El bozo
TdM Règles d'établissement Strophe 3.5 Glossaires Index TGdM
Édition interactive des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont par Isidore Ducasse
sous la direction de Guy Laflèche, Université de Montréal
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Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
 

Texte de la stophe 1.11

Variantes 1 à 67

1. Variantes (suite)

68) 40: 3  P 1868, B 1869   l'alouette joyeuse s'élèvera à perte de vue dans les airs > l'alouette joyeuse emportera, avec elle, son cri, à perte de vue, dans les airs

69) 40: 6  P 1868, B 1869   tu seras constamment dans une atmosphère ... > tu seras constamment enveloppé dans une atmosphère ...

      Correction littéraire inattendue, dans la réécriture du Chant premier jusqu'ici, voire encore académique. Tout le contraire de la variante précédente où l'on reconnaît immédiatement le style de l'auteur, qui ne s'occupe jamais de rien envelopper... Bref, on peut se moquer gentiment du correcteur de Ducasse et regretter que celui-ci ait accepté ces corrections-là.

70) 40: 16  P 1868, B 1869   invisible comme les princes dans les contes > invisible, comme les princes, dans les contes
71) 40: 19  P 1868, B 1869   pendant que de mon côté j'arrange mes affaires. > pendant que, de mon côté, j'arrange mes affaires.

72) 40: 21  P 1868, B 1869   Quand tu le remettras à sa place ordinaire > Quand tu le replaceras dans sa position ordinaire

      Exceptionnellement, on peut voir à l'incorrection (replacer*i pour remettre) et à l'utilisation fantaisiste du mot position*s que cette réécriture est de la main de Ducasse et ne doit rien à son correcteur.

73) 40: 25  P 1868, B 1869   qui que tu sois, ne me prends pas par les épaules. > qui que tu sois; ne me prends pas par les épaules.
74) 40: 27  P 1868, B 1869   ne t'endors point bercé par les rêves > ne t'endors point, bercé par les rêves

75) 40: 27  P 1868, B 1869   la prière en commun n'est pas commencée, et tes habits > la prière en commun n'est pas commencée et tes habits

      Soustraction d'une virgule. Tout à fait exceptionnel, rare du moins.

76) 41: 2  P 1868, B 1869   À genoux ! (chacun s'agenouille). Éternel > À genoux ! Éternel

      La didascalie est soustraite, maintenant inutile.

77) 41: 3  B 1869   Créateur # créateur

      Encore une illustration que la troisième édition est faite sur un exemplaire de la première.

78) 41: 5  P 1868, B 1869   les ruisseaux limpides où > les ruisseaux limpides,

79) 41: 6  P 1868, B 1869   où il y a > où glissent

      Nouvelle correction de style académique.

80) 41: 6  P 1868, B 1869   de petits poissons > des milliers de petits poissons

81) 41: 6  P 1868, B 1869   de petits poissons rouges, bleus et argentés ? de petits poissons, rouges, bleus et argentés ?

      L'addition de la virgule obéit encore à une intervention qui n'est pas « ducassienne ». Il s'agit en effet d'une correction sémantique, comme celle que nous avons dû faire à l'alinéa précédent (en effet, pas de « poissons rouges » ici). Il suffit de relire cet alinéa précédent pour constater qu'il lui « manque » encore pas moins de deux autres virgules dans la logique de la ponctuation d'Isidore Ducasse (devant « et » et « jusque »). Même chose pour le « car » à l'alinéa suivant, tandis que l'alinéa qui suivra perdra sa virgule après « dédain », même chose pour « papillon » dans le suivant. Bref, Ducasse paraît débordé par d'autres ajustements que les siens...

82) 41: 11  P 1868, B 1869   Mère, vois ses griffes > Mère, vois ces griffes

      L'analyse de la variante est moins concluante que celle qu'on a étudiée plus haut, v. (49), mais la même conclusion s'impose : les griffes « de lui », celui dont on se méfie, ne peuvent pas en grammaire être ces griffes. Ce sont ses griffes. Je rétablis en conséquence le texte original.

83) 41: 11  P 1868, B 1869   vois ses/ces griffes, je me méfie de lui > vois ses/ces griffes; je me méfie de lui
84) 41: 14  P 1868, B 1869   Tu nous vois prosternés à tes pieds > Tu nous vois, prosternés à tes pieds
85) 41: 17  P 1868, B 1869   nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain, et > nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain et
86) 41: 19  P 1868, B 1869   de petites filles qui t'enlaceront > de petites filles, qui t'enlaceront
87) 41: 22  P 1868, B 1869   des ailes transparentes de papillon, et des cheveux > des ailes transparentes de papillon et des cheveux
88) 41: 23  P 1868, B 1869   des cheveux d'une longueur ondulée qui flottent > des cheveux d'une longueur ondulée, qui flottent
89) 41: 28  P 1868, B 1869   tu me parles si doucement de crainte de > tu me parles si doucement, de crainte de
90) 42: 7  P 1868, B 1869   Tels nous avons été jusqu'ici, tels nous serons jusqu'au moment où > Tels nous avons été jusqu'ici, tels nous serons, jusqu'au moment où
91) 42: 8  P 1868, B 1869   l'ordre de quitter cette vie > l'ordre de quitter cette terre
92) 42: 12  P 1868, B 1869   la voiture de neige qui transporte au soleil > la voiture de neige, qui transporte au soleil

93) 42: 15  P 1868, B 1869   Elles t'apporteraient même le cerf-volant, grand comme une tour qu'on a caché dans la lune > Elles t'apporteraient même le cerf-volant, grand comme une tour, qu'on a caché dans la lune

      L'addition de la virgule corrige une faute de ponctuation. Il faut le signaler, parce que la réécriture ajoute moins de virgules dans cette strophe que dans les précédentes.

94) 42: 16  P 1868, B 1869   à la queue duquel sont suspendus par des liens de soie des oiseaux > à la queue duquel sont suspendus, par des liens de soie, des oiseaux
95) 42: 20  P 1868, B 1869   Je ne veux pas interrompre la prière pour appeler au secours. > Je ne veux pas interrompre la prière, pour appeler au secours.
96) 42: 21  P 1868, B 1869   Quoique ton corps/coeur s'évapore quand je veux l'écarter > Quoique ton corps/coeur s'évapore, quand je veux l'écarter

97) 42: 22  P 1868, B 1869   Sache que je n'ai peur de rien, si ce n'est de Dieu. > Sache que je ne te crains pas.

      La soustraction produit non seulement une formulation abrupte et positive (Édouard ne craint pas Maldoror), mais a pour effet de laisser à son père la crainte de Dieu.

98) 42: 23  P 1868, B 1869   Devant toi, rien n'est grand, si ce n'est la prière exhalée d'un coeur pur. > Devant toi, rien n'est grand, si ce n'est la flamme exhalée d'un coeur pur.

      Nouvelle correction indéniablement académique. Il s'agit de ne pas répéter le mot prière qui vient d'être employé à la réplique précédente et le correcteur en a profité pour suggérer de le remplacer par un beau symbole on ne peut plus poétique, la flamme de l'âme étant la prière muette des sanctuaires... Voilà qui est bien trop « beau » pour être du pur Ducasse.

99) 43: 2  P 1868, B 1869   épouse chérie qui m'a consolé > épouse chérie, qui m'a consolé
100) 43: 6  P 1868, B 1869   fils aimant dont les chastes lèvres > fils aimant, dont les chastes lèvres
101) 43: 8  P 1868, B 1869   Père secourez-moi !... Ah !... Je ne puis plus respirer... > Père secourez-moi !... Je ne puis plus respirer...

102) 43: 10  P 1868, B 1869   Votre bénédiction ! (Un cri d'ironie immense s'élève dans les airs). > Votre bénédiction !
      Un cri d'ironie immense s'est élevé dans les airs. Voyez ...

      La didascalie qui terminait la réplique de L'ENFANT ouvre maintenant un nouvel alinéa. Le temps verbal change en conséquence, passant du présent à l'accompli.

103) 43: 11  AdditionVoyez comme les aigles, étourdis, tombent du haut des nuages, en roulant sur eux-mêmes, littéralement foudroyés par la colonne d'air.
104) 43: 14  P 1868, B 1869   Son coeur ne bat plus !... > Son coeur ne bat plus...
105) 43: 14  P 1868, B 1869   Et celle-ci est morte en même temps que > Et celle-ci est morte, en même temps que
106) 43: 16  P 1868, B 1869   fruit que je ne reconnais plus, tant il est défiguré ! > fruit que je ne reconnais plus, tant il est défiguré...
107) 43: 16  P 1868, B 1869   (Les tenant chacun dans un bras :)  Soustraction.
108) 43: 17   addition : Mon fils !... Je me rappelle un temps lointain où je fus époux et père.

109) 43: 19  Déplacement : P 1868, B 1869   MALDOROR — (se présente [...] et contemple quelques instants le tableau qui s'offre à ses yeux) [...] — (Apparaissant de nouveau quelques instants ensuite). — Moi supporter cette injustice ! > Il s'était dit, devant le tableau qui s'offrit [pour s'offrait ou s'était offert, le tableau correspondant par nature à une situation] à ses yeux, qu'il ne supporterait pas cette injustice.

      Voir la variante (12). Dans la nouvelle version, Maldoror ne réapparaît pas à la porte de la demeure; le narrateur rappelle simplement son apparition (pour le lecteur) et réécrit sa réplique en style indirect.

110) 43: 21  P 1868, B 1869   le pouvoir que m'ont accordé les esprits infernaux > le pouvoir que lui ont accordé les esprits infernaux
111) 43: 22  Addition : Le pouvoir que m'ont/lui ont accordé les esprit infernaux, ou plutôt qu'il tire de lui-même

112) 43: 23  P 1868, B 1869   avant que la nuit ne s'écoule > avant que la nuit s'écoule

      Avec avant que, le discordantiel ne vient naturellement, chaque fois que la locution conjonctive n'établit pas un pur rapport temporel ou causal (on dit: il faut que le ciel se couvre avant qu'il pleuve — au sens de pour qu'il puisse pleuvoir ou pour dire que la pluie suit l'ennuagement et non l'inverse ! il faut que le ciel se couvre avant qu'il ne pleuve — au sens de « pour qu'il soit au moins possible qu'il pleuve »; on écrit toujours qu'il faut rentrer avant qu'il ne pleuve. En plus, le discordantiel indique ici non la chronologie, mais bien la durée, la rapidité : il devrait mourir avant que la nuit ne finisse. Le ne s'est perdu dans le déplacement de la réplique et sa réécriture. Je le rétablis, comme en (21).

113) 43: 23  P 1868, B 1869   cet enfant, avant que la nuit ne s'écoule, ne sera plus. > cet enfant, avant que la nuit s'écoule, ne devrait plus être.

      Pour cette dernière réplique, seule la variante (111) est significative; les variantes (110) et (113) sont commandées par la concordance temporelle qui résulte du déplacement et de la réécriture du texte. J'ai étudié l'effet du déplacement à la v. (62).


Conclusions

      On le voit, les variantes de cette strophe sont objectivement peu nombreuses. Toutefois, portées à la plume sur le texte imprimé de l'édition princeps, avec ou sans papillons, cela ne peut manquer de créer l'effet d'un remaniement important. Changement de genre, ajout d'un refrain, ajout d'un autre alinéa, déplacement d'une réplique, etc., d'où l'entrée en scène pour la première fois sous nos yeux du correcteur des textes d'Isidore Ducasse. Jusqu'ici, en effet, il s'agissait d'une hypothèse fortement probable, étant donné la nature des hispanismes appartenant à la langue courante spontanée (où la question se posait de savoir non pas pourquoi on trouvait autant de structures syntaxiques fondamentalement castillanes, mais bien pour quelle raison on en trouvait si peu). On se doutait que Ducasse faisait relire ses textes pour s'assurer que toutes ses phrases s'entendent en français. L'hypothèse est maintenant avérée : on voit ici ce correcteur à l'oeuvre, avec son style littéraire, « académique », qui tranche évidemment sur celui de Ducasse.

      En revanche, tout occupé à sa réécriture et à sa correction, Ducasse néglige manifestement l'harmonisation de la ponctuation à laquelle il nous avait habitués jusqu'ici. Trois fois, (75), (85) et (87), il soustrait même la virgule devant la conjonction de coordination, alors qu'il fait généralement l'inverse. Et il ne produit que trois fois sa fameuse formule point-virgule + coordonnant + virgule (du type « ; car, »), dont on ne trouvait aucune occurrence pour cette strophe dans l'édition princeps; tandis que le plus étonnant est que deux fois il néglige de la produire (en 38: 16 et 24, mais également en 26, où « Mais » devrait être suivi de la virgule, comme en 36: 3).

      De façon plus générale, on peut dire que la version définitive de la strophe profite d'une réécriture du discours beaucoup plus que du travail stylistique, sauf pour deux ajouts qui se rapportent tous les deux au bestiaire des Chants, sur l'alouette (67) et les aigles 103) : celui qui fait ces deux additions est bien l'auteur des Chants de Maldoror.


2. Commentaires linguistiques

(a) T : chambre. (point et non point de suspension). Je corrige la correction du typographe dans la logique de la strophe. Cf. variante (3). Si le mise en page le permettait, on pourrait également rétablir le tiret des deux premières éditions.

(b) Cette phrase et la suivante sont apparemment deux plates tautologies. Que « beaucoup de gens soient moins heureux qu'eux » signifie que « peu de gens sont plus heureux » ! Tel serait du moins le cas en logique. Mais en rhétorique, étant donné le tour doublement négatif ou contradictoire, si peu de gens sont plus heureux qu'eux, alors ils n'ont pas de raison de l'être, ce qui signifie à peu près qu'on est plus malheureux à moins.

(c) La rhétorique de la quasi-contradiction se poursuit : le raisonnement pour aimer quelque chose signifie les raisons de l'aimer. Ce serait demander quelles raisons auraient-ils d'aimer l'existence, si cela ne signifiait à peu près le contraire, soit qu'ils n'ont aucune raison d'aimer la vie.

(d) Les « facultés » humaines cela n'a pas beaucoup de sens dans le contexte si l'on ne sait pas que Ducasse avait d'abord parlé des « passions », ce qui en avait encore moins. Voir la variante (15). Sachant cela, on comprend qu'il s'agit des sentiments.

(e) En 6.4, la réécriture de l'épisode de cette strophe remplace le vinaigre par l'essence de thérébentine (295: 12 et 24).

(f) T : funeste nous plonge mis pour funeste ne nous plonge, ainsi que le portaient les deux premières éditions. Voir la variante (21).

(g) Rappelons que cet alinéa était une didascalie dans les deux éditions originales, comme on l'a vu à la variante (22). On a vu aussi à ce moment que la réplique précédente, une réplique de la mère dans la version originale, devient plus vraisemblablement une réplique du père dans l'édition définitive. Chose certaine, l'interprétation en est laissée au lecteur qui ne peut trancher facilement. En revanche, l'intervention du narrateur (qui deviendra le refrain de la strophe) ne surprendra nullement le lecteur qui a déjà été apostrophé quelques lignes plus haut (« Voyez, il appuis son corps », etc.). Cette figure de narration est fréquente dans les Chants. Elle consiste à décrire les scènes comme si le narrateur et son lecteur les avaient sous les yeux, comme s'ils étaient présents sur la même scène que les personnages. Il s'agit d'une forme particulière de la métalepse narrative (cf. Gérard Genette, Figures, vol. 3, p. 243-246), promue comme forme de narration. Appelons cette figure la « mise en scène (du narrateur) » Elle est typique de la narration des événements sportifs.

(h) D'une cité à une autre, mis pour d'une cité à l'autre (de una ciudad a otra).

(i) En fait c'est lui qui a employé le mot malheur (p. 36: 18), traduisant les impressions de son épouse.

(j) Aux premières années = dès l'enfance. Probablement pour ne pas répéter le mot jeunesse qui vient au début de la phrase.

(k) Bien qu'il s'agisse vraisemblablement d'un hispanisme*s, la formule « les jours, les nuits » ne correspond ni à une expression castillane, ni à une expression française. Dans les deux langues, on trouve plutôt jour et nuit, día y noche (toujours, constamment, à toute heure). Elle sera toutefois encore associée au cauchemar à la strophe 2.8 (91: 20).

(l) T : lui font le saigner le sang par la bouche et les oreilles... L'évidente coquille conduit naturellement à la soustraction de l'article, le sang, comme on le trouve dans l'édition de José Corti (des cauchemars horribles lui font saigner le sang par la bouche et les oreilles). Mais réflexion faite, la « coquille » apparaît comme une correction avortée de l'édition définitive : les cauchemars ne lui font pas « saigner le sang », comme dans l'édition princeps et sa réédition; ils le « font saigner » par la bouche et les oreilles. Il suit que le typographe aura mal lu la correction portée sur l'exemplaire de la première édition qui sert ici de brouillon.

(m) T : poussé malgré, eux par une force Cf. v. (46).

(n) T : ou que ces cris témoignent du repentir de quelque crime enseveli dans la nuit de son passé mystérieux. Ces mis pour ses. Cf. v. (49).

(o) T : Parle, ô mon Édouard   La réplique de la mère ne s'ouvre pas par le tiret. Cf. v. (52).

(p) La plupart des traducteurs corrigent ici le texte : il faut toujours obéir à sa mère, il faut lui obéir en tout. Obéir « en quoi que ce soit » paraît impliquer qu'elle vient de lui faire une demande vraiment exceptionnelle, voire incompréhensible. On voit que l'effet recherché correspond à la grandiloquence du style, le subjonctif donnant à la réplique un ton sententieux.

(q) La mère coud, le père lit et on a vu plus haut que le fils a repris son « travail », mais dans l'édition définitive, on ne sait ce qu'il fait. Dans l'édition princeps, il « écrivait ». Voir la v. (5).

(r) La formule, comme tout l'alinéa d'ailleurs, évoque la structure du castillan, sans être à proprement parler hispanique. La cause en est que reposer est généralement pronominal, tandis que descansar l'est rarement. En plus, lorsqu'il est transitif, comme ici, on attend en français le possessif (reposer son corps et son esprit, ses membres fatigués, etc. : descansar la cabeza en la almohada, appuyer, poser, reposer sa tête sur l'oreiller).

(s) Morphologie : on attend, quand tu en tourneras le rubis, tu deviendras invisible.

(t) T : Éternel créateur de l'univers, tu montres ... Manifestement, la ponctuation est fautive. Il ne s'agit pas de l'Éternel créateur, mais bien de l'Éternel, créateur de l'univers. Je corrige.

(u) T : ces griffes   Ces encore mis pour ses. Il faut revenir à la version originale : ses griffes. Cf. v. (82).

(v) De crainte de te faire entendre est mis pour de crainte qu'on ne t'entende (l'impersonnel est rétabli par tous les traducteurs, dans toutes les langues).

(w) Les cantique de ta gloire : il s'agit de cantiques à la gloire de, cánticos a la gloria de Dios.

(x) En français, le premier possessif est explétif : elles obéiront à ton moindre signe; en castillan, c'est le contraire : te obederecán al menor señal, bien qu'on puisse également écrire comme Ducasse, te obederecán a tu menor señal.

(y) Grincer des dents comme un pendu : ou bien « comme un pendu » correspond à un superlatif (je te ferai pleurer et grincer des dents autant qu'on peut faire de mal à un pendu, autant qu'on peut le faire souffir, si ce n'est simplement le condamné à mort qui pleure et grince des dents); ou bien il faut comprendre faire grincer des dents (à quelqu'un) comme à un pendu. Tant qu'on ne trouvera pas un contexte où le pendu est réputé grincer des dents, il faut opter pour la première intrerprétation, qui devrait correspondre à une tournure populaire.

(z) T : baiser de l'aurore de vie. On dit le commencement, l'aube, l'aurore de la vie. Aucune expression ne permet d'interpréter « aurore de vie », ni en français, ni en castillan. Il s'agit d'une coquille. Il est tout de même significatif qu'elle se maintienne dans les trois éditions... La cause en est peut-être que la faute une fois commise, on imagine un sens à l'« aurore de vie »

(aa) T : avant que la nuit [ne] s'écoule. Je rétablis le texte des deux premières éditions. Cf. v. (112)


3. Notes

Georges Dazet, correcteur des Chants de Maldoror

      L'analyse des variantes de cette strophe fait apparaître un nouveau personnage, comme on l'a vu : il est maintenant avéré que Ducasse avait la bonne idée de faire relire ses textes avant de les donner à éditer, notamment pour y pourchasser les tournures castillanes incompréhensibles en français. Évidemment, poser cent cinquante ans plus tard la question de savoir de qui pouvait-il s'agir peut paraître une entreprise impossible, inutile et même saugrenue. Ce serait en effet le cas si je ne pouvais formuler l'hypothèse suivante : pourquoi ne serait-ce pas Georges Dazet ?

      Aussitôt formulée, l'hypothèse sera maintenue aussi longtemps qu'on ne pourra la montrer fausse, tant elle est plus que vraisemblable. Isidore Ducasse est trop fier, trop fier de son français, pour rétribuer un correcteur. Idéalement, ce correcteur est un ami, plus jeune que lui (au moment du Chant premier, Dazet a 16 ans et Ducasse, 21), un ami qui pourra le lire et le corriger sans se trouver comme un maître en position d'autorité, pour un service aussi délicat et difficile qu'ingrat — un jeu, toutefois, pour un jeune (pur francophone) aussi brillant que Georges Dazet. Cette « collaboration » évidemment à sens unique a dû commencer dès le collège. Cela dit, Georges Dazet a été récompensé comme il se doit. D'abord par la plaisanterie quasi familiale et familière, amicale qu'on a déjà étudiée : voilà comment le correcteur s'est retrouvé personnage de la première édition en fascicule du Chant premier. Aujourd'hui, on peut considérer que c'est Georges Dazet qui doit le plus à son ami, aussi bien comme personnage fabuleux du tout premier Chant de Maldoror que dans le bestiaire qui lui est dû. Il est la seule personne réelle qui aura été nommément présente dans cette oeuvre. Évidemment, ce n'est pas tout. Ensuite, en effet, Georges Dazet est le premier des dédicataires des Poésies.

      Voilà qui explique une complicité où Isidore Ducasse aura été lui aussi généreux, puisque c'est lui, évidemment, qui nous a donné ces indices assez évidents de l'hypothèse que je peux formuler sans peine : Georges Dazet aura été le premier lecteur et le correcteur de Ducasse.

      Alors la logique veut qu'il ait effectivement collaboré à l'élaboration de l'oeuvre du « comte de Lautréamont ». Ce sont pour le moins les corrections et les suggestions, les nombreux traits de plume que j'ai pu pour la première fois identifier et commenter tout au long de l'étude des variantes de cette strophe, pour les raisons expliquées plus haut dans la conclusion de cette analyse.


(1) La strophe dialoguée était à l'origine de forme dramatique, comme on le verra aux variantes. Elle n'en est pas moins très différentes des strophes précédentes, mais pas beaucoup plus que l'hymne à l'océan, qui déjà l'était beaucoup. Assez en tout cas pour que reste bien marqué le caractère « exercices de style » des Chants de Maldoror. Il suit qu'on cherchera naturellement la « source » de cette strophe, aussi bien en ce qui concerne son genre que ses auteurs. Marcel Jean et Arpad Mezei, par exemple, y retrouvent les romans dialogués de la comtesse de Ségur et les Mystères de Paris d'Eugène Suë. À leur suite, Claude Bouché y retrouve quelque chose comme le mélodrame feuilletonesque du roman populaire romantique (Bouché, 122-123). Etc.

      Je pense qu'il faut y voir le Manfred de Byron tel qu'on le trouve à nouveau, recréé, dans le Faust de Goethe. Rien dans cette strophe, me semble-t-il, ne tient encore du roman populaire. Édouard n'est pas encore Mervyn (strophe 6.5), ni Maldoror, Rocambole. Bien au contraire, le Maldoror de cette strophe se présente sous les traits de Méphistophélès, après avoir été le Satan de Milton, puis le Manfred de Byron. Certes, je n'ai trouvé dans les deux Faust de Nerval aucune corrélation textuelle avec cette strophe, mais on n'en a trouvé encore aucune non plus avec les drames et romans populaires romantiques. En revanche, il y a quelques traits qui ne trompent pas et ce sont la thématique et la rhétorique. La thématique de la tentation, qui vient explicitement du « Roi des aulnes » de Goethe (seule source textuelle avérée de la strophe) et plus largement de Faust, la rhétorique grandiloquente de la résistence mortelle (Marguerite, Hélène et Faust lui-même), celle du Manfred de Byron réécrite par Goethe, il faut le répéter.

      Reste la situation familiale. Avant d'évoquer le drame du romantisme anglais, il faut y voir la mise en situation de l'adolescent (dans sa famille), assez naturelle en Occident pour n'avoir besoin d'aucune source d'inspiration. Bien au contraire, c'est de cette improvisation sur Édouard que naîtra le « roman » de Mervyn, parodie de roman populaire. Dans la présente strophe, la situation n'a rien de mélodramatique, contrairement à ce que pourraient laisser croire les apostrophes hispaniques en français (« femme », « maître », « père », « mère », « bonne mère », « mon fils »); il ne s'agit pas d'un essai romanesque; le drame poétique, au contraire, est nettement mis en évidence par le refrain de la strophe dialoguée. La preuve en est qu'on ne trouve ici rien de comique, aucun trait d'humour ou d'ironie, ni sarcasme.

      Voir le « Goethe de Ducasse » qui reprend et complète cette analyse en lançant l'étude des sources telle qu'on la trouvera plus bas, n. (4).

(2) Le refrain apparaît avec la réécriture de la strophe, comme on le voit aux variantes — cf. v. (34), (44) et (51). C'est la première fois qu'on rencontre une telle répétition en aparté qui donne à la strophe un tour poétique. La technique était déjà en place à la strophe 3.5, la célèbre strophe du cheveux.

(3) Évocation de la légende du Juif errant. Le mythe, construit sur Matthieu, 16: 28, aurait été consigné en 1602 (à Leyden, sur le témoignage de l'évêque Paulus von Eizen). Le thème de la légende populaire multiforme est celui de la punition éternelle (du moins jusqu'au Jugement dernier). Comme on le voit, l'accent est ici mis sur l'errance, comme c'est le cas en France, et généralement chez les catholiques. Voir l'Encyclopaedia britannica, art. « The wandering Jew ».

(4) Ici commence la seconde partie de la strophe, division marquée par la réplique pathétique qui précède (annonçant évidemment la fin et de la strophe et d'Édouard !), et par l'intervention de Maldoror ou de sa voix dans l'édition originale : voir la v. (62). C'est évidemment ici que le dialogue voulait en venir. La suite en effet est inspirée du « Roi des aulnes » de Goethe, dont le texte se trouve ci-dessous dans la traduction de Gérard de Nerval, où les citations sont soulignées.

      Voir la recherche en cours sur le « Goethe de Ducasse ».

      Du point de vue de la critique des sources et de la genèse de la strophe, il faut prendre pour hypothèse, avant de pouvoir en faire la preuve, que le texte de Goethe qui inspire Ducasse se trouve dans la traduction des Faust par Gérard de Nerval chez Michel Lévy, depuis 1840, voire 1830, réédité en 1868 dans l'oeuvre complète de Nerval par Théophile Gautier. Cela posé, la question est de savoir pourquoi le Faust lui-même ne se trouve nulle part ni cité ni évoqué dans la strophe (sauf peut-être, on va le voir, dans la désignation des « esprits »). En effet, il y a une logique implacable à ce que l'on trouve à la source des Chants de Maldoror la série Dante, Milton, Byron et... Goethe. Cela correspond à Lucifer, Satan, Manfred et Faust/Méphistophélès, dans quatre traductions en prose.

      Conclusion provisoire. On peut croire que la pensée de Goethe, rendue par Nerval, outrepassait la portée du projet de Ducasse. Ce ne sera pas faire injure au jeune littérateur qui a eu le génie de trouver d'instinct ses quatre grands devanciers que de penser que le dernier, son plus proche devancier, le dépasse, au sens le plus simple où son traducteur, Nerval, ne cesse de dire combien il est « difficile ».

      Il en reste pourtant une trace très importante, le « drame poétique », Manfred et Faust réunis. C'est en effet sous cette forme qu'est mis en scène, et de manière très efficace (dès la version originale et encore plus dans la version définitive) « Le roi des aulnes » de Goethe.

Le roi des aulnes
traduction de Gérard de Nerval

    Qui voyage si tard par la nuit et le vent ? C'est le père et son fils, petit enfant qu'il serre dans ses bras pour le garantir de l'humidité et le tenir bien chaudement.

    « Mon enfant, qu'as-tu à cacher ton visage avec tant d'inquiétude ? — Papa, ne vois-tu pas le roi des Aulnes ?... le roi des Aulnes, avec sa couronne et sa queue ? — Rien, mon fils, qu'une ligne de brouillard ».

    — « Viens, charmant enfant, viens avec moi... À quels beaux jeux nous jouerons ensemble; il y a de bien jolies fleurs sur les bords du ruisseau, et, chez ma mère, des habits tout brodés d'or ! ». —

    « Mon père, mon père, entends-tu ce que le roi des Aulnes me promet tout bas ? — Sois tranquille, enfant, sois tranquille; c'est le vent qui murmure parmi les feuilles séchées ».

    — « Beau petit, viens avec moi ! mes filles t'attendent déjà : elles dansent la nuit, mes filles; elles te caresseront, joueront et chanteront pour toi ».

    — « Mon père, mon père, ne vois-tu pas les filles du roi des Aulnes, là-bas où il fait sombre ? — Mon fils, je vois ce que tu veux dire... Je vois les vieux saules, qui sont tout gris ! ».

    — « Je t'aime, petit enfant; ta figure me charme; viens avec moi de bonne volonté, ou de force je t'entraîne ». — « Mon père ! mon père ! il me saisit, il m'a blessé, le roi des Aulnes ! »

    Le père frissonne, il précipite sa marche, serre contre lui son fils, qui respire péniblement, atteint enfin sa demeure... L'enfant était mort dans ses bras.

        —— Goethe, « Le roi des Aulnes », le Faust de Goethe, suivi du second Faust, trad. Gérard de Nerval, Paris, Michel Lévy, 1868, rééd. 1883, troisième édition, p. 316-317. Les différentes éditions de cette traduction ne comportent aucune variante lexicale; les variantes graphiques et typographiques, nombreuses et significatives, ne sont pas utiles à l'analyse du texte de Ducasse. Elles ne sont donc pas identifiées ici.

(5) Ange radieux, viens avec moi... V. (63), Ange radieux, viens à moi (39: 23)... « Le roi des aulnes » de Nerval, troisième et quatrième strophes : Viens, charmant enfant, viens avec moi...; Beau petit, viens avec moi !

      La préposition « avec » vient tout aussi bien dans les autres traductions françaises.

(6) « Le roi des aulnes » de Goethe est un diable, un follet de la tradition populaire (Erl pourrait bien désigner les Sylphes, mais il est évident que les aulnes font bien le décor de la ballade); en revanche, Maldoror, la voix de Maldoror dans cette strophe, vient plutôt des contes merveilleux populaires, comme on va en voir développer les thèmes et motifs tout au long des interventions du tentateur. C'est d'abord le palais des contes de fées.

(7) Je n'ai pas encore trouvé de contes de fées où l'anneau rend invisible à volonté; en revanche, l'anneau magique est un thème constant du genre (il tient lieu d'auxiliaire, appelant un génie à l'aide, transportant magiquement son possesseur, etc.). Fonction 14, symbole Z dans la Morphologie du conte de Vladimir Propp (Paris, Gallimard, 1970).

(8) Cela parce que je t'aime... (40: 23). « Le roi des aulnes » (strophe 7) : Je t'aime, petit enfant...

(9) ... ne me prends pas par les épaules (40: 25). « Le roi des aulnes » (strophe 7) : il me saisit.

(10) Tu n'aimes donc pas les ruisseaux limpides... (41: 5). « Le roi des aulnes » (strophe 3) : il y a de bien jolies fleurs sur les bords du ruisseau.

      « Ruisseau », le mot ne vient que dans la traduction de Nerval; Porchat évoque la « rive », Blaze, les « rivages ».

(11) « Le roi des aulnes » : Papa, ne vois-tu pas le roi des Aulnes ?, puis : Mon père ! mon père ! il me saisit, il m'a blessé, le roi des Aulnes !

(12) Les ruisseaux : Tu t'y baigneras avec de petites filles, qui t'enlaceront de leurs bras (41: 19). « Le roi des aulnes » : mes filles t'attendent déjà : elles dansent la nuit, mes filles; elles te caresseront, joueront et chanteront pour toi. / — Mon père, mon père, ne vois-tu pas les filles du roi des Aulnes...

(13) Tu me parles si doucement, de crainte de te faire entendre (41: 28). « Le roi des aulnes » (strophe 4) : Mon père, mon père, entends-tu ce que le roi des Aulnes me promet tout bas ? « Tout bas » se trouve également dans la traduction de Blaze.

      L'adverbe « doucement » vient dans la traduction de Jacques Porchat chez Hachette : « Mon père, mon père, et tu n'entends pas ce que le roi des aunes doucement me promet ? », mais cela paraît une rencontre fortuite, car c'est l'idée de murmure secret, tout bas, qui importe, glosée en plus par la crainte de se faire entendre.

(14) C'est sur cette réplique ou cet alinéa que Liliane Durand-Dessert construit son hypothèse : « Une source de Lautréamont : Cyrano de Bergerac » (Cahiers Lautréamont, nos 27-28 (1993), p. 99- 109). Une voiture de neige conduit au soleil, on a caché dans la lune un cerf-volant et il est question d'oiseaux. Voilà trois « motifs » qui paraissent évoquer les oeuvres de Cyrano. Comme on va le voir, il n'en est rien. Mais là-dessus, L. Durand-Dessert, accumule près d'une cinquantaine de cooccurrences qui feraient de notre Isidore Ducasse un lecteur de Cyrano et de son oeuvre une source des Chants. Or, cent ou mille cooccurrences ne prouveront jamais qu'une oeuvre est la source d'une autre, c'est impossible. Les cooccurrences consistent à trouver, par exemple, deux mots dans une phrase ou un fragment du texte A qu'on trouve aussi dans le texte B. Cela ne prouvera jamais que le texte A est la source du texte B (autrement, le Père Goriot ou À la rcherche du temps perdu serait une source des Chants !). Or, une grande majorité des cooccurrences proposées ne sont même pas des vocables, mais des motifs ou des idées, comme c'est le cas de l'alinéa en cause ici. Il s'agit là de rencontres, de rencontres fortuites, qui n'ont aucun rapport avec une source. Avant que ces « rencontres » puissent être simplement prises en considération, il faut d'abord faire la preuve que le texte A est la source du texte B, ce qui implique des citations textuelles incontestables, comme c'est le cas entre « Le roi des Aulnes » et la présente strophe 1.11. Bref, l'article de L. Durand-Dessert fait tout simplement la preuve qu'Isidore Ducasse ne connaissait pas les oeuvres du grand libertin, qui ne présentent d'ailleurs aucun rapport de quelque ordre que ce soit avec les Chants de Maldoror, c'est le moins que l'on puisse dire ! En revanche, le rapprochement entre l'alinéa en cause ici et l'oeuvre de Cyrano de Bergerac est très intéressant, car il montre que les sources des romans fantastiques de Cyrano (qui préfigurent la science-fiction) ne sont pas toutes livresques (dont l'Homme dans la lune de Gonzales), mais qu'elles viennent tout bonnement du conte merveilleux.

      Il faudrait donc pouvoir identifier les trois motifs évoqués ici : l'oiseau qui ne se pose (?) jamais, la voiture de neige qui transporte au soleil et le cerf-volant caché dans la lune. On peut reconnaître au moins le Soleil dans la soeur-soleil (féminin dans les langues slaves) du recueil d'Affanasiev (c'est le premier conte analysé par Vladimir Propp, n. (7)). Je signale que la « voiture de neige » désigne en français, au XIXe siècle, ce qu'on appelait alors et qu'on appelle encore au Québec, la carriole; il s'agit d'une voiture montée sur skis ou sur patins; le Père Noël nous arrive toujours chaque année avec la même voiture traînée par ses rennes, dans les airs ! Nous sommes bien dans l'univers du conte merveilleux.

(15) La voix de Maldoror se fait de plus en plus menaçante (42: 17, 25; 43: 4). « Le roi des aulnes » (strophe 7) : viens avec moi de bonne volonté, ou de force je t'entraîne.

(16) Mauvais esprit : voir plus loin, n. (19).

(17) Mère, il m'étrangle... Père, secourez-moi !... (43: 8). « Le roi des aulnes » : Mon père ! mon père ! il me saisit, il m'a blessé, le roi des Aulnes !

(18) Son coeur ne bat plus... Et celle-ci est morte (43: 14). Les tenant chacun dans un bras, v. (107). « Le roi des aulnes » : L'enfant était mort dans ses bras.

(19) Le mauvais esprit (16) et maintenant les esprit infernaux constituent le seul indice lexical, ténu, que Ducasse s'inspire du Faust de Goethe. L'expression ne vient pas dans « Le roi des aulnes », tandis que le Manfred de Byron n'inspire pas le portrait de Maldoror ici, tout comme le Satan de Milton est en retrait.


4. Faurissonneries

      Sur deux pages (p. 68-69), en une soixantaine de lignes, Robert Faurisson aligne pas moins de 30 lignes de citation. Des citations de plus en plus longues, marquées de points d'exclamation. Il faut dire que, pour lui, la strophe est mémorable de « niaiserie prudhommesque », trait qui tient pour l'essentiel au « caractère bouffon de toute la scène », et pour deux raisons : d'abord par la nature « bêtifiante » des propos et propositions du tentateur, ensuite par le ton mièvre des répliques des trois autres personnages. À tel point que le tout atteint pour lui des « proportions désopilantes ».

      Évidemment, n'importe quel texte dramatique peut être ainsi ridiculisé à bon compte. Il suffit pour cela, disons-le simplement, de le réécrire bêtement. Vous prenez le Faust de Goethe ou son « Roi des aulnes » et vous lui appliquez la médecine de Robert Faurisson. C'est très facile. Mais ce c'est certes pas le moyen approprié de passer pour un critique avisé aux yeux de ceux qui ne verront pas dans le drame sa « niaiserie prudhommesque » présupposée dont vous décidez de vous moquer...

      Le moins que l'on puisse dire est que le critique n'est pas très sensible au projet poétique de l'auteur qui consiste à recréer la féérie de l'enfance sur le mode dramatique. Double féérie imaginée sur le modèle de Goethe, et celle des tentations venues des contes de féées, et celle du bonheur familial venu lui non pas de la « Bibliothèque rose » mais de l'idéal bourgeois (celui en particulier du roman social tel qu'on le verra développé au Chant 6).

      Le sens même de la strophe se trouve ridiculisé en trois phrases d'une rare insensibilité au projet d'Isidore Ducasse : « Le bonheur de cette famille l'irrite fort [Maldoror] et lui cause un épouvantable chagrin. Soyez sûr qu'il y mettra un terme. Il ne se gènera pas, allez » (p. 68-69). Ce passage de l'analyse de Robert Faurisson est pour moi d'une grande vulgarité, puisqu'il fausse à plaisir le sens même de l'action qui n'est pas univoque. D'où procède le mal ? Le narrateur ne le sait pas, le père en présente plusieurs hypothèses et Maldoror le suppose gratuit parce qu'en lui, ne procédant pas des esprits.

      Si le critique se plaît à citer pas moins de trois fois la coquille « aurore de vie », il réussit à déformer la figure poétique des aigles foudroyés par la colonne d'air qu'a créée le cri d'ironie de Maldoror. Il s'agit là pour notre critique de « curieux effets physiques ».

Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
Tables du début de la présente strophe