25) 46: 14 P 1868, B 1869
lorsque celui qui tient la pioche de ses tremblantes mains >
lorsque celui qui tient la pioche, de
ses tremblantes mains
26) 46: 20 P 1868 (et P 1869)
le créateur de l'univers > B
1869 le Créateur de
l'univers
Réécriture automatique fautive
du typographe : le Créateur, majuscule, est le
créateur de l'univers, minuscule.
27) 46: 21 P 1868, B 1869 Le
créateur/Créateur de l'univers, je lui ai toujours
conservé mon amour; mais si, après la mort > Le
créateur de l'univers, je lui ai toujours conservé
mon amour; mais, si, après la
mort
28) 46: 23 P 1868, B 1869
pourquoi vois-je la plupart des nuits chaque tombe s'ouvrir >
pourquoi vois-je, la plupart des
nuits, chaque tombe s'ouvrir
29) 46: 23 P 1868, B 1869
chaque tombe s'ouvrir et leurs habitants soulever doucement les
couvercles de plomb > chaque tombe s'ouvrir, et leurs habitants soulever doucement les
couvercles de plomb
30) 46: 25 P 1868, B 1869
soulever doucement les couvercles de plomb pour aller respirer
l'air frais > soulever doucement les couvercles de plomb, pour aller respirer l'air frais
31) 46: 25 T
: P 1868, B 1869 pourquoi vois-je [...] chaque tombe s'ouvrir et
leurs habitants soulever doucement les couvercles de plomb, pour
aller respirer l'air frais ? >
pourquoi vois-je [...] chaque tombe s'ouvrir, et leurs habitants
soulever doucement les couvercles de plomb, pour aller respirer
l'air frais. — Je rétablis
le point d'interrogation.
32) 46: 27 P 1868, B 1869 tu
me parais faible comme le roseau, ce
serait une grande folie de continuer. > tu me parais faible
comme le roseau; ce serait une grande
folie de continuer.
33) 47: 1 P 1868, B 1869 Toi,
mets-toi à l'écart, tu me
donneras des conseils > Toi, mets-toi à
l'écart; tu me donneras des
conseils
34) 47: 2 P 1868, B 1869 tu
me donneras des conseils si je ne fais pas bien. > tu me
donneras des conseils, si je ne fais
pas bien.
35) 47: 7 P 1868, B 1869
toutes ces tombes qui sont éparses dans un cimetière
comme les fleurs dans une prairie > toutes ces tombes, qui sont éparses dans un
cimetière, comme les fleurs
dans une prairie
36) 47: 11 P 1868, B 1869 Les
hallucinations dangereuses peuvent venir le jour, mais > Les hallucinations dangereuses
peuvent venir le jour; mais
37) 47: 12 P 1868, B 1869
mais elles viennent surtout la nuit. > mais, elles viennent surtout la nuit.
38) 47: 12 P 1868 Par
conséquent ne t'étonne pas des visions fantastiques
> B 1869, P 1869 Par conséquent, ne t'étonne pas des visions
fantastiques
Très exceptionnelle correction
concomitante des deux rééditions. Tellement
exceptionnelle qu'on peut croire à une simple rencontre de
hasard.
39) 47: 16 P 1868, B 1869
elle te dira avec sûreté que > elle te dira, avec sûreté, que
40) 47: 17 P 1868, B 1869 le
Dieu qui a créé l'homme avec une parcelle de sa
propre intelligence, possède une
bonté sans limites > le Dieu qui a créé
l'homme avec une parcelle de sa propre intelligence possède
une bonté sans limites
La soustraction est étonnante. Certes,
la ponctuation était fautive, séparant le verbe de
son sujet, mais on attendrait plutôt l'addition d'une virgule
après le sujet (Dieu) pour encadrer la relative. Comme
trois soustractions du même genre se trouvent à la
strophe précédente, on ne peut l'attribuer au
typographe.
41) 47: 18 P 1868, B 1869
[Dieu] recevra après la mort terrestre ce chef-d'oeuvre dans
son sein. > [Dieu] recevra,
après la mort terrestre, ce
chef-d'oeuvre dans son sein.
42) 47: 20 P 1868, B 1869
Pourquoi ces larmes pareilles à celles d'une femme ?
> Pourquoi ces larmes, pareilles
à celles d'une femme ?
43) 47: 21 P
1868, B 1869 Rappelle-te le bien;
nous sommes sur ce vaisseau démâté pour
souffrir. > Rappelle-toi-le bien; nous sommes sur ce vaisseau
démâté pour souffrir.
Pur hispanisme : recuérdalo, ou
explétivement, recuérdatelo. À remarquer que
l'ordre inverse du français en espagnol se justifie en
français ici, l'inversion permettant d'éviter la
rencontre des deux syllabes (la graphie
« le-le »), rappelle-le-toi, d'autant que
l'inversion n'est jamais fautive (cf. Grevisse, par. 482, 3,
a).
On ne sera pas surpris qu'une faute aussi
évidente soit reproduite dans l'édition de Bordeaux,
puisqu'on sait maintenant qu'il s'agit généralement
d'une copie aveugle de l'édition princeps, proche de la
réimpression en dépit de quelques variantes, comme
les variantes (23), (24) et (29) ci-dessus.
44) 47: 23 P 1868, B 1869
C'est un mérite pour l'homme que Dieu l'ait jugé
capable de vaincre ses souffrances les plus graves. > C'est un
mérite, pour l'homme, que Dieu l'ait jugé capable de
vaincre ses souffrances les plus graves.
45) 47: 25 P 1868, B 1869
puisque d'après tes voeux les plus chers l'on ne souffrirait
pas > puisque, d'après tes
voeux les plus chers, l'on ne
souffrirait pas
46) 48: 6 P
1868, B 1869 Quel est cet homme dont le langage sublime a dit des
choses que le premier venu ne serait pas
capable de dire ? > Quel est cet homme dont le
langage sublime a dit des choses que le premier venu n'aurait pas prononcées ?
Hypercorrection. Le correcteur de la strophe
précédente, vraisemblablement Georges Dazet, est
toujours à l'oeuvre : la réécriture a
pour but d'éviter la répétition du verbe dire
(dire des choses qu'un autre ne saurait dire). Ducasse n'avait
jamais eu de tels soucis de style académique avant la
strophe précédente. Bien entendu, cette variante,
comme deux ou trois autres (on y reviendra en conclusion), ne
saurait constituer une preuve de l'hypothèse, mais elle la
renforce, car il est peu vraisemblable qu'une telle hypercorrection
soit de Ducasse. À remarquer que la correction produit une
expression boiteuse en français : prononcer des
choses.
47) 48: 8 P 1868, B 1869 Je
préfère l'entendre parler que chanter d'autres. >
Je préfère l'entendre parler, que chanter d'autres.
48) 48: 12 P
1868, B 1869 ces paroles que Dieu seul a pu inspirer. > ces
paroles que l'amour de Dieu seul a pu
inspirer.
49) 48: 12 P 1868, B 1869 Son
front ridé de quelques plis [...] est marqué d'un
stigmate indélébile. > Son front, ridé de quelques plis, est marqué d'un stigmate
indélébile.
50) 48: 13 P
1868, B 1869 Son front ridé de quelques plis (s'avançant d'un pas en le désignant
du doigt) est marqué d'un stigmate
indélébile. > Son front, ridé de quelques
plis, est marqué d'un stigmate indélébile.
51) 48: 23 P 1868, B 1869 La
sueur mouille sa peau, il ne s'en
aperçoit pas. > La sueur mouille sa peau; il ne s'en aperçoit pas.
52) 48: 27 P 1868 (et P 1869)
Étranger, permets que je te
touche > B 1869 Étranger, permets que je
touche
53) 49: 6 P 1868, B 1869 Que
me veux-tu quand je creuse une tombe ? > Que me
veux-tu, quand je creuse une
tombe ?
54) 49: 7 P 1868, B 1869 Le
lion ne souhaite pas qu'on l'agace quand il se repaît. >
Le lion ne souhaite pas qu'on l'agace,
quand il se repaît.
55) 49: 10 P
1868, B 1869 Ce qui frissonne à mon contact en me faisant
frissonner moi-même, est de la chair > Ce qui frissonne
à mon contact, en me faisant
frissonner moi-même, est de la chair
Voir la variante (13) et sa correction.
56) 49: 11 P 1868, B 1869 Ce
qui frissonne à mon contact [...] est de la chair à
n'en pas douter. > Ce qui frissonne à mon contact [...]
est de la chair, à n'en pas
douter.
57) 49: 12 P
1868, B 1869 Ce qui frissonne à mon contact en me faisant
frissonner moi-même, est de la chair à n'en pas
douter. (Il recule avec des marques
d'effroi.)
Soustraction. La didascalie entre
parenthèses est purement et simplement soustraite, comme
celle qui précède, variante (50),
ou celle qui suit, à la prochaine variante.
58) 49: 12 P
1868, B 1869 Il est vrai... je ne rêve pas ! (Il reste un instant sans rien dire, en le
fixant.)
59) 49: 12 P 1868, B 1869 Qui
es-tu donc, toi qui te penches là pour creuser une tombe
> Qui es-tu donc, toi, qui te
penches là pour creuser une tombe
60) 49: 15 P 1868, B 1869
C'est l'heure de dormir ou de sacrifier son repos à la
science. > C'est l'heure de dormir,
ou de sacrifier son repos à la science.
61) 49: 18 P 1868, B 1869 se
garde de laisser la porte ouverte pour ne pas laisser entrer les
voleurs. > se garde de laisser la porte ouverte, pour ne pas laisser entrer les voleurs.
62) 49: 19 P 1868, B 1869 Il
s'enferme dans sa chambre le mieux qu'il peut > Il s'enferme
dans sa chambre, le mieux qu'il
peut
63) 49: 26 P 1868, B 1869
Maintenant, déshabille-moi, puis
> Maintenant, déshabille-moi;
puis
64) 49: 26 P 1868, B 1869
puis tu me mettras dedans. > puis,
tu me mettras dedans.
65) 49: 27 P 1868, B 1869 La
conversation que nous avons tous les deux depuis quelques instants
> La conversation, que nous avons
tous les deux, depuis quelques
instants
66) 49: 28 P 1868, B 1869 La
conversation que nous avons tous les deux depuis quelques instants
est si étrange > La conversation, que nous avons tous les
deux, depuis quelques instants, est si étrange
67) 49: 28 P 1868, B 1869 La
conversation [...] est si étrange que je ne sais que te
répondre... > La conversation [...] est si
étrange, que je ne sais que te
répondre...
68) 50: 4 P
1868, B 1869 Oui, oui, c'est vrai, je voulais rire; ne fais plus
attention à ce que j'ai dit. (Il
s'affaisse, le fossoyeur le soutient.) >
— Oui, oui, c'est
vrai, je voulais rire; ne fais plus attention à ce que j'ai
dit. Il s'est
affaissé, et le fossoyeur s'est empressé de le
soutenir !
69) 50: 22 P 1868, B 1869 tu
t'égarerais pendant que tu cheminerais. > tu
t'égarerais, pendant que tu
cheminerais.
70) 50: 24 P 1868, B 1869 Aie
confiance en moi, car > Aie
confiance en moi; car
71) 50: 24 P 1868, B 1869 car
l'hospitalité ne demandera point la violation de tes
secrets. > car, l'hospitalité
ne demandera point la violation de tes secrets.
72) 50: 26 — 51:
1 P 1868, B 1869 Dazet [D...
B 1869], tu disais vrai un jour; je ne t'ai point
aimé > O pou
vénérable, toi dont le corps est dépourvu
d'élytres, un jour, tu me reprochas avec aigreur de ne pas
aimer suffisamment ta sublime intelligence, qui ne se laisse pas
lire; peut-être avais-tu raison
73) 51: 5 P 1868, B 1869 Que
tu sois un criminel qui n'a pas eu la précaution de laver sa
main droite avec du savon > Que tu sois un criminel, qui n'a pas eu la précaution de
laver sa main droite, avec du savon
74) 51: 6 P 1868, B 1869 la
précaution de laver sa main droite avec du savon
après avoir commis son forfait > la précaution de
laver sa main droite, avec du
savon, après avoir commis son
forfait
75) 51: 8 P 1868, B 1869
facile à reconnaître par l'inspection de cette main
> facile à reconnaître,
par l'inspection de cette main
76) 51: 10 P
1868, B 1869 quelque monarque dépossédé
fuyant de ses royaumes > quelque monarque
dépossédé, fuyant
de ses royaumes
77) 51: 10
T : P 1868, B 1869 mon palais vraiment grandiose est digne
de te recevoir. > mon palais vraiment grandiose, est digne de te recevoir.
Nouvelle anomalie : l'addition d'une virgule
isolée s&eacu-te;parant le sujet et le verbe. La
correction s'impose d'elle-même : mon palais, vraiment grandiose, est digne de te recevoir. J'ajoute donc la
virgule qui manque.
78) 51: 13 P 1868, B 1869 une
pauvre chaumière mal bâtie > une pauvre
chaumière, mal bâtie
79) 51: 13 P 1868, B 1869 une
pauvre chaumière mal bâtie, mais > une pauvre chaumière, mal
bâtie; mais
80) 51: 14 P 1868, B 1869 une
pauvre chaumière mal bâtie, mais cette
chaumière célèbre > une pauvre
chaumière, mal bâtie; mais, cette chaumière
célèbre
81) 51: 14 P
1868, B 1869 cette chaumière célèbre a un
passé historique qu'elle renouvelle
sans cesse. > cette chaumière
célèbre a un passé historique que le présent renouvelle et continue sans
cesse.
La réécriture explique
manifestement ce que Ducasse voulait exprimer en disant à
peu près le contraire, puisque renouveler le passé,
ce serait le rendre nouveau et présent, tandis qu'au sens de
« renouveler et continuer » c'est le refaire,
le faire à nouveau (historique). Cela étant dit,
l'expression originale était vraiment d'une saisissante
beauté.
82) 51: 16 P 1868, B 1869 toi
qui me parais ne t'étonner de rien. > toi, qui me parais ne t'étonner de
rien.
83) 51: 17 P 1868, B 1869 Que
de fois en même temps qu'elle j'ai vu défiler > Que
de fois, en même temps
qu'elle, j'ai vu défiler
84) 51: 18 P 1868, B 1869
j'ai vu défiler devant moi les bières
funéraires > j'ai vu défiler, devant moi, les
bières funéraires
85) 51: 19 P 1868, B 1869 les
bières funéraires contenant des os bientôt
[...] vermoulus > les bières funéraires, contenant des os bientôt [...]
vermoulus
86) 51: 20 P 1868, B 1869 des
os bientôt plus vermoulus que le revers de ma porte contre
laquelle je m'appuyai. > des os bientôt plus vermoulus que
le revers de ma porte, contre laquelle
je m'appuyai.
87) 51: 22 P 1868, B 1869 Je
n'ai pas besoin de faire à des périodes fixes aucun
recensement > Je n'ai pas besoin de faire, à des périodes fixes, aucun recensement
88) 51: 24 P 1868, B 1869
Ici, c'est comme chez les vivants : chacun paie un impôt > Ici, c'est
comme chez les vivants; chacun paie
un impôt
89) 51: 24 P 1868, B 1869
chacun paie un impôt proportionnel à la richesse de la
demeure qu'il s'est choisie > chacun paie un impôt, proportionnel à la richesse de la
demeure qu'il s'est choisie
90) 51: 26 P 1868, B 1869 la
demeure qu'il s'est choisie : et
> la demeure qu'il s'est choisie;
et
91) 51: 26 P 1868, B 1869 et
si quelque avare refusait > et, si
quelque avare refusait
92) 52: 2 P 1868, B 1869 J'ai
vu se ranger sous les drapeaux de la mort celui qui fut beau; >
J'ai vu se ranger, sous les drapeaux de
la mort, celui qui fut beau;
93) 52: 3 P 1868, B 1869
celui, qui après sa vie, n'a pas
enlaidi; > celui qui, après
sa vie, n'a pas enlaidi;
94) 52: 5 P 1868, B 1869
l'homme, la femme, le mendiant, les fils de rois, les illusions de la jeunesse > l'homme,
la femme, le mendiant, les fils de rois; les illusions de la jeunesse
95) 52: 10 P 1868, B 1869 Non
certes, je ne refuse pas ta couche qui est digne de moi > Non
certes, je ne refuse pas ta couche, qui
est digne de moi
96) 52: 13 P 1868
Fossoyeur, il est brave de contempler
les ruines des cités > B 1869, P 1869 Fossoyeur, il est
beau de contempler les ruines des
cités
Troisième et dernière
« faute d'imprimerie » que Ducasse a
indiquées à Victor Hugo dans sa lettre du 10 novembre
1868 et qui, toutes trois, ont été corrigées
dès la seconde édition, celle de Bordeaux en 1869.
La première était une coquille, ses mis pour
ces (strophe 6, 12: 11, cf. v. 10), la seconde un lapsus, homme
mis pour océan (strophe 9, 29: 4, cf. v. 78), alors que celle-ci est proprement
une faute d'imprimerie, une faute de lecture, car sans
l'intervention de Ducasse on ne pourrait la corriger. Il faut en
effet savoir que la calligraphie du mot beau avait
été lue brave. Au contraire, la version
initiale ne détonnait nullement dans le style des Chants.
97) 52: 14 P 1868, B 1869 il
est brave de contempler les ruines des cités, mais > il est beau de contempler les
ruines des cités; mais
98) 52: 14 P 1868, B 1869
mais il est plus beau de contempler les ruines des humains !
> mais, il est plus beau de
contempler les ruines des humains !
Conclusions
Si l'on se reporte
à la première variante, on voit que la
transformation la plus importante de la troisième
édition tient à la réécriture de la
forme dramatique en une strophe dialoguée : cf. n. (1). Or, du point de vue de la
rédaction, l'opération est cette fois-ci beaucoup
plus simple qu'à la strophe précédente :
l'auteur ajoute d'abord une longue mise en situation, ce qui lui
permet de soustraite quatre didascalies, les variantes (1), (50), (57) et (58), tandis qu'une
cinquième didascalie, variante (68), est
très simplement intégrée au texte.
Suit en importance, du point de vue de la
rédaction, la disparition élocutoire de Dazet (D...,
à la seconde édition), variante (72). Il s'agit d'une règle de
réécriture du premier chant, qui développe le
bestiaire de l'oeuvre. Voici donc le pou qui fait son entrée
dans les Chants (seulement évoqué jusqu'ici, à
la toute fin de la strophe 7, dans une comparative). Du point
de vue de la composition, on peut tout de suite remarquer
l'assonance pou/poulpe, qui unit deux des
« métamorphoses » de Dazet, celle-ci
à la toute première en tête de la
strophe 9, l'Ode à l'océan (23 : 6, voir la variante 13).
On compte aussi six variantes
sémantiques. La première est une correction de
Ducasse dès la seconde édition (ce qui est
exceptionnel), soit la troisième faute signalée dans
son envoi à Victor Hugo, variante (76).
La seconde est un pur hispanisme reproduit à la seconde
édition, variante (43). Reste une
addition, « l'amour de
Dieu », variante (48), une
« francisation » (quand > lorsque), variante (24); une correction, variante (81) et surtout, enfin, une hypercorrection,
variante (46). Dans le dernier cas, cela fait
peu de doute, dans les deux derniers cas, voire dans ces quatre
cas, on peut y voir l'intervention du correcteur de Ducasse,
vraisemblablement Georges Dazet, hypothèse qui
découle de l'étude des variantes de la strophe
précédente.
Toutes les autres variantes sont de
ponctuation et, contrairement à la strophe
précédente, elles sont systématiques, dans la
logique des règles de réécriture du premier
chant. La formule la plus caractéristique des Chants
— le « ; mot de
liaison, » — ne se
trouvait qu'une seule fois dans les deux premières
éditions, soit « ; mais, » (46: 21); Ducasse l'ajoute partout, soit
six fois, de sorte qu'on la trouve maintenant sept fois dans
l'édition définitive de la strophe. Par ailleurs, il
ajoute pas moins de 83 virgules, dont 32 paires isolant
généralement des circonstanciels et six autres
virgules devant une conjonction de coordination (et, ou). Enfin,
un point-virgule est remplacé par le point; deux virgules
sont remplacées par le point-virgule (en dehors de la
formule « ; mot de liaison, ») et deux fois les
deux-points sont remplacés par le point-virgule. Au cours
de ces très nombreuses petites interventions, il se glisse
deux erreurs qu'on corrige facilement, variantes (13) et (77).
(a) « Refouler en
dedans » est
un pléonasme; « refouler la souffrance »
est au contraire elliptique, mis pour contenir ou retenir ses
sentiments négatifs (tristesse, colère, etc.), qui
évidemment font souffrir.
(b) Bien que ce soit une
règle de style des
Chants de varier les appellations, le vocabulaire est ici difficile
à suivre sur cette activité. Elle concerne d'abord
la « recherche des nids d'oiseaux de mer » (il
devrait donc s'agir d'en cueillir les oeufs), ce qui appelle les
« explorateurs »; or, ils sont maintenant
désignés comme « chasseurs ». Si
l'on ne connaissait pas la source d'information du passage, le
Magasin pittoresque, et le titre de l'article (2), on ne pourrait pas éclaircir ce point.
(c) T : les adolescents qui
trouvent du plaisir
à violer les cadavres de belles femmes mortes depuis peu,
purent > les adolescents, qui
trouvent ... : j'ajoute la virgule, pour encadrer la
relative, afin que le sujet ne soit pas séparé de son
verbe. Je ferai deux fois encore cette addition dans la
présente strophe, comme on le voit aux variantes (13) et (77).
(d) Dès ce premier
alinéa et dans
toute la strophe, on trouve accentué le contraste sur lequel
joue souvent le style d'Isidore Ducasse qui juxtapose les tournures
de la langue parlée et les formulations très
recherchées. Peut-être est-ce la raison pour
laquelle on voit affleurer deux fois dans cette strophe, et dans
cette strophe seulement, l'idiotisme « gustar »
qui se construit comme « plaire » en
français, mais ne se traduit pas autrement que par
« aimer », ce qui produirait ici la formule
avoir du plaisir à : a los adolescentes le gusta
violar (= aiment violer) los cadáveres de mujeres.
Cela dit, le résultat, très français, n'est
évidemment pas un hispanisme. Voir aussi en (u).
(e) La
« conversation
suivante » est « perdue dans le tableau
d'une action qui va se dérouler en même
temps ». Ce fragment serait tout à fait
incompréhensible s'il ne s'appliquait à la strophe
qu'il introduit : cf. n. (5).
Dès lors, il apparaît que la difficulté porte
sur l'adjectif ou le participe « perdu ». Il
semble en effet que l'auteur décrive ainsi un fait de
genèse, l'effacement des didascalies qui décrivaient
explicitement l'action. Cela ne correspond manifestement pas au
résultat, l'action dramatique restant inchangée et
parfaitement claire.
(f) Pajares solitarios. Les
parages solitaires,
une expression recherchée en français, est toute
naturelle en castillan. D'abord parce que le nom parage est d'emploi beaucoup moins
restreint et spécialisé qu'en français, et
ensuite parce que l'adjectif solitaire y a conservé le sens
courant que le français moderne n'utilise plus que rarement
et au figuré, soit le lieu solitaire, le lieu où l'on
est solitaire, un lieu inhabité, abandonné,
dépeuplé (d'où écarté,
retiré, sauvage).
(g) Il rêve qu'il voit
apparaître :
l'expression est lourde à cause des deux sens de
rêver. Ici, le rêveur n'imagine pas, si l'on peut
dire, il voit des apparitions en rêve.
(h) Première des
nombreuses ruptures de
construction qui caractérisent cette strophe. C'est
l'absence de liaison explicite entre les phrases ou les
développements. Celui qui dort, c'est celui-ci,
l'être humain qui rêve. On s'attendrait en
conséquence à ce que la phrase s'achève sur
son rêve, mais la généralisation est
appropriée au discours philosophique.
(i) Creuser avec la
bêche : la bêche sert au paysan à
retourner la terre; le fossoyeur creuse ses fosses avec la pioche
et la pelle. Bêche et bêcher ne conviennent donc pas
ici. Or, ce vocabulaire vient de loin, il est inspiré par
les fossoyeurs de Shakespeare. Une devinette présente Adam
armé (d'une bêche), tandis qu'une question de
Hamlet se formule ainsi : « What man dost thou
dig it for ? ».
(j) Pour faire un travail
sérieux..., pour
travailler correctement. L'adjectif a, dans ce contexte, un sens
adverbial qui correspond à la consigne moralisatrice qui
veut que pour travailler sérieusement on ne fait pas
deux choses à la fois; il suit que la moralité
s'applique ici au fait de faire un travail qui est sérieux,
important. Or, c'est ce qui sera exprimé à la
réplique suivante où l'adjectif perd
évidemment son sens adverbial.
(k) Cet acte se
comprend : le sacrifice du
pélican est bien une action, alors que ce ne sera plus le
cas des actions de l'amant trahi et encore bien moins de la petite
trame narrative qui décrit la situation de l'internat. On
attendrait donc plutôt, plus simplement, cela se
comprend. De même, il est difficile d'expliquer pourquoi la
troisième comparaison s'ouvre par la conjonction quand au
lieu de lorsque, comme les deux premières, alors que le
parallélisme est si énergiquement souligné
par ce refrain.
(l) La prison, pour
dans cette
prison.
(m) Le moment qui s'approche
: construction
fautive. Le moment qui s' approche où il en sortira,
pour le moment qui approche où il en sortira, ce qui doit
s'interpréter comme le moment « où il sera
proche d'en sortir ».
(n) La ponctuation est fautive
: La nuit...; le
jour..., jusqu'au moment où...
(o) Ce cloître
éternel :
tête-à-queue pour exprimer qu'on y est
cloîtré durant ce qui semble une
éternité (et non que ce cloître se trouvera
toujours et partout).
(p) Nouvelle rupture de
construction. Il faut lire
la suite (et jusqu'à la fin de l'alinéa) pour
comprendre que l'idée (l'acte) de creuser une fosse,
elle, ne se comprend pas. Il faudrait donc lire, comme
transition : « Mais, par contre, en revanche,
etc., creuser une fosse... ». En plus, le
développement commence avec le fait que cela, creuser une
fosse, dépasse les « forces de la
nature », soit au sens premier la faiblesse physique. Le
fossoyeur, puis Maldoror seront physiquement
épuisés... par la question philosophique.
(q) Qui tient la pioche, pour
qui la tient.
Comment veux-tu que la pioche remue cette terre [...],
lorsque celui qui tient la pioche...
(r) Lapsus, pour lettres de
feu. Il s'agit de
l'écrit indélébile (marqué au fer, vif
à la mémoire, inoubliable). Les lettres de flammes
sur les croix de bois actualisent l'image de manière
tellement « surréaliste » qu'il est peu
probable que l'effet ait été recherché.
Autrement, le contexte ne manquerait pas de l'exploiter.
(s) Très exceptionnelle
phrase
segmentée (j'ai toujours conservé mon amour au
créateur de l'univers); il vaut la peine de le signaler, la
syntaxe d'Isidore Ducasse étant toute canonique.
(t) T : je rétablis le
point
d'interrogation. Voir la variante (31).
(u) Tout cet alinéa,
traduit
littéralement en espagnol, coule de source :
« ¡ Qué sus brazos son musculosos, y
qué me gusto verle cavar la tierra con tanta
facilidad ! ». La lourdeur du français tient
ici, comme on l'a lu plus haut, au fait d'« avoir du
plaisir à » (= gustar) mis pour
« aimer ». Cf. (d).
(v) Dans le
cimetière.
(w) Jeu de mot. Comparaison
= compas + raison ::
compas du serein philosophe, compas serein du philosophe.
Très juste observation de Jean-Luc Steinmetz (p. 394,
n. 5).
(x) Rappelle-toi-le : pour
Pierre-Olivier Walzer,
« le texte des Chants n'est pas exempts de quelques
incorrections grammaticales, comme celle-ci »
(p. 1099 ou n. 1 de la p. 72), mais il ne s'explique
pas sur l'incorrection (probablement en regard de rappelle-le-moi,
rappelle-le-toi, etc.). On sait qu'elle vient d'un hispanisme
grammatical mais que le résultat n'est pas fautif :
cf. var (43). Il est vrai qu'on se conterait,
tout simplement, de « rappelle-toi bien ».
(y) La première aussi,
mais la seconde
question surtout me paraît difficile à
interpréter. Le fossoyeur est attendri, il pleure; il est
séduit par le discours moral de Maldoror. Peut-être
que cela ne convient plus au lieu (le cimetière) et aux
personnages (les caractères) ?
(z) Je crains de le savoir,
mis pour la crainte de
l'apprendre. Plus bas, préférer l'incertitude (p. 50: 15), mis pour
l'ignorance.
(aa) Comme il l'a fait, mis
pour comme il
le fait, ainsi; si la faute paraît à
première vue évidente, elle ne peut être
corrigée, car il est fort possible qu'on doive entendre
qu'il avait des raisons pour s'exprimer comme il l'a
fait
(ab) Charité,
même au sens d'amour
d'autrui, n'est pas le mot attendu dans le contexte :
générosité, piété,
humanité.
(ac) Entreprendre est
inattendu, mis pour faire,
réaliser. Deux occurrences, 48:
13 et 50:10, dans cette strophe
et dans cette strophe seulement en ce sens.
(ad) Quel est le sens
littéral de cette
phrase ? Est-ce que ces sentiments sont la tristesse et alors le
fait que Maldoror soit triste, d'une telle tristesse, inspirerait
une tristesse plus grande encore ? (soit, il inspire plus de
tristesse que celle qu'inspire un enfant au berceau). Ou le
contraire (soit, il paraît plus triste que n'est triste celui
qui s'attendrit sur un enfant au berceau). La formule plus que...
la vue de... sera reprise à la strolhe suivante. Voir sa
n. (r)
(ae) Imposer les mains
(bénir, du
vocabulaire religieux) n'est jamais pronominal et aucun sens de
s'imposer ne s'applique ici, tandis que se poser vient
immédiatement à l'esprit.
(af) Contester, mettre en
doute, c'est impugnar en
castillan, et c'est bien le sens du verbe ici dans son contexte.
Pourtant, il suffit d'avoir à l'esprit le correspondant
contestar (répondre, prétendre) pour voir qu'il
s'ajuste encore bien mieux au contexte. Ce serait alors un autre
hispanisme. On ne trouve qu'une deuxième occurrence du
verbe dans les Chants et au sens français (je ne te conteste
pas ce titre, 2.12, p. 115: 1).
(ag) Manger le pain des
autres. L'expression se
trouve deux fois dans les Chants, la seconde fois en 4.4 :
travaille, fainéant, et ne mange pas le pain des autres
(163: 4). L'expression se rencontre six fois au TLF, dont une fois
dans les Illusions perdues de Balzac.
(ah) Se garder de
laisser la porte ouverte,
pour ne pas laisser entrer les voleurs : on peut
l'attribuer à l'improvisation ou aux relectures peu
attentives à ce genre de détail, mais la
répétition est très significative du style
d'Isidore Ducasse, précisément parce qu'il n'est pas
académique, ce qui n'a rien à voir avec les
hispanismes ou encore les incorrections ou approximations d'un
parfait bilingue. Le phénomène est d'autant plus
important qu'il s'oppose à l'évidente recherche de la
variété lexicale dès qu'il s'agit de
« mot plein » ou de basse fréquence.
(ai) Sur quoi porte la
dénégation ? Sur le fait d'être
enterré vivant, croit-on d'abord, pour comprendre ensuite
qu'il s'agit du fait d'avoir dit qu'il n'était pas
fatigué, mais qu'il arrêtait de creuser parce que la
fosse était bien assez profonde. De même, tout le
passage suivant est curieusement écrit aux temps accomplis,
aux temps composés : j'avais menti (= j'ai menti);
s'est affaissé et s'est empressé; j'avais menti.
(aj) Ce travail, pour
un tel
travail.
(ak) Mon opinion prend de
plus en plus de la consistance, pour de consistance. Tant
il m'inspire de la pitié, pour de pitié.
(al) Ne pas sentir de
la reconnaissance,
pour ne pas sentir de reconnaissance.
(am) Fanal de Maldoror :
l'expression paraît
originale. La création est d'autant plus inattendue qu'on
voit maintenant le fossoyeur avec un fanal à la main, tandis
que la scène était jusqu'ici éclairée
par la lune.
(an) Nouvelle rupture de
construction :
Certes, il n'a pas...; de même, on attendrait
mais cette chaumière est célèbre,
car...
(ao) L'expression de la
première
édition était saisissante : cette
chaumière célèbre a un passé historique
qu'elle renouvelle sans cesse (voir la variante (81)).
(ap) On trouve maintenant le
passé simple
au lieu de l'imparfait, contre laquelle je m'appuyais, d'où
le sens, contre laquelle chaque fois je m'appuyai.
(aq) Redondance : je
n'ai pas besoin
de faire de recensement ou je n'ai besoin de faire aucun
recensement.
(ar) J'ai ordre, en
parlant à sa
personne, de faire comme les huissiers. Tout ce fragment,
comme le passage où il se situe, relève du
vocabulaire juridique. La preuve en est que l'expression
« en parlant à sa personne » se trouve
dans les Plaideurs, la comédie de Racine,
s'appliquant à l'intimé qui joue le rôle d'un
« huissier » (acte 2,
scène 5). Elle signifie qu'on s'adresse à
quelqu'un non pas personnellement, mais bien à un individu
physiquement présent devant celui qui a un ordre à
lui transmettre ou une action à accomplir en sa
présence, ici une saisie du cadavre !
(1) « Celui qui ne sait pas
pleurer ». On comprend, évidemment, qu'il s'agit
de Maldoror, qui sera nommé, mais une seule fois, vers la
fin de la strophe, alors que Maldoror désigne lui-même
le fossoyeur comme le « fanal de Maldoror » (51: 3).
Genèse. En 3.1, c'est Mario et non
Maldoror qui a l'oeil sec (147: 20). C'est aux strophes 2.11,
2.13 et 2.14 qu'apparaissent les périphrases
désignant Maldoror, dont l'homme aux lèvres de bronze
(131 : 3). Celle-ci reviendra quatre fois telle quelle en
6.7, 6.8 et 6.10 (lèvres de bronze, de jaspe, de saphir et
de foudre). Selon cet indice, il est probable que l'addition du
présent alinéa soit postérieure à la
rédaction de l'oeuvre en entier.
Source. Il est probable que ce trait
vienne de Melmoth the Wanderer de
Charles-Robert
Maturin. Alexis Lykiard, qui présente les
rapprochements possibles entre les deux oeuvres
(« Maldoror and
Melmoth », dans sa traduction anglaise de l'oeuvre
complète d'Isidore Ducasse, 1970, puis 1994,
p. 287-288),
produit ici la seule rencontre textuelle qu'il peut proposer.
Il le fait sur l'édition de William F. Axon, University of
Nebraska Press, 1961 : « I cannot weep, said
Melmoth [...], the fountain of tears has been long dried up
within me, like that of every other human
blessing » (1820, 1961, chap. 20, p. 266). Ce
rapprochement, dans une certaine mesure, se confirme d'une phrase
de la traduction et adaptation de Jean Cohen :
« L'oeil sec et brûlant du désespoir qu'il
fixait sur elle [Isidora] semblait n'avoir jamais connu une
larme » (p. 365). Mais ce n'est bien qu'un
rapprochement et il n'est pas textuel : c'est plutôt la
constante insensibilité et impassibilité de Melmoth
qui est ainsi évoquée et on la voit
déjà illustrée au chapitre 4 qui sert de
point de départ à la strophe 2.13,
impassibilité, n. [5], que souligne d'ailleurs son
inversion dans le rire sardonique, n. [6]. Cela dit, comme jamais
avant
cette addition au Chant premier le roman de Maturin n'a
effleuré dans la rédaction, nous pouvons être
assurés que
Ducasse l'a lu après coup, comme le montre son utilisation
explicite à la strophe 2.13, à la suite de la
rédaction du Chant 6 — voir « Le Maturin de
Ducasse ».
(2) Source : « La
chasse aux oiseaux de
mer dans les îles Feroe », le Magasin
pittoresque, vol. 16, janvier 1848, p. 43-46. La
revue avait déjà décrit les îles
Feroé en 1840 et fait allusion à la technique de
chasse aux oiseaux de mer où le chasseur « se
suspend à une corde dont deux ou trois de ses compagnons
tiennent le bout » (vol. 8, p. 297), mais c'est
le texte de 1848 qui constitue la source d'information du passage.
Cette source a été trouvée par Pierre Capretz
(p. 170).
En voici le fragment essentiel en regard de celui par trop sibyllin
des Chants.
Il y a plusieurs méthodes de chasse.
« Enfin, la méthode la plus profitable, mais la
plus dangereuse de toutes est la suivante. Les chasseurs sont
munis d'une corde épaisse de 6 centimètres et longue
de 200 à 400 mètres, et portant une espèce de
siège. On place une poutre sur le bord du rocher afin que
le câble ne se coupa pas en raguant sur le bord du rocher.
Six hommes descendent le preneur d'oiseaux (Fuglemand). Il
tient à la main une cordelette avec laquelle il communique,
au moyen de signes convenus, avec ses compagnons, qui ne tardent
pas à le perdre de vue » (p. 45). Suit la
description des prouesses dangereuses pour atteindre les corniches
où il faut prendre pied, car le danger n'est pas que la
corde se rompe, mais que le chasseur ou le cueilleur
(d'où l'explorateur des Chants) ne perde pied.
C'est le contraire pour Maldoror qui s'attache à la
solidité, à l'épaisseur et à la
longueur de la corde qui retient vertigineusement le chasseur
(à bout de bras) bien visible au-dessus de l'abîme,
rêvant de le précipiter à la mer.
(3) Situation narrative :
géographie.
Dans l'édition princeps et sa reproduction, « La
scène se passe, pendant l'hiver, dans une région du
nord » (variante (1)).
Dans la mise en situation de ce premier alinéa de la
troisième édition, la scène n'est pas moins
indéterminée, puisqu'on passe de la Norvège
à l'archipel des îles Feroé (ou Feroës),
à l'ouest de la Norvège, au nord de la Grande
Bretagne. L'archipel est une possession danoise, de sorte que le
cimetière devrait se situer... au Danemark, puisqu'on y est
déjà. Hamlet, prince de Danemark.
(4) Thématique : la
présexualité dans les Chants. Non seulement on ne
trouve jamais le moindre érotisme dans les Chants de
Maldoror, mais la sexualité y est presque toujours
« absolue », de celle qui se devine sans se
connaître encore. La preuve en est cette figure de l'amant
trompé qu'on trouvera plus bas (lorsqu'un jeune homme voit, dans les bras de
son ami...), comparaison étrangère à la
dynamique de l'oeuvre. Ainsi, l'outrance amusante de la
nécrophilie qu'on lit ici serait contradictoire avec la
thématique sexuelle de l'oeuvre — si elle
n'impliquait des adolescents. Mais l'important pour l'analyse
textuelle, c'est que cette outrance est un nouvel indice de la
réécriture tardive du Chant premier (1).
(5) Analyse de genre. On l'a
vu, en (d), le fragment serait illisible s'il ne
décrivait la strophe qu'il présente. La
conversation, c'est le dialogue; le tableau, c'est la description;
et l'action, c'est l'action dramatique. On comprend que la
scène se profile ou se perd derrière le dialogue,
bien que le texte dise le contraire.
(6) Nulle autre strophe ne
présente plus
nettement le caractère d'exercice de style qui
caractérise le Chant premier, ce qui est encore plus net
à l'édition princeps où la forme dramatique
est explicite. La consigne de rédaction est aussi simple
qu'évidente. Il s'agit de produire, sous la forme du
dialogue, comme dans la scène du cimetière de la
Tragédie de Hamlet, un poème
philosophique. Celui qui jouera le rôle de Hamlet,
Maldoror évidemment, y gardera les traits
élaborés jusqu'ici, surtout ceux empruntés
au Manfred de Byron, ce qui sera d'ailleurs explicitement
marqué par le stigmate qu'il porte au front.
Toutefois, contrairement aux grandes sources
d'inspiration utilisées jusqu'ici (c'est-à-dire
Dante, Milton et Byron), le texte de Shekeaspeare n'est mis
nulle part à contribution. Manifestement, Isidore Ducasse
n'a pas ouvert la Tragédie de Hamlet et n'a pas
même lu ou relu la première scène du
cinquième acte, « Scène I, Un
cimetière. — Entrent deux Fossoyeurs, avec pelles,
etc. [c'est-à-dire, autres outils] ». La
scène de la tragédie se déroule en trois
parties, le poème philosophique occupant le centre :
le dialogue amusant de deux fossoyeurs qui annoncent l'enterrement
d'une suicidée; l'entrée en scène d'Hamlet et
d'Horatio, Hamlet dialoguant aussi avec l'un des deux fossoyeurs;
et l'action dramatique qui accompagne l'enterrement
d'Ophélia. Isidore Ducasse ne retient de tout cela que le
lieu et la situation dramatique. Cela donne le dialogue de
Maldoror et du fossoyeur, la nuit, dans un cimetière.
La preuve que le texte de Shakespeare n'est
pas en cause, on le voit dans le fait que le contenu philosophique
ne s'inspire pas de cette scène, mais du monologue de
Hamlet, le morceau le plus célèbre probablement de
toute l'oeuvre du dramaturge, « To be, or not to
be : that is the question », d'où Ducasse
reprendra le thème central, « la mortalité
ou l'immortalité de l'âme », mais là
encore le texte n'est jamais cité ni même
utilisé. Bref, Hamlet est assez connu pour qu'il ne
soit pas nécessaire de retourner au texte pour s'en
inspirer.
(7) Gardons-nous des
courts-circuits. Les
commentateurs ne manquent jamais (avec raison) de renvoyer ici
à la « comparaison du pélican »
de Musset à laquelle seront consacrées les deux
dernières pages de Poésies I (p. 14-15),
« morceau choisi » qu'il associera à ce
moment aux travaux du lycée, alors que
précisément la troisième des comparaisons qui
commencent avec le pélican (suivie de l'amant trahi) porte
justement sur l'internat au lycée. Il faut éviter le
contresens qui consiste à lire cette strophe des Chants
à la lumière des Poésies. Nous n'en sommes
pas là. Ce qui n'empêche pas, évidemment, le
brin d'humour, mais qui n'a rien encore du sarcasme critique.
J'aimerais offrir cette note en hommage au
travail de Pierre-Olivier Walzer dont l'édition critique de
l'oeuvre complète d'Isidore Ducasse fait partout le preuve
de la justesse de son instinct littéraire. Il a vu ici,
sans aucune hésitation, la source de Ducasse dans le
pélican de Musset. En voici la preuve textuelle, assez
simple à établir, puisque tout le vocabulaire de
Ducasse vient, en une phrase, du poème de Musset.
Évidemment, la preuve faite, on doit ensuite se demander ce
que notre poète n'a pas retenu du Grand Romantique, mais pas
avant.
Voici la phrase de la strophe 1.12
confrontée au vocabulaire de « La nuit de
mai ». Lorsque [1] le sauvage [2]
pélican se résout à donner sa poitrine [3]
à dévorer à ses petits [4],
n'ayant pour témoin que celui qui sut créer un pareil
amour [5], afin de faire honte aux hommes, quoique le
sacrifice [6] soit grand [7], cet acte se comprend.
|