1. Variantes (suite)
68) 40: 3 P 1868, B 1869
l'alouette
joyeuse
s'élèvera à perte de vue dans les airs >
l'alouette joyeuse
emportera, avec elle, son cri, à
perte de vue, dans les airs
69) 40: 6 P
1868, B
1869 tu seras
constamment dans une atmosphère ... > tu seras
constamment enveloppé dans une atmosphère
...
Correction littéraire inattendue, dans
la
réécriture du Chant
premier jusqu'ici, voire encore académique. Tout le
contraire de la
variante précédente où l'on reconnaît
immédiatement le style de l'auteur, qui ne s'occupe jamais
de rien
envelopper... Bref, on peut se moquer gentiment du correcteur de
Ducasse et
regretter que celui-ci ait accepté ces
corrections-là.
70) 40: 16 P 1868, B 1869
invisible
comme les
princes dans les contes > invisible,
comme les
princes, dans les contes
71) 40: 19 P 1868, B 1869
pendant
que de mon
côté j'arrange mes affaires. > pendant que, de mon côté,
j'arrange mes affaires.
72) 40: 21
P 1868, B 1869
Quand tu
le remettras à sa place ordinaire >
Quand tu le replaceras dans sa position ordinaire
Exceptionnellement, on peut voir à
l'incorrection (replacer*i pour remettre)
et à l'utilisation fantaisiste du mot position*s que cette réécriture est de
la main de Ducasse et ne doit rien à son correcteur.
73) 40: 25 P 1868, B 1869
qui que
tu sois, ne me prends pas par les épaules.
> qui que tu
sois; ne me prends pas par les
épaules.
74) 40: 27 P 1868, B 1869
ne
t'endors point
bercé par les rêves > ne t'endors point, bercé par les rêves
75) 40: 27 P
1868, B 1869 la
prière en commun n'est pas commencée, et
tes habits > la prière en commun n'est pas
commencée et tes
habits
Soustraction d'une virgule. Tout à
fait exceptionnel, rare
du moins.
76) 41: 2 P 1868, B 1869
À
genoux ! (chacun s'agenouille). Éternel
> À genoux
! Éternel
La didascalie est soustraite, maintenant
inutile.
77) 41: 3 B
1869 Créateur # créateur
Encore une illustration que la
troisième édition est
faite sur un
exemplaire de la première.
78) 41: 5 P 1868, B 1869
les
ruisseaux limpides
où > les ruisseaux limpides,
où
79) 41: 6 P
1868, B
1869 où
il y a > où glissent
Nouvelle correction de style
académique.
80) 41: 6 P 1868, B 1869
de petits
poissons
> des milliers de petits poissons
81) 41: 6 P 1868, B 1869
de petits
poissons rouges, bleus et argentés ?
de petits poissons,
rouges, bleus et argentés ?
L'addition de la virgule obéit encore
à une
intervention qui n'est
pas « ducassienne ». Il s'agit en effet d'une
correction
sémantique, comme celle que nous avons dû faire
à
l'alinéa précédent (en effet, pas de
« poissons
rouges » ici). Il suffit de relire cet alinéa
précédent pour constater qu'il lui
« manque »
encore pas moins de deux autres virgules dans la logique de la
ponctuation
d'Isidore Ducasse (devant « et » et
« jusque »). Même chose pour le
« car » à l'alinéa suivant,
tandis que
l'alinéa qui suivra perdra sa virgule après
« dédain », même chose pour
« papillon » dans le suivant. Bref, Ducasse
paraît
débordé par d'autres ajustements que les siens...
82) 41: 11 P
1868, B
1869
Mère, vois ses griffes >
Mère, vois
ces griffes
L'analyse de la variante est moins concluante
que celle qu'on a
étudiée plus haut, v. (49),
mais la
même conclusion s'impose : les griffes « de
lui »,
celui dont on se méfie, ne peuvent pas en grammaire
être ces
griffes. Ce sont ses griffes. Je rétablis en
conséquence le texte
original.
83) 41: 11 P 1868, B 1869
vois
ses/ces griffes, je me méfie de lui > vois ses/ces
griffes; je me méfie de lui
84) 41: 14 P 1868, B 1869
Tu nous
vois
prosternés à tes pieds > Tu nous vois,
prosternés à tes pieds
85) 41: 17 P
1868, B
1869 nous
la rejetons aussitôt avec la salive du dédain, et > nous la rejetons aussitôt
avec la salive du
dédain et
86) 41: 19 P 1868, B 1869
de
petites filles qui
t'enlaceront > de petites filles,
qui
t'enlaceront
87) 41: 22 P
1868, B
1869 des
ailes transparentes de papillon, et des
cheveux >
des ailes transparentes de papillon et des cheveux
88) 41: 23 P 1868, B 1869
des
cheveux d'une
longueur ondulée qui flottent > des cheveux d'une
longueur
ondulée, qui flottent
89) 41: 28 P 1868, B 1869
tu me
parles si doucement
de crainte de > tu me parles si doucement, de
crainte de
90) 42: 7 P 1868, B 1869
Tels nous
avons
été jusqu'ici, tels nous serons jusqu'au moment
où > Tels
nous avons été jusqu'ici, tels nous serons, jusqu'au moment où
91) 42: 8 P 1868, B 1869
l'ordre de
quitter cette
vie > l'ordre de quitter cette terre
92) 42: 12 P 1868, B 1869
la
voiture de neige qui
transporte au soleil > la voiture de neige, qui
transporte au soleil
93) 42: 15 P 1868, B 1869
Elles
t'apporteraient
même le cerf-volant, grand comme une tour qu'on a
caché dans la lune
> Elles t'apporteraient même le cerf-volant, grand comme
une tour, qu'on a caché dans la lune
L'addition de la virgule corrige une faute de
ponctuation. Il faut
le signaler,
parce que la réécriture ajoute moins de virgules dans
cette strophe
que dans les précédentes.
94) 42: 16 P 1868, B 1869
à
la queue duquel
sont suspendus par des liens de soie des oiseaux > à la
queue duquel sont
suspendus, par des liens de soie, des oiseaux
95) 42: 20 P 1868, B 1869
Je ne
veux pas
interrompre la prière pour appeler au secours. > Je ne
veux pas
interrompre la prière, pour
appeler au
secours.
96) 42: 21 P 1868, B 1869
Quoique
ton corps/coeur
s'évapore quand je veux l'écarter > Quoique ton
corps/coeur
s'évapore, quand je veux
l'écarter
97) 42: 22 P 1868, B 1869
Sache que
je n'ai peur de rien, si ce n'est de Dieu. >
Sache que je
ne te crains pas.
La soustraction produit non seulement une
formulation abrupte et
positive
(Édouard ne craint pas Maldoror), mais a pour effet de
laisser à son
père la crainte de Dieu.
98) 42: 23 P
1868, B
1869 Devant
toi, rien n'est grand, si ce n'est la prière
exhalée d'un coeur pur. > Devant toi, rien n'est grand,
si ce n'est la
flamme exhalée d'un coeur
pur.
Nouvelle correction indéniablement
académique. Il
s'agit de ne pas
répéter le mot prière qui vient d'être
employé
à la réplique précédente et le
correcteur en a
profité pour suggérer de le remplacer par un beau
symbole on ne peut
plus poétique, la flamme de l'âme étant la
prière muette
des sanctuaires... Voilà qui est bien trop
« beau »
pour être du pur Ducasse.
99) 43: 2 P 1868, B 1869
épouse
chérie qui m'a consolé > épouse
chérie, qui m'a consolé
100) 43: 6 P 1868, B 1869
fils
aimant dont les
chastes lèvres > fils aimant,
dont les
chastes lèvres
101) 43: 8 P 1868, B 1869
Père secourez-moi !... Ah !... Je ne
puis plus
respirer... >
Père secourez-moi !... Je ne puis plus respirer...
102) 43: 10 P 1868, B 1869
Votre
bénédiction ! (Un cri d'ironie immense s'élève dans les airs).
> Votre
bénédiction !
Un cri d'ironie immense s'est
élevé dans les airs. Voyez ...
La didascalie qui terminait la réplique
de L'ENFANT ouvre
maintenant un
nouvel alinéa. Le temps verbal change en
conséquence, passant du
présent à l'accompli.
103) 43: 11
Addition : Voyez comme les aigles, étourdis, tombent du
haut des nuages,
en roulant sur eux-mêmes, littéralement
foudroyés par la
colonne d'air.
104) 43: 14 P 1868, B 1869
Son
coeur ne bat
plus !... > Son coeur ne bat
plus...
105) 43: 14 P 1868, B 1869
Et
celle-ci est morte
en même temps que > Et celle-ci est morte, en
même temps que
106) 43: 16 P 1868, B 1869
fruit
que je ne
reconnais plus, tant il est défiguré ! > fruit que je ne reconnais plus, tant
il est
défiguré...
107) 43: 16
P 1868, B 1869
(Les tenant chacun dans un
bras :) Soustraction.
108) 43: 17
addition : Mon
fils !... Je me rappelle un temps lointain où je fus
époux et
père.
109) 43: 19
Déplacement :
P 1868, B 1869 MALDOROR — (se
présente [...]
et
contemple quelques
instants le tableau qui s'offre à ses yeux) [...]
—
(Apparaissant de
nouveau quelques instants ensuite). — Moi supporter cette
injustice ! >
Il s'était dit, devant le tableau qui s'offrit [pour
s'offrait ou
s'était offert, le tableau correspondant par nature à
une situation]
à ses
yeux, qu'il ne
supporterait pas cette injustice.
Voir la variante (12). Dans la
nouvelle
version,
Maldoror ne
réapparaît pas à la porte de la demeure; le
narrateur rappelle
simplement son apparition (pour le lecteur) et
réécrit sa
réplique en style indirect.
110) 43: 21 P 1868, B 1869
le
pouvoir que m'ont accordé les esprits infernaux
> le pouvoir
que lui ont accordé les esprits
infernaux
111) 43: 22 Addition :
Le pouvoir
que m'ont/lui ont
accordé les esprit infernaux, ou
plutôt qu'il
tire de lui-même
112) 43: 23
P 1868, B
1869 avant
que la nuit ne s'écoule >
avant que la nuit s'écoule
Avec avant que, le discordantiel ne
vient naturellement,
chaque fois que la
locution conjonctive n'établit pas un pur rapport temporel
ou causal (on
dit: il faut que le ciel se couvre avant qu'il pleuve — au
sens de
pour qu'il
puisse pleuvoir ou pour dire que la pluie suit l'ennuagement et non
l'inverse ! il faut que le ciel se couvre avant qu'il
ne
pleuve — au sens de
« pour qu'il soit au moins possible qu'il
pleuve »; on
écrit toujours qu'il faut rentrer avant qu'il ne
pleuve. En plus, le
discordantiel indique ici non la chronologie, mais bien la
durée, la
rapidité : il devrait mourir avant que la nuit
ne finisse. Le ne
s'est perdu dans le déplacement de la réplique et sa
réécriture. Je le rétablis, comme en (21).
113) 43: 23 P 1868, B 1869
cet
enfant, avant que
la nuit ne s'écoule, ne sera
plus. > cet
enfant, avant que la nuit s'écoule, ne devrait plus
être.
Pour cette dernière réplique,
seule la variante (111)
est
significative; les variantes (110) et (113) sont commandées
par la
concordance temporelle qui résulte du déplacement et
de la
réécriture du texte. J'ai étudié
l'effet du
déplacement à la v. (62).
On le voit, les variantes de cette strophe
sont
objectivement peu
nombreuses. Toutefois, portées à la plume sur le
texte
imprimé de l'édition princeps, avec ou sans
papillons,
cela ne peut
manquer de créer l'effet d'un remaniement important.
Changement de genre,
ajout d'un refrain, ajout d'un autre alinéa,
déplacement d'une
réplique, etc., d'où l'entrée en scène
pour la
première fois sous nos yeux du correcteur des textes
d'Isidore Ducasse.
Jusqu'ici, en effet, il s'agissait d'une hypothèse fortement
probable,
étant donné la nature des hispanismes appartenant
à la langue
courante spontanée (où la question se posait de
savoir non pas
pourquoi on trouvait autant de structures syntaxiques
fondamentalement castillanes,
mais bien pour quelle raison on en trouvait si peu). On se doutait
que
Ducasse faisait relire ses textes pour s'assurer que toutes ses
phrases s'entendent
en
français. L'hypothèse est maintenant
avérée :
on voit ici ce correcteur à l'oeuvre, avec son style
littéraire,
« académique », qui tranche
évidemment sur celui
de Ducasse.
En revanche, tout occupé à sa
réécriture
et à sa correction, Ducasse néglige manifestement
l'harmonisation de
la ponctuation à laquelle il nous avait habitués
jusqu'ici. Trois
fois, (75), (85) et (87),
il soustrait même la virgule devant la conjonction de
coordination, alors
qu'il fait généralement l'inverse. Et il ne produit
que trois fois
sa fameuse formule point-virgule + coordonnant + virgule (du type
« ;
car, »), dont on ne trouvait aucune occurrence pour cette
strophe dans
l'édition princeps; tandis que le plus étonnant est
que deux fois
il néglige de la produire (en
38: 16 et
24, mais également en
26, où
« Mais » devrait
être suivi de la virgule, comme en
36: 3).
De façon plus générale,
on peut
dire que la
version définitive de la strophe profite d'une
réécriture du
discours beaucoup plus que du travail stylistique, sauf pour deux
ajouts qui se
rapportent tous les deux au bestiaire des Chants, sur l'alouette
(67) et les aigles 103) :
celui qui fait ces deux
additions est bien l'auteur des Chants de Maldoror.
(a) T : chambre. (point et non
point de
suspension). Je corrige
la
correction du
typographe dans la logique de la strophe. Cf. variante (3).
Si le mise en page le permettait, on pourrait également
rétablir le
tiret des deux premières éditions.
(b) Cette phrase et la
suivante sont apparemment
deux plates
tautologies. Que « beaucoup de gens soient moins heureux
qu'eux » signifie que « peu de gens sont plus
heureux » ! Tel serait du moins le cas en logique.
Mais en
rhétorique, étant donné le tour doublement
négatif ou
contradictoire, si peu de gens sont plus heureux qu'eux, alors ils
n'ont pas de
raison de l'être, ce qui signifie à peu près
qu'on est plus
malheureux à moins.
(c) La rhétorique de la
quasi-contradiction
se poursuit :
le raisonnement pour aimer quelque chose signifie les raisons de
l'aimer. Ce
serait demander quelles raisons auraient-ils d'aimer l'existence,
si cela ne
signifiait à peu près le contraire, soit qu'ils n'ont
aucune raison
d'aimer la vie.
(d) Les
« facultés »
humaines cela n'a
pas beaucoup de sens dans le contexte si l'on ne sait pas que
Ducasse avait d'abord
parlé des « passions », ce qui en avait
encore moins.
Voir la variante (15). Sachant
cela, on
comprend qu'il s'agit des sentiments.
(e) En 6.4, la
réécriture de
l'épisode de
cette strophe remplace le vinaigre par l'essence de
thérébentine
(295: 12 et 24).
(f) T : funeste nous plonge
mis pour funeste
ne nous
plonge, ainsi que le
portaient les deux premières éditions. Voir la
variante (21).
(g) Rappelons que cet
alinéa était
une didascalie
dans les deux éditions originales, comme on l'a vu à
la
variante (22). On a vu aussi
à ce moment
que la réplique précédente, une
réplique de la
mère dans la version originale, devient plus
vraisemblablement une
réplique du père dans l'édition
définitive. Chose
certaine, l'interprétation en est laissée au lecteur
qui ne peut
trancher facilement. En revanche, l'intervention du narrateur (qui
deviendra le
refrain de la strophe) ne surprendra nullement le lecteur qui a
déjà
été apostrophé quelques lignes plus haut
(« Voyez,
il appuis son corps », etc.). Cette figure de narration
est
fréquente dans les Chants. Elle consiste à
décrire les
scènes comme si le narrateur et son lecteur les avaient
sous les yeux,
comme s'ils étaient présents sur la même
scène que les
personnages. Il s'agit d'une forme particulière de la
métalepse
narrative (cf. Gérard Genette, Figures, vol. 3,
p. 243-246),
promue comme forme de narration. Appelons cette figure la
« mise en
scène (du narrateur) » Elle est typique de la
narration des
événements sportifs.
(h) D'une cité à
une autre,
mis pour d'une
cité à l'autre (de una ciudad a otra).
(i) En fait c'est lui qui a
employé le mot
malheur (p. 36: 18), traduisant les
impressions de son
épouse.
(j) Aux premières
années =
dès l'enfance.
Probablement pour ne pas répéter le mot jeunesse qui
vient au
début de la phrase.
(k) Bien qu'il s'agisse
vraisemblablement d'un hispanisme*s, la
formule « les
jours, les
nuits » ne
correspond ni à une expression castillane, ni à une
expression
française. Dans les deux langues, on trouve plutôt
jour et nuit,
día y noche (toujours, constamment, à toute heure).
Elle sera
toutefois encore associée au cauchemar à la strophe
2.8 (91: 20).
(l) T : lui font le saigner le
sang par la bouche
et les
oreilles... L'évidente coquille conduit naturellement
à la
soustraction de l'article, le sang, comme on le trouve dans
l'édition
de José Corti (des cauchemars horribles lui font saigner le
sang par la
bouche et les oreilles). Mais réflexion faite, la
« coquille » apparaît comme une
correction avortée
de l'édition définitive : les cauchemars ne lui
font pas
« saigner le sang », comme dans
l'édition princeps et
sa réédition; ils le « font
saigner » par
la bouche et les oreilles. Il suit que le typographe aura mal lu
la correction
portée sur l'exemplaire de la première édition
qui sert ici
de brouillon.
(m) T : poussé
malgré, eux par une
force Cf.
v. (46).
(n) T : ou que ces cris
témoignent du
repentir de
quelque crime enseveli
dans la nuit de son passé mystérieux. Ces mis pour
ses. Cf.
v. (49).
(o) T : Parle, ô mon
Édouard La
réplique de la
mère ne s'ouvre pas par le tiret. Cf. v. (52).
(p) La plupart des traducteurs
corrigent ici le
texte : il
faut toujours obéir à sa mère, il faut lui
obéir en
tout. Obéir « en quoi que ce soit »
paraît
impliquer qu'elle vient de lui faire une demande vraiment
exceptionnelle, voire
incompréhensible. On voit que l'effet recherché
correspond à
la grandiloquence du style, le subjonctif donnant à la
réplique un
ton sententieux.
(q) La mère coud, le
père lit et on
a vu plus haut
que le fils a repris son « travail », mais dans
l'édition
définitive, on ne sait ce qu'il fait. Dans l'édition
princeps, il
« écrivait ». Voir la v. (5).
(r) La formule, comme tout
l'alinéa
d'ailleurs,
évoque la structure du castillan, sans être à
proprement parler
hispanique. La cause en est que reposer est
généralement pronominal,
tandis que descansar l'est rarement. En plus,
lorsqu'il est
transitif, comme ici, on attend en français le possessif
(reposer son
corps et son esprit, ses membres fatigués,
etc. :
descansar la cabeza en la almohada, appuyer, poser, reposer
sa
tête sur l'oreiller).
(s) Morphologie : on attend,
quand tu en
tourneras le rubis,
tu deviendras invisible.
(t) T : Éternel
créateur de
l'univers, tu montres ...
Manifestement, la ponctuation est fautive. Il ne s'agit pas de
l'Éternel
créateur, mais bien de l'Éternel, créateur de
l'univers. Je
corrige.
(u) T : ces griffes Ces
encore mis pour ses.
Il faut
revenir à la version
originale :
ses griffes. Cf. v. (82).
(v) De crainte de te faire
entendre est mis pour de
crainte qu'on
ne t'entende (l'impersonnel est rétabli par tous les
traducteurs, dans
toutes les langues).
(w) Les cantique de ta
gloire : il
s'agit de cantiques
à la gloire de, cánticos a la gloria de Dios.
(x) En français, le
premier possessif est
explétif : elles obéiront à ton
moindre signe;
en castillan, c'est le contraire : te obederecán
al menor
señal, bien qu'on puisse également écrire
comme
Ducasse,
te obederecán a tu menor señal.
(y) Grincer des dents comme un
pendu : ou bien
« comme
un pendu » correspond à un superlatif (je te ferai
pleurer et
grincer des dents autant qu'on peut faire de mal à un pendu,
autant qu'on
peut le faire souffir, si ce n'est simplement le condamné
à mort qui
pleure et grince des dents); ou bien il faut comprendre faire
grincer des dents
(à quelqu'un) comme à un pendu. Tant qu'on ne
trouvera pas
un contexte où le pendu est réputé grincer des
dents, il faut
opter pour la première intrerprétation, qui devrait
correspondre
à une tournure populaire.
(z) T : baiser de l'aurore de
vie. On dit le
commencement, l'aube,
l'aurore de la vie. Aucune expression ne permet
d'interpréter
« aurore de vie », ni en français, ni en
castillan. Il
s'agit d'une coquille. Il est tout de même significatif
qu'elle se
maintienne dans les trois éditions... La cause en est
peut-être que
la faute une fois commise, on imagine un sens à
l'« aurore de
vie »
(aa) T : avant que la nuit
[ne] s'écoule.
Je
rétablis le texte des deux premières éditions.
Cf. v. (112)
Georges Dazet, correcteur des Chants de Maldoror
L'analyse des variantes de cette strophe fait
apparaître un
nouveau personnage, comme on l'a vu : il est maintenant
avéré
que Ducasse avait la bonne idée de faire relire ses textes
avant de les
donner à éditer, notamment pour y pourchasser les
tournures
castillanes incompréhensibles en français.
Évidemment, poser
cent cinquante ans plus tard la question de savoir de qui
pouvait-il s'agir peut
paraître une entreprise impossible, inutile et même
saugrenue. Ce
serait en effet le cas si je ne pouvais formuler l'hypothèse
suivante :
pourquoi ne serait-ce pas Georges Dazet ?
Aussitôt formulée,
l'hypothèse
sera maintenue
aussi longtemps qu'on ne pourra la montrer fausse, tant elle est
plus que
vraisemblable. Isidore Ducasse est trop fier, trop fier de son
français,
pour rétribuer un correcteur. Idéalement, ce
correcteur est un ami,
plus jeune que lui (au moment du Chant premier, Dazet a 16 ans et
Ducasse, 21), un ami qui pourra le lire et le corriger sans
se trouver comme
un maître en position d'autorité, pour un service
aussi délicat
et difficile qu'ingrat — un jeu, toutefois, pour un jeune
(pur francophone) aussi brillant que Georges Dazet. Cette
« collaboration »
évidemment à sens unique a dû commencer
dès le
collège. Cela dit, Georges Dazet a été
récompensé comme il se doit. D'abord par la
plaisanterie quasi
familiale et familière, amicale qu'on a déjà
étudiée : voilà comment le correcteur
s'est
retrouvé personnage de la première édition en
fascicule du
Chant premier. Aujourd'hui, on peut considérer que c'est
Georges Dazet qui
doit le plus à son ami, aussi bien comme personnage fabuleux
du tout premier
Chant de Maldoror que dans le bestiaire qui lui est
dû. Il est la
seule personne réelle qui aura été
nommément
présente dans cette oeuvre. Évidemment, ce n'est pas
tout. Ensuite,
en effet, Georges Dazet est le premier des dédicataires des
Poésies.
Voilà qui explique une
complicité
où Isidore
Ducasse aura été lui aussi généreux,
puisque c'est lui,
évidemment, qui nous a donné ces indices assez
évidents de
l'hypothèse que je peux formuler sans peine : Georges
Dazet aura
été le premier lecteur et le correcteur de
Ducasse.
Alors la logique veut qu'il ait effectivement
collaboré
à l'élaboration de l'oeuvre du « comte de
Lautréamont ». Ce sont pour le moins les
corrections et les
suggestions, les nombreux traits de plume que j'ai pu pour la
première fois
identifier et commenter tout au long de l'étude des
variantes de cette
strophe, pour les raisons expliquées plus haut dans la conclusion de cette analyse.
(1) La strophe
dialoguée était
à l'origine de
forme dramatique, comme on le verra aux variantes. Elle n'en est
pas moins
très différentes des strophes
précédentes, mais pas
beaucoup plus que l'hymne à l'océan, qui
déjà
l'était beaucoup. Assez en tout cas pour que reste bien
marqué le
caractère « exercices de style » des
Chants de
Maldoror. Il suit qu'on cherchera naturellement la
« source » de cette strophe, aussi bien en ce
qui concerne son
genre que ses auteurs. Marcel Jean et Arpad Mezei,
par exemple, y
retrouvent les romans dialogués de la comtesse de
Ségur et les
Mystères de Paris d'Eugène Suë. À
leur suite, Claude
Bouché y retrouve quelque chose comme le mélodrame
feuilletonesque
du roman populaire romantique (Bouché, 122-123).
Etc.
Je pense qu'il faut y voir le Manfred
de Byron
tel qu'on le
trouve à nouveau, recréé, dans le Faust
de Goethe.
Rien dans cette strophe, me semble-t-il, ne tient encore du roman
populaire.
Édouard n'est pas encore Mervyn (strophe 6.5), ni Maldoror,
Rocambole. Bien
au contraire, le Maldoror de cette strophe se présente sous
les traits de
Méphistophélès, après avoir
été le Satan
de Milton, puis le Manfred de Byron. Certes, je n'ai trouvé
dans les deux
Faust de Nerval aucune corrélation textuelle avec cette
strophe, mais on
n'en a trouvé encore aucune non plus avec les drames et
romans populaires
romantiques. En revanche, il y a quelques traits qui ne trompent
pas et ce sont
la thématique et la rhétorique. La thématique
de la
tentation, qui vient explicitement du « Roi des
aulnes » de
Goethe (seule source textuelle avérée de la strophe)
et plus
largement de Faust, la rhétorique grandiloquente de
la
résistence mortelle (Marguerite, Hélène et
Faust lui-même),
celle du Manfred de Byron réécrite par
Goethe, il faut
le répéter.
Reste la situation familiale. Avant
d'évoquer
le drame du
romantisme anglais, il faut y voir la mise en situation de
l'adolescent (dans sa
famille), assez naturelle en Occident pour n'avoir besoin d'aucune
source
d'inspiration. Bien au contraire, c'est de cette improvisation sur
Édouard
que naîtra le « roman » de Mervyn,
parodie de roman
populaire. Dans la présente strophe, la situation n'a rien
de
mélodramatique, contrairement à ce que pourraient
laisser croire les
apostrophes hispaniques en français
(« femme »,
« maître »,
« père »,
« mère », « bonne
mère »,
« mon fils »); il ne s'agit pas d'un essai
romanesque; le
drame poétique, au contraire, est nettement mis en
évidence par le
refrain de la strophe dialoguée. La preuve en est qu'on ne
trouve ici rien
de comique, aucun trait d'humour ou d'ironie, ni sarcasme.
Voir le « Goethe de
Ducasse » qui reprend et complète cette
analyse en
lançant l'étude des sources telle qu'on la trouvera
plus bas,
n. (4).
(2) Le refrain apparaît
avec la
réécriture de
la strophe, comme on le voit aux variantes — cf. v. (34), (44)
et (51). C'est la première fois
qu'on rencontre une
telle répétition en aparté qui donne à
la strophe un
tour poétique. La technique était déjà
en place
à
la strophe 3.5,
la célèbre strophe du cheveux.
(3) Évocation de la
légende du Juif
errant. Le
mythe, construit sur Matthieu, 16: 28, aurait été
consigné en
1602 (à Leyden, sur le témoignage de
l'évêque Paulus von
Eizen). Le thème de la légende populaire multiforme
est celui de la
punition éternelle (du moins jusqu'au Jugement dernier).
Comme on le voit,
l'accent est ici mis sur l'errance, comme c'est le cas en France,
et
généralement chez les catholiques. Voir
l'Encyclopaedia
britannica, art. « The wandering Jew ».
(4) Ici commence la seconde
partie de la strophe,
division
marquée par la réplique pathétique qui
précède
(annonçant évidemment la fin et de la strophe et
d'Édouard !), et par l'intervention de Maldoror ou de
sa voix dans
l'édition originale : voir la v. (62). C'est évidemment ici que
le dialogue
voulait en venir. La suite en effet est inspirée du
« Roi des
aulnes » de Goethe, dont le texte se trouve ci-dessous
dans la traduction
de Gérard de Nerval, où les citations sont
soulignées.
Voir la recherche en cours sur le
« Goethe de Ducasse ».
Du point de vue de la critique des sources et
de la
genèse de
la strophe, il faut prendre pour hypothèse, avant de pouvoir
en faire la
preuve, que le texte de Goethe qui inspire Ducasse se trouve dans
la traduction des
Faust par Gérard de Nerval chez Michel Lévy,
depuis 1840,
voire 1830, réédité en 1868 dans l'oeuvre
complète de
Nerval par Théophile Gautier. Cela posé, la question
est de savoir
pourquoi le Faust lui-même ne se trouve nulle part ni
cité ni
évoqué dans la strophe (sauf peut-être, on va
le voir, dans la
désignation des « esprits »). En effet,
il y a une
logique implacable à ce que l'on trouve à la source
des Chants de
Maldoror la série Dante, Milton, Byron et... Goethe.
Cela correspond
à Lucifer, Satan, Manfred et
Faust/Méphistophélès, dans
quatre traductions en prose.
Conclusion provisoire. On peut croire que la
pensée de
Goethe, rendue par Nerval, outrepassait la portée du projet
de Ducasse. Ce
ne sera pas faire injure au jeune littérateur qui a eu le
génie de
trouver d'instinct ses quatre grands devanciers que de penser que
le dernier, son
plus proche devancier, le dépasse, au sens le plus simple
où son
traducteur, Nerval, ne cesse de dire combien il est
« difficile ».
Il en reste pourtant une trace très
importante, le
« drame poétique », Manfred et
Faust
réunis. C'est en effet sous cette forme qu'est mis en
scène, et de
manière très efficace (dès la version
originale et encore plus
dans la version définitive) « Le roi des
aulnes » de
Goethe.
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