcelles; un grand vent du
nord-ouest bien froid « qui ne nous prit pas par
derrière » (bel octosyllabe !), alors que
notre
milicien aurait bien aimé « sa
trahison »;
voilà donc une pauvre armée en « souliers
de
parchemin », chaque soir « le dos au froid le
nez
au feu ». Bref, on a plutôt combattu les
éléments que les Iroquois, de sorte qu'on aura vaincu
l'hiver canadien, ce barbare ! En effet, le poème de
cinq cents octosyllabes se termine avec dix alexandrins, dont ces
derniers :
| |
|
En sérieux je diray que [...]
La victoire vous doict ce qu'elle a de plus
rare
Puisque vos actions en domptant ce Barbare
Ont eu pour fondement au sortir de ce lieu
Le service du prince et la gloire de Dieu.
(62-63)
|
| |
Autrement dit, en alexandrins, le gouverneur avait de bonnes
intentions, mais, en octosyllabes, il s'est trompé d'ennemi,
n'ayant jamais rencontré le Barbare iroquois, mais bien le
Barbare hiver canadien !
Si l'on ne voulait voir dans cette oeuvre
qu'une
bluette, ce serait mépriser l'art des recommencements. Tout
comme la littérature de France a dû
réécrire l'art gréco-latin, il faut qu'une
littérature coloniale reprenne tout à son tour. Cela
dit, on ne part pas à zéro lorsqu'on peut avoir pour
modèle le champion de L'Art poétique. C'est
Boileau, qui gouverne la République des lettres aussi bien
en
France qu'en Nouvelle-France. L'une de ses oeuvres sert de
modèle au second grand poème de la Nouvelle-France,
le
plus remarquable de tous les points de vue, aussi bien pour l'art
littéraire que pour la critique sociale.
Le jeune séminariste Étienne
Marchand rédige en 1733 une épopée sur
« Les troubles de l'Église du Canada en
1728 ». Une épopée de cinq cents
alexandrins, ce qui est déjà une plus belle
réussite classique que les cinq cents octosyllabes de
Lotbinière. En plus, ce poète en herbe ne donne pas
dans le burlesque, mais dans la parodie de l'épopée,
puisqu'il s'agit de chanter sur le mode de la tragédie un
des
épisodes loufoques des belles histoires de la
Nouvelle-France.
L'histoire se passe donc au moment de la mort de Saint-Valier et la
question est de savoir qui lui succédera. Voici l'ouverture
du magnifique poème.
| |
|
Je chante les excès de ce zèle
profane
Qui dans les coeur dévots enfanta la
chicane
Et qui dans une Église exerçant
sa fureur
A semé depuis peu le désordre et
l'erreur.
Sous ce masque un chanoine abusant d'un vain
titre
Fier de sa dignité, méprisant le
chapitre,
Pour soutenir les droits de
l'archidiaconat
Enterre de son chef un illustre
prélat.
C'est en vain qu'à l'envi partout on se
prépare
A lui rendre un honneur dont il fut trop
avare.
Lotbinière assisté d'un juge et
d'un bourreau
Le fait par des laquais traîner dans le
tombeau.
Muse, raconte-moi quelle jalouse envie
De ces hommes de Dieu peut corrompre la
vie
Et comment en public, préchant
l'humilité,
Ils conservent dans l'âme autant de
vanité. (TP 132)
|
| |
On aura donc reconnu la facture du célèbre
Lutrin de Boileau auquel Étienne Marchand emprunte la
forme du poème héroïcomique, quelques rimes,
quelques tournures syntaxiques et beaucoup de vocabulaire. Mais en
réalité, tout cela est de l'ordre de la citation.
Étienne Marchand nous annonce dès l'ouverture du
poème qu'il a l'intention de réécrire Le
Lutrin, sur un sujet autrement plus grave (c'est-à-dire
encore plus anodin, on y reviendra) que la querelle qui opposa en
1667 le chantre et le trésorier de la Sainte-Chapelle de
Paris
et que Boileau rédigea par pur plaisir en 1673, alors que le
poème ne paraîtra en son entier qu'en 1683. Les
lecteurs d'Étienne Marchand s'en rappelleront l'ouverture,
dont ces quelques vers du premier chant.
| |
|
Je chante les combats, et ce Prelat
terrible,
Qui par ses longs travaux, et sa force
invincible,
Dans une illustre Eglise exerçant son
grand coeur,
Fit placer à la fin un Lutrin dans le
Choeur.
....................................................
Muse, redy-moy donc quelle ardeur de
vengeance,
De ces Hommes sacrez rompit
l'intelligence,
Et troubla si long-temps deux celebres
Rivaux.
Tant de fiel entre-t-il dans l'ame des devots
? (Boileau 191)
|
| |
Mais peu importe la source d'Étienne
Marchand, car il ne s'agit pas d'imitation, mais de parodie au
second
degré. Alors que Boileau parodiait pour le plaisir de la
satire les tragiques (Racine, en particulier, dans des vers qu'il
soustraira de l'édition définitive par égard
pour son ami), Marchand pastiche Boileau lui-même, avec un
sujet beaucoup plus satirique. En effet, le poète feint,
dans
le style le plus sublime, de raconter une querelle de clocher. Il
s'agit de savoir qui dirigera l'évêché de
Québec en attendant la désignation d'un nouvel
évêque. Le chapitre de Québec élit
aussitôt Boulard, curé de Québec, comme vicaire
général du diocèse, avec l'appui du gouverneur
Charles de Beauharnois. Cependant, l'intendant Dupuys, avec le
Conseil Supérieur qu'il contrôle, nomme à ce
poste l'archidiacre Chartier de Lotbinière. Celui-ci ne
perd
pas de temps pour affirmer son autorité de manière
vraiment spectaculaire, même si c'est en cachette : il
fait inhumer dans le plus grand secret, de nuit, la
dépouille
de l'évêque dont les funérailles grandioses
devaient avoir lieu le lendemain. Le 3 janvier 1728, c'est
l'émeute à Québec. Le premier trait d'humour
d'Étienne Marchand a une nette portée satirique. Il
consiste à présenter comme un petit incident
insignifiant, tout comme celui du lutrin chanté par Boileau,
une affaire sordide qui illustre les jeux politiques entourant le
pouvoir ecclésiastique au plus haut niveau de la colonie.
Inutile de dire que le texte n'a circulé que dans des
milieux
très restreints et que peu de copies manuscrites nous en
sont
parvenues.
Or, la réussite du petit poème
de
482 vers en deux chants est exceptionnelle à tous les
niveaux.
Les deux premières rimes, profane/chicane, impliquent les
sens
courants, les sens spécialisés et les sens
étymologiques des deux mots : profane vient de
profanation, ce qui s'oppose au zèle saint et sacré
que
l'on attend des représentants de l'Église et de
l'État, tandis que la chicane a déjà son sens
affaibli moderne au moment où le poème est
rédigé, soit la dispute et la querelle, alors que le
mot désigne aussi son sens juridique précis, soit
l'abus de procédures judiciaires. Par ailleurs, tout le
poème est empreint d'une très large et très
vivante culture littéraire classique. Le narrateur
évoque la sagesse de Saint-Vallier qui veillait jour
après jour sur sa ville de Québec.
| |
|
Mais ses jours passés à nos yeux
comme une ombre
Une éternelle nuit vint terminer le
nombre.
Il mourut... (132)
|
| |
La chute, « il mourut », avec ses points de
suspension, accentue la double évocation littéraire
des
deux vers précédents pour désigner la mort,
soulignée par la rime ombre/nombre, le premier mot
étant homérique et le second biblique. La
portée sociale, satirique et morale du poème est
importante, d'autant que les personnages sont des personnes
nommément désignées. Pourtant, son
caractère esthétique l'emporte sur tout et en
particulier la maîtrise de la narration, comme l'illustre la
fin du premier chant, qui répond à son ouverture. Le
narrateur supplie sa muse de se taire et de ne pas dire le forfait
au centre de l'épisode :
| |
|
« Deux effrontés laquais »
— taisez-vous ils sont hommes
Et dans un pareil cas ils sont ce que nous
sommes —
Signalant à l'envi leur
intrépidité,
A peine eurent-ils ouï le libéra
chanté,
Que prenant le prélat de leurs mains
scandaleuses
... Muse, encore une fois, il n'est
d'âmes
pieuses
Qui ne tremblent d'horreur à ce
récit nouveau —
Le trainèrent en terre assistés
d'un bourreau. (136)
|
| |
Et comme on le voit, en particulier à ce dernier alexandrin,
la qualité de la versification ne démérite pas
du maître, Boileau.
Ce poème auré été
le sommet de la poésie et de la littérature coloniale
de Nouvelle-France, un haut pic, certes, mais tout à fait
isolé. Il a été composé, rappelons-le,
en 1733, en plein milieu de la Paix de Trente ans, qui porte bien
son
nom dans une colonie qui a toujours été en guerre,
guerres qui reprennent aussitôt, la Guerre de Succession
d'Autriche, puis la Guerre de la Conquête. Dès lors,
il est facile de comprendre que la littérature coloniale,
alors embryonnaire, ne verra en fait jamais le jour. Car s'il y a
quelques pièces au dossier entre deux épopées,
celle de Lescarbot sur la victoire des Souriquois en 1607 et celle
de Marchand sur l'enterrement de Saint-Vallier en 1733, la
littérature coloniale de Nouvelle-France n'a pas d'autre
réalisation esthétique. Autrement, il s'agit
d'écrits privés sans prétention
littéraire aucune. Il en existe en fait deux grandes
formes,
elles-mêmes multiformes, les journaux de campagnes militaires
et les correspondances privées. Du début à la
fin de la Nouvelle-France, les journaux et récits des
militaires de passage, qui sont bien des écrits coloniaux,
ne
sont jamais rien d'autre que ce qu'en voulait faire leurs auteurs,
c'est-à-dire des documents, du journal de Pierre de Troyes
en
1686 ou celui de Louis-Henri de Baugy en 1687, jusqu'aux journaux
de
la Conquête, ceux même de Montcalm ou de Lévis
de
1656 à 1659, voire les journaux du siège de
Québec par la religieuse hospitalière Legardeur de
Repentigny et deux militaires anonymes.
En fait, ce qui montre le mieux l'état
réel de la colonie du point de vue littéraire et
culturel, ce sont ses correspondances privées. En
vérité, parmi des archives considérables
où les lettres se comptent par centaines de milliers et les
correspondances par dizaines, on ne trouve que trois documents
humains. D'abord la correspondance de Marie-Andrée Regnard
Duplessis de Sainte-Hélène, celle-là
même
qui rédigera les annales de l'Hôtel-Dieu, avec Mme
Hecquet de La Cloche à Abbeville en France (de 1720 à
1758); la relation que Marie-Madelaine Hachard, religieuse de la
Nouvelle-Orléans, destine à son père et qui
paraît à Rouen en 1728; et surtout les neuf cahiers
qu'Élisabeth Bégon adresse de Montréal
à
son gendre en Louisiane (de 1748 à 1753). Ces trois
correspondances sont de plus en plus passionnantes et la
dernière est captivante.
Originaire de Montréal, la veuve de
Claude-Michel Bégon avait sillonné la Nouvelle-France
avec son mari, habitant tour à tour les trois grandes villes
de la colonie, Québec, Trois-Rivières et
Montréal. Elle écrit à son gendre Michel de
Villebois, veuf, qui vient de quitter la colonie en lui laissant la
garde de sa fille. Élisabeth Bégon est donc une
femme
d'expérience, qui vit maintenant retirée avec son
père et sa petite-fille, mais qui observe la petite vie
coloniale, la vie quotidienne comme la vie politique, d'un oeil
critique. Voilà comment elle idéalise de plus en
plus
son gendre Michel, auquel elle se confie de plus en plus
tendrement.
Puis, tout tourne au drame, un drame culturel, lorsqu'elle
s'expatrie
à La Rochelle en septembre 1749, dans la famille de son
mari.
Elle devient l'Iroquoise qui écrit de France à son
gendre en Louisiane avec lequel elle en vient à se quereller
par courrier ! Et c'est même la fin tragique de la
correspondance elle-même, la pauvre exilée apprenant
la
mort de son correspondant en 1752, avec le retour de son dernier
envoi. Alors, rien de plus triste à relire que la
dernière lettre, avec son dernier alinéa, avec ce mot
sur sa santé, avec le vouvoiement mêlé au
tutoiement, la plainte au pardon, sachant que le correspondant ne
l'aura pas lue:
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Adieu, mon très cher fils. Je vous demanderai toujours avec
instance de ménager votre santé qui m'est infiniment
chère, malgré tout le chagrin que vous m'avez
donné. Aimez-moi et vos enfants autant que nous vous
aimons,
ce n'est pas peu dire, et ne grognez plus : il me semble qu'on
peut se dire ce que l'on pense sans en venir aux duretés.
Adieu, je t'embrasse mille et mille fois et serai, toute ma vie, ta
tendre et trop bonne mère. (Bégon 314)
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Ainsi s'achève symboliquement la
littérature coloniale de Nouvelle-France, si du moins il
s'agissait là de littérature. Au sens strict, en
effet, la conclusion s'impose d'elle même après
l'exposé des faits : bien qu'il ne fasse aucun doute
qu'il existe une culture propre à la colonie, distincte de
la
culture française, en revanche, cette culture n'a pas eu le
temps de développer une littérature. Elle n'en
compte
pas moins quelques grandes oeuvres d'une vie littéraire
encore
embryonnaire.
Guy Laflèche,
août 2007,
version abrégée parue en anglais en 2008,
original revu en décembre 2009.
Une version abrégée de ce
panorama
a paru, sans ses références, sous le titre
« The literature of New France (1604-1760) »,
dans History of literature in Canada : english-canadian and
french-canadian (sic), édition de Reingard Monica
Nischik,
Rochester, Camden House, 2008, 605 p., p. 45-66.
Je me
dissocie tout à fait de l'exposé
fédéraliste de R. M. Nischik qui sert d'introduction
à l'ouvrage. D'ailleurs, le manuel devait s'intituler
History of
canadian literature (comme sa version allemande parue en 2005,
Kanadische literaturgeschichte, no 1432). C'est devant mes protestations que
ce titre a été changé. Ayant mon texte en
main, l'éditrice et son éditeur ont toutefois
refusé que la littérature québécoise ne
soit désignée par son nom dans le titre de l'ouvrage.
En Allemagne, manifestement, on en est encore au combat
d'arrière-garde, comme ce fut le cas des
fédéralistes durant très longtemps au
Québec.
Et je dois préciser qu'il ne s'agit pas
d'ignorance ou d'insensibilité, comme je l'ai d'abord
pensé. « Under these circumstances, the subtitle
"English-Canadian and French-Canadian" seemed the most appropriate,
referring to the languages in which the literature [the
canadian literature !] presented is writteen »
(p. 7, voyez la note 12, où un fragment d'un de
mes
nombreux courriers électroniques est naïvement
cité pour faire bonne figure). Bien au contraire, le
contresens
spatio-temporel est délibéré. Il s'agit de
soustraire au Québec sa littérature pour en faire un
appendice « canadien ». Comme dans le bon
vieux
temps. Bien entendu, la langue du Québec
n'est
pas l'iroquois (Crémazie), mais c'est du moins le
français, et non pas l'anglais du Canada. Reste à
faire comprendre qu'il s'agit de la langue nationale du
Québec
et que la littérature correspondante est la
littérature
québécoise. La littérature
québécoise, madame Nischik !
J'admets que la question est
compliquée,
car si les écrivains québécois, et en
particulier les Montréalais, qui écrivent en anglais
sont, par définition, des écrivains canadiens, tel
n'est pas le cas des Canadiens français, soit les Canadiens
qui écrivent en français (en dehors du
Québec !). Et la cause en est que le Québec
n'est
pas un pays, tout simplement. Une fois l'indépendance du
Québec réalisée, il est possible, pourquoi
pas ?, que naisse une littérature
québécoise-anglaise, comme c'est le cas des
littératures canadiennes-françaises (d'Acadie,
d'Ontario ou du Manitoba). Mais cela ne se produira pas avant un
bon
siècle, étant donné la puissance dominatrice
du
Canada sur le Québec : il faudra beaucoup de temps
avant
que les écrivains québécois de langue anglaise
se sentent radicalement étranger au Canada, comme c'est le
cas
des Canadiens français (même lorsqu'ils sont au bord
de
l'assimilation...).
Cela dit, on pouvait faire encore (moins) pire
que R. M.
Nischik et ce sera the Cambridge History of canadian
literature (édition de Coral Ann Howells et d'Eva-Marie
Kröller, Cambridge University Press, 2009,
xlviii-753 p.),
une histoire littéraire franchement canadian
où
les écrits de la Nouvelle-France et de la colonie
française représentent un très vague sous-sol
assez mal exploré, dans lequel reposeraient surtout des
crucifix, avec pour finir un apendice exotique que des Britanniques
et des Canadiens français présentent comme
« écrit en français dans le
texte ».
Toutefois, ce n'est pas ridicule. Il est
même tout à fait attendu qu'en Grande-Bretagne, comme
au Canada (je parle bien entendu du Canada des Rocheuses), des
littéraires qui s'improvisent historiens sans avoir aucune
compétence dans le domaine de l'histoire, en particulier de
l'histoire socio-politique, ne comprennent pas qu'il y a au Canada
deux nations, deux langues et, par conséquent, deux
littératures. Et ils ne peuvent pas compter sur les
universitaires canadiens, fussent-ils d'origine
québécoise, d'Ottawa à Vancouver, pour leur
expliquer la situation. Les éditeurs comptaient au
contraire
(cf. p. 2, c'est le dépassement du biculturalisme et du
multiculturalisme dans une harmonieuse globalisation !) sur
Neil
Ten Kortenaar (« Multiculturalism and
globalisation », p. 556-579) pour noyer le poisson,
mais sa section « Quebec's difference » (p.
567-570)
reste tout à fait pertinente dans un chapitre au sujet
vraiment tordu (où un Samuel Beckett, un exemple entre mille
de la littérature française, devrait être
situé dans une section
« multiculturelle » : il faut être
au
Canada ou traiter du Canada pour imaginer une pareille sottise).
Tant pis si j'en rajoute : la toute dernière partie du
recueil s'intitule « Writing in french »
(p. 581-651). Un petit appendice sur la littérature
québécoise, après tout un livre
consacré
à la littérature canadienne — qui n'a pas
besoin
d'être désignée, elle, du titre
« Writing in english », évidemment. Il
suit que les deux chapitres consacrés à la
Nouvelle-France
(cf. no 1438) ne sont qu'une
soyeuse draperie devant la
porte permettant d'entrer de plain pied au Canada. Cela
découle de la Conquête militaire d'une colonie
française, la Nouvelle-France. The Cambridge History of
canadian literature, après la conquête de la
Nouvelle-France en
1760, fait donc aujourd'hui celle de la
littérature québécoise. Pourquoi pas ?
Les Canadiens sont toujours nos maîtres et je trouve tout
à fait naturel que des historiens britanniques et canadiens
de la littérature nous le rappellent.
On trouvera, bien entendu, toutes les
références aux oeuvres en question dans ce panorama
d'histoire littéraire dans la Bibliographie
littéraire et le supplément qu'on en trouve
ci-contre.
Je rappelle que l'ouvrage peut se consulter sur la
bibliothèque électronique de Google.
Bégon, Élisabeth, 1972, Lettres au cher fils,
éd. de Nicole Deschamps, Montréal, Hurtubise HMH
(bg. 21).
Boileau, Nicolas, 1966, OEuvres complètes, Paris,
Gallimard.
Cartier, Jacques, 1986, Relations, éd. de Michel
Bideaux, Les Presses de l'Université de Montréal
(bg. 43).
Casson, François Dollier, 1992, Histoire du
Montréal, édition de Marie Boboyant et de Marcel
Trudel, Montréal, Hurtubise HMH (bg. 92).
JR : Jesuit Relations and Allied Documents, éd. R. G.
Thwaites, Cleveland, Burrows, 1896-1901, 73 vol.
(bg. 185)
Lahontan, Louis Armand de Lom d'Arce de, 1990, OEuvres
complètes, édition de Réal Ouellet et
d'Alain Beaulieu, Les Presses de l'Université de
Montréal (bg. 145).
Lescarbot, Marc, 2004, Les Muses de la Nouvelle-France,
édition de Bernard Émont, Paris, L'Harmattan
(no 1240).
TP : Textes poétiques du Canada français,
1987,
édition de Jeanne d'Arc Lortie, Montréal, Fides,
vol. 1, 1606-1806 (bg. 2).
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