On l'aura remarqué, ceci est un ouvrage interactif en
cours d'élaboration
Ces notes consignées au jour le jour
doivent être
considérées pour ce qu'elles sont : le brouillon
d'un
travail
en cours. Et question de brouillon,
je sais de
quoi
je parle. Je suis brouillonnologue !
Un sommaire de ce dossier a été
proposé à la
curiosité de quelques intéressés, le 8
décembre
1995.
Le premier état du travail a été mis en orbite
sur l'internet
petit à petit jusqu'au 15 juillet 1996. Puis ces fichiers
ont
été complétés et
réédités
périodiquement (mai 1999 et avril 2000, notamment). On
trouve le
détail des étapes de cet ouvrage dans le calendrier
du travail
Le colimaçon monstrueux l'idiotisme
L'objectif de ce travail ne saurait se
réduire à la recherche des « hispanismes
lexicaux », c'est-à-dire
des mots français employés dans des sens espagnols.
Ce n'est
là que le point de départ et la partie la plus facile
d'un
projet de
recherche et d'analyse qui concerne le sens même de l'oeuvre
d'Isidore
Ducasse. La preuve en est que le premier glossaire s'intitule
« gallicismes » et qu'il répertorie au
contraire
les
mots
français sur lesquels a porté la rêverie du
poète.
Si ces notes de travail se présentent
sous la forme d'une
dizaine de listes
et de glossaires, il s'agit là d'une mise en ordre de la
matière à l'étude. L'intérêt
commence avec l'analyse de ces données, d'abord en contexte,
au fil
d'un
nouvel établissement du texte, ensuite dans les
enseignements et les conclusions
qu'on
ne manque pas d'en tirer.
Or ces enseignements et conclusions ne
sauraient se limiter au lexique, ni
à
la morphologie et à la syntaxe. Et encore moins à
l'établissement
de relevés. Il est bon de s'assurer qu'on ne confonde pas
l'inventaire
et
l'investigation, les dépouillements et les analyses. Je le
répète, c'est le sens de l'oeuvre d'Isidore Ducasse
qui est en
cause.
Pour l'instant, et c'est déjà un bon point de
départ, on
doit
considérer comme démontrées les propositions
suivantes:
1. La langue espagnole. Il est impossible
d'apprécier à sa juste valeur l'oeuvre
d'Isidore
Ducasse sans recourir à l'espagnol, celle-ci étant
rédigée « en espagnol dans le
texte ».
2. Les hispanismes (ce sont des fautes !). Le
bilinguisme véritable, celui des individus et en particulier
des artistes, comme celui du Montévidéen qui nous
occupe,
n'est jamais un phénomène de l'ordre de l'addition
(un
bilingue n'ajoute pas une autre langue à sa langue
maternelle, comme nous le faisons généralement en
apprenant
de nouvelles langues). Dans le cas des enfants, cet apprentissage
ne se
fait jamais sans profits et pertes. D'ailleurs, si l'enfant est
trop
jeune et maîtrise encore mal sa langue maternelle,
l'expérience
est
toujours plus dommageable que profitable, sur le strict plan
linguistique.
Tel n'a pas été tout à fait le cas, mais en
grande partie, de
l'apprentissage d'Isidore Ducasse, locuteur espagnol jusqu'à
treize
ans, puis locuteur français jusqu'à sa mort, à
vingt-quatre ans, deux fois en expérience d'immersion
totale.
3. La distanciation linguistique (comme celle
théorisée par Brecht). En effet, l'hispanisme se
répercute radicalement sur son
oeuvre : il ne fait absolument aucun doute qu'on y trouve
à tous
les
niveaux des fautes de français qui sont dues à son
bilinguisme;
mais
on y trouve aussi des réussites qu'on ne rencontrera jamais
sous la
plume
d'aucun francophone unilingue, des créations verbales
à tous les
niveaux de la langue, des figures grammaticales, lexicales et
stylistiques,
produisant des développements thématiques et
narratifs de
mentalité et de cultures hispaniques. La proposition
s'entend au sens
premier des deux volets : d'un côté il est
impossible de
considérer que l'auteur se soit amusé à
produire
volontairement des structures fautives étangères aux
structures
du
français, des hispanismes au sens strict (et il s'en trouve
beaucoup,
à ce niveau où la langue est un simple moyen de
communication);
de
l'autre, il est évident que le problème normatif est
de peu de
poids
en face des mécanismes d'écriture, de
création, voire
d'inspiration (qu'ils soient conscients ou non, la question ne se
pose plus
à ce niveau où la langue est une manière de
penser). Et
la
vérité n'est pas entre les deux, mais bien
au-delà : la
texture stylistique propre à Isidore Ducasse naît de
ses
incorrections
linguistiques, exactement comme son expression poétique
tient à
ses
outrances rhétoriques.
4. Une oeuvre de langue romane. Tous les traits de l'oeuvre
d'Isidore Ducasse, toutes ses qualités
et
tous ses défauts, ne tiennent pas toujours, bien entendu,
à son
bilinguisme et ne nous viennent donc pas toujours de l'espagnol.
Mais c'est
très souvent le cas, et c'est bien ce qu'il s'agit
d'apprécier
ici.
L'étude grammaticale n'est pas mécanique, ni ses
résultats
chaque fois univoques, mais l'état actuel du dossier fait
évidemment
la preuve qu'un très grands nombre de constructions verbales
d'Isidore
Ducasse tiennent à sa connaissance vivante de l'espagnol.
Pour le
meilleur
et pour le pire, l'oeuvre d'Isidore Ducasse est
profondément
marquée
de ce bilinguisme : elle a
été pensée en espagnol
tout
autant et plus qu'en français avant d'être
rédigée
dans
cette « langue seconde », je me permets
de le souligner.
5. Une oeuvre de culture romane. Ainsi ce travail nous
est-il aussi profitable qu'amusant. Si la recherche
des
hispanismes dans l'oeuvre d'Isidore Ducasse est un jeu auquel nous
sommes
plusieurs
à nous adonner depuis quelques années, ce jeu devient
passionnant
lorsqu'on l'applique à la lecture de l'oeuvre. Plus encore,
à
l'occasion de cette étude sur des textes que nous sommes
nombreux
à
compter parmi les chefs-d'oeuvre de la littérature moderne,
c'est aussi
l'espagnol et le français que nous pratiquons. Or, s'il y a
une chose
que
les Chants de Maldoror nous auront apprise, c'est que
l'espagnol,
c'est beau aussi en français, n'en déplaise aux
polices
linguistiques
du bon usage !
Il suit de ces cinq propositions que les
hispanismes lexicaux ne sont que
la
forme la plus spectaculaire de l'hispanisme des « Chants
de
Maldoror » et des « Poésies ».
Mais pour
cela
il faut définir correctement ce qu'on doit entendre par le
vocable hispanisme, comme je m'en expliquerai plus
loin.