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Devinettes, énigmes et périphrases

      Il ne viendrait à l'idée d'aucun lecteur de chercher systématiquement le sens premier de tous les fragments obscurs dans l'oeuvre de Stéphane Mallarmé. Or, tel est le cas pour l'oeuvre d'Isidore Ducasse. L'hermétisme est complètement étranger aux Chants de Maldoror ou aux Poésies. Bien au contraire, l'oeuvre est par avance une dénonciation des obscurités prétentieuses aussi incompatibles avec le langage poétique qu'avec le langage scientifique. On peut en voir l'illustration en particulier dans la périphrase, figure de style corrosive éminemment ducassienne.

      Dès lors, en revanche, plusieurs points obscurs manifestent une pensée qui « intéresse et agace », précisément parce que la logique ducassienne veut que ces obscurités le soient par notre faute. Ce sont des énigmes ou des devinettes que nous ne comprenons pas. Les ducassiens étant toujours un peu 'pataphysiciens, il faut dire que cela nous enchante. Non sans nous agacer aussi. Voilà pourquoi j'ouvre ce nouveau glossaire où toute « obscurité » sera considérée jusqu'à preuve du contraire comme une périphrase dont on ignore la clé. Une énigme, une devinette. Et j'y ajoute, bien sûr, les périphrases avérées. À vous de jouer !

À genoux

Dans l'attitude de la prosternation = à genoux.

2.1 (P 1869, p. 61: 1) ... j'élance vers toi ma prière, dans l'attitude de la prosternation.

      Comparer :
5.4 (P 1869, p. 254: 2) [Les statues des ancêtres]. Regarde comme leur bras est levé dans l'attitude de la défense provocatrice, la tête fièrement renversée en arrière.

Âme

Entourer de son âme.

3.5 (P 1869, p. 170: 11) [Le créateur]. S'il avait, au moins, entouré de son âme le sein innocent d'une vierge. Elle aurait été plus digne de lui et la dégradation aurait été moins grande.

      Je ne trouve pas sur quelle expression la figure a pu être construite. L'interprétation implicite de la traduction d'Ana Alonso est vraisemblable, soit, si al menos se hubiera entregado al seno inocente de una virgen, sur entregar el alma, rendre l'âme, soit, dans le contexte, remettre son âme, se livrer à. Mais cette interprétation n'explique pas la construction, qui ne semble pas provenir de la tournure, entourer de ses soins, car Ducasse ne fait pas de tels glissements, mais des renversements transparents de style artiste (ici le renversement est trop complexe pour donner la clé de la figure : entourer le sein d'une vierge + âme innocente > entourer de son âme + le sein innocent d'une vierge).

Assemblage de syllabes sonores

Assemblage de syllabes sonores = mot.

2.12 (P 1869, p. 117: 6) Mes années ne sont pas nombreuses, et, cependant, je sens déjà que la bonté n'est qu'un assemblage de syllabes sonores; je ne l'ai trouvée nulle part.

      Il s'agit, certes, d'une des plus transparentes des très nombreuses périphrases de la strophe 2.12. Si elle mérite d'être consignée, c'est qu'elle redouble la composition à partir d'un hispanisme dérivé de parole. Syllabes sonores = sons + asssemblage de sons = mot.

Attention

Tention d'esprit (efuerzo mental) = attention (atención). Pour un francophone, la tension d'esprit apparaît plutôt comme une précision (très courante, d'ailleurs); mais pour un hispanophone, c'est nettement une périphrase, peut-être une traduction.

1.1 (P 1869, p. 5: 8) ... car, à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l'eau le sucre.

Avancer

Porter en avant (sa poitrine), porter ses jambes en avant, marcher devant = avancer.

5.2 (P 1869, p. 238: 1) ... ainsi je n'étais pas tranquille, et je portais mes jambes en avant avec beaucoup de lenteur.

6.10 (P 1869, p. 329: 5) ... [Mervyn]. Comme il est changé ! Les mains liées derrière le dos, il marche devant lui, comme s'il allait à l'échafaud, et, cependant, il n'est coupable d'aucun forfait.— En fait, le syntagme a ici deux interprétations, soit en effet marcher devant soi, il avance, soit marcher devant Aghone, qui le précède, plus simple mais moins probable, puisque le pronom renverrait en dehors du contexte immédiat de la phrase.

6.10 (P 1869, p. 329: 25) ... [Ils] portèrent en avant leur poitrine pour protéger le rhinocéros. Inutile soin. La balle troua sa peau, comme une vrille..

Bozo

N'avoir rien encore sur la lèvre supérieure = sin bozo (sans moustache naissante). Cf. bozo*e, mot espagnol sans correspondant en français.

1.6 (P 1869, p. 11: 24) Oh ! comme il est doux d'arracher brutalement de son lit un enfant qui n'a rien encore sur la lèvre supérieure...

Cabriole

Faire des cabrioles par-dessus ton dos = se jouer de toi comme à saute-mouton.

2.6 (P 1869, p. 79: 19) Avant que tu deviennes célèbre par ta vertu et que tu atteignes le but, cent autres auront le temps de faire des cabrioles par-dessus ton dos, et d'arriver au bout de la carrière avant toi...

      La périphrase désigne une réalisation du jeu de saute-mouton, qui a son nom propre en castillan : la pidola. La cabriole peut bien désigner le saut qu'on y fait (même si le mouvement en est l'exact inverse). Cela dit, je ne sais comment expliquer le conjugaison des deux jeux, la pidola et la carrera dans cette phrase.

Commissure

L'endroit où se réunissent les lèvres = commissure.

1.5 (P 1869, p. 9: 25) J'ai pris un canif dont la lame avait un tranchant acéré, et me suis fendu les chairs aux endroits où se réunissent les lèvres.

      Le mot vient plus loin :
5.5 (P 1869, p. 256: 5) Il a fallu que j'entrouvrisse vos jambes pour vous connaître et que ma bouche se suspendit aux insignes de votre pudeur. Mais (chose importante à représenter) n'oubliez pas chaque jour de laver la peau de vos parties, avec de l'eau chaude, car, sinon, des chancres vénériens pousseraient infailliblement sur les commissures fendues de mes lèvres inassouvies.

Cracher

Rejeter la salive = cracher. Rejeter avec la salive du dédain = cracher de dédain.

1.11 (P 1869, p. 41: 17) Si quelque pensée orgueilleuse s'insinue dans notre imagination, nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain et nous t'en faisons le sacrifice irrémissible.

      Comparer :
2.2 (P 1869, p. 63: 2) Est-ce un avertissement d'en haut pour m'empêcher d'écrire, et de mieux considérer ce à quoi je m'expose, en distillant la bave de ma bouche carrée ?
3.4 (P 1869, p. 163: 16) Le crapaud, qui passait, lança un jet de bave sur son front, et dit ...
4.4 (P 1869, p. 206: 1) ... tu le verras cracher sa bave sur la vertu ...

Cube

Cube, l'expression parlante des surfaces d'un cube, où surface est inexplicablement mis pour face.

      Selon Jean-Luc Steinmetz : « comme il s'agit de superstition devant des phénomènes de hasard, on peut penser que Ducasse désigne ici le jeu de dés » (p. 412, n. 3). Bien entendu, J.-L. Steinmetz donne manifestement la conséquence pour la cause (la signification de l'expression), mais je crois qu'il faut se rendre à son interprétation, même si la peur des musaraignes (c'est la peur des souris, la peur de son ombre) se compare mal à la peur des coups du hasard, du mauvais sort.

      Mais peut-être faut-il comprendre la peur non du hasard, mais du risque. Garnier cite un proverbe espagnol (dont on trouverait sûrement l'équivalent français), lo mejor de los dados es no jugar los, que enseña que lo más prudente es evitar las ocasiones y los riesgos (Garnier). On dit, en effet, en ce sens, que le meilleur moyen de ne pas perdre est de ne pas jouer. La phrase désignerait donc les amateurs de caramel comme ceux qui ont peur de tout et fuient le moindre risque.

      Si l'interprétation est satisfaisante, faute de pouvoir en trouver une meilleure ! on doit remarquer qu'elle n'est pas dans les habitudes de Ducasse dont les devinettes, énigmes et périphrases trouvent toujours leur clé indubitable, à la célèbre exception des ongles secs, expression qu'on trouve abruptement dans sa correspondance.

5.1 (P 1869, p. 234: 11) Si tu as un penchant marqué pour le caramel (admirable farce de la nature), personne ne le concevra comme un crime; mais, ceux dont l'intelligence, plus énergique et capable de plus grandes choses, préfère le poivre et l'arsenic, ont de bonnes raisons pour agir de la sorte, sans avoir l'intention d'imposer leur pacifique domination à ceux qui tremblent de peur devant une musaraigne ou l'expression parlante des surfaces d'un cube.

Dentelures de l'horizon

Dentelures de l'horizon = un horizon dentelée, en dents de scie ? Dans le contexte, ce pourrait être un avenir aride et morne comme une longue plaine désertique coupée dans le lointain par de hautes montagnes qui offrent au regard leur dentelure. Et pour compliquer les choses, ce paysage se présente sur le fond de son âme. Il n'y a là aucun hispanisme, car les traducteurs rivalisent de synonymes pour dentelure (de dientes, Alonzo, à dentadas et dentallones, Méndez et Gómez). La traduction espagnole d'une phrase incompréhensible en français n'a d'égale que les résultats des autres traducteurs. Manifestement, personne ne comprend ce fragment des Chants. Du Mallarmé ! — La consigne est simple : il faut trouver quelles sont les tournures de style artiste que Ducasse accumule dans cette petite proposition.

4.1 (P 1869, p. 184: 24) Sans doute, elle [la comète, de retour après 80 ans] n'a pas conscience de ce long voyage; il n'en est pas ainsi de moi : accoudé sur le chevet de mon lit, pendant que les dentelures d'un horizon aride et morne s'élèvent en vigueur sur le fond de mon âme, je m'absorbe dans les rêves de la compassion et je rougis pour l'homme !

— On fera bien de lire cet extrait dans son contexte. La comète est inconsciente, tandis que, moi, je suis conscient (d'exister). [...] Le matelot, lui, peut dormir tranquille. Moi, au contraire, je m'absorbe dans des rêveries. Pendant que... Là vient la proposition énigmatique que je n'arrive pas à comprendre : pendant que les dentelures d'un horizon s'élèvent sur le fond de mon âme.

      Comparer avec l'expression suivante, parfaitement claire :
5.7 (P 1869, p. 275: 25) Nous arrivâmes à la tombée de la nuit devant les portes d'une cité populeuse. Les profils des dômes, les flèches des minarets et les boules de marbre des belvédères découpaient vigoureusement leurs dentelures, à travers les ténèbres, sur le bleu intense du ciel.

Descendre

Abaisser son vol = descendre. Renversement de style artiste pour, voler vers le bas.

2.10 (P 1869, p. 105: 9) Mais, je le laisserai/laissai de côté, comme un paquet de ficelles, afin d'abaisser mon vol...

Se diriger du côté du bas = descendre. Cf. monter.

2.9 (P 1869, p. 99: 16) Parfois, le paysan rêveur aperçoit un aérolithe fendre verticalement l'espace, en se dirigeant, du côté du bas, vers un champ de maïs.

Dictionnaire de la poésie (le)

Dictionnaire de la poésie = vocabulaire des poètes. — Cf. strophe 2.4, n. (3).

Échalas vert

Échalas vert. Où Jean-Pierre Lassalle a-t-il proposé de comprendre « échalas vert » au sens d'asperge qui se dirait verdugo (d'où « Victor Hugo ») en espagnol ? J'ai dû mal retenir l'explication qu'on m'a rapportée, car verdugo désigne le bourreau, l'exécuteur des hautes oeuvres, mais également toute personne qui châtie sans pitié. Le mot évoque aussi la couleur verte, non pas à cause de la verdure (verdura), mais pour les traces du fouet (verdugo, verdugón = cardenal, bleu, vergelure), fouet qui se dit aussi verdugo.

Poésies (P 1870 I, p. 14: 14) Victor Hugo, le Funèbre-EchalasVert.

Geste, un geste accompagnant une grimace

5.1 (P 1869, p. 234: 28) Pourquoi fais-tu cette grimace ? Et même tu l'accompagnes d'un geste que l'on ne pourrait imiter qu'après un long apprentissage.

      « Le geste par lequel on signifie qu'un homme est fou », Jean-Luc Steinmetz (p. 412, n. 7). À remarquer que la gestuelle est très variée, mais toujours d'une simplicité enfantine !

Grandeur matérielle

Grandeur matérielle = caractère de ce qui est grand (« matériellement »).

1.9 (P 1869, p. 25: 27) Vieil océan, ta grandeur matérielle*e ne peut se comparer qu'à la mesure qu'on se fait de ce qu'il a fallu de puissance active pour engendrer la totalité de ta masse.

Ingurgiter

Descendre dans son gosier = ingurgiter (engullir).

2.2 (P 1869, p. 64: 18) ... tu ne penseras pas à la faim, pendant trois jours immenses, grâce aux globules que tu as descendus dans ton gosier, avec une satisfaction solennellement visible.

      Ingurgitar, très rare, est un gallicisme; engullir, c'est avaler tout rond.

Innombrable

Nombreux comme les grains (d'un tas) de sable = innombrables (nombreux comme des grains de sable entassés).

2.1 (P 1869, p. 60: 20) les tirades philanthropiques : elles sont entassées, comme des grains de sable, dans ses livres.

      Il n'est pas interdit, évidemment, de chercher d'autres significations à la « comparaison ».

Lever, élever

Diriger ses jambes vers le haut = lever les jambes en l'air.

6.7 (P 1869, p. 308: 23) Il s'est relevé, et, appliquant sa tête contre le banc, il a dirigé ses jambes vers le haut.

Monter

Se diriger vers le haut = monter Cf. descendre.

2.11 (P 1869, p.110: 16) Une fois dehors, il aperçoit dans les airs une forme noirâtre, aux ailes brûlées, qui dirige péniblement son vol vers les régions du ciel.

Mouvement

Mouvement(s) de la langue = articuler; mouvement des machoires = mordre.

3.1 (P 1869, p. 146: 28) Il fixa mon front, et me répliqua, avec les mouvements de sa langue... — L'expression crée une figure de style homérique.

3.2 (P 1869, p. 154: 11) [Maldoror] ordonne au bouledogue d'étrangler avec le mouvement de ses mâchoires, la jeune fille ensanglantée.

Ongle sec

Ongle sec. Voici le troisième fragment de la lettre de Ducasse au banquier J. Darasse du 22 mai 1869, extraits reproduits par Léon Genonceaux en tête de l'édition de 1890 : « ...Et tout cela, je le répète, pour une bagatelle insignifiante de formalité ! Présenter dix ongles secs au lieu de cinq, la belle affaire : après avoir réfléchi beaucoup, je confesse qu'elle m'a paru remplie d'une notable quantité d'importance nulle... » (Josée Corti, p. 16; Walzer, p. 296). L'expression ne paraît avoir aucun rapport avec l'espagnol où l'on dit enseñar/monstrar las uñas (littéralement : présenter les ongles) pour sortir les griffes, montrer son agressivité. Jean-Lus Steinmetz interprète l'expression au sens de donner sur les ongles pour châtier (DGLF) et, dans le contexte, présenter une main au lieu de deux à la férule du maître (Steinmetz, p. 450, n. 3). Jean-Pierre Lassalle traduit simplement, dans le contexte : présenter cinq cent francs au lieu de mille (« Cahier Lautréamont », nos 37-38, 1996, p. 152), rappelant que Furetière consigne payer argent sec, c'est-à-dire argent comptant et en bonne monnaie (article argent); dans ce cas, ongle pourrait être une faute de lecture pour l'argot cigle, toujours selon J.-P. Lassalle (cigue ? vingt francs, selon le dictionnaire d'argot de François Caradec, chez Larousse; mais Ducasse n'utilise jamais l'argot).

      Bref, voilà toute une devinette ! Elle donne d'ailleurs son titre à une amusante section des Cahiers Lautréamont.

Passer dans l'eau

Passer dans l'eau = enjuagar, aclarar (rincer).

4.6 (P 1869, p. 216: 4) Mes draps sont constamment mouillés, comme s'ils avaient été passés dans l'eau, et, chaque jour, je les fais changer.

      On trouve ici le contraire de l'hispanisme et une véritable devinette. En effet, voilà deux mots concrets que Ducasse tient de son enfance, enjuagar et aclarar, sans correspondants en français, tandis que rincer (qui les traduit tous deux) n'en a pas non plus. D'où la périphrase « passer dans l'eau ».

Poésie

Poésie. Qu'est-ce qu'une poésie « en dehors de [= contraire à] la marche ordinaire de la nature » ? Et ensuite à quoi s'appliquera la proposition relative (« dont le souffle pernicieux semble bouleverser même les vérités absolues ») ? à la poésie ou à cette poésie qu'il n'est pas nécessaire d'inventer ?

6.10 (P 1869, p. 325: 17) ... je ne crois pas qu'il soit nécessaire, pour arriver au but que l'on se propose, d'inventer une poésie tout à fait en dehors de la marche ordinaire de la nature, et dont le souffle pernicieux semble bouleverser même les vérités absolues.

      Je sais bien que la question déborde de beaucoup l'expression grammaticale, puisqu'il s'agit de la poétique narrative développée tout au long du sixième Chant, mais je ne vois pas de raison de s'arrêter en si bon chemin (afin de ne pas mieux le comprendre !). Est-ce que la marche ordinaire de la nature désigne bien, par antiphrase, l'invraisemblance des événements et des retournements qui seront racontés dans cette dernière strophe ?

Points de l'horizon

Points, coins de l'horizon (les quatre) = les points cardinaux.

1.9 (P 1869, p. 26: 5) [Océan]. Pour te contempler, il faut que la vue tourne son télescope, par un mouvement continu, vers les quatre points de l'horizon...

2.7 (P 1869, p. 82: 14) [L'hermaphrodite]. Si l'entretien se prolonge, il devient inquiet, tourne les yeux vers les quatre points de l'horizon, comme pour chercher à fuir la présence d'un ennemi...

4.5 (P 1869, p. 211: 3) Regarde ces oiseaux de proie, qui attendent que nous nous éloignions, pour commencer ce repas géant; il en vient un nuage perpétuel des quatre coins de l'horizon.

      On trouve une fois la désignation sans périphrase des points cardinaux :
2.13 (P 1869, p. 120: 5) Le vent sifflait avec fureur des quatre points cardinaux, et mettait les voiles en charpie.

Reculer

Diriger ses talons en arrière = reculer. Voir plus haut diriger ses jambes vers le haut !

1.1 (P 1869, p. 5: 17) ... dirige tes talons en arrière et non en avant. Écoute bien ce que je te dis : dirige tes talons en arrière et non en avant, comme les yeux d'un fils qui se détourne respectueusement de la contemplation auguste de la face maternelle...

Regarder

Diriger les yeux vers = regarder. Cf. monter, descendre.

2.8 (P 1869, p. 91: 17) ... croisez humblement vos mains sur la poitrine, et dirigez vos paupières sur le bas [= baissez les yeux].

5.2 (P 1869, p. 243: 5) ... et je leur criai, en dirigeant mes yeux vers le haut...

5.4 (P 1869, p. 250: 11) Pendant un temps, bien entendu, suffisant, dirige la lueur de tes yeux vers ce que j'ai le droit, comme un autre, d'appeler mon visage !

Résidence

Élire, fixer, avoir pris, etc. (sa) résidence = résider. Le castillan a deux mots pour le français résider, soit residir et radicar. Dès lors, on peut penser que résidence correspond non a residencia, mais bien à radicación, soit l'enracinement, le fait de s'incorporer.

1.9 (P 1869, p. 23: 11) ... toi, en qui siègent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d'un lien indestructible, la douce vertu communicative et les grâces divines...

2.13 (P 1869, p. 119: 6) Je vois que la bonté et la justice ont fait résidence dans ton coeur...

3.1 (P 1869, p. 148: 26) Il est impossible qu'un scorpion ait fixé sa résidence et ses pinces aiguës au fond de mon orbite hachée...

4.4 (P 1869, p. 203: 9) Sous mon aisselle gauche, une famille de crapauds a pris résidence, et, quand l'un d'eux remue, il me fait des chatouilles.

      On ne trouve que deux fois le verbe résider.
1.13 (P 1869, p. 56: 5) Un habitant des cités ne doit pas résider dans les villages, pareil à un étranger.
5.3 (P 1869, p. 247 : 22) Je veux résider seul dans mon intime raisonnement. L'autonomie... ou bien qu'on me change en hippopotame.

Statue

Personnages de pierre = statues.

2.4 (P 1869, p. 70: 16) Seul, un jeune homme, plongé dans la rêverie, au milieu de ces personnages de pierre, paraît ressentir de la pitié pour le malheur.

Suivre

Talonner = suivre, d'où l'amusante expression « talonner du pied » pour « suivre en marchant ».

2.8 (P 1869, p. 88: 10) Un jour, donc, fatigué de talonner du pied le sentier abrupt du voyage terrestre, et de m'en aller, en chancelant comme un homme ivre, à travers les catacombes obscures de la vie...

      Est-ce un hasard si talonner est employé encore de manière fort curieuse dans un contexte évoquant à nouveau l'ouverture de la Divine Comédie ? Non, bien entendu. C'est maintenant une référence à l'ouverture des Chants.

Surface

Sur la surface de = sur.

6.8 (P 1869, p. 319: 17) Il se montre, radieux, sur la surface de l'écueil..

Contrairement aux deux emplois inattendus du vocable dans la strophe 3.5, mais exactement dans le même sens, il s'agit ici d'une très évidente et amusante périphrase. Voir l'emploi du vocable dans les figures de style artiste.

Talon

Voir reculer et suivre.

Trouver la disparition de son terme

Terme = fin; dans le cas du supplice de la pendaison, son terme était la mort, s'agissant de « laisser périr insensiblement » la victime, comme on le relit quelques lignes plus haut; c'était dès le début l'objectif des deux tortionnaires. D'où la « disparition de son terme », l'intervention de Lautréamont, la fin du supplice.

4.3 (P 1869, p. 201: 9) ... le supplice raffiné qui n'avait trouvé la disparition de son terme que dans le secours inespéré de mon intervention.

Tuer, faire mourir

Arrêter la circulation du sang = tuer, faire mourir.

2.3 (P 1869, p. 67: 6) [Dieu]. Il a manifesté l'incapacité d'arrêter la circulation de mon sang qui le nargue.

Verge

Verge du crime, sucer la verge du crime.

3.5 (P 1869, p. 174: 10) Mais, je ne manquerai pas de dire aux hommes ce qui s'est passé dans cette cellule. Je leur donnerai la permission de rejeter leur dignité, comme un vêtement inutile, puisqu'ils ont l'exemple de mon maître; je leur conseillerai de sucer la verge du crime, puisqu'un autre l'a déjà fait... — L'italique d'« un autre » est dans le texte.

Le contexte ne permet pas de croire qu'il pourrait s'agir d'un jeu de mot évoquant la fellation, même si l'explication serait satisfaisante du fait qu'on n'en trouve pas d'autre. Sucer doit avoir ici le sens d'embrasser en se délectant. La verge, les verges sont les instruments avec lesquels on punit le crime : et le renversement donnerait bien la verge du crime. Or, le contexte interdit cette interprétation, car il n'impliquerait pas le fait d'adorer, mais au contraire de défier la justice ou du moins de ne plus craindre la punition (dans le cas où la verge en serait l'instrument, bien sûr). Bref, la verge du crime n'est donc pas celle qui le punit. De quoi s'agit-il ? Qu'a fait le Créateur qui corresponde à cette action ?

Vide

Le vide muet sans horizon. Un peu plus et nous serions devant une proposition hermétique digne de Mallarmé, d'ailleurs d'une aussi remarquable beauté. Comme ce n'est pas possible, il faut en trouver la source dans quelques renversements de style artiste. Ce n'est pas trop difficile. Il s'agit du « silence éternel [des] espaces infinis » (Pascal, Pensées, no 206). On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une citation, tant la « pensée » était devemue courante dans l'enseignement, au collège.

2.9 (P 1869, p. 96: 3) ... tant que le vide muet n'aura pas d'horizon...

      Décodage amusant : le vide, c'est l'espace sidéral; muet, c'est le silence; sans horizon, c'est l'infini.

      — En réalité, comme on le voit à la note (4), il s'agit d'un vers de Sully Prudhomme recopiée par Isidore Ducasse ! Je ne sais pas si mon interprétation, pensée dans la logique des Chants, pourrait s'appliquer au vers de Prudhomme; je laisse mon analyse en place pour illustrer concrètement d'un exemple les inévitables erreurs et fautes de détail qui peuvent se trouver au fil de ces milliers de notes. On en trouvera sûrement de plus importantes que celle-ci.

Vrai

Acquis à la science = vrai, avéré.

2.1 (P 1869, p. 59: 12) Ce qui est du moins acquis à la science, c'est que, depuis ce temps, l'homme [...] ne se reconnaît plus lui-même, et tombe souvent dans des accès de fureur...


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