Laboureur = cultivateur, paysan (labrador). Saturne
multiplie les distinctions pour éviter les faux amis :
en français, paysan désigne le statut social,
cultivateur, la profession, et laboureur, le travail, le
métier ou l'occupation. En espagnol, labrador
désigne le paysan et/ou le cultivateur, le campesino
(« especialmente si es dueño de la tierra que
trabaja », Planeto), bref, surtout le paysan.
4.3 (P 1869, p. 201: 15) Je le
portai dans la chaumière la plus voisine; car, il venait de
s'évanouir, et je ne quittai les laboureurs que
lorsque je leur eus laissé ma bourse, pour donner des soins
au blessé...
Lâcher = soltar (relâcher). L'hispanisme est
à peu près imperceptible dans le contexte tortueux de
la comparaison (étant donné la redondance :
relâcher + peu à peu, c'est-à-dire
lâcher lentement, laisser filer), mais il est très net
lorsque l'on voit que lâcher est exactement le contraire de
relâcher, qui consiste surtout à retenir. À la
page suivante, Maldoror ouvre la main et lâche le cable
(p. 331: 21). En
espagnol, on emploie le même mot dans les deux contextes.
6.10 (P 1869, p. 330: 26) Le sauvage
civilisé
lâche peu à peu, jusqu'à l'autre bout,
qu'il retient avec un métacarpe ferme, ce qui ressemble
à tort à une barre d'acier.
Laisser = perdre, échapper, laisser tomber
(dejar).
3.2 (P 1869, p. 150: 11) Elle a
laissé un soulier en chemin, et ne s'en
aperçoit pas. — Ha dejado un zapato
(Gómez, Serrat, Alonso et Méndez).
Laisser a autant d'emplois que dejar et des
emplois souvent
très proches de ce contexte. Par exemple, il a
laissé = abandonné ses enfants. Mais on ne
l'emploira pas au sens de perdre qqch qu'on laisse tomber. Dans
les Chants, laisser est employé très souvent,
notamment dans l'expression laisser tomber, dont voici deux
exemples :
3.5 (P 1869, p. 167: 1) Elle
laissait tomber le torchon qu'elle avait apporté pour
essuyer ses jambes...
4.3 (P 1869, p. 200: 7) Lorsque les
femelles se virent dans
l'impossibilité de retenir le fouet, que la fatigue
laissa tomber de leurs mains...
Lamentable = pitoyable (espagnol : lamentable, digne de
pitié, mais non de mépris); employé au sens
de
regrettable en français, c'est un hispanisme très
courant (Saturne doit le signaler). L'adjectif a aussi ce sens
(faible) en français,
mais le lecteur francophone y ajoute spontanément soit une
nuance dépréciative (le premier contexte), soit une
nuance superlative (le second). En 6.10, le vocable désigne
simplement, une triste preuve, comme l'écrivent tous les
traducteurs, en recopiant littéralement le texte
français !
2.12 (P 1869, p. 115: 20) ... les
jeux inconcevables de ton
imagination de tigre, qui serait burlesque, si elle n'était
pas lamentable...
4.8 (P 1869, p. 228: 17) ... les
petits enfants et les vieilles
femmes qui me poursuivent à coups de pierre, poussent ces
gémissements lamentables :
« Voilà la chevelure de Falmer ».
—
Désigne des gémissements de pitié et non des
lamentations, comme on le comprend spontanément en
français.
6.10 (P 1869, p. 328: 4) [Aghone a
vu un coq
s'écrierc ce qui suit].
« Il n'y a pas si loin qu'on le pense depuis la rue de la
Paix jusqu'à la place du Panthéon. Bientôt, on
en verra la preuve lamentable ! ».
Prière lamentable = lamentation (plegaria
de lamento, pour lamentación). L'extraordinaire jeu de mot
(en français !) repose sur un hispanisme évident
(cf. l'entrée précédente) : l'adjectif
français correspond à des doublets en espagnol,
lamentoso et lamentable, exactement comme le substantif
lamentation, soit lamento (plainte) et lamentación (plainte
digne de pitié).
3.5 (P 1869, p. 173: 7) [Les
nonnes]. ...elles entonnèrent les prières
lamentables pour les morts, quand quelqu'un est descendu dans
la tombe. En effet, le jeune homme ne devait pas survivre à
ce supplice, exercé sur lui par une main divine, et ses
agonies se terminèrent pendant les chants des nonnes...
Légalement = loyalement (c'est le second sens de
legalmente).
4.7 (P 1869, p. 218: 25) Je ne crois
pas que le lecteur ait lieu de
se repentir, s'il prête à ma narration, moins le
nuisible obstacle d'une crédulité stupide, que le
suprême service d'une confiance profonde, qui discute
légalement, avec une secrète sympathie, les
mystères poétiques, trop peu nombreux, à son
propre avis, que je me charge de lui révéler...
Légèrement = à la légère
(ligeramente). Aujourd'hui, il faudrait voir ici une simple
incorrection, et non un hispanisme, puisque le castillan n'emploie
plus que les expressions a la ligera (exactement comme en
français) ou de ligero au sens adverbial, ou encore
simplement l'adjectif, ligero : hacerlo ligero, faire cela
à la légère. Mais au XIXe siècle,
l'emploi de l'adverbe ligeramente était courant en ce sens.
Garnier enregistre le vocable et s'il est disparu des dictionnaires
modernes (Manuel Álverez Ortega est le seul à le
recopier dans sa traduction), il se trouve encore avec ce sens dans
celui de l'Académie. Sous la plume de Ducasse, c'est donc
un hispanisme.
4.2 (P 1869, p. 187: 4) ... un
même nom exprime ces deux phénomènes de
l'âme qui présentent des caractères assez
tranchés pour ne pas être confondus
légèrement...
Graver les lettres = graver des mots (grabar las
lettras).
3.5 (P 1869, p. 181: 28)
[Après avoir remplacé la première
inscription]. Je jetai, par-dessus le parapet, le canif qui m'avait
servi à graver les lettres...
Pour, graver ces mots. Tous les
traducteurs reproduisent
littéralement et mot à mot en castillan, para grabar
las letras.
Lever : cf. enlever.
Liège = bouchon, flotteur de liège (corcho =
tapón, flotador).
2.13 (P 1869, p. 123: 20) Il avalait
des litres d'eau, et
s'enfonçait dans l'abîme, ballotté comme un
liège [en français, la métonymie se
traduirait : comme du liège].
Lire = voir, pénétrer, comprendre (leer). En
tu cara leo que eres feliz (Clave); « descubrir,
averiguar o comprender los sentimientos o pensamientos de alguien
por la apariencia externa » (Planeta).
1.12 (P 1869, p. 51: 1) ... ta
sublime intelligence [...] ne se laisse pas lire...
Maintenir = soutenir, s'occuper de, nourrir (mantener :
« costear las necesidades económicas de alguien,
especialmente las de la alimentación »,
Planeta).
3.5 (P 1869, p. 177: 21) ... il a
affirmé clairement le dessein qu'il avait d'aller rapporter
dans les planètes orbiculaires comment je maintiens,
par mon propre exemple, la vertu et la bonté dans la
vastitude de mes royaumes.
Maître = monsieur, seigneur (dueño,
dueño de la casa). Dans le « roman »,
la signification proprement espagnole, qui donne un sens
très fort au « chef de la famille », est
soulignée par l'opposition (mélodramatique)
maître-esclave (6.4) Mais tel n'est pas le cas de la
première occurrence (1.11), où doux maître,
dolce dueño, correspond à une apostrophe affective.
Cf. garçon.
— À noter qu'on trouve ici (1.11)
une coquille dans la traduction de Juan Gómez de la Serna,
où se lit, mi dulce sueño (mon doux
rêve/sommeil); or la même coquille se trouve dans la
traduction de Manuel Álvarez Ortega. Mais recherche faite,
il ne s'agit pas d'une désignation affective qui se dirait
en Espagne. C'était finalement la rencontre de deux
coquilles sur ma table de dissection.
1.11 (P 1869, p. 35: 17) Te
rappelles-tu cette époque, mon doux maître,
où nous faisions des voeux, pour avoir un enfant...
6.4 (P 1869, p. 294: 19) La
mère se tient à
l'écart, et, pour obéir aux ordres de son
maître, elle a pris un livre entre ses mains, et
s'efforce de demeurer tranquille...
6.4 (P 1869, p. 295: 10)
« Mon doux maître,
si tu le permets à ton esclave, je vais chercher dans
mon appartement un flacon rempli d'essence de
térébenthine...
Femme, mère, père, mon fils
On trouve de même, femme (mujer) :
1.11, 3 occurrences
(36: 16; 37: 20; et 39:
14); 6.4, 2 occ. (294: 13 et 295: 18); 6.5, 1 occ. (302: 1); mère
(madre): 1.11, 11
occ. (35: 15, etc.) ; mère de
famille (madre de familia ! = femme), 1.11, 1 occ. (40: 10); père (padre), 1.11, 1
occ. (43: 8). En revanche, on
n'a pas fils, mais mon fils : 1.11, 7 occ. (35: 13, etc.); 6.4, 1 occ. (294:16). — Sur
l'hispanisme fils = enfants, cf. fils.
Maître = propriétaire (dueño). C'est le
sens propre ou littéral du mot dans strophe 3.5 (soit le
propriétaire du cheveu), qui redouble le seul sens que le
mot peut avoir en français dans le contexte (celui du
Seigneur et Maître absolu, le Créateur, Dieu).
3.5 (P 1869, p. 168: 20) [Le
cheveu]. Mon maître m'a oublié dans cette
chambre; il ne vient pas me chercher. Il s'est levé de ce
lit, où je suis appuyé, il a peigné sa
chevelure parfumée et n'a pas songé qu'auparavant
j'étais tombé à terre.
3.5 (P 1869, p. 169: 4; 169: 18; 170: 9; 171: 3; 172: 17; 173: 16; 174: 12). Et je me demandais qui
pouvait être son maître ! Et mon oeil se
recollait à la grille avec plus
d'énergie !...
3.5 (P 1869, p. 171: 20) [Les
lambeaux de chair au cheveu]. Ils me racontaient tout bas que
les griffes de mon maître les avaient
détachés des épaules de l'adolescent.
3.5 (P 1869, p. 174: 9) Je leur
donnerai la permission de rejeter leur dignité, comme un
vêtement inutile, puisqu'ils ont l'exemple de mon
maître...
3.5 (P 1869, p. 178: 28) Le cheveu
et son maître s'embrassèrent
étroitement...
3.5 (P 1869, p. 181: 6) J'entendis
le cheveu qui lui pardonnait, avec humilité, sa
séquestration, puisque son maître avait agi par
prudence et non par légèreté...
Maladie = passion altérant le comportement
psychologique ou moral
(enfermedad).
4.7 (P 1869, p. 217: 24) J'en
présente
deux [exemples] : les emportements de la colère et les
maladies
de l'orgueil.
Le sens le plus courant d'enfermedad
correspond au vocable français
maladie. Toutefois, son sens s'approche souvent de douleur*i, d'où une incorrection qui doit
être
signalée. Mais ici, exceptionnellement, il s'agit d'un
hispanisme,
Ducasse reportant sur le vocable maladie un tout autre sens
d'enfermedad, son sens
figuré : pasión dañosa o
alteración en lo moral
o espiritual - la ambició:n es enfermedad que dificilmente se
cura
(Academia); la enfermedad de los celos (Planeta). La compulsion
maladive des
ambitieux et des jaloux, donnée en exemple par
l'Académie et Planeta,
est de bonne pédagogie. Mais l'hispanisme lexical de
Ducasse se
double d'un merveilleux hispanisme socio-culturel,
s'agissant d'un
stéréotype sur la mentalité ibérique,
les
étrangers prenant facilement pour de l'orgueil la
fierté et la
dignité des Espagnols et de la plupart des
Sud-Américains. Il suffit
d'avoir à l'esprit sa correspondance avec le banquier de son
père
pour deviner que Ducasse renverse peut-être une attitude qui
a pu heurter
chez lui.
Maldoror. Jean-Jacques Lefrère suggère que le
nom du héros de Ducasse puisse être une construction
dérivant de l'espagnol (« Isidore
Ducasse », p. 76). Il faut aller plus loin : en ce
sens, il s'agit d'un mot espagnol, tout simplement.
Première apparition du nom, strophe 1.3 : voir l'état de la
question
du point de vue de l'étude de genèse : n. (1).
Un nom, un mot espagnol. D'abord dans la
consonnance
(toréador, picador et matador, qui sont passés en
français). Ensuite dans la rêverie qui pourrait fort
bien dériver de mal-dolor (dolor s'emploie souvent à
la place du français mal, dans les maux courants comme le
mal de dent, de ventre, etc.); mal-d'horror n'est pas moins attendu
(mal de horror). On peut penser encore à toute une
série de composés qui en français donnent
mé- ou mau- comme mauvais (mal + substantif ou adjectif),
méchanceté (maldad), maudit (maldito),
médisant et maudissant (maldecidor et maldecido), ou
simplement la mauvaise humeur (malhumor). En revanche, Maldoror est
très éloigné des mots français
où mal- se trouve en préfixe : malfaisant
(malhechor), malveillant, malvenu, malpropre, etc. Dans ce
contexte, le jeu de mot « mal d'aurore »
paraît bien peu probant
Mamelles, enfant en mamelles = enfant à la
mamelle (niño de pecho), de teta, nourrisson,
peut-être
en rapport avec en el pecho (sur la poitrine).
2.13 (P 1869, p. 122: 10)
Tantôt, le seul glapissement d'un
enfant en mamelles empêchait d'entendre le
commandement des manoeuvres.
Manoeuvre = manège, menée, conduite
(manejo).
Entre manera (manière) et maniobra
(manoeuvre), le
castillan possède un mot de sens intermédiaire,
manejo, de manejar,
qui recoupe en partie maniement, de manier, mais qui s'emploie
aussi pour
désigner la conduite, le comportement d'un individu. Au
pluriel, il
signifie même manigances (Planeta).
3.1 (P 1869, p. 145: 27) Voyant ses
manoeuvres inutiles, il détourne les yeux, mord son
frein terrestre
avec la bave de la rage, et regarde l'horizon, qui s'enfuit
à notre
approche.
3.1 (P 1869, p. 146: 14) Voyant mes
manoeuvres inutiles, je ne m'étonne pas de ne pas
pouvoir le rendre
heureux...
6.7 (P 1869, p. 312: 28) Elles se
traînèrent
jusqu'à
l'intérieur du chenil, et s'étendirent sur la paille,
l'une à
côté de l'autre; pendant que la chienne, témoin
passif de leur
manoeuvre [= comportement], les regardait faire avec
étonnement.
Ducasse l'emploie aussi, évidemment,
dans son sens
courant en français, celui de maniobra :
2.13 (P 1869, p. 122: 11)
Tantôt, le seul glapissement d'un
enfant en
mamelles empêchait d'entendre le commandement des
manoeuvres.
2.13 (P 1869, p. 127: 6) Mais,
trois requins vivants l'entourent
encore, et elle
est obligée de tourner en tous sens, pour déjouer
leurs
manoeuvres.
6.10 (P 1869, p. 331: 2) Cette
manoeuvre a pour effet de
changer le plan primitif
de la révolution du câble...
Manquer = avoir encore à faire (faltar). Referido
especialemente a una acción, quedar por hacer o por
realizar; exemple : ólo falta cambiar la rueda y el coche
estará listo (Clave). Le dictionnaire précise que
l'acception n'est pas recensée à l'Académie.
L'emploi est donc du langage courant familier.
1.11 (P 1869, p. 39: 15) Il me
manque quelques points à cette chemise...
Voir le contexte de la structure syntaxique, 1.11, p. 39.
Marcassin = lion, jeune lion, bouillant (jobato). En
langage familier, le jobato, le jeune sanglier (le marcassin)
désigne ou qualifie une personne courageuse, audacieuse et
entreprenante (valiente, osado, atrevido, Academia). Ducasse
renverse manifestement le sens de l'expression : les hommes,
les
marcassins de l'humanité, sont des êtres vils,
inférieurs aux autres animaux. On comprend sans peine que
marcassin est mis pour porc, cochon (ou plus
précisément « petit
cochon » !). Ce
« renversement » ne peut venir,
évidemment, que d'un hispanophone.
1.9 (P 1869, p. 28: 9) l'homme dit
hypocritement oui et pense non. C'est pour cela que les
marcassins de l'humanité ont tant de confiance les
uns dans les autres et ne sont pas égoïstes.
3.1 (P 1869, p. 149: 26) [Si nos
chevaux pouvaient nous
comprendre]. Malheur à eux; car, ils souffriraient
davantage ! En effet, ne pense qu'aux marcassins de
l'humanité : le degré d'intelligence qui les
sépare des autres êtres de la création ne
semble-t-il pas ne leur être accordé qu'au prix
irrémédiable de souffrances incalculables ?
— Cette situation de l'humanité (le « globe
humain », le globe des hommes) a été
exposée un peu plus haut : c'est le « globe
humain en délire, habité par des esprits cruels qui
se massacrent entre eux dans les champs où rugit la bataille
(quand ils ne se tuent pas perfidement, en secret, dans le centre
des villes, avec le poignard de la haine ou de l'ambition), et qui
se nourrissent d'êtres pleins de vie comme eux et
placés quelques degrés plus bas dans l'échelle
des existences » (p. 143-144).
5.7 (P 1869, p. 275: 3) Moi,
Elsseneur, je te vis pour la
première fois, et, dès ce moment, je ne pus
t'oublier. [...] Je me demandais si, à l'aide d'une nuit
obscure, tu t'étais laissé choir secrètement
jusqu'à nous de la surface de quelque étoile; car, je
le confesse, [...] tu ne ressemblais pas aux marcassins de
l'humanité; mais une auréole de rayons
étincelants enveloppait la périphérie de ton
front.
Maremme = marais en bord de mer (marisma,
dérivé de mar, français, mer). À
première vue, maremme n'apparaît pas comme un
hispanisme, car le mot désigne la même chose que
marisma, le marais de bord de mer. Sauf qu'en français, il
s'agit d'un mot rare et qui, en plus, est réservé aux
marais du littéral italien (de l'italien, maremma). Ducasse
a donc dû ouvrir son dictionnaire pour trouver la traduction
(!) de marisma et est bien entendu tombé sur le vocable
maremme. Le tout simple mot marais est fort éloigné
de son tout aussi simple équivalent, pantano.
3.5 (P 1869, p. 180: 18) Les
phares de la côte le poursuivront, jusqu'aux limites du
septentrion, de leurs reflets sarcastiques, et les feux follets des
maremmes, simples vapeurs en combustion, dans leurs danses
fantastiques, feront frissonner les poils de ses pores, et verdir
l'iris de ses yeux.
Mât = patte, ici poteau, péjoratif pour jambe
(mastil).
3.4 (P 1869, p. 162: 20) Ses
jambes, aux muscles détendus, balayaient le sol, comme deux
mâts aveugles.
L'image des mats aveugles n'est pas moins
étranges que celle
du câble somnifère. Mais elle est d'explication
facile, s'agissant d'un hispanisme. Le français
mât (anc. mast) donne bien mastil (c'est son correspondant),
qui signifie mât (les mâts des bateaux par exemple),
puis poteau (les tiges qui soutiennent les tentes ou les pavillons,
par exemple) et, enfin, tout ce qui sert de soutien vertical.
D'où les pattes.
Méditant beaucoup = meditabundo :
« (du latin meditabundus) qui médite, pense ou
réfléchit en silence » (Academia). C'est
bien entendu la sonorité qui appelle le très
étrange méditant beaucoup construit sur
meditabundo, mais le sens du mot espagnol y correspond
également, car méditer en espagnol (meditar, ici
meditando) est plus proche de la méditation religieuse qu'en
français et n'implique pas forcément le
silence ! À noter que ce silence suit, dans la
même phrase de la première strophe des Chants, dans
une image très caractéristique de l'oeuvre (voler
à travers le silence).
1.1 (P 1869, p. 6: 4) ... un angle
à perte de vue de grues frileuses méditant
beaucoup, qui, pendant l'hiver, vole puissamment à
travers le silence, toutes voiles tendues, vers un point
déterminé de l'horizon, d'où tout à
coup part un vent étrange et fort, précurseur de la
tempête.
Minime = infime (minimo). En castillan, infimo a le sens de
bas et n'emporte pas seulement une dénotation quantitative,
mais également une connotation dépréciative
(inferior, despreciable, miserable). Tel n'est pas le cas de la
série synonymique française qui comprend trois
degrés de très petitesse : moindre, minime et
infime. Le contexte implique ici ce dernier sens et ce dernier
mot, de sorte que minime est un hispanisme :
2.1 (P 1869, p. 59: 19; et 60: 3)
[L'homme] avait cru [...] qu'il n'était composé
que de bien et d'une quantité minime de mal.
Brusquement je lui appris [...] qu'au contraire il n'est
composé que de mal, et d'une quantité minime
de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas
laisser évaporer.
Ni minime ni infime ne se trouvent ailleurs
dans les Chants.
Minutie = un détail, une bagatelle, un rien (minucia
= menudencia).
1.9 (P 1869, p. 25: 3)
[Océan], tu es modeste. L'homme se vante sans cesse, et pour
des minuties. Je te salue, vieil océan !
On trouve souvent, 48 fois, le vocable dans
les Chants. Mais dans
trois cas et trois cas seulement, son emploi est
déformé en français par l'hispanisme, ce qui
est le cas patent de la première occurrence. Les deux
autres cas sont plus problématiques, proches de la simple
incorrection. Bizarrement deux des trois occurrences ajoutent un
explécite « moment du jour »,
« moment de la journée », qui ne
s'explique pas.
À chaque moment = à tout moment (a cada
momento).
1.5 J'ai vu les hommes...;
tantôt, à chaque moment du jour [= a cada
momento (del día)], depuis le commencement de l'enfance
jusqu'à la fin de la vieillesse [...] prostituer les femmes
et les enfants, et déshonorer ainsi les parties du corps
consacrées à la pudeur.
Dans un moment (de la journée) = à tout
moment, à tout instant (du jour, de la journée) pour,
en un momento del día, de la jornada.
4.7 (P 1869, p. 224: 19)
Quelquefois, dans un moment de
la journée [= à tout moment (dans la
journée)], un des trois bourreaux, à tour de
rôle, entrait brusquement, chargé de pinces, de
tenailles et de divers instruments de supplice. — Comme
Álvarez et Alonso traduisent littéralement, en un
momento de la jornada, je suppose que l'expression est
recevable en castillan au sens de « à tout
moment », même si tous les autres traducteurs
qualifient le « moment » en question pour rendre
explicitement le sens que l'expression devrait avoir en
français (soit « littéralement »
cualquier momento (Pariente), soit approximativement,
cierto, dado ou determinado momento).
Jusqu'à ce moment = jusque-là (hasta
ese momento).
6.5 (P 1869, p. 299: 4) Il n'avait
vu jusqu'à ce
moment que sa propre écriture.
Momentanément = instantanément,
subitement
(momentanéamente). L'adverbe n'a qu'un seul sens en
français, alors qu'il en a deux en espagnol et c'est le sens
proprement castillan, évidemment, qui s'applique à
l'incipit des Chants. Voici un exemple du sens clairement
porté au dictionnaire de l'Académie
(« immediatemente, sin detención
alguna », sens premier de l'adverbe, Academia) et de
l'adjectif : adaptaron medidas montáneas para intentar
arreglar aquel asunto (« que se ejecuta pronto y sin
tardanza », Clave).
1.1 (P 1869, p. 5: 3) Plût au
ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément
féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se
désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers
les marécages désolés de ces pages sombres et
pleines de poison...
Le second emploi de l'adverbe dans les Chants
(contrairement aux deux occurrences de l'adjectif) peut donc se
comprendre
également dans ce sens, même si son sens
français convient incomparablement mieux au
contexte. Encore que rapidement, en un éclair, s'accorde
mieux au second adverbe, spontanément, que pour un moment,
pour quelque temps.
4.2 (P 1869, p. 188: 2) ...
l'emploi criminel (criminel, en se
plaçant momentanément et spontanément
au point de vue de la puissance supérieure) d'une figure de
rhétorique...
Montrer = sortir, apparaître, se montrer
(asomar).
Bien entendu, si l'on
montre sa
tête hors de l'eau, par exemple, c'est qu'on la sort
de l'eau.
L'hispanisme inverse la perspective.
1.12 (P 1869, p. 44: 20) Un cachalot
s'élève peu
à peu du
fond de la mer, et montre sa tête au-dessus des eaux,
pour voir le
navire qui passe dans ces parages solitaires.
4.3 (P 1869, p. 195: 21) ...
l'acantophorus serraticornis, qui ne
montre
que la tête en dehors de son nid.
6.7 (P 1869, p. 312: 3) De temps
à autre,
une de mes soeurs montrait sa tête devant le bas de
l'escalier pour
se renseigner sur le sort du malheureux oiseau, et la retirait avec
tristesse.
— L'hispanisme est réécrit quelques lignes plus
bas :
6.7 (P 1869, p. 312: 11) Une de mes
soeurs
(c'était la plus jeune) présenta sa tête
dans la
pénombre formée par la raréfaction de
lumière. —
La figure est belle, retournant son expression littérale en
castillan :
[ella] asomó su cabeza en la penumbra (Pariente).
Avec cinquante-sept occurrences dans les
Chants, on peut
considérer que le verbe montrer est un vocable de moyenne
fréquence.
Il a son équivalent en castillan, mostrar, et les deux
vocables ont de
nombreux synonymes dans les deux langues. Dans ces conditions, on
ne s'attend pas
à ce que les trois emplois ci-dessus soient
considérées
comme des
hispanismes, puisque
rien ne les signale à un francophone (contrairement au
pronominal, se
montrer, pour apparaître, qu'on présentera plus bas).
Or, cet exemple
est d'un grand intérêt, car cet hispanisme est
à
première vue parfaitement
« anodin » : il n'y a
objectivement aucune différence entre montrer sa tête
et la sortir (de
l'eau ou de l'ombre) ! C'est pourtant la différence
imperceptible entre le castillan et le français.
Asomar, c'est bien
« sortir », exactement comme en
français, mais c'est ici
la conséquence de la sortie qui importe, c'est se montrer,
apparaître... À remarquer, également, que si
le vocable n'a
pas de correspondant en français, il n'a pas non plus
d'équivalent
strict (même pas apparaître) : sa traduction est
à refaire
à chacun de ses contextes (cf. Saturne).
Se montrer = apparaître (montrarse).
1.6 (P 1869, p. 13: 16)
L'étincelle divine qui est en nous, et paraît si
rarement, se montre; trop tard ! 1.10 (P 1869, p. 33: 28) Est-ce pour ce
motif que vous vous montrez devant moi dans cette
prosternation ?
1.11 (P 1869, p. 38: 9) ... la
méchanceté des hommes, qui se montre aux
premières années, pour augmenter ensuite.
2.5 (P 1869, p. 74: 14) Qui
sait ? Peut-être que cette
fille n'était pas ce qu'elle se montrait.
¿ Quién sabe ? Qizá esa muchacha no
era tal como se mostraba (Alonso).
2.13 (P 1869, p. 127: 13) Il
n'hésite plus, il
épaule son fusil, et, avec son adresse habituelle, il loge
sa deuxième balle dans l'ouïe d'un des requins, au
moment où il se montrait au-dessus d'une vague.
6.8 (P 1869, p. 319: 16) Il dit, et
il retire toutes les parties
de son corps du fond de l'ouverture obscure. Il se montre,
radieux, sur la surface de l'écueil; ainsi un prêtre
des religions quand il a la certitude de ramener une brebis
égarée [même si le synonyme apparaître me
paraît ici attendu, on peut également
interpréter se montrer au sens de s'afficher, comme dans les
contextes qu'on trouvera plus bas].
Se montrer est bien un synonyme
d'apparaître, au sens strict
de « faire son apparition », attendu dans les
deux phrases suivantes.
2.11 (P 1869, p. 107: 12) Dis-moi,
un peu; serait-ce, parce que tu
connais les détours de mon coeur, que, lorsqu'il m'arrive
d'apparaître où tu veilles, tu t'empresses de
désigner ma présence pernicieuse, et de porter
l'attention des adorateurs vers le côté où
vient de se montrer l'ennemi des hommes ?
2.11 (P 1869, p. 112: 17) Quand
vous passez sur un pont, pendant
la nuit, faites bien attention; vous êtes sûr de voir
briller la lampe, ici ou là; mais, on dit qu'elle ne se
montre pas à tout le monde.
Il faut dire qu'aparaître (aparecer) est
tout aussi attendu
dans ces contextes en castillan et c'est ainsi que les traducteurs
rendent généralement « se
montrer ». En français, plus qu'en espagnol, se
montrer est moins faire voir (se montrer généreux)
que s'afficher tel (c'est l'avare hypocrite qui se montre
généreux), comme c'est le cas des contextes suivants,
tout à fait attendus.
2.9 (P 1869, p. 95: 10) Et,
cependant, spectacle digne
d'observation, plus il se montre indifférent, plus tu
l'admires.
5.4 (P 1869, p. 253: 22) ... ils ne
s'attendaient point (et leurs
adieux suprêmes me confirmèrent leur croyance) que ta
Providence se serait montrée à ce point
impitoyable !
5.5 (P 1869, p. 259: 3) Pourquoi
frémissez-vous de peur,
adolescent qui me lisez ? Croyez-vous que je veuille en faire
autant envers vous ? Vous vous montrez souverainement
injuste...
6.5 (P 1869, p. 303: 2) Je connais
mes imperfections, et je ne
m'en montre pas plus fier.
6.9 (P 1869, p. 323: 5)
L'interpellé se montre
complaisant.
Motif = raison (motivo). Un motif pour = une raison de,
l'occasion de
(es motivo para). Par le motif de = à cause de (con motivo
de).
1.10 (P 1869, p. 33: 28) Est-ce pour
ce motif que vous vous montrez devant moi dans cette
prosternation ? ou bien, est-ce parce que vous me voyez
parcourir, phénomène nouveau, comme une comète
effrayante, l'espace ensanglanté ?
L'hispanisme remplace à la
troisième édition
le très naturel « Est-ce pour cela que »
de l'édition princeps. Cf. variante .
3.1 (P 1869, p. 148: 16) ... tes
inquiétudes sur mon compte se
sont insensiblement accrues, sans motif raisonnable [sin
motivo (razonable) = sans raison (valable)], et forment au-dessus
de ton imagination, le corps trompeur d'un mirage
désolé.
3.5 (P 1869, p. 174: 28) Revenu au
ciel, mes archanges m'ont entouré avec curiosité; ils
n'ont pas voulu me demander le motif de mon absence.
4.2 (P 1869, p. 191: 22) Souvent, il
m'arrivera d'énoncer,
avec solennité, les propositions les plus bouffonnes... je
ne trouve pas que cela devienne un motif
péremptoirement suffisant pour élargir la
bouche ! Je ne puis m'empêcher de rire, me
répondrez-vous...
4.8 (P 1869, p. 227: 13) Même
alors, la
prééminence de ma force physique était
plutôt un motif de [un motivo para = l'occasion de]
soutenir, à travers le rude sentier de la vie, celui qui
s'était donné à moi, que de maltraiter un
être visiblement plus faible.
5.4 (P 1869, p. 250: 9) N'oublie pas
que si ta présomptueuse
cervelle m'a cru capable de t'offrir quelques paroles de
consolation, ce ne peut être que par le motif d'une
ignorance totalement dépourvue de connaissances
physiognomoniques.
5.5 (P 1869, p. 257: 2) ... quoique
mes cheveux soient devenus
blancs comme la neige, ce n'est pas à cause de la
vieillesse : c'est, au contraire, pour le motif que
vous savez.
Dans les trois cas suivants, le mot
paraît moins inattendu en
français :
5.5 (P 1869, p. 259: 12) Je change
de
vêtements deux fois par semaine, la propreté
n'étant pas le principal motif de ma
détermination.
5.7 (P 1869, p. 276: 10) Quels
étaient donc tes valables motifs pour fuir les ruches
humaines ?
6.1 (P 1869, p. 283: 28) Il faut, je
le sais,
étayer d'un grand nombre de preuves l'argumentation qui se
trouve comprise dans mon théorème; eh bien, ces
preuves existent, et vous savez que je n'attaque personne, sans
avoir des motifs sérieux !
Mouiller de vinaigre = frotter avec du
vinaigre (mojar, humeceder).
Tous les traducteurs donnent sans
hésiter la version
« française » (mojar, humeceder) de
Ducasse.
En français, depuis
l'Astrée jusqu'au roman de
Duranty, le Malheur d'Henriette Gérard (1860), on
frotte les tempes et le front avec du vinaigre pour ranimer
ceux qui sont sur le point de s'évanouir ou pour les faire
revenir à eux. Dans la tradition de l'Espagne, on
procède semble-t-il beaucoup plus délicatement. Pour
le vinaigre, l'Encyclopédie explique « l'usage
habituel qu'en font certaines filles qui ont les pâles
couleurs » : son effet est de les
« ranimer parmi les foiblesses », le tout
expliqué scientifiquement, évidemment. À la
strophe 6.4, le vinaigre sera remplacé par l'essence de
térébenthine (p. 295:
12), mais on se contentera d'en faire
respirer les « sels » à Mervyn.
1.11 (P 1869, p. 36: 21) —
Mère, je respire à peine; j'ai mal à la
tête. — Toi aussi, mon fils ! Je
vais te mouiller le front et les tempes avec du vinaigre.
On lit pourtant « frotter les
temples », mais
dans un tout autre contexte :
2.14 (P 1869, p. 130: 16) Le
cadavre reste inerte, et se laisse
tourner en tous sens. Il frotte les tempes; il frictionne ce
membre-ci...
Mouvoir, se mouvoir = bouger, se déplacer (moverse).
Mouvoir et se mouvoir
s'emploient fort couramment en français, même si son
correspondant espagnol est incomparablement plus commun. On trouve
toutefois deux cas où l'hispanisme correspond à
bouger, se déplacer ou un
autre synonyme.
3.5 (P 1869, p. 167: 24) La
première et la seule chose qui frappa ma vue fut un
bâton blond, composé de cornets, s'enfonçant
les uns dans les autres. Ce bâton se mouvait ! Il
marchait dans la chambre !
6.10 (P 1869, p. 325: 9) [Au sujet
du lecteur de romans
somnifères]. ... il faut, en outre, avec du bon fluide
magnétique, le mettre ingénieusement dans
l'impossibilité somnambulique de se mouvoir, en le
forçant à obscurcir ses yeux contre son naturel par
la fixité des vôtres.
Mugir = gémir (mugir). En espagnol comme en
français, on gémit de peine ou de douleur (gemir),
mais on peut aussi mugir, dans cette pénible
situation : debatiéndose entre la vida y la muerte,
mugía de dolor (Planeta). Dans l'hymne national de France,
mugir s'applique tout naturellement à des troupes de
soldats, une « horde d'esclaves » en campagne
militaire, comme à des troupeaux; cet emploi ne correspond
pas du tout à l'hispanisme en cause ici, puisque justement
l'image produite en français est inédite.
2.8 (P 1869, p. 91: 27) Oh !
quand vous entendez [...] le
condamné mugir, dans la prison, la veille de la
guillotine...
3.5 (P 1869, p. 179: 11) ... ma
route ténébreuse à travers les eaux stagnantes
et les humides joncs de la mare où, recouvert de
brouillards, bleuit et mugit le crime, à la patte
sombre !...
Voir l'entrée suivante, muter.
Murer était une coquille pour muter = changer
(mudar). Les doublets français
correspondants, muter et muer, ne conviennent pas au sens
courant du mot très fréquent en espagnol,
« changer ». Or,
c'est cet hispanisme qui montre que muré
est mis pour muté. Chose certaine, l'hispanisme permet de
comprendre parfaitement le texte qui,
autrement, serait fort obscur, incompréhensible.
L'hispanisme donne
la phrase suivante : en consecuencia, cierto es
que, por esa extraña lucha, mi corazón ha
mutado sus designios = avec cette lutte
étrange, mon coeur a changé ses
desseins. En effet, mon coeur qui voulait dormir a changé
d'avis, il renonce à ses desseins, au sommeil, qui lui est
pourtant vital, mais qui
le livre à la conscience, à l'intrusion du
Créateur, comme
l'« affamé qui se mange
lui-même ». De même, à la
fin de la strophe, Lautréamont ou Maldoror triomphe, de
sorte que le sommeil s'enfuit « loin de son
coeur ». Évidemment, une
interprétation n'est pas une preuve d'abord parce que
muter ne se trouve jamais ailleurs dans les Chants, tandis que
murer
se trouve une fois au dernier chant (6.8, P 1869, p. 320: 15: une
...vaste pièce d'eau, dont toutes les rives sont couvertes
et comme murées par un inextricable fouillis de
grands joncs). Mais on doit alors ajouter que murer n'a pas de
correspondant en espagnol (emparedado, encerrado et enclaustrado
donnent les traductions espagnoles), un indice
de plus en faveur de la « coquille » à
corriger.
5.3 (P 1869, p. 247: 3) Vainqueur,
je repousse les embûches
de l'hypocrite pavot. Il est en conséquence certain que, par
cette lutte étrange, mon coeur a muré
[= muté] ses desseins, affamé qui se mange
lui-même.
Narines = nez (narices),
singulier. En espagnol, la nariz
(le nez) s'utilise souvent au pluriel; mais il faut ajouter que le
mot désigne également la narine, d'où cette
métonymie très courante des narices pour
désigner la nariz. Dans la seconde strophe de l'oeuvre
(où le traitement du thème principal est justement
inspiré du gallicisme « narine », voir
à ce gallicisme), il suffit
d'avoir sous les yeux les
traductions littérales en espagnol pour voir que le mot
à mot du texte est un produit de l'espagnol et non du
français, comme le montrent les adjectifs
(« larges et maigres ») convenant
précisément au nez (soit
« épaté et long »).
1.2 (P 1869, p. 7: 8) Qui te dit que
tu n'en renifleras pas, baigné dans d'innombrables
voluptés, tant que tu voudras, avec tes narines
orgueilleuses, larges et maigres... [...] Tes narines, qui
seront démesurément dilatées de contentement
ineffable, d'extase immobile, ne demanderont pas quelque chose de
meilleur à l'espace, devenu embaumé comme de parfums
et d'encens...
L'intérêt ici est que seule la
première des
deux occurrences puisse être un hispanisme (alors que la
seconde en devient un « gallicisme ») :
tus narices orgullosas, anchas y flacas (Gómez), tus
orgullosas narices, anchas y afiladas (Álvarez), cela
signifie simplement avec ton nez orgueilleux, large et maigre. Il
faut être bien plus explicite pour obtenir en espagnol
l'effet produit en français : ventanas nasales
(Pellegrini) ou fosas nasales (Serrat). Ajoutons, au sujet des
traductions, que celle de Gabriel Saad par « tus
narinas » produit un évident gallicisme digne
d'Isidore Ducasse, narina étant réservé en
espagnol au vocabulaire spécialisé de l'anatomie.
2.6 (P 1869, p. 80: 22) Maldoror
s'aperçoit que le sang bouillonne dans la tête de son
jeune interlocuteur; ses narines sont gonflées, et
ses lèvres rejettent une légère écume
blanche.
3.4 (P 1869, p. 162: 21) Le sang
coulait de ses
narines : dans sa chute, sa figure avait frappé
contre un poteau... Il était soûl ! —
Certes, le sang coule des narines, mais en français, on
saigne du nez.
3.5 (P 1869, p. 170: 17, 20, 24) Il aspire, avec des narines
effrontées, les émanations de ces deux aisselles
humides !... J'ai vu la membrane des dernières se
contracter de honte, pendant que, de leur côté, les
narines se refusaient à cette respiration
infâme. Mais lui, ni elle, ne faisaient aucune attention aux
avertissements solennels des aisselles, à la
répulsion morne et blême des narines.
4.5 (P 1869, p. 209: 1) Si tu
m'écoutes davantage, ta
tristesse sera loin de se détacher de l'intérieur de
tes narines rouges.
Comparer avec le contexte suivant s'appliquant
aux chiens
échappés dans la nuit :
1.8 (P 1869, p. 18: 20) [Les chiens
aboyant] contre l'air froid qu'ils aspirent à pleins
poumons, qui rend l'intérieur de leur narine, rouge,
brûlant; contre le silence de la nuit...
Un seul emploi ne porte pas à
discussion :
5.2 (P 1869, p. 238: 20) ces
narines très
étroites, longitudinales, presque imperceptibles,
creusées dans un sillon basal ! — Emprunt
à l'encyclopédie de Jean-Charles Chenu.
Natation = nage (natación, nado). Nageur et nager
sont courants; mais nage se trouve seulement dans
l'expression : à la nage (a nado). Si au Chant 4 les
traducteurs donnent toujours natación (à la seule
exception de Serrat en 4.7, p. 225: su regio nado), il n'en est pas
de même de la natation des cycnes en 6.4. Seul Gómez
traduit littéralement : la natación de los
cisnes, tous les autres traducteurs, probablement parce qu'ils ont
pressenti l'hispanisme, préfèrent une
périphrase ou le synonyme : en las maniobras natatorias
(Pellegrini), el nado de los cisnes (Serrat, Alonso) et cómo
nadan (Álvarez) ou miráis nadar a los cisnes
(Méndez).
4.7 (P 1869, p. 222: 16) [À
l'amphibie]. « &0circ;
toi, dont la natation l'emporte sur le vol des longues ailes
de la frégate...
4.7 (P 1869, p. 225: 25) Il arriva
comme il le prédit. Il
reprit sa royale natation, entouré de son
cortége de sujets. Et, quoiqu'au bout de quelques secondes,
il eût complètement disparu à mes yeux...
6.4 (P 1869, p. 294: 23) Enfants,
allez vous amuser dans le parc,
et prenez garde, en admirant la natation des cygnes, de ne
pas tomber dans la pièce d'eau...
Naturel = ordinaire (natural). Oui, la nuance est
très fine, mais la preuve qu'il s'agit d'un hispanisme est
que tous les traducteurs en castillan donnent littéralement,
sans exception, natural. Or, pas ordinaire, c'est extraordinaire
et c'est manifestement ici le sens du syntagme. Extraordinario
n'est pas venu à l'esprit de l'hispanophone, qui construit
donc une formulation négative avec le mot qui convient
ici... en castillan.
5.2 (P 1869, p. 243: 27) Le
pélican, dont le généreux pardon m'avait
causé beaucoup d'impression, parce que je ne le trouvais pas
naturel...
Naturel pour état naturel = état normal
(estado natural).
Estado normal (Saturne) se trouve
également en espagnol,
mais pas aussi couramment qu'en français :
« Normal : que se halla en su estado
natural » (Clave).
1.13 (P 1869, p. 56: 18) tu crois
être dans ton naturel, chaque fois qu'il sort de ta
bouche des paroles insensées — Les traducteurs sont
unanimes à traduire estado natural, ce qui est vraiment
remarquable, le substantif (son naturel) étant strictement
équivalent dans les deux langues.
Comparer :
5.6 (P 1869, p. 264: 22) Le milan
royal : il semble que le vol
soit son état naturel, sa favorite situation. —
La phrase est recopiée de Buffon !
Obscurcir ses yeux = aveugler, éblouir, troubler sa
vue (ofuscar).
Voici le phénomène qui
s'applique ici : al salir de la cueva, el sol los
ofuscó, y sólo después de unos instantes
empezaron a ver a su alrededor (Planeta), en sortant de la grotte,
ils furent éblouis par le soleil et ne purent distinguer les
environs qu'après quelques instants. Le vocable s'emploie
le plus souvent au sens figuré, comme le déduira
aisément le lecteur : embrouiller la vue, comme on
trouble, assombrit, ... obscurcit la conscience.
L'hispanisme est exceptionnellement entraîné par la
phonétique, ofuscar/obscurcir, le vocable français
prenant alors le sens du signifiant castillan (ofusquer n'a jamais
ce sens en français).
6.10 (P 1869, p. 325: 10) [Le
lecteur]. ... il faut, en outre, avec du bon fluide
magnétique, le mettre ingénieusement dans
l'impossibilité somnambulique de se mouvoir, en le
forçant à obscurcir ses yeux contre son
naturel par la fixité des vôtres.
L'expression est unique au TLF : personne
d'autre que Ducasse ne l'a jamais écrite. Il s'agit d'une
incorrection, mais l'incorrection découle de l'hispanisme
rapprochant le vocable d'ofuscar. Cela pourrait également
être le cas de l'occurrence suivante, même si
l'expression est parfaitement correcte en
français :
2.4 (P 1869, p. 71: 5) Il passe
péniblement la main sur son front, comme pour en
écarter un nuage dont l'opacité obscurcit son
intelligence.
En revanche, obscurcir se trouve deux fois
dans ses emplois attendus en français :
2.13 (P 1869, p. 119: 28) La
tempête allait commencer ses attaques, et déjà
le ciel s'obscurcissait...
5.3 (P 1869, p. 247: 27) Quand la
nuit obscurcit le cours des heures...
Opinion = avis (opinión). Parecer est encore plus
courant, mais fort éloigné du français.
D'après mon opinion = à mon avis
(según mi
opinión).
2.3 (P 1869, p. 67: 11) C'est
simplement atroce; mais, seulement, d'après la faiblesse de
mon opinion ! — Pour, à mon humble avis.
4.3 (P 1869, p. 198: 6) Il est
entendu, sinon ne me lisez pas, que
je ne mets en scène que la timide personnalité de mon
opinion... — Sur, à mon humble avis, doublé de l'opinion
personnelle.
2.11 (P 1869, p. 107: 14) Je penche
vers cette
opinion;
car, moi aussi, je
commence à te connaître...
4.2 (P 1869, p. 193: 5) Ainsi,
donc, l'hypocrisie sera
chassée
carrément de ma demeure. Il y aura, dans mes chants, une
preuve imposante
de puissance, pour mépriser ainsi les opinions
reçues. Il
chante pour lui seul, et non pas pour ses semblables. — Pur
hispanisme, car
si en espagnol on dit aussi bien ideas qu'opiniones recibidas, en
français,
on ne connaît que les idées reçues, surtout au
pluriel.
4.7 (P 1869, p. 218: 19) Les
marsouins, qui n'ont pas volé,
d'après mon opinion, la réputation de bons
nageurs, pouvaient
à peine suivre de loin cet amphibie de nouvelle
espèce.
5.5 (P 1869, p. 257: 9)
Êtes-vous certain que celles qui portent
de longs cheveux,
soient de la même nature que la mienne ? Je ne le crois
pas, et je ne
déserterai pas mon opinion. — Construit sur, no
cambiaré
de opinión, je ne changerai pas d'avis.
6.1 (P 1869, p. 283: 7) En
conséquence, mon opinion
est que,
maintenant, la partie synthétique de mon oeuvre est
complète et
suffisamment paraphrasée.
6.9 (P 1869, p. 322: 13) Du moins,
c'eût été
l'opinion
de ceux qui se seraient arrêtés devant ce spectacle,
que plus d'un,
même avec un esprit mathématique, aurait trouvé
émouvant
Rien n'interdit en français les
formulations suivantes, bien
qu'elles
paraissent incomparablement plus naturelles en traduction
espagnole :
1.1 (P 1869, p. 50: 12) Mon
opinion prend
de plus en plus
de la
consistance...
1.14 (P 1869, p. 57: 16) ... tu as
un ami dans le
vampire,
malgré ton
opinion contraire.
4.3 (P 1869, p. 200: 15) ... la
perte de son sang était si
grande, que la
faiblesse l'empêchait de parler, et que mon opinion
était,
quoique je ne fusse pas médecin, que l'hémorragie
s'était
déclarée au visage et au bas-ventre...
5.6 (P 1869, p. 261: 14) ... le
fait est, pour moi, certain.
Remarquez que je ne
dis pas que votre opinion ne puisse jusqu'à un
certain point
être contraire à la mienne...
5.7 (P 1869, p. 273: 23) On
constata la présence d'une
blessure au flanc
droit; chacun de ces matelots expérimentés
émit
l'opinion qu'aucune pointe d'écueil ou fragment de
rocher
n'était susceptible de percer un trou si microscopique et en
même
temps si profond. — On attendrait, exprima l'avis que, mais
il s'agit bien
en fin de compte de l'opinion de matelots
expérimentés.
Le vocable se trouve (rarement) au sens qu'il
a sans conteste en
français :
3.5 (P 1869, p. 179: 5) Et les
hommes, que penseront-ils de moi,
dont ils avaient
une opinion si élevée, quand ils apprendront
les errements de
ma conduite...
6.6 (P 1869, p. 307: 27) ... je lui
ferai comprendre qu'il n'est
pas le seul
maître de l'univers; que plusieurs phénomènes
qui
relèvent directement d'une connaissance plus approfondie de
la nature des
choses, déposent en faveur de l'opinion contraire, et
opposent un
formel démenti à la viabilité de
l'unité de la
puissance.
En revanche, chaque fois que le mot avis se
trouve dans les Chants,
et c'est quatre occurrences, il est employé de
manière parfaitement rigoureuse, s'agissant d'un mot
français sans correspondant en castillan (en plus, on
le trouve dans des expressions figées : je suis d'avis
que, à son propre avis, on ne sera pas de mon avis et
à votre avis).
Voir le gallicisme
à mon humble avis.
Guerre ouverte = guerre furieuse et déclarée
(guerra abierta). Evidente, claro o que no presenta ninguna
duda : esto ya es una guerra abierta entre los dos
países (Clavo).
2.6 (P 1869, p. 79: 5) À
guerre ouverte, tu ne pourras jamais vaincre...
L'adjectif ne se rendrait pas simplement en
français par
guerre déclarée, car il emporte aussi en
castillan l'idée de force, de violence, voire d'outrance.
Autrement, bien entendu, on n'est pas en guerre et c'est ce que
rendrait fort bien la lucha abierta (Pellegrini), ou encore le
combat face à face (Viguié, frente a frente), car
l'idée s'y trouve aussi dans guerra abierta.
Paille = un rien (paja, au sens de nadería).
2.15 (P 1869, p. 136: 11) ... tu
sais que, pour
moi, elle est comme la paille qu'emporte le vent. J'en fais
autant de cas.
Si je voulais profiter de l'occasion, qui se présente, de
subtiliser ces
discussions poétiques, j'ajouterais que je fais même
plus de cas de
la paille que de la conscience; car, la paille est
utile pour le
boeuf qui la rumine..
Observons d'abord qu'en français, c'est
le
fétu de paille qu'emporte le vent. Ensuite, si l'on
peut bien en
faire peu de cas, il n'a pas de lui-même une valeur
dépréciative, mais simplement négative :
fétu
vaut alors pour brin, miette, goutte, etc.
Paille et paja sont deux très stricts
équivalents dans tous leurs sens concrets, de la paille ou
du foin (heno),
qu'on donne aux animaux, jusqu'à la paille de plastique avec
laquelle on
boit. En revanche, paja a, parmi de très nombreux emplois
qu'on trouve
aussi bien en français (un homme de paille, par exemple),
d'autres sens qui lui
sont propres. Le mot désigne alors ce qui est insignifiant,
inutile ou qui
ne saurait être pris en considération, des
vétilles. Cet
emploi inconnu du français est très fréquent
dans les
expressions castillanes, dont plusieurs sont de véritables
hispanismes,
impossibles à traduire sans lourdes périphrases en
français,
à commencer par meter paja (bourrer de paille, qui
s'applique aux livres,
discours et conversations), jusqu'à la peccadille comme
sujet de discorde
(en/por un quítame allá esas pajas).
Palais = goût (paladar). Lorsqu'on dit, en
français, avoir le palais fin, c'est une métonymie.
En espagnol, c'est un des sens premiers du mot. D'où
paladear : déguster. Par exemple : no tiene paladar
para la música clásica, il n'a pas de goût pour
la musique classique (Clave).
1.6 (P 1869, p. 12: 25) On dirait
les larmes de celle qui aime le plus; mais, les larmes de l'enfant
sont meilleures au palais.
Par = à cause de (por) : por s'emploie au sens
de par devant le complément d'agent, mais il s'emploie
également comme les locutions prépositives de sens
causal en français : à cause de, du fait de,
etc. Cet hispanisme est très fréquent dans les
Chants, en voici seulement deux exemples.
1.9 (P 1869, p. 29: 19) Pour
couronner enfin la stupide comédie, qui n'est pas même
intéressante, on voit, au milieu des airs, quelque cigogne,
attardée par la fatigue, qui se met à
crier...
2.7 (P 1869, p. 84: 14-26) Le bois
est devenu auguste comme une tombe, par la présence
nocturne
de l'hermaphrodite infortuné. Ô voyageur
égaré, par [por, à cause de : et
non la simple présentation d'un compl. d'agent, comme
à la première ligne : l'hermaphrodite a rendu le bois
auguste] ton esprit d'aventure qui t'a fait quitter ton père
et ta mère, dès l'âge le plus tendre;
par les souffrances que la soif t'a causées, dans le
désert; par ta patrie que tu cherches
peut-être, après avoir longtemps erré,
proscrit, dans des contrées étrangères;
par ton coursier, ton fidèle ami, qui a
supporté, avec toi, l'exil et l'intempérie des
climats que te faisait parcourir ton humeur vagabonde; par
la dignité que donnent à l'homme les voyages sur les
terres lointaines et les mers inexplorées, au milieu des
glaçons polaires, ou sous l'influence d'un soleil torride,
ne touche pas avec ta main...
— L'exemple est particulièrement probant parce que les
emplois de par tout au long du passage sont de moins en moins
adéquats (au fur et à mesure qu'on s'éloigne
du participe égaré), ce qui tient
précisément au fait que la préposition por est
versatile en espagnol, pouvant correspondre aussi bien à par
qu'à pour, comme à bien d'autres de nos
prépositions).
Par, de par. Cf. travers.
Parage = endroit (paraje).
2.13 (P 1869, p. 119: 24) Un navire
venait de mettre toutes voiles
pour s'éloigner de ce parage : un point
imperceptible venait de paraître à l'horizon, et
s'approchait peu à peu, poussé par la rafale, en
grandissant avec rapidité.
4.3 (P 1869, p. 201: 3) Elles
résolurent, par un complot,
de le suspendre à une potence, préparée
d'avance, dans quelque parage non fréquenté,
et de le laisser périr insensiblement, exposé
à toutes les misères et à tous les dangers.
6.3 (P 1869, p. 288: 20) Une femme
s'évanouit et tombe sur
l'asphalte. Personne ne la relève : il tarde à
chacun de s'éloigner de ce parage.
Le mot français, parages, qui vient de
l'espagnol (paraje =
aquas, sitio), ne s'emploie qu'au pluriel et dans un sens
différent, les environs; on le trouve aussi dans les
Chants:
1.12 (P 1869, p. 44: 21)
Un cachalot s'élève peu à peu du fond de la
mer, et montre sa tête au-dessus des eaux, pour voir le
navire qui passe dans ces parages solitaires. La
curiosité naquit avec l'univers.
2.12 (P 1869, p. 116: 18) Sache que
je préférerais me nourrir avidement des plantes
marines d'îles inconnues et sauvages, que les vagues
tropicales entraînent, au milieu de ces parages, dans
leur sein écumeux, que de savoir que tu m'observes, et que
tu portes, dans ma conscience, ton scalpel qui ricane. — Cf.
n. (n).
Pardonner = faire grâce, épargner
(perdonar).
3.5 (P 1869, p. 171: 7) Quand il
fut rassasié de respirer cette femme, il voulut lui arracher
ses muscles un par un; mais, comme c'était une femme, il lui
pardonna et préféra faire souffrir un
être de son sexe.
Parole = propos, discours (palabras) : faire entendre
des paroles = tenir des propos (decir, pronunciar palabras).
Certes, on trouve en français des expressions
équivalentes (dirigir la palabra = adresser la parole) et il
est évident que Ducasse multiplie les incises de forme
homérique, mais cela n'empêche pas que ces emplois
paraissent métonymiques en français, avec un
caractère poétique et théâtral
très appuyé, tandis qu'elles sont de sens premier
pour un hispanophone. Voir les deux remarques à la fin de
l'entrée suivante.
1.4 (P 1869, p. 9: 7) On en verra la
preuve dans mes paroles; il ne tient qu'à vous de
m'écouter, si vous le voulez bien...
1.12 (P 1869, p. 48: 11) L'expression
générale de ses traits contraste
singulièrement avec ces paroles que l'amour de Dieu
seul a pu inspirer.
2.6 (P 1869, p. 80: 26) Il craint les
suites de ses paroles; il s'esquive, le malheureux,
contrarié de n'avoir pas pu entretenir cet enfant pendant
plus longtemps.
2.12 (P 1869, p. 117: 25) Je
préfère plutôt te
faire entendre des paroles de rêverie et de
douceur...
3.1 (P 1869, p. 147: 15) Il ne
répondit pas, parce que
j'avais raison; mais, moi, je me mis à le consoler,
à cause de l'accent trop impétueux de mes
paroles... Nos chevaux galopaient le long du rivage...
4.3 (P 1869, p. 197: 15) À
moins que, appliquant mes
lèvres, l'une contre l'autre, surtout dans la direction
horizontale (mais, chacun n'ignore pas que c'est la manière
la plus ordinaire d'engendrer cette pression) je ne
préfère garder un silence gonflé de larmes et
de mystères, dont la manifestation pénible sera
impuissante à cacher, non seulement aussi bien mais encore
mieux que mes paroles (car, je ne crois pas me tromper,
quoiqu'il ne faille pas certainement nier en principe, sous peine
de...
5.2 (P 1869, p. 241: 26) Le
scarabée trembla devant ces
paroles inattendues, et, ce qui, dans une autre occasion,
aurait été un mouvement insignifiant, devint, cette
fois, la marque distinctive d'une fureur qui ne connaissait plus de
bornes...
5.5 (P 1869, p. 258: 18) Mes
paroles ne sont pas les
réminiscences d'un rêve, et j'aurai trop de souvenirs
à débrouiller, si l'obligation m'était
imposée de faire passer devant vos yeux les
événements qui pourraient affermir de leur
témoignage la véracité de ma douloureuse
affirmation.
6.1 (P 1869, p. 284: 5) ... vous me
reprochez de répandre
d'amères accusations contre l'humanité, dont je suis
un des membres (cette seule remarque me donnerait raison !) et
contre la Providence : je ne rétracterai pas mes
paroles; mais, racontant ce que j'aurai vu...
6.7 (P 1869, p. 309: 24) ... son
interlocuteur répond
logiquement à toutes les questions. Est-il nécessaire
de rapporter le sens de ses paroles ? Pourquoi rouvrir,
à une page quelconque, avec un empressement
blasphématoire, l'in-folio des misères
humaines ?
Parole = mot (palabra) : una palabra española;
discours, ce qu'on exprime (palabras);
le fait même de prononcer (no decir palabra, ¡ ni una
palabra !).
2.13 (P 1869, p. 122: 26) Il me
semblait qu'ils devaient
m'entendre ! Il me semblait que ma haine et mes
paroles, franchissant la distance, anéantissaient les
lois physiques du son, et parvenaient, distinctes, à leurs
oreilles, assourdies par les mugissements de l'océan en
courroux !
2.15 (P 1869, p. 134: 5) Des yeux
vengeurs, que la science
ignorante appelle météores, répandent une
flamme livide, passent en roulant sur eux-mêmes, et
articulent des paroles de mystère... qu'il
comprend !
3.1 (P 1869, p. 146: 5) À mon
tour, je m'efforce de lui
rappeler sa jeunesse dorée, qui ne demande qu'à
s'avancer dans les palais des plaisirs, comme une reine; mais, il
remarque que mes paroles sortent difficilement de ma bouche
amaigrie, et que les années de mon propre printemps ont
passé, tristes...
3.4 (P 1869, p. 162: 24) Il
était soûl !
Horriblement soûl ! Soûl comme une punaise qui a
mâché pendant la nuit trois tonneaux de sang ! Il
remplissait l'écho de paroles incohérentes,
que je me garderai de répéter ici; si l'ivrogne
suprême ne se respecte pas, moi, je dois respecter les
hommes.
5.4 (P 1869, p. 250: 8) N'oublie pas
que si ta présomptueuse
cervelle m'a cru capable de t'offrir quelques paroles de
consolation, ce ne peut être que par le motif d'une ignorance
totalement dépourvue de connaissances physiognomoniques.
5.6 (P 1869, p. 261: 8) Si vous
considérez mes
paroles plutôt comme une simple forme
impérative, que comme un ordre formel qui n'est pas à
sa place, vous montrerez de l'esprit et du meilleur.
5.6 (P 1869, p. 266: 5) Le
prêtre des religions, au milieu de
l'assistance émue, prononce quelques paroles pour
bien enterrer le mort, davantage, dans l'imagination des
assistants.
5.7 (P 1869, p. 271: 6) Si vous
voulez ne pas perdre une seule
parole de ce qu'elle va dire, faites abstraction des
occupations étrangères qui obstruent le portique de
votre esprit...
5.7 (P 1869, p. 278: 15) Plein
d'admiration pour son adversaire,
chacun lève sa propre visière :
« Elsseneur !... »,
« Réginald !... », telles furent
les simples paroles que nos gorges haletantes
prononcèrent en même temps.
6.4 (P 1869, p. 297: 11) Maldoror,
caché derrière la
porte, n'a perdu aucune parole. Maintenant, il connaît
le caractère des habitants de l'hôtel, et agira en
conséquence.
6.5 (P 1869, p. 301: 8) Et vous
autres, enfants, apprenez, par
l'attention que vous saurez prêter à mes
paroles [= aux mots que je vais prononcer, à ma
lecture],
à perfectionner le dessin de votre style, et à vous
rendre compte des moindres intentions d'un auteur.
6.5 (P 1869, p. 302: 6) Mais,
après quelques paroles [= mots],
le découragement l'envahit, et elle cesse d'elle-même
l'interprétation de l'oeuvre littéraire.
Remarques
En espagnol, l'articulation des mots,
c'est-à-dire de la
« parole », présente une
matérialité que ne connaît pas le
français; d'où l'emploi du mot syllabe
dans ce contexte :
2.12 (P 1869, p. 117: 6) Mes
années ne sont pas nombreuses, et, cependant, je
sens déjà que la bonté n'est qu'un
assemblage*d
de syllabes sonores; je ne l'ai trouvée nulle
part.
Le mot parole ne se trouve jamais aux sens
espagnols dans les
Poésies.
Sans rien dire = sans un mot (sin
una palabra), pour muet, silencieux. J'ai beaucoup
hésité avant de classer l'expression dans les
hispanismes. J'en avais fait une note, puis une incorrection, mais
j'ai dû prolonger l'analyse. Il est évident que
l'expression française ne convient pas ici, car si elle est
manifestement impromptue, elle ne paraît pas volontairement
comique. Ducasse, tout au long de cette strophe, s'amuse de
très nombreuses « métaphores »
toutes simples et évidentes. Ce sont même des jeux de
mots « faciles » — n. (g) —, comme c'est le cas de la
« crème rouge » qui suit. Or, l'emploi
de l'expression, sans rien dire, ne figure manifestement pas dans
cette série.
2.13 (P 1869, p. 127: 1) Une lutte
s'engage entre elle [la requine] et les requins, pour se disputer
les quelques membres palpitants qui flottent par-ci,
par-là,
sans rien dire, sur la surface de la crème
rouge.
L'expression, sans rien dire, semble
plutôt une dérive de sin decir/hablar palabra (sans
dire un mot, sans mot dire, Saturne) ou, simplement, sin una
palabra (Saad). Silencieux, muet (dumbly, propose Knight). Or, si
l'expression est si surprenante, c'est qu'elle entre en conflit
avec le vocable membre, mis pour reste. Dès lors, on voit
que l'hispanisme se double d'une incorrection, soit : pour se
disputer les quelques restes palpitants qui flottent,
par-ci,
par là, muets, sur la surface de la crème
rouge.
Par hasard (car les deux strophes n'ont pas
été écrites à la suite), on trouve la
même expression à la strophe suivante :
2.14 (P 1869, p. 131: 11) Sans
rien dire, il prend son ami
qu'il met en croupe, et le coursier s'éloigne au galop.
— C'est l'expression courante, en français comme en
castillan, sin decir nada.
Parsemer = répandre (esparcir). Alors qu'il n'y a pas
de correspondant espagnol de parsemer, esparcir n'a pas non plus de
correspondant en français (sinon asperger, de même
étymologie); esparcir est pourtant le mot courant au sens de
répandre, être répandu.
Dans les contextes qui suivent, plusieurs
synonymes seraient
attendus, semer ou joncher (sembrar) par exemple, si le passif
n'était pas retenu (les couches de sang, le sable ou les
livres et les albums sont répandus).
4.6 (P 1869, p. 215: 9) Pendant la
journée, je me battais
avec mes nouveaux semblables, et le sol était
parsemé [= jonché] de nombreuses couches
de sang
caillé.
6.4 (P 1869, p. 293: 4) Il arpente
la cour, parsemée
[= couverte] de sable fin, et franchit les huit degrés
du
perron.
6.5 (P 1869, p. 298: 20) Il jette la
missive de côté,
parmi les livres à tranche dorée et les albums
à couverture de nacre, parsemés
[= répandus, épars] sur le cuir repoussé
qui recouvre la
surface de son pupitre d'écolier. —
Explétisme :
il laisse (de côté) le livre sur son pupitre.
Partial = partiel (parcial). L'espagnol ne distingue pas,
comme le
français, partial et partiel, de sorte que voilà un
« hispanisme » au sens strict de la grammaire
normative, la
faute toute naturelle d'un hispanophone. En revanche, la
traduction d'imparcial
ne pose aucun problème : impartial (adjectif qu'on
trouve cinq fois
dans les Chants et l'adverbe, impartialement, une fois).
5.1 (P 1869, p. 231: 6 et 7) Ce que
tu dis
là, homme respectable, est la vérité; mais,
une
vérité partiale. Or, quelle source abondante
d'erreurs et de
méprises n'est pas toute vérité
partiale !
Dans le contexte, cette vérité
n'est pas de l'ordre
du parti pris
injuste, partiale, mais évidemment incomplète,
partielle. C'est une
demi-vérité (verdad a medias, traduit rigoureusement
Manuel Serrat Crespo).
Parties basses = les autres parties (partes bajas).
Voilà certainement l'hispanisme le plus bizarre
rencontré dans les Chants. Pourtant, tous les traducteurs
en castillan reprennent la tournure mot à mot, sauf
Pellegrini, qui la traduit on ne peut plus correctement, las partes
inferiores. En français, l'expression est saugrenue,
s'agissant de désigner les parties du corps en-dessous de la
figure ! On comprend donc qu'on devrait lire, les autres
parties du corps. — À remarquer, même si cela
est évident, que l'on ne trouve pas ici le vocable, parties,
au sens des organes génitaux, et que l'expression n'a aucune
connotations sexuelles.
2.11 (P 1869, p. 110: 10) C'est la
gangrène; il n'est plus
permis d'en douter. Le mal rongeur s'étend sur toute la
figure, et de là, exerce ses furies sur les parties
basses [= les autres parties]; bientôt, tout le corps
n'est qu'une vaste plaie immonde.
En effet, en
français comme en castillan, le sens premier de l'emploi du
mot au pluriel
désigne les organes génitaux :
1.5 (P 1869, p. 11: 6)
« les parties du corps consacrées à
la pudeur » !
5.5 (P 1869, p. 255: 21) Mais (chose
importante à
représenter) n'oubliez pas chaque jour de laver la peau de
vos parties, avec de l'eau chaude, car, sinon, des chancres
vénériens pousseraient infailliblement sur les
commissures fendues de mes lèvres inassouvies.
5.5 (P 1869, p. 256: 3) Vous avez
raison : méfiez-vous
de moi, surtout si vous êtes beau. Mes parties offrent
éternellement le spectacle lugubre de la turgescence
5.6 (P 1869, p. 261: 24) Le
prêtre des religions ouvre le
premier la marche, en tenant à la main un drapeau blanc,
signe de la paix, et de l'autre un emblème d'or qui
représente les parties de l'homme et de la femme,
comme pour indiquer que ces membres charnels sont la plupart du
temps, abstraction faite de toute métaphore, des instruments
très dangereux entre les mains de ceux qui...
Sur son passage = sous ses pas (a su paso). Paso
désigne aussi bien le pas que le passage, d'où
l'hispanisme. Comme on le voit facilement au TLF, les
cooccurrences fleurs/passage (où l'expression de Ducasse est
isolée) ne correspondent nullement à fleurs/pas. Les
fleurs naissent sous, dessous les pas, depuis le Moyen Âge.
Tandis qu'on cueille ou même lance des fleurs sur son
passage.
2.13 (P 1869, p. 118: 15) ... un
jeune homme, dont la présence engendrait des fleurs sur
son passage.
Sauf la confusion de passage et de route qu'on
trouve à la strophe 1.3 — cf. n. (y) —, les treize autres occurrences
du vocable passage correspondent rigoureusement aux emplois
français (notamment frayer ou barrer un passage et oiseau de
passage).
Passe alors = passe encore (eso podría pasar).
5.3 (P 1869, p. 245: 10) Ce n'est
pas que mon corps nage dans le
lac de la
douleur; passe alors. Mais...
On trouve ici un court-circuit entre une
formulation
française assez
recherchée, « passe encore que...,
mais... », et les
tournures très fréquentes impliquant le verbe pasar.
Bien entendu,
la proposition est une incorrection, mais la faute ne peut
être que d'un
hispanophone. La preuve en est que les traducteurs en castillan la
reformulent
tous correctement, ce qui est plus difficile pour un francophone,
certainement.
Ana Alonso peut même la réécrire sans peine
dans une expression
très juste qu'on traduirait difficilement en français
(tampoco es
eso).
Pèlerinage = pérégrination(s), voyage
(perigrinación, qui a aussi le sens de
« pèlerinage », plus
généralement rendu par peregrinaje). Il est clair que
ce n'est pas du tout par inadvertance que Ducasse emploie le mot au
sens de voyage, étant donné la caravane des
pèlerins (6.6 et 6.10,
soit P 1869, p. 308: 10 et 328:
8), précisément parce que peregrino signifie encore
aujourd'hui couramment voyageur en espagnol (mais pas dans ce
contexte où il s'agit bien d'un pèlerinage). Sauf en
4.7, où le pèlerinage = voyage rectiligne est
un jeu de mot sur peregrinación =
pérégrinations, le voyage aux nombreux
détours, très net hispanisme... Et rien
n'empêche bien entendu, comme l'a suggéré
Jean-Luc Steinmetz, que le mot vienne à l'esprit de Ducasse
par association avec le requin pèlerin ou le pèlerin
(un « gallicisme », puisque le requin commun,
le plus gros, n'a pas de nom particulier en espagnol).
1.9 (P 1869, p. 30: 18) L'oiseau de
passage se repose sur elles avec confiance, et se laisse abandonner
à leurs mouvements, pleins d'une grâce fière,
jusqu'à ce que les os de ses ailes aient recouvré
leur vigueur accoutumée pour continuer le
pèlerinage aérien.
4.7 (P 1869, p. 222: 27) ...
l'amitié et la
vénération que je sentis pour toi, dès que je
te vis, pour la première fois, accomplissant, avec la
grâce et la force du requin, ton pèlerinage
indomptable et rectiligne.
5.1 (P 1869, p. 232: 18)
Malgré cette singulière
manière de tourbillonner, les étourneaux n'en fendent
pas moins, avec une vitesse rare, l'air ambiant, et gagnent
sensiblement, à chaque seconde, un terrain précieux
pour le terme de leurs fatigues et le but de leur
pèlerinage.
Pendant = ballant (pendiente, colgante). L'adjectif
s'applique surtout aux
bras, les bras ballants, mais peut se dire de n'importe quelle
partie du corps
susceptible d'osciller.
Cet « hispanisme » est un
amusant
court-circuit, une sorte
d'hispanisme au second degré, produit par... l'ignorance du
gallicisme ballant.
3.4 (P 1869, p. 164: 10) Alors, le
Dieu souverain,
réveillé, enfin,
par toutes ces insultes mesquines, se releva comme il put; en
chancelant, alla
s'asseoir sur une pierre, les bras pendants, comme les deux
testicules du
poitrinaire...
6.4 (P 1869, p. 294: 25) Les
frères, les mains
pendantes, restent
muets...
6.7 (P 1869, p. 309: 1) ... il est
retombé
lourdement sur la planche, les bras pendants, la casquette
lui cachant la
moitié de la figure, et les jambes battant le gravier...
Percé = déchiré : une robe
trouée = une robe déchirée (un vestido
agujereardo) : en français, une robe peut bien
être trouée en plusieurs endroits, elle n'en sera pas
pour cela déchirée, à moins que l'on ne
veuille
expressément désigner ses trous. Par ailleurs, les
chaussettes ou les gants sont percés, tandis que les robes
et les pantalons sont déchirés.
3.2 (P 1869, p. 150: 19) Sa robe,
percée en plus d'un
endroit, exécute des mouvements saccadés autour de
ses jambes osseuses et pleines de boue.
Perdition = perte, dérèglement
(perdición), perdition ! Mais tel n'est pas son sens
ici, où il signifie en castillan, écart de conduite.
En
français, le mot est restreint au sens religieux ou moral
(sauf pour le navire en perdition, sans correspondant en
espagnol) : « état de celui, celle qui perd
son âme » (DGLF), dans la perspective de la
damnation, tandis qu'en espagnol, si le vocable s'emploie en ce
sens, il s'agit du doublet abstrait de
perdida (perte), de sorte que l'hispanisme ici correspond
simplement à une restriction du champ sémantique.
Tous les traducteurs ou presque donnent
perdición. Il s'agit d'une édulcoration ou d'un
amoindrissement de sens qui vient de l'emploi du vocable dans le
contexte littéraire du vocabulaire amoureux :
pasión desenfrenada de amor, « Mil veces quiere
callarme / Sintende mi perdición »
(J. Montemayor, mille fois j'ai voulu me taire, sentant ma
perte, mon égarement), citation et commentaire
de Garnier. En fait, deux traducteurs établissement
clairement ce sens du mot en castillan, Álverez et
Méndez, qui refont tous deux le syntagme tel qu'il se
comprend dans leur langue, soit, cuando el extravio es serio y
convicto/convencido, quand l'écart (de conduite) est
sérieux et convaincu (convaincu est ici un terme de droit,
convainquant, proche de prouvé).
6.5 (P 1869, p. 304: 16) Or, la
familiarité n'est-elle pas
avouable dans le cas d'une forte et ardente intimité,
lorsque la perdition est sérieuse et
convaincue ?
Pères = parents (padres). Cf. fils.
6.3 (P 1869, p. 291: 26) ... il
aperçoit un vieux chat
musculeux,
contemporain des révolutions auxquelles ont assisté
nos
pères, contemplant mélancoliquement les rayons
de la
lune...
Perpétualité = perpétuité, soit
perpetuidad (perpetualidad).
Le mot était connu en ancien
français (1265, DHLF) et
est sorti de l'usage à la fin du Moyen Âge; mais les
anciennes langues d'Espagne l'ont pris de l'ancien français,
de sorte qu'il se trouve toujours aujourd'hui en castillan.
L'hispanisme est en français aujourd'hui un barbarisme que
l'on doit à... Isidore Ducasse ! La seule occurrence
du mot au TLF, comme son enregistrement sous l'adjectif,
perpétuel, au dictionnaire du Trésor de la langue
française, est précisément celle qu'on trouve
ici. Le vocable ne se trouve évidemment pas au dictionnaire
de l'Académie française, tandis qu'il figure,
naturellement, au Diccionario de la lengua española
de l'Académie d'Espagne. Son sens est philosophique et
très abstrait : la perpétualité
désigne l'essence de la perpétuité qui se dit
de ce qui est perpétuel !
5.7 (P 1869, p. 271: 4) Elle se dit
qu'il n'est pas temps encore
de cesser de torturer, et qu'il faut auparavant donner au
condamné les plausibles raisons qui
déterminèrent la perpétualité*i du supplice.
Et le barbarisme issu de l'hispanisme est
également une
incorrection, comme de nombreux emplois des vocables de la famille
perpétuel.
Petite main = menotte, main d'enfant (manita, manecita). La
tournure tient ici
de la morphologie plus que du vocabulaire : elle est
en tout cas assez surprenante en français pour que Manuel
Álvarez Ortega ne traduise tout simplement pas l'adjectif
(un gesto de tu mano, Álvarez; de tu manita, Serrat).
5.4 (P 1869, p. 251: 13) Quand tu
étais enfant (ton
intelligence était alors dans sa plus belle phase), le
premier, tu grimpais sur la colline, avec la vitesse de l'isard,
pour saluer, par un geste de ta petite main, les
multicolores rayons de l'aurore naissante.
Qui n'est pas à sa place =
déplacé (fuera de lugar): desplazada ne s'emploie pas
aux sens figurés du français (incongru, inconvenant,
malséant).
5.6 (P 1869, p. 261: 10) Si vous
considérez mes paroles
plutôt comme une simple forme impérative, que comme un
ordre formel qui n'est pas à sa place, vous montrerez
de l'esprit et du meilleur.
Déplacé se trouve une fois en ce
sens, attendu en
français :
6.5 (P 1869, p. 303: 22) Puisque
vous paraissez souhaiter que j'aie de
la confiance en votre propre personne (voeu qui n'est pas
déplacé, je me plais à le
confesser)...
Mettre dans la poche = empocher (meter en el bolsillo).
Embolsar, surtout au XIXe siècle, c'est « garder
dans sa poche », d'autant qu'il s'agit de son
argent. Empocher l'or d'autrui se dit nécessairement comme
on le lit ici en français : meter el oro ajeno en el
bolsillo.
1.5 (P 1868, p. 5: 31, B 1896, p. 32:
30; cf. P 1869, p. 9: 19/20, variante 1) J'ai vu, pendant toute ma
vie, sans en excepter un seul, les hommes, aux épaules
étroites, faire des actes stupides et nombreux, abrutir
leurs semblables, mettre l'or d'autrui dans la poche et
pervertir les âmes par tous les moyens.
Poids = douleur (peso), au sens physique et/ou intellectuel.
Un peso en la cabeza (comme si l'on pouvait dire en même
temps, j'ai mal à la tête et je suis
préoccupé, comme lorsqu'on a un poids sur la
conscience). « Sensación de cansancio o
molestia : siento peso en las piernas cuando hace
calor » (Planeta).
2.12 (P 1869, p. 113: 6) Chaque
matin, je ressens un poids dans la tête. — Tous
les traducteurs donnent ici le mot à mot.
Et c'est tout le contraire pour la seule des
huit autres occurrences du vocable qu'on pourrait rapprocher de
l'hispanisme :
2.15 (P 1869, p. 134: 7) Alors, son
chevet est broyé par les secousses de son corps,
accablé sous le poids de l'insomnie... — Gómez
et Pellegrini soustraient le vocable (abrumedo por el insomnio) et
Méndez y va d'un synonyme (el fardo). Bref, poids a ici son
sens strict, correspondant à la pesanteur, sans rapport avec
la douleur.
Point fixe = un objet, une chose, quelque chose
« qui est attaché » (punto fijo).
6.10 (P 1869, p. 330: 13) [Mervyn].
Il saisit vivement, avec ses mains, une longue guirlande
d'immortelles, qui réunit deux angles consécutifs de
la base, contre laquelle il cogne son front. Il emporte avec lui,
dans les airs, ce qui n'était pas un point fixe.
On comprend très bien qu'une partie de
la guirlande décorative, à la base de la colonne
Vendôme, n'était pas (solidement) attachée,
puisqu'elle se détache lorsque Mervyn tente de s'y agripper.
Elle n'était donc pas fixé. Mais il est
impossible d'écrire en français qu'elle
n'était pas un point fixe. Or, tous les traducteurs
donnent, littéralement, un punto fijo (lo que non era un
punto fijo), sauf Ana Alonso qui traduit, punto de sujeción,
ce qui confirme qu'il s'agit bien d'un hispanisme, puisque le
substantif, point, reste en place. — Je dois préciser
toutefois qu'aucun dictionnaire n'enregistre l'expression.
Poitrine = sein (pecho); dans sa poitrine = sur son sein.
6.5 (P 1869, p. 300: 5) Il cache
cette lettre dans sa
poitrine.
Porter = conduire et de nombreux synonymes (llevar). Les
sens premiers des
deux mots sont évidemment sans commune mesure, ni dans leur
forme, ni dans
leurs significations, très variées. L'hispanophone
ne prend
donc pas un mot
pour l'autre : c'est proprement une question de
« traduction » de sa pensée dans la
langue seconde.
Llevar, parmi ses nombreux emplois, signifie porter + transporter,
et donc
conduire, rarement porter (en ce sens), plutôt apporter,
emporter, mener,
emmener et amener (Espasa). Le problème, c'est que de
nombreux emplois de
porter conviennent parfaitement pour exprimer le castillan llevar
(mais pas ceux-là),
surtout ses sens premiers (porter un enfant dans ses
bras, porter un
vêtement, un chapeau, les arbres portent des fleurs et des
fruits, etc.).
1.13 (P 1869, p. 55: 13) ... ce
cheval qui ne galope
que pendant
la nuit, tandis
qu'il porte son maître-fantôme, enveloppé
dans un long
manteau noir. — Il emporte.
2.1 (P 1869, p. 61: 27) Quand la
destinée l'y
portera [en enfer],
le funèbre entonnoir n'aura jamais goûté de
proie plus
savoureuse, ni lui contemplé de demeure plus convenable.
— Elle l'y
conduira.
2.12 (P 1869, p. 116: 19) Sache que
je préférerais
me nourrir
avidement des plantes marines d'îles inconnues et sauvages,
[...] que de
savoir que tu m'observes, et que tu portes, dans ma
conscience, ton scalpel
qui ricane. — Conduire, mener, apporter.
3.3 (P 1869, p. 161: 22) Où
portes-tu tes
sandales ? Où
t'en vas-tu, hésitant comme un somnambule, au-dessus d'un
toit ?
— Conduire, diriger.
3.5 (P 1869, p. 166: 16) Lorsque
le client
était sorti, une
femme toute nue
se portait au-dehors, de la même manière, et se
dirigeait vers
le même baquet. — Llevarse fuera, se rendait dehors,
sortait.
4.3 (P 1869, p. 201: 13) Je le
portai dans la
chaumière la plus
voisine... — Je le conduisis, l'amenai (sauf s'il fallait
comprendre qu'il
le porte dans ses bras).
4.7 (P 1869, p. 223: 4) ... la rude
pénétration des
ondes sonores,
qui portaient à mon oreille un tel cri de
désespoir... —
Apporter.
5.2 (P 1869, p. 237: 28) ... ainsi
je n'étais pas
tranquille, et je
portais mes jambes en avant avec beaucoup de lenteur.
— Conduire,
mener.
5.5 (P 1869, p. 260: 25) C'est
ainsi qu'un esprit habile, et qui ne
se vante pas,
emploie, pour atteindre à ses fins, les moyens mêmes
qui
paraîtraient d'abord y porter un invincible obstacle.
—
Apporter.
5.7 (P 1869, p. 277: 24) Je
portai ma présence dans
les combats,
afin d'offrir ma poitrine aux coups. — Conduire, emmener (ou,
j'apportai ma
présence aux combats, évidemment pour
j'allai).
Porter se trouve évidemment dans ses
nombreux autres emplois en
français, et quelquefois dans un des sens de
llevar :
2.11 (P 1869, p. 108: 22) Il saisit
la lampe pour
la porter
dehors, mais
elle résiste et grandit.
6.5 (P 1869, p. 305: 19)
Après avoir écrit cette
lettre coupable,
Mervyn la porta à la poste et revint se mettre au
lit. — Porter
qqch à un endroit. Plusieurs emplois ci-dessus peuvent
être pris en
ce sens, mais ils seraient emphatiques : on porte un objet
(on le tient, on
le soutient), mais pas un obstacle, ni sa présence, ni ses
pieds ou ses
jambes.
Posséder = avoir (tener). L'auxiliaire avoir
correspond à un doublet en castillan, haber et tener. Mais
il se trouve que tener, comme avoir, n'est pas seulement un verbe
auxiliaire, et qu'il a, parmi ses très nombreuses
acceptions, un sens transitif correspondant à poseer,
disfrutar (Planeta, p. 1218-1219), soit posséder, ...
avoir ! Tiene mucho dinero, il a beaucoup d'argent (cf. la
toute première strophe, n. (nh)). Lorsque les traducteurs
réécrivent l'hispanisme avec le verbe poseer, ils ne
font évidemment aucune faute, mais ils reproduisent, au
contraire, la lourdeur du texte de Ducasse. Et la même
remarque s'inverse : posséder n'a rien de fautif dans
toutes ces occurrences et la preuve en est que la
propriété de l'oxygène, en 4.3, est prise d'un
manuel. Mais on admettra que dans beaucoup de cas, la
« possession » n'est pas en cause et que c'est
le verbe avoir qui convient.
Autrement dit, lorsque Ducasse écrit
posséder, c'est tout simplement tener qu'il a à
l'esprit, soit... avoir.
1.11 (P 1869, p. 35: 24) Notre
Édouard possède toutes les grâces de sa
mère.
1.12 (P 1869, p. 47: 17) ... Dieu
qui a créé l'homme avec
une parcelle de sa propre intelligence possède une
bonté sans limites...
3.5 (P 1869, p. 167: 14) La
curiosité l'emporta sur la crainte; au bout de quelques
instants, j'arrivai devant un guichet, dont la grille
possédait de solides barreaux, qui s'entrecroisaient
étroitement.
4.3 (P 1869, p. 199: 2) ... il est
bon, si l'on possède des facultés en
équilibre parfait...
4.3 (P 1869, p. 200: 2) Et, de
même que l'oxygène est reconnaissable à la
propriété qu'il possède, sans orgueil,
de rallumer une allumette présentant quelques points en
ignition, ainsi...
4.5 (P 1869, p. 212: 7) ... il
n'aura pas tort, celui qui prétendra que je ne
possède pas la faculté des souvenirs.
4.7 (P 1869, p. 219: 27) ... ses
jambes, avec une force pareille à celle que
possèdent les défenses en spirale du
narval...
4.8 (P 1869, p. 227: 6 et 17) [Falmer]. Quel est donc celui
auquel je fais allusion ? C'est un ami que je
possédais dans les temps passés, je crois.
[...] Or, je crois en effet qu'il était plus faible...
Même alors. C'est un ami que je possédais dans
les temps passés, je crois.
5.1 (P 1869, p. 233: 10) Si tu n'es
pas en bonne santé, suis mon conseil (c'est le meilleur que
je possède à ta disposition), et va faire une
promenade dans la campagne.
5.2 (P 1869, p. 239: 12) [l'homme
à tête de pélican]. Quoiqu'il ne
possédât pas un visage humain, il me paraissait
beau comme...
5.5 (P 1869, p. 255: 12)
Possédez-vous un sixième sens qui nous
manque ?
5.5 (P 1869, p. 258: 5) [Ma
bouche].
... j'en contracte le tissu jusqu'à la dernière
réduction, afin de faire croire que je possède
un caractère froid.
5.5 (P 1869, p. 259: 18) Mais,
quelle puissance possèdent-elles donc, mes gouttes
séminales, pour attirer vers elles tout ce qui respire par
des nerfs olfactifs !
5.6 (P 1869, p. 261.17) ... ce
qu'il importe avant tout, c'est de posséder des
notions justes sur les bases de la morale, de telle manière
que...
5.6 (P 1869, p. 262: 27) ... ne
soyez pas assez présomptueux, permettez-moi de vous donner
ce conseil non intéressé, pour croire que vous seul
possédez la précieuse faculté de
traduire les sentiments de votre pensée...
6.5 (P 1869, p. 300: 1) Il
possède des raisons qui ne sont pas parvenues
à ma connaissance et que, par conséquent, je ne
pourrais vous transmettre...
Poudre = poussière (polvo); écrire sur la
poudre = écrire sur le sable, sur la neige (escribir en
el polvo).
2.9 (P 1869, p. 96: 14) Continue de
dire à la saleté
de s'unir avec lui dans des embrassements impurs, et de lui jurer,
par des serments, non écrits dans la poudre, qu'elle
restera son amante fidèle jusqu'à
l'éternité.
L'autre occurrence de poudre qui suit, page
suivante, c'est
pólvera, poudre à canon.
Poudreux = poussiéreux (polvoriento).
3.2 (P 1869, p. 154: 10) L'esprit
mécontent, il se rhabille
avec précipitation, jette un regard de prudence sur la route
poudreuse, où personne ne chemine, et ordonne au
bouledogue d'étrangler avec le mouvement de ses
mâchoires, la jeune fille ensanglantée.
4.8 (P 1869, p. 229: 13) Lorsqu'un
jeune homme, qui aspire à
la gloire, dans un cinquième étage, penché sur
sa table de travail, à l'heure silencieuse de minuit,
perçoit un bruissement qu'il ne sait à quoi
attribuer, il tourne, de tous les côtés, sa
tête, alourdie par la méditation et les manuscrits
poudreux; mais, rien, aucun indice surpris ne lui
révèle la cause de ce qu'il entend si faiblement,
quoique cependant il l'entende.
Mettre en poussière = mettre en morceaux, mettre en
pièces (reducir a polvo).
2.15 (P 1869, p. 136: 25)
J'étendis une main, et sous mes doigts broyai les griffes;
elles tombèrent en poussière, sous la pression
croissante de ce mortier de nouvelle espèce.
6.8 (P 1869, p. 320: 19) ... si le
cadavre donne signe de vie, il le posera sur le sol et le mettra
en poussière à coups d'enclume.
Avec précipitation = vite, (très) rapidement
(con
precipitación).
En français, la précipitation n'implique pas
seulement une vitesse
inconsidérée, elle « implique toujours
qu'on n'accorde pas
à une action le temps normal, nécessaire, et donc le
plus souvent
qu'on la fait mal » (Bénac). Cette
dernière proposition
ne pourrait s'appliquer qu'a la première des deux
occurrences qu'on trouve
dans les Chants. Certes, con precipitación peut signifier
aussi
« trop » rapidement, comme en français,
mais c'est
encore moins le cas des deux exemples qui suivent.
3.2 (P 1869, p. 154: 9) L'esprit
mécontent, il se rhabille
avec
précipitation [= vite], jette un regard de prudence
sur la route
poudreuse, où personne ne chemine, et ordonne au bouledogue
d'étrangler avec le mouvement de ses mâchoires, la
jeune fille
ensanglantée.
7.7 (P 1869, p. 308: 21) Il a
porté cette
nourriture [de la terre] à la bouche et l'a rejetée
avec
précipitation [= aussitôt,
immédiatement].
Prééminence = supériorité
(preeminencia). On peut penser qu'il s'agit d'une contamination de
l'adjectif (prééminent, preeminente) sur le
substantif.
4.8 (P 1869, p. 227: 12 et 18)
... la prééminence de ma force physique
était plutôt un motif de soutenir, à travers le
rude sentier de la vie, celui qui s'était donné
à moi [...] ... La prééminence de ma
force physique...
Contrairement à l'espagnol, le
français n'emploie
jamais le vocable au sens de supériorité, ni
même dans aucun sens concret. La prééminence
est toujours celle du rang, de la dignité, voire de la
supériorité abstraite absolue (la
prééminence des vertus sur toutes les
qualités). Tous les traducteurs donnent
preeminencia.
Premier-né = aîné (primogénito).
Si l'on prend connaissance des contextes des 472 occurrences de
premier-né au TLF et si on les compare aux 4 896
occurrences d'aîné (sans avoir à tenir compte
des occurrences au pluriel et au féminin), il saute aux yeux
que la répartition des deux mots est inverse en
français et en castillan, où mayor,
l'équivalent d'aîné, s'emploie beaucoup moins
que le mot composé, primogénito. Une analyse
sommaire montre qu'en français, premier-né
désigne cet enfant par rapport à sa mère et
que l'accent est mis sur la naissance de cet enfant. Bref, en
français, l'aîné désigne le plus
âgé des enfants et non... le
premier-né !
6.4 (P 1869, p. 293: 24) [Le
père de Mervyn]. Appuyant le poignet sur les bras du
fauteuil, il s'éloigne de son siège ordinaire, et
s'avance, avec inquiétude, quoique affaibli par les ans,
vers le corps immobile de son premier-né.
6.5 (P 1869, p. 302: 8) Le
premier-né
s'écrie : « Je vais me
coucher ».
Entre ces deux occurrences, on trouve toutefois le
vocable
aîné, mais dans la bouche du père de
Mervyn :
6.5 (P 1869, p. 300: 24) Le
commodore, au visage boucané
par l'écume de la mer, se penche à l'oreille de son
épouse : « L'aîné a
changé de caractère, depuis le jour de la
crise... ».
Présence = prestance (presencia). Allure, prestance,
« mujer de buena presencia », femme de belle
prestance (Saturne); « aspecto exterior de una
persona : su novio tiene buena presencia »
(Planeta).
2.13 (P 1869, p. 118: 15)
C'était le matin; le soleil se leva à l'horizon, dans
toute sa magnificence, et voilà qu'à mes yeux se
lève aussi un jeune homme, dont la présence
engendrait des fleurs sur son passage.
Voir l'expression se
trouver en présence de (hallarse) et l'analyse des cas
de la dépronominalisation produite
avec le mot présence.
Presser, pression (pisar = « fouler »,
« marcher sur »), par analogie avec presser et
peser. Pisar est du vocabulaire courant, en regard de hollar,
« fouler », rare et recherché. À
remarquer que le sens général de pisar correspond
à peu près au sens du populaire piler,
d'emploi courant au Québec (voir le GPFC : piler (=
marcher sur) sur la robe, le gazon, les pieds, qui rappelle aussi
le poids et la pression). D'où probablement les figures
suivantes :
3.2 (P 1869, p. 152: 25) ... pendant
l'été, la
prairie
reconnaissait la suave pression de ses pas, quand elle
s'aventurait, avec son filet de soie, attaché au bout d'un
jonc, après les colibris, pleins d'indépendance, et
les papillons, aux zigzags agaçants.
3.5 (P 1869, p. 166: 8) Mettant ses
mains, ainsi qu'une couronne, sur les immondices de toutes sortes
qui pressaient le sol de leur poids...
5.7 (P 1869, p. 269: 21) Il appuie
une jambe sur le matelas, et de
l'autre, pressant le parquet de saphir afin de s'enlever, il
se trouve étendu dans une position horizontale.
6.4 (P 1869, p. 295: 1) [Les
frères] se retirent du salon,
ayant soin de ne presser le parquet d'ébène
que de la pointe des pieds.
Primitif = premier, originel (primitivo). La même
distinction
existe en espagnol : primero et primitivo.
— Après avoir hésité, je crois devoir
ranger ces emplois parmi les hispanismes, puisqu'il apparaît
qu'il s'agit du sens premier de primitivo qu'on ne trouve pas dans
le vocable français primitif. Six traducteurs sur huit le
reprennent en espagnol dans la strophe 3.2, et les deux exceptions
sont manifestement d'ordre stylistique : primero (Pellegrini)
apparaît alors comme un gallicisme et pristino (Saad) comme
un choix poétique.
2.11 (P 1869, p. 111: 10) [La lampe
changée en ange].
Celui-ci lui fait comprendre, sans parler, qu'il reprendra sa forme
primitive, à mesure qu'il montera vers le ciel...
Je dois préciser que tous les
traducteurs donnent ici, la forma primitiva, en espagnol.
D'ailleurs, même en français cet emploi n'est pas trop
surprenant.
3.2 (P 1869, p. 151: 1) [La
folle]. Elle a perdu sa
grâce et sa beauté primitives; sa
démarche est ignoble, et son haleine respire
l'eau-de-vie.
4.6 P 1869, p. 216: 1)
[Métamorphosé en pourceau].
Revenir à ma forme primitive fut pour moi une douleur
si grande, que, pendant les nuits j'en pleure encore.
6.10 (P 1869, p. 331: 3) Il se met
à courir autour de la
balustrade, en se tenant à la rampe par une main. Cette
manoeuvre a pour effet de changer le plan primitif de la
révolution du câble, et d'augmenter sa force de
tension, déjà si considérable.
6.10 (P 1869, p. 331: 16) Les
théorèmes de la
mécanique me permettent de parler ainsi; hélas !
on sait qu'une force, ajoutée à une autre force,
engendrent une résultante composée des deux forces
primitives ! — En mécanique,
déjà
à l'époque de l'Encyclopédie, ces forces
premières s'appellent les forces composantes
de la force résultante.
Principal = essentiel, primordial, fondamental (principal).
L'adjectif français peut toujours se traduire par son
correspondant en castillan : c'est la porte, la proposition ou
la qualité principale, c'est-à-dire que l'adjectif
s'applique aux plus importants des objets comparables. Mais
l'inverse n'est pas vrai. En castillan l'adjectif qualifie aussi
à ce qui est très important, essentiel,
jusqu'à en perdre toute idée de comparaison.
L'adjectif se dit même d'un personnage important, noble ou
illustre.
2.10 (P 1869, p. 105: 15) En effet,
quoi de plus solide que les trois qualités
principales déjà nommées qui
s'élèvent, entrelacées comme une couronne
unique, sur le sommet auguste de votre architecture
colossale ?
4.2 (P 1869, p. 187: 22) ... que
l'on ne perde pas de vue cet axiome principal, [que] les
habitudes contractées par les ans, les livres, le contact de
ses semblables...
Les emplois suivants correspondent à
ceux du français :
4.3 (P 1869, p. 194: 22) ... la
soif et la faim ne sont pas les
causes
principales qui m'empêchent de dormir.
5.5 (P 1869, p. 259 : 12) Je change
de vêtements deux fois
par semaine, la propreté n'étant pas le
principal motif de ma détermination.
5.7 (P 1869, p. 278: 23) Mais ton
nom ne fut pas
prononcé ! Lui et moi, nous nous jurâmes une
amitié éternelle; mais, certes, différente des
deux premières dans lesquelles tu avais été le
principal acteur !
6.9 (P 1869, p. 321: 23) Aucun
bénéfice ne
résultera pour lui de se mêler, comme principal
acteur, à cette équivoque intrigue.
En revanche, le substantif a les mêmes
emplois dans les deux
langues :
6.4 (P 1869, p. 297: 16) Il a
inscrit dans un calepin le nom de la
rue et le numéro du bâtiment. C'est le
principal. Il est sûr de ne pas les oublier.
Promptement = vite, rapidement (de pronto, avec ses
composés et dérivés). Probablement
l'hispanisme le plus simple et catégorique qu'on puisse
trouver, car pronto et ses dérivés (noms, adverbes et
expressions) n'ont aucune commune mesure avec le très
littéraire prompt, en français, qui n'a d'ailleurs
pas le même sens. Prompt = qui se produit tôt, avant,
inopinément (avoir la main prompte); pronto = vite, tout de
suite, tout aussitôt, bientôt. Comme l'italien,
pronto, l'espagnol est resté très proche des emplois
dérivés du latin, promptus, contrairement au
français.
Cela dit, il faut relativiser, car on trouve
6 579 occurrences de promptement au TLF, dont de très
nombreuses ont bien le sens de vite, rapidement. Toutefois,
l'adverbe vite se trouve, lui,... 27 322 fois. On peut
donc penser que prompt et pronto inversent leurs occurrences en
français et en castillan : vite sera plus
fréquent et naturel que prompt, tandis que pronto sera
incomparablement plus fréquent que ses adverbes
équivalents, de prisa, deprisa, rápidamente.
Vite ne se trouve que dix fois dans les
Chants, promptement (et avec promptitude) six fois. À la
strophe 6.4, l'adverbe n'est manifestement pas recevable en
français. Mais dans tous les autres cas,
l'« hispanisme » passera inaperçu et on
pourra bien dire, avec raison, qu'il ne s'agit nullement d'un
hispanisme ! Pourtant, l'occurrence de la strophe 6.1 le
confirme.
2.9 (P 1869, p. 93: 17) La
période est promptement venue, où les oeufs
ont éclaté.
4.2 (P 1869, p. 190: 20) Au moins,
pour excuse passable, aurai-je dû mentionner avec
promptitude (et je ne l'ai pas fait !) cette
omission...
6.1 (P 1869, p. 284: 10)
Espérant voir promptement, un jour ou l'autre, la
consécration de mes théories acceptée par
telle ou telle forme littéraire... — Voir la note (j).
6.4 (P 1869, p. 296: 3) Mais la
sensible Londonienne est à peine arrivée aux
premières marches (elle ne court pas aussi
promptement qu'une personne des classes inférieures)
que déjà une de ses demoiselles d'atour redescend du
premier étage...
6.5 (P 1869, p. 304: 3) À
parler avec franchise, que ne
ferais-je pas pour vous, dont l'inexplicable attachement a su
promptement se révéler à mes yeux
éblouis, surtout étonnés d'une telle preuve de
bonté, à laquelle je me suis assuré que je ne
me serais pas attendu. — L'adverbe se justifie par la
tournure emphatique de la phrase.
6.8 (P 1869, p. 316: 24) Il a l'air
plein d'inexpérience;
je lui réglerai son compte avec promptitude. —
La locution adverbiale se justifie moins bien ici qu'en 6.5,
à cause du contexte prosaïque où elle se
trouve.
Bien entendu, l'adverbe ou le substantif n'a
rien de surprenant en français, dans tous ces contextes
(sauf en 6.4), de sorte qu'aucun francophone ne peut savoir qu'il
s'agit pourtant d'un hispanisme, du moins par sa fréquence
relative.
De puissance à puissance = d'égal à
égal (de poder a poder).
2.3 (P 1869, p. 67: 1) ... ils
traitent
de puissance à puissance avec toi.
Comparer :
4.7 (P 1869, p. 217: 17 ) ... le
pacte
éphémère
conclu entre ces deux puissances.
Quelque chose de meilleur = rien de mieux (algo mejor).
¿ Hay algo mejor ?
1.2 (P 1869, p. 7: 19) Tes narines,
qui seront démesurément dilatées de
contentement ineffable, d'extase immobile, ne demanderont pas
quelque chose de meilleur à l'espace, devenu
embaumé comme de parfums et d'encens...
Quotidien = « journalier »,
« de tous les jours » ou
« (très) fréquent » (cotidiano).
Il n'y a aucun équivalent en français pour cet
adjectif, qu'on exprime plutôt par un adverbe ou un
complément circonstanciel.
1.11 (P 1869, p. 40: 18) Remets tes
armes quotidiennes dans l'armoire protectrice... [= de
tous
les jours].
2.10 (P 1869, p. 105: 18) Monument
qui grandit sans cesse de découvertes quotidiennes...
[= très fréquentes, qui grandit sans cesse tous
les
jours].
L'adjectif ne se trouve qu'une autre fois, et
au sens courant en français :
2.10 (P 1869, p. 72: 13) Faisant ma
promenade quotidienne, chaque jour je passais dans une rue
étroite...
En revanche, l'adverbe s'emploie de même
dans les deux
langues où il signifie « tous les
jours », « chaque jour ».
2.12 (P 1869, p. 114: 6)
j'accomplis le pénible devoir,
ordonné par mes parents, de t'adresser
quotidiennement un cantique de louanges...
5.6 (P 1869, p. 265: 24) Comme si
ce qui se voit
quotidiennement n'en devrait
pas moins réveiller l'attention de notre
admiration !
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