On trouve toujours les bibliographies à
leur place, à la toute fin des articles ou des livres,
notamment en ce qui concerne les études sur le sujet en
question. Or, le sujet du présent chapitre ne se trouve
encore traité nulle part. Il s'agit de l'objet discursif
qu'on désigne au Moyen Âge sous le nom de
songe.
Le mieux est donc de commencer la démonstration en montrant
que même les spécialistes présentent souvent la
chose sans s'occuper du mot qui la désigne, voire même
parfois de ceux qui réalisent cet objet matériel,
soit
une structure discursive (textuelle ou plus rarement picturale).
On
sait que le rêve n'existe pas, même pour un neurologue,
autrement que dans un « rappel » : c'est
le récit de rêve. Alors il est évident qu'il
en
est de même, à plus forte raison, du songe et
particulièrement du songe médiéval en France,
qu'il ait été rédigé en latin ou en
français (car on s'en tiendra ici à ses
réalisations linguistiques). Certes, les historiens peuvent
bien s'intéresser aux « discours sur la
chose », ce sont des théories qui viennent des
Grecs, des Romains ou des pères de l'Église,
inlassablement reprises et développées tout au long
du
Moyen Âge; mais on s'éloigne ainsi de la
réalité, la réalité matérielle
du
songe, puisqu'on l'étudie alors au second degré.
D'ailleurs, ces études, intéressantes et
passionnantes,
sont fascinantes en ce qu'elles affabulent un objet
inexistant :
le « rêve » au Moyen Âge.
Pour réaliser cette bibliographie des
études et particulièrement des études
littéraires sur le songe en France au Moyen Âge, j'ai
simplement dépouillé celles des trois ouvrages
suivants : la thèse d'Herman Braet (1975, cf. bg. 30), le recueil d'Alain Corbellari
(bibliographie établie avec la collaboration de Yasmina
Foehr-Janssens,
Jean-Yves Tilliette et René Wetzel, 2007, bg. 9 [13]) et enfin les thèses de
Mireille Demaules (1985 et 2008, parue en 2010, bg. 69, 78 et 79). J'ai
complété
ce dépouillement à l'occasion de ma lecture de ces
livres et de ces articles. Cela dit, ces bibliographies ne sont
pas
remplacées par mon dépouillement, d'abord parce qu'il
est restrictif (je m'en tiens aux ouvrages sur le songe
médiéval en France), ensuite parce qu'il
n'était
pas nécessaire pour mon analyse de consulter
systématiquement les ouvrages sur les auteurs ou les oeuvres
présentant des songes, à la recherche des
exposés fragmentaires qu'on pouvait y trouver à leur
sujet. — J'espère que mes lecteurs ou leurs auteurs
voudront bien me les signaler.
L'objectif de cette bibliographie,
contrairement
à celles qui viennent d'être
énumérées, n'est pas synthétique, mais
analytique : il suffit de répartir les études
en
fonction des genres auxquels elles se sont appliquées pour
en
dégager un panorama des corpus des songes
médiévaux. Mais on comprendra aussi que ce
classement
n'est nullement logique ni même rigoureux, puisque sa
fonction
n'est pas de classer les études, mais leurs corpus, pour
parvenir à ce panorama, de sorte que l'analyse est
déjà commencée avec la simple
énumération des sections de la bibliographie,
d'autant
que l'une d'entre elle, la section 4, est vide, tandis que
d'autres sont malheureusement bien peu garnies.
On ne fera pas une synthèse de ces
analyses littéraires et thématiques, mais
plutôt
un regroupement d'observations éparses propres à
caractériser le songe, car il s'agissait de trouver dans ces
travaux ce que leurs auteurs n'avaient aucune intention d'y mettre.
Dans l'ouvrage en cours ici sur RRR, nous avons montré qu'il
a fallu beaucoup de temps pour entreprendre l'étude
narrative
du rêve, alors même qu'on désignait depuis
toujours son rappel sous le nom de « récit
de rêve ». Or, cette étude nous a conduits,
dans mon séminaire sur l'étude narrative (de 2008
à 2009) à faire ensuite tout le contraire, soit
l'étude narrative d'un objet qui n'est pas de soi narratif,
le songe, exactement comme on soumet aux études
littéraires (ce sont les diverses sciences de la
littérature, dont l'étude narrative) des objets non
littéraires, les relations de voyage en Nouvelle-France, par
exemple. Le songe, toutefois, occupe une place importante dans la
littérature médiévale et on rencontrera de
nombreux songes d'une grande valeur artistique. Il suit qu'on ne
reprochera pas aux médiévistes ni même aux
spécialistes du songes au Moyen Âge de n'avoir pas
encore réalisé ce qu'on va entreprendre maintenant,
soit l'étude narrative d'un objet non narratif : on
n'a
aucun mérite à être aussi original !
— Mais c'est aussi ce qu'on appelle faire une
découverte, voir tout à coup ce que personne n'avait
encore vu précisément parce que c'était trop
évident. C'est le syndrome de « La lettre
volée ».
D'ailleurs, si l'on se reporte à la
bibliographie de travail,
on verra qu'il ne s'y trouve aucune étude narrative portant
sur le songe (médiéval), tandis qu'on ne trouve ici
que
l'article de Jean-Daniel Gollut (bg. 9 [3])
pour appliquer quelques concepts de l'étude narrative
à
l'analyse littéraire du songe. — L'hypothèse
qu'on démontrera vraie s'impose déjà par le
non-lieu
de facto des études narratives du songe :
contrairement au rêve, le songe n'est pas une histoire.
Bach, Valérie, les Clefs des songes
médiévales (XIII-XVe siècles), les Presses
de l'Université de Strasbourg, 2007, 336 p. [1
Fischer, Steven R., the Complete Medieval
Dreambook
: a multilingual, alphabetical « Somnia
Danielis » collation, Berne-Francfort, Peter Lang,
1982. [2
——, « Dreambooks and the
interpretations of medieval literary dreams », Archiv
für kulturgeschichte, vol. 65, no 1, 1983,
p. 1-20. [3
Kruger, Stephen F., Dreaming in the Middle
Ages, Cambridge University Press, 1992, 254 p. [4
Le Goff, Jacques, « Les rêves dans
la culture et la psychologie collective de l'Occident
médiéval », Scolies, no 1,
1971,
repris dans Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard,
1977, p. 299-306. [5
——, « Le christianisme et les
rêves (IIe-VIIe siècles) », i Sogni nel
Medioevo (cf. bg. 10 [9]), 1985,
rééd. dans l'Imaginaire
médiéval,
Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des
histoires »), 1985, p. 265-316. [6
Le Goff, Jacques, et Jean-Claude Schmitt,
Dictionnaire raisonné de l'Occident
médiéval, art.
« Rêve »,
Paris, Fayard, 1999, p. 950-968. [7
Lynch, Kathryn Leona, the High Medieval Dream
Vision : poetry, philosophy, and Literary form, Stanford
University Press, 1988. [8
Corbellari, Alain, et Jean-Yves Tilliette, le
Rêve médiéval, Genève, Droz, 2007,
258 p. [9
[1] Alain Corbellari et Jean-Yves Tilliette,
« Introduction », p. 7-9; [2] Jean-Yves
Tilliette, « Belles-lettres et mauvais rêves :
de quelques cauchemars monastiques des Xe et XIe
siècles », p. 11-36; [3] Jean-Daniel Gollut,
« Songes de la littérature épique et
romanesque en ancien français : aspects de la
narration », p. 37-52; [4] Alain Corbellari,
« Pour une étude générique et
synthétique du récit de rêve dans la
littérature française
médiévale », p. 53-71; [5] Claudine
Korall, « Le second sens d'un récit :
méthodologie et cas d'étude dans la Quête du
Saint-Graal », p. 73-90; [6] René Wetzel,
« La vie, un rêve ? songe trompeur et vie
vaine
dans la littérature allemande du XIIIe
siècle », p. 91-109; [7] Yasmina
Foehr-Janssens,
« Songes creux et insomnies dans les
récits médiévaux (fabliaux, dits,
exempla) », p. 111-136; [8] Francesca Braida,
« L'invention iconographique du conte de l'arbre de
Jessé », p. 137-171; [9] Hélène
Bellon-Méguelle, « Entre prédiction et
résurgence : le rêve oraculaire d'Alexandre au
Temble de Mars dans les Voeux du paon de Jacques de
Longuyon », p. 173-191; [10] Virginie Minet-Mahy,
« Le songe : de la mort de l'auteur à la
naissance
du lecteur », p. 193-220; [11] Marina Abramava,
« Songe-mensonge et songe-parodie dans le roman de Joanot
Martorell, Tirant lo Blanc », p. 221-231;
[12]
Jean-Claude Schmitt, « Postface : du moi du
rêve au je du récit et de l'image »,
p. 233-242. [13] Bibliographie, p. 243-250. Index des
auteurs et des oeuvres anonymes.
Gregory, Tullio, éd., i Sogni nel
Medioevo, Rome, Edizioni dell'Ateno, 1985, 358 p. [10
[1] Tullio Gregory, « Presentazione »,
p. vii; [2] Ignazio Baldelli, « Visione,
immaginazione e fantasia nella Vita nuova »,
p. 1-10; [3] Herman Braet, « Rêve,
réalité, écriture : du
référentiel
à la sui-référence », p. 11-24;
[4] A. Bausani, « I sogni nell'Islam »,
p. 25-36; [5] Gilbert Dagron, « Rêver de Dieu
et parler de soi : le rêve et son interprétation
d'après les sources byzantines », p. 37-56;
[6]
Peter Dinzelbacher, « Korpeliche und seelische
Vobedingungen religioser traume und visionen »,
p. 57-87;
[7] Tullio Gregory, « I sogni e gli astri »,
p. 111-148; [8] Giulio Guidorizzi,
« L'interpretazione
dei sogni nel mondo tardoantico : oralita e
scrittura », p. 149-170; [9] Jacques Le Goff,
« Le christianisme et les rêves (II-VIIe
siècles) », p. 171-218; [10] Raoul Manselli,
« Il sogno come premonizione, consiglio e predizione
nella
tradizione medioevale », p. 219-244; [11] Christiane
Marchello-Nizia, « La rhétorique des songes et le
songe comme rhétorique dans la littérature
française médiévale »,
p. 245-260;
[12] Franco Michelini Tocci, « Teoria e
interpretazione dei sogni nella cultura ebraica
medievale », p. 261-290; [13] Jean-Claude Schmitt,
« Rêver ai XIIe siècle »,
p. 291-316; [14] Klaus Speckenbach, « Form, Funktion
und Bedeutung der Traume im Lancelot-Gral-Zyklus »,
p. 317-355.
Bloch, Ralph Howard, A study of the dream
motif
in the old french narrative, thèse de doctorat de
Stanford, 1970. [11
Bodenham, Charles Henry L., « The
nature
of the dream in late mediaeval french literature »,
Medium AEvum, no 54, 1985, p. 74-86. [12
Braet, Herman, « Rêve,
réalité, écriture : du
référentiel
à la sui-référence », i Sogni nel
Medioevo (cf. bg. 10 [3]), 1985.
[13
Carruthers, Léo, éditeur,
Rêves et prophéties au Moyen Âge, Paris,
Publications de l'AMAES, no 22, 1998. [14
Lanzoni, Francesco, « Il sogno presago
della madre incinta nella litteratura medievale e
antica »,
Analecta Bollandiana, no 45, 1927, p. 225-261.
[15
Marchello-Nizia, Christiane, « La
rhétorique des songes et le songe comme rhétorique
dans
la littérature française
médiévale », i Sogni nel Medioevo
(cf.
bg. 10 [11]), 1985. [16
Perrus, Claude (Mme), éd.,
« Rêves et récits de rêve au Moyen
Âge », Arzana (Cahiers de littérature
italienne), Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1977, 177 p.
L'ouvrage porte sur le songe médiéval en Italie.
[17
Quillet, Jeannine, « Le
songe »,
Culture et travail intellectuel dans l'Occident
médiéval, rapport du IXe colloque d'humanisme
médiéval, 1973, édition de Geneviève
Hasenohr et Jean Longère, Paris, CNRS, 1981, p. 82-93.
[18
Schmitt, Jean-Claude, « The liminality
and
centrality of dreams in the Medieval West », Dream,
Cultures : Explorations in the Comparative History of
Dreaming, éd. de David Shulman et Guy G. Stroumsa,
Oxford
Universty Press, 1999, p. 274-287, repris sous le titre
« Le sujet du rêve » dans son recueil
le
Corps, les rites, les rêves, le temps : essais
d'anthropologie médiévale, Paris, Gallimard
(coll.
« Bibliothèque des histoires »), 2001,
p. 295-315. [19
——, « Récits et
images
de rêves au Moyen Âge », Ethnologie
française, vol. 33, no 4 (oct.-déc.
2003), p. 553-563. [20
Amat, Jacqueline, Songes et visions :
l'au-delà
dans la littérature latine tardive, Paris,
Études augustiniennes, 1983. [21
Carozzi, Claude, le Voyage de l'âme
dans
l'au-delà d'après la littérature latine
(V-XIIIe
siècles), Rome, École française, 1994.
[22
Crespo, Roberto, « Sogni e digiuni nel
ms.
lat. 7486 della Bibliothèque Nationale di
Parigi »,
Mélanges de linguistique, de littérature et de
philologie médiévales offerts à J. R.
Smeets, Leiden, 1982, p. 65-72. [23
Moreira, Isabel, Dreams, visions, and
spiritual
authority in Merovingian Gaul, Ithaca, Cornell University
Press,
2000, XIV-262 p., notamment mais non exclusivement
« Visions and the hagiographer in Merovingian
Sources », p. 173-197. [24
Schmitt, Jean-Claude, « Rêver au
XIIe siècle », i Sogni nel Medioevo (cf. bg. 10 [13]), 1985, repris sous le titre
« Les rêves de Guibert de Nogent », le
Corps, les rites... (cf. bg. 19),
2001,
p. 263-294. [25
Tilliette, Jean-Yves, « Belles-lettres
et
mauvais rêves : de quelques cauchemars monastiques des
Xe
et XIe siècles », le Rêve
médiéval (cf. bg. 9 [2]),
2007. [26
Curieusement, je n'ai encore trouvé
aucune étude d'ensemble sur les songes de l'hagiographie
médiévale, dans les vies de saints et la
littérature dévote proprement dite, dans la
Légende dorée par exemple. Dans ce dernier cas,
est-ce que les études en italien m'auraient
échappé ?
Braet, Herman, « Le second rêve
de
Charlemagne dans la Chanson de Roland »,
Romanica
Gandensia : études de philologie romane,
no 12,
1969, p. 5-19. [27
——, « Le songe de l'arbre
chez
Wace, Benoît et Aimon de Varennes »,
Romania,
1970, vol. 91, p. 255-267. [28
——, « Réflexions
sur
les rêves dans les chansons de geste », le Moyen
Âge, no 77, 1971, p. 405-416. [29
——, « Le brohun de
la
Chanson de Roland », Zeitschrift für
romanische philologie, no 89, 1973, p. 97-102. [30
——, le Songe dans la chanson de
geste
au XIIe siècle, Université de Gent (coll.
« Romanica Gandensia », no 15), 1975,
252 p. [31
Cantera Ortiz de Urbina, Jesus, et Margarita
Cantera
Montenegro, « Sueños y apariciones a
Carlomagno », Homenaje a Alvaro Galmés de
Fuentes, vol. 1, Oviedo-Madrid, Universidad-Edit. Gredos,
1985, p. 395-408. [32
Krappe, Alexander Haggerty, « The
dreams
of Charlemagne in the Chanson de Roland »,
Papers
of Modern Language Association, no 36, 1921,
p. 134-141. [33
——, « Le songe de la
mère de Guillaume le Conquérant »,
Zeitschrift für französische sprache und
literatur,
no 61, 1937, p. 198-204. [34
Labbé, Alain, « Les Jeux
d'Orange : matériau onirique et illusion magique dans
les Enfances Guillaumes », Senefiance,
« Magie et illusion au Moyen Âge »,
no 42, 1999, p. 269-291. [35
Lepage, Yvan G., « Bestiaire des
songes
médiévaux », le Récit de
rêve, éd. de Christian Vandendorpe, Québec,
Nota Bene, 2005, p. 75-97. [36a
L'analyse porte pour l'essentiel sur la
chanson
de geste (63% des oeuvres étudiées), même si
cela
n'est pas explicite, quelques romans se mêlant
aléatoirement au corpus, dont la Queste del Saint
Graal, puis surtout le Lancelot du Lac (éd.
Elspeth
Kennedy) qui compte à lui seul pour quatre oeuvres ! Le
corpus de l'article est toutefois soigneusement décrit en
appendice, soit des songes d'oeuvres qui mettent en scène
des
« animaux » (30 oeuvres, ou plutôt 27,
sur
55 examinées, dont 17 chansons de geste).
L'auteur dit bien que son corpus est incomplet
(p. 77) et on voit qu'il dépend à ce moment de
Reves.ca, dont il est alors responsable pour la période du
Moyen Âge :
——, avec la collaboration de
Jennifer
Dionne, édition de songes médiévaux sur le
site
« Reves.ca », sous la direction de Christian
Vandendorpe, 2001-2005 (le chercheur Y. G. Lepage est
décédé en 2005). — http://www.reves.ca. [36b
Si de nombreuses traductions sont de Y. G.
Lepage et de J. Dionne, dans le cas du premier tome du Livre du
Graal (soit 22 textes, le quart du corpus), on a tout
simplement
recopié l'édition et la traduction de Gallimard
(le
Livre du Graal, « Joseph d'Arimathie »,
édition et traduction de Gérard Gros, Paris,
Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la
pléiade », vol. 1, 2001), mais en confondant
parfois des visions et des songes (comme le cas est patent pour la
double vision d'Ewalac, au début du roman, p. 53-54,
interprétée p. 161-163). Cela ne saurait
être le fait d'Y. G. Lepage : les numéros
d'entrée de ces fiches, nos 1361 et suiv., viennent
bien
après son travail, dont les entrées ne
dépassent
pas le no 650 — la fabuleuse entrée no 1017
étant déjà l'oeuvre d'un assistant de
recherche
qui n'a pas été supervisé (par Y. G.
Lepage).
Pour afficher la liste des
« rêves » qui nous occupent ici, il faut
remplir le formulaire de recherche en choisissant l'époque
« Moyen Âge » et le pays
« France ». On a alors le tableau des cent
(100)
songes de la banque. Pour accéder aux diverses
« fiches » et garder le tableau du corpus
actif,
vous devez cliquer avec le bouton droit (et non le gauche) de votre
souris sur la case « lire » et demander
d'ouvrir
le texte dans une nouvelle fenêtre (sinon vous devrez remplir
à nouveau le formulaire, puisque l'ordre des fiche est
arbitraire, de sorte que la « fiche suivante »
n'a évidemment aucun sens — sauf dans les quelques cas
où un groupe de rêves d'un auteur a été
enregistré d'un seul coup —, s'agissant de son
numéro d'entrée dans la banque ! et on se
demande
bien qui pourrait s'amuser à les lire dans cet ordre, ordre
pourtant sérieusement suggéré par la fameuse
« banque de données »). Vous ne pourrez
ni imprimer ni copier ce texte directement : pour le faire,
vous devez accéder à l'affichage du texte en code
source, le copier, puis le traiter avec votre système de
traitement de texte (bonne chance !). Bref, le site
« Reves.ca » n'a pas été
conçu pour la recherche, mais pour amuser les internautes de
passage. C'est un travail d'amateurs à l'intention du grand
public. Rien empêche toutefois de l'utiliser au mieux.
Or, non seulement le corpus des
« rêves » médiévaux sur
Reves.ca n'est pas justifié, c'est le moins qu'on puisse
dire
(nulle part vous ne trouverez ses règles
d'établissement), mais on se rend vite compte qu'il est
arbitraire : il a été réalisé
avec
la bibliographie de la thèse d'Herman Braet (bg. 31), de sorte que le corpus des songes
des
chansons de geste y est disproportionné,
surévalué ou surestimé
(surreprésenté, dirais-je très simplement,
si ce n'était un barbarisme). Alors que les vingt-deux
songes
pris tout aussi arbitrairement au Livre du Graal
achèvent d'en faire un corpus boiteux.
Lerch, Eugen, « Le verrat de la
Chanson de Roland : une correction inutile »,
Romania, no 64, p. 398-405. [37
Menegaldo, Silvère,
« Parenthèse narrative et onirique : mise en
scène du récit bref dans le Chevalier à
l'épée », Études
médiévales, no 3, 2001, p. 248-257.
[38
Ott, Muriel, « Les songes d'Aymeri
dans
la Mort Aymeri de Narbonne », Mélanges
de
langue et de littérature françaises du Moyen
Âge
offerts à Pierre Demarolle, éd. de Charles
Brucker,
Paris, Champion, 1998, p. 241-262. [39
Owen, David Douglas Roy,
« Charlemagne's
dreams, Baligant and Turoldus », Zeitschrift für
romanische philologie, no 87, 1971, p. 197-208.
[40
Richthofen, Erich von, « Las visiones
del
lebrel en la Cancion de Rolando y el Infierno de
Dante I, 101ss », Nuevos Estudios epicos,
Madrid, Gredos, 1970, p. 103-109. [41
Ruiz-Doménec, José Enrique,
« Los sueños de Carlomagno : una
interpretation », Actes du Congrès
international
Rencesvals de Barcelone (1988), Barcelone, Memorias de la Real
Academia de Buenas Letras, 1990, p. 207-217. [42
Semple, Benjamin M., « Recognizing
Roland : the responses of the medieval audience to the dreams
of Charlemagne in the Song of Roland », Dreams
in french literature : the persistent voice, éd. T.
Conner, Amsterdam, Rodopi, 1995, p. 27-45. [43
Van Emden, Wofgan, « Another look at
Charlemagne's dreams in the Chanson de Roland »,
French Studies, no 28, 1974, p. 257-271. [44
Whitehead, Frederick, « Les
rêves
symboliques de Charlemagne à la veille de la bataille de
Roncevaux », Bulletin bibliographique de la
Société Rencesvals, no 6, 1971,
p. 156-157. [45
——, « Charlemagne's second
dream », Olifant, no 3, 1976,
p. 189-195.
[46
Zink, Michel, « Joinville ne pleure
pas
mais il rêve », Poétique,
vol. 9,
no 1, ou no 33, 1978, p. 28-45. [47
Holloway, Julia Bolton, « "The dream
of
the rood" and liturgical drama », Drama in the Middle
Ages : comparative and critical essays, second
série,
éd. Clifford Davidson et John H. Stroupe, New York, AMS,
1990,
p. 24-42. [48
Poésie romanesque : du Roman de la
rose (Guillaume de Lorris et Jean de Meung), 1230-1280, au
Mont Saint-Michel de Guillaume de Déguilleville,
1330.
Autrement, les poètes rapportent-ils leurs songes ? Ne
font-ils pas qu'en parler, généralement pour s'en
plaindre ? — On ne confondra pas, en effet, le
thème du songe et le discours herméneutique qu'on
désigne sous ce nom.
Badel, Pierre-Yves, « Songes et
apparitions », le Roman de la rose au XIVe
siècle : étude de la réception de
l'oeuvre, chapitre 4, Genève, Droz, 1980,
536 p., p. 331-409. [49
Demaules, Mireille, « Le roman de la
rose », la Corne et l'ivoire : étude sur le
récit de rêve dans la littérature romanesque
des
XIIe et XIIIe siècles, chapitre 7, Paris, Champion,
2010,
707 p., p. 511-604. [50
Jan, Fabienne, De la dorveille à la
merveille : l'imaginaire onirique dans les lais
féeriques
des XIIe et XIIIe siècles, Lausanne, Essais Archipel,
2007. [51
Marchello-Nizia, Christiane, « Entre
l'histoire et la poétique, le "songe politique" »,
Revue des sciences humaines (« Moyen Âge
flamboyant, XIVe-XVe siècles »), no 183,
1981,
p. 39-53. [52
Maupeu, Philippe, « La tentation
autobiographique dans le songe allégorique édifiant
de
Guillaume de Diguleville : le Pèlerinage de la vie
humaine », Songes et songeurs (XIIIe-XVIIIe
siècles), édition de Nathalie Dauvois et
Jean-Philippe
Grosperrin, Québec, Presses de l'Université
Laval, 2003, p. 49-68. [53
Minet-Mahy, Virginie,
« Le songe : de la mort de l'auteur à la
naissance
du lecteur », le
Rêve médiéval (cf. bg. 9 [10]), 2007. [53bis
Si le premier mot du titre est le songe, il ne
s'agit pas de son sujet, mais plutôt des textes à
l'étude, soit les oeuvres qui, à la suite du Roman
de la rose, prennent le songe comme cadre : Jean
Froissart, Evrart de Conty, Guillaume de Machaut, Georges
Chastelain, Christine de Pizan et Alain Chartier.
Newman, F. X., Somnium : medieval theories of
dreamings and the form of vision poetry, thèse de
doctorat, Princeton University, 1963. — L'ouvrage, que je
n'ai
pas consulté, est classé ici sur la foi de son titre.
[54
Nichols, Stephen G., « "Tel songe
songier" : dreaming and naming in le Roman de la
rose », "Ce est li fruis selonc la letre :
mélanges offerts à Charles Méla, Paris,
Champion, 2002, p. 493-510. [55
Spearing, Anthony Colin, Medieval
Dream-Poetry,
Cambridge University press, 1976. [56
Strubel, Armand, « Écriture du
songe et mise en oeuvre de la "senefiance" dans le Roman de la
rose de Guillaume de Lorris », Études sur
le
« Roman de la rose », édition de
Jean
Dufournet, Paris, Champion (coll.
« Unichamp »),
1984, p. 145-179. [57
Wright, T. D., « Le cadre du
rêve
dans le Roman de la rose », Chimères (a
journal of french and italian literature), no 15, 1982,
p. 43-53. [58
Braet, Herman, « Visio
amoris : Genèse et évolution d'un
thème
de la poésie provençale »,
Mélanges
d'histoire littéraire, de linguistique et de philologie
romanes offerts à Charles Rostaing, 1974, 2 vol.,
LXXII-1270 p., p. 89-99. [59
——, « Les amants dans la
forêt », Mélanges de langue et de
littérature offerts à Teruo Sato, Nagoya, 1974,
p. 1-7. [60
——, « Le rêve
d'amour
dans le roman courtois », Voices of conscience :
essays on Medieval and Modern French Literature (in memory of James
D. Powell and Rosemary Hodgins), éd. de Raymond J.
Cormier, Philadelphie, Temple University Press, 1977,
p. 107-118. [61
Carden, Sally Tartline, « "Forment
pensifz
ou lit me mis" : le songe dans le Livre du cuer d'amours
espris », les Lettres romanes, no 49,
1995,
p. 21-36. [62
Corbellari, Alain, « Onirisme et
bestialité : le roman de Guillaume de
Palerne », Neophilologus, vol. 86,
no 3, 2002, p. 353-362. [63
Dufournet, Jean, « Étude de
l'épisode du roi Marc dans la hutte des amants »,
l'Information littéraire, vol. 27, no 2,
1975, p. 79-87. [64
Jonin, Pierre, « Le songe d'Iseut dans
la
forêt du Morois », le Moyen Âge,
no 64, 1958, p. 103-113. [65
Schwartz, Deborah, « Guinglain and
Lancelot : the nightmares in le Bel
Inconnu »,
Arthuriana, vol. 12, no 2, 2002, p. 3-31.
[66
Bellon-Méguelle, Hélène,
« Entre prédiction et résurgence : le
rêve oraculaire d'Alexandre au Temble de Mars dans les
Voeux
du paon de Jacques de Longuyon », le Rêve
médiéval (cf. b. 9 [9]), 207.
[66bis
Connochie-Bourgne, Chantal, « Les
songes
animaliers dans le Lancelot en prose : du serpent, du
lion et du léopard », the Court
Reconvenes :
courtly literature across the disciplines (selected papers from the
ninth triennal congress of the International Courtly Literature
Society), University of British Columbia, Vancouver, 25-31
juillet 1998, éd. Barbara K. Altmann et Carleton W. Carroll,
London, Brewer, 2003, p. 307-315. [67
Demaules, Mireille, « Écriture
et
imaginaire du rêve dans le Lancelot en
prose », Médiévales, no 3,
1983, p. 18-27. [68
——, Forme et signification du
rêve dans la littérature romanesque des XIIe et XIIIe
siècles, thèse de doctorat, Paris, 1985. [69
——, « Chrétien de
Troyes ou l'épanchement du rêve dans la
fiction », Speculum Medii AEvi, no 3, 1997,
p. 21-37. [70
——, « Le songeur,
l'interprète et le songe dans le
Lancelot-Graal »,
Songes et songeurs (XIIIe-XVIIIe
siècles), édition de Nathalie Dauvois et
Jean-Philippe
Grosperrin, Québec, Presses de l'Université
Laval, 2003, p. 33-48. [71
——, « Forme et
signification
du songe dans la Queste del saint Graal »,
Literatures, no 50, 2004, p. 161-189. [72
——, « Le prophète
et
le glossateur : Merlin et l'interprétation des
rêves », Littératures, no 53,
2005, p. 107-122. [73
——, « Le miroir et la
soudure
immatérielle : l'exemple du songe dans le
Lancelot-Graal »,
Mouvances et jointures : du manuscrit
au texte médiéval, éd. de Milena
Mikhaïlova, Orléans, Paradigmes (coll.
« Medievalia »), 2006, p. 55-66. [74
——, « Du symbolisme du
pont
dans quelques rêves et visions », les Ponts au
Moyen Âge, éd. Danielle James-Raoul et Claude
Thomasset, Paris, Université Paris-Sorbonne, 2006,
p. 181-196. [75
——, « Songe, secret et
conversion : à propos du roi Label dans l'Estoire del
saint
Graal », Bulletin bibliographique de la
Société internationale arthurienne, vol. 59,
2007, p. 402-421. [76
——, « Le songe amoureux
dans
le Lancelot propre », Perspectives
médiévales, actes du colloque
« Sommeil,
songes et insomnie » de l'Université de Rennes,
28-29
septembre 2006, édition de Christine Ferlampin-Acher,
Élisabeth Gaucher et Denis Hüe, Société
de
langues et de littératures médiévales d'Oc et
d'Oïl, juillet 2008, p. 199-216. [77
——, Pour une poétique du
rêve médiéval : textes, idées,
problèmes, thèse inédite [première
version de l'ouvrage suivant], Paris, Sorbonne, 2008. [78
——, la Corne et l'ivoire :
étude sur le récit de rêve dans la
littérature romanesque des XIIe et XIIIe siècles,
Paris, Champion, 2010, 707 p. [79
« Cet ouvrage est la version
remaniée de la pièce principale de mon dossier
d'habilitation à diriger des recherches, soutenu en novembre
2008, à l'Université de Paris-IV Sorbonne »
(p. 9).
Greco, Gina L., Dream, vision, and
prophecy : sacred historiography in the « Estoire
del
saint Graal » and the « Estoire de
Merlin », thèse de doctorat, Princeton
University, « Dissertation Abstracts
international », no 53, 1992. [80
Gros, Gérard, « "Chil las ki de
ton
neveu naissoit" : étude sur le songe de Mordrain (Estoire
del Saint Graal, par. 288) », Perspectives
médiévales, actes du colloque
« Sommeil,
songes et insomnie » de l'Université de Rennes,
28-29
septembre 2006, édition de Christine Ferlampin-Acher,
Élisabeth Gaucher et Denis Hüe, Société
de
langues et de littératures médiévales d'Oc et
d'Oïl, juillet 2008, p. 269-292. [81
Joly, Jehanne, « Rêves
prémonitoires et fin du monde arthurien »,
Senefiance, no 33 (« Fin des temps et temps
de
la fin dans l'univers médiéval »), 1993,
p. 259-284. [82
Jonin, Pierre, « Un songe de Lancelot
dans
la Queste du Graal », Mélanges Rita
Lejeune, Gembloux, Duculot, 2 vol, 1969, vol. 2,
p. 1053-1061. [83
Korall, Claudine, « Le second sens
d'un
récit : méthodologie et cas d'étude dans
la Quête du Saint-Graal », le Rêve
médiéval (cf. no 9 [5]), 2007. [84
Moignet, Gérard, « La grammaire
des
songes dans la Queste del Saint Graal », Langue
française, no 40, 1978, p. 113-119. L'article
s'ouvre sur le dépouillement des neuf songes du roman.
[85
Southward, Elaine C., « Arthur's
dream », Speculum, vol. 18, 1943,
p. 249-251
(l'article ne porte pas sur le songe, mais sur le texte et ses
sources, les sources légendaires de Geoffroy et de Wace
à l'origine des romans arthuriens, à la suite de
l'article d'Arthur C. L. Brown, « Arthur's loss of Queen
and kingdom », Speculum, vol. 15, 1940,
p. 3-11). [86
Speckenbach, Klaus, « Form, Funktion
und
Bedeutung der Traume im Lancelot-Gral-Zyklus », i
Sogni
nel Medioevo (cf. bg. 10 [14]), 1985.
[87
——, « Die
Galehot-Träume
im Prosa-Lancelot und ihre Rolle bei der
Zyklus-bildung »,
Wolfram-Studien, no 9, 1986,
p. 119-133. [88
Stanesco, Michel, « "Entre someillant
et
esveillé" : un jeu d'errance du chevalier
médiéval », le Moyen Âge,
vol. 90 (4e série, tome 39), nos 3-4, 1984,
p. 401-431 (comme le titre l'indique, l'auteur étudie
la
« dorveille » du chevalier). [89
Williams, Andrea M. L., « Dreams and
visions in the Perlesvaux », Arthurian Studies
in honour of P. J. C. Field, éd. Bonnie Wheeller,
Londres,
Brewer, 2004, p. 73-80. [90
Zink, Michel, « Le rêve
avéré : la mort de Cahus et la langueur d'Arthur du
Perlesvaus à Fouke le fitz Waryn »,
Littératures, nos 9-10
(« Mélanges René Fromihague »),
1984, p. 31-38. [91
Corbellari, Alain, « Rêves et
fabliaux : un autre aspect de la ruse
féminine », Reinardus, no 15, 2002,
p. 53-62. [92
——, « "Un rous
peliçon
dont les geules estoient d'os" : les rêves dans le
Roman de Renart », « Qui tant savoit
d'engin et d'art » : mélanges de philologie
médiévale offerts à Gabriel Bianciotto,
Poitiers, Publications du CESCM, 2006, p. 115-122. [93
Foehr-Janssens, Yasmina, « "Contes et
songes de bonnes femmes" : les fabliaux et l'insignifiance des
rêves », "Ce est li fruis selonc la letre :
mélanges offerts à Charles Méla, Paris,
Champion, 2002, p. 305-322. [94
——, « Songes creux et
insomnies dans les récits médiévaux (fabliaux,
dits, exempla) », le Rêve
médiéval (cf. no 9 [7]), 2007. [95
La première chose qui surprend dans
cette
bibliographie est l'emploi du mot
« rêve »
dans le titre de nombreuses études en français. Non
seulement le mot ne traduit pas correctement le vocable
songe
(songer, songier, songeur, etc.), mais
crée un inutile anachronisme, puisque la
réalité
moderne du rêve ne se trouve pas au Moyen Âge. Il faut
dire que l'exemple vient de haut, des maîtres d'école,
puisque le petit Dictionnaire de l'ancien français
d'A.
J. Greimas (Paris, Larousse, 1969) traduit (!) songe d'un
mot,
« rêve », alors que le mot vedette
n'avait
évidemment pas besoin de traduction, comme on ne la trouvait
pas dans le manuel précédent (le Dictionnaire
d'ancien français de R. Grandsaignes d'Hauterive, Paris,
Larousse, 1947). Bref, le mot ne peut se traduire sans
incongruité, précisément parce qu'il
désigne en français moderne une réalité
médiévale. C'est, dans la traduction, « en
ancien français dans le texte ».
Si le mot rêve se trouve souvent
dans les traductions à l'annonce, à l'ouverture ou
à la fermeture du texte des songes, on peut y voir une
édulcoration des traducteurs qui ne porte pas à
conséquence pour la compréhension du texte, mais tel
n'est pas le cas d'une étude sur le songe
médiéval ou tel songe de l'époque. On commet
alors deux fautes réciproques importantes. La
première
est le fait de la « traduction », puisqu'on
transforme un concept ancien en une réalité moderne
différente (de sorte qu'il ne s'agit plus d'une traduction,
mais d'une adaptation, d'une modernisation). La seconde est de
présenter le songe comme l'ancêtre du rêve, sa
forme primitive, alors que tel n'est pas le cas non plus, bien au
contraire (et c'est déjà exprimée la
conclusion
du présent chapitre). Plusieurs des études qui
portent
correctement le mot songe en leur titre emploient
indifféremment les mots songe et rêve
comme synonymes tout au long de leur développement,
absolument, de sorte que le songe n'est même pas
considéré comme le « rêve
médiéval ». Par ailleurs, si quelques
auteurs emploient toujours le mot songe, très
correctement, je ne trouve que J.-C. Schmitt à
présenter clairement le fait que le songe et le rêve
correspondent à des réalités discursives
différentes et que cela se trouve exprimé
nommément par la lexicologie française qui oppose le
songe et le rêve (bg. 20, p. 553, où l'historien
critique sans le voir le titre même de son article).
Puisque nous sommes en lexicologie, aussi bien
en profiter pour corriger une faute assez courante, la lecture
anachronique du dictionnaire de Furetière, dont les
entrées songe et rêve sont pourtant
aussi
claires que significatives. Avec Antoine Furetière, nous en
sommes encore au songe, bien entendu (car les dictionnaires
retardent
toujours de quelques décennies, voire d'un siècle).
L'entrée qui nous intéresse est
resve :
Resve. s. m. Songe. Ce mot est vieux, & ne se dit gueres
que
des songes des malades qui ont le cerveau altéré
[lapsus du DGLF : aliéné !, souvent
repris] ».
Non ! Furetière, fameux lexicologue, ne veut pas dire
que
le mot rêve est vieilli, puisque le concept n'existe
pas
encore dans le langage courant; il dit simplement que l'emploi du
mot
rêve au sens de « divagation »,
« délire », etc., pour désigner
le
songe ne s'emploie plus. C'est le sens
étymologique : vagus, *exvagus, *esver,
« vagabonder », « perdre le
sens » (ancien français desver),
« délirer ». Conclusion : un
demi-siècle
après Descartes, le mot (scientifique)
rêve n'est pas encore du domaine public. Il le sera
devenu avec l'Encyclopédie de Diderot, à la fin du
XVIIIe siècle, en 1765. Ce sera, en français
moderne,
avec plus d'un siècle de retard, la désignation d'une
nouvelle réalité. Et heureusement pour le
français, il n'est jamais trop tard pour bien faire, car
aucune autre langue européenne n'enregistrera la
différence entre le songe (le songe gréco-latin,
biblique, médiéval et classique, puis romantique) et
une toute autre réalité, le rêve. — Pour
un raisonnement inversé (qui frise parfois le cratylisme et
l'étymologie populaire), on lira avec profit l'étude
de Daniel Fabre : « Rêver : le mot, la
chose, l'histoire » (Terrain, carnets du patrimoine
ethnologique, no 26, mars 1996, p. 69-82), où
l'auteur remonte à contre-courant du français moderne
à l'ancien français, comme si resve,
resver, desver et endesver n'étaient
pas
des mots très courants du Moyen Âge (mais sans plus de
rapport que l'étymologie avec le mot rêve en
français moderne). Exemple : « Est-ce songes,
ou vos resvez ? / Qui dites que je sui desvez »
(Chrestien de Troyes, le Chevalier de la charrette,
v. 6343-6344, éd. Mario Roques, Paris, Champion,
« Les classiques français du Moyen
Âge », 1970, p. 193). Traduction :
« Est-ce que vous songez ou si vous
délirez ? » : ce délire du songe
est désigné en ancien français comme un
« rêve » et Furetière signale avec
raison que ce mot en ce sens au XVIIe siècle est vieilli,
rien
de plus. À remarquer que, contrairement à
songe, qui se traduit « songe » (ou, si
l'on veut, ne se traduit pas), rêve et ses
composés ne se traduisent jamais
« rêve ».
Après l'anachronisme
« rêve » dans les titres français,
on sera frappé d'un tout autre phénomène, soit
l'amalgame des songes et des visions, des prophéties, des
présages et autres phénomènes surnaturels ou
paranormaux. Autant le titre de l'ouvrage d'Isabel Moreira,
Dreams, visions, and spiritual authority in Merovingian Gaul
(bg. 24), correspond parfaitement bien
à son sujet, autant l'ambivalence de nombreux titres est
significative d'une ambiguïté
généralisée. Certes, puisqu'il le faut,
s'agissant d'étudier des songes, les auteurs distinguent les
trois phénomènes correspondant aux apparitions, aux
visions et aux songes, ceux-ci comprenant les apparitions, les
visions... en songe, ... dans le sommeil. C'est le cas, par
exemple,
de Jean-Claude Schmitt qui distingue soigneusement les visions des
songes (les « rêves ») de Guibert de
Nogent
(bg. 25). Mais ce qui nous
intéresse
ici, ce n'est pas tout à fait le phénomène
inverse (la confusion des apparitions, des visions et des songes),
mais plutôt le fait que les corpus des auteurs
présentent une vague
hétérogénéité, de sorte que
l'objet d'étude, les songes, n'étant plus
défini
avec rigueur, l'étude perd autant en pertinence. Un
raisonnement curieux voudrait qu'un personnage ait certainement eut
une vision en songe, mais que l'« auteur »,
tout
occupé de la vision ait négligé de le
préciser ! On est en plein roman et voilà qu'on
cherche des indices de ce qui a bien pu se passer
« en réalité » !
Le meilleur exemple s'en trouve dans l'une des
plus remarquables études littéraires sur le songe
médiéval, soit la thèse de Mireille Demaules,
la Corne et l'ivoire (2008, 2010, bg. 78
et 79), qui porte essentiellement sur les songes du roman
populaire dérivé du Roman de Perceval (ou le
Conte de Graal) de Chrestien de Troyes et de la Queste
del
Saint Graal. Son premier chapitre définit avec rigueur
l'objet d'étude : « Songe ou vision ?
Quels critères de distinction retenir ? »
(chapitre 1, section 1, p. 23-33). C'est d'abord
très clair. Il s'agit d'une « séquence
narrative » (sic), désignée comme un songe.
Elle constate aussi que la séquence se situe durant le
sommeil
du personnage endormi. Vient ensuite le problème des
apparitions ou visions, durant la nuit, lorsqu'il n'est pas dit si
le personnage dort ou s'il n'est pas clair qu'il n'est pas alors
éveillé ou réveillé. Et Mireille
Demaules de se lancer dans quelques fines analyses pour
décider de tel ou tel cas particulier où elle a le
« sentiment » qu'on a plutôt affaire
à un songe. Or, il s'agit d'établir le corpus de son
travail qui en devient problématique, comme on le voit
à sa bibliographie (« Liste des
songes »,
p. 619-635), qui accumule de nombreuses remarques restrictives
qui n'ont pas leur place dans un travail scientifique
(« Vision ou songe de Charlemagne »,
« Cas ambigu de vision ou de songe »,
« Apparition [...] il s'agit plutôt d'une vision
nocturne, il n'y a pas mention du sommeil », etc.). Ces
tergiversations sont tout à fait significatives de
l'ensemble
des travaux sur le songe médiéval, à tel point
qu'on finit par rencontrer l'inverse, soit le songe d'incubation
d'Alexandre au temple de Mars dans les Voeux du paon (vers
1312) de Jacques de Longuyon, une apparition en songe clairement
désignée qu'Hélène
Bellon-Méguelle
(bg, 9 [9], p. 186) trouve curieux de voir
présentée comme une « vision »,
ce
qu'elle est pourtant aussi à l'évidence — la
vision (ou l'avision) est ici une apparition dans le sommeil et
donc
en songe (mais il faut dire que la critique lit mal son texte
puisque
pour elle « Volontiers s'endormi, car matin se leva [=
s'était levé]. / En son sonme premier une vois
s'escrïa », cela signifie que le songe se fait au
petit matin, « nous sommes le matin dans le premier
sommeil
[sic] du dormeur », qu'il s'agit d'un « songe
matinal », d'où son hésitation, car avec ce
contresens on pourrait en effet imaginer Alexandre
réveillé après sa nuit de sommeil). Cela dit,
ces confusions et tergiversations sont doublement pertinentes,
très utiles pour notre travail.
N'importe quelle étude scientifique
doit
d'abord poser de manière simple et univoque la
délimitation des objets de son corpus, faute de quoi
l'analyse
n'a plus lieu, puisqu'on ne sait plus sur quoi elle porte. Pour
nous, un songe est un objet discursif déclaré tel,
explicitement (on annonce un songe, on présente un songe ou
on sort de songe) ou implicitement (on annonce, présente ou
sort d'une « avision » survenue dans le
sommeil,
marquée à tout le moins par la formule être
avis que, « il lui semblait / me semblait
que »). Autrement, il n'y a aucune discussion
possible : il ne s'agit pas d'un songe. Et, à la fin
de l'étude la conclusion devra être maintenue. En
effet, sur RRR, le corpus du rêve est établi de la
même manière : pour être retenu pour fin
d'étude, le rêve doit être déclaré
tel; or, il est vite apparu que le récit de rêve
était une forme d'histoire (l'histoire rêvée)
qui
avait des propriétés très nettes qui
permettaient de transcender le corpus. Dès lors, on peut
facilement montrer que de prétendus récits de
rêve (déclarés tels dans un roman, par le
patient
d'un psychologue ou n'importe quel soi-disant
« rêveur ») n'en est pas un — et
inversement, on trouve partout des récits de rêve qui
ne sont pas déclarés. Mais on ne pouvait parvenir
à cette conclusion en mettant n'importe quoi dans le corpus.
Le point de départ était la déclaration, la
fin
de l'analyse, la définition. Je peux le dire tout de
suite : tel ne sera pas, tel n'est pas le cas du songe. Il
n'existe pas de songe qui n'est pas déclaré comme
tel,
c'est impossible.
Il ne sera pas inutile de se
répéter, car c'est une toute simple question
méthodologique qui peut paraître surprenante (du moins
si j'en juge par le fourre-tout que constitue
« Reves.ca »). On établit un corpus
pour
en dégager les propriétés. Ce peut être
un corpus de sonnets (assez facile) ou de romans (pas mal plus
difficile). On commence par réunir les objets qui sont
déclarés tels, puis on en dégage les
propriétés, de sorte qu'on écartera ensuite
des
textes déclarés incorrectement comme des sonnets ou
des
romans, pour en adjoindre d'autres qui n'ont pas été
déclarés ainsi ou qui ont été
déclarés autrement. Or, cela devient une
propriété du songe : il doit
nécessairement être déclaré comme un
songe. Ce qui n'est évidemment pas le cas du roman, du
sonnet
ou du rêve.
Qu'elle soit explicite ou implicite, la
désignation songe devrait entraîner les divers
sens du vocable. Lancelot, isolé dans une tour, a bel et
bien
entendu une voix qui l'appelait : « Espoir, s'il
m'avenist an songe / cuidasse que ce fust
mançonge; / mes je voil, et por ce me
grieve... » (le Chevalier de la charrette,
v. 6555-6557, p. 199). S'il l'avait entendu en
songe, ce serait peut-être
(« espoir ») une illusion, une hallucination,
un
mensonge. Or, ce sens courant du
« mot »
ne correspond jamais à la « chose »
— sauf pour le cas significatif (exceptionnel) du songe
d'amour
où le « mensonge » du songe est
un
pur jeu discursif (tableau de l'action amoureuse). Il est clair
que
le songe est nimbé d'illusoire (selon le mot de
Gérard
Moignet) — et c'est ce qui fait toute la différence
entre l'apparition, la vision, et les autres
phénomènes
surnaturels, d'un côté, et l'apparition ou la vision
venue en songe de l'autre —, mais du même mouvement le
songe va lever ce soupçon d'illusion (ce sera, comme on le
verra, la forme minimale de l'interprétation). Bref, le sens
le plus ordinaire du vocable, songe/mensonge, ne s'appliquera pas
à l'objet textuel qu'il désigne pourtant par
définition. Le mot qui le désigne, qui le
définit et qui le produit ne dit rien de ce qu'il est.
Mais l'amalgame des analystes est aussi fort
pertinent à cause de la nature
« déclarative » du songe
médiéval. L'apparition et la vision diurnes sont
deux
phénomènes qui ne se distinguent pas nettement non
plus
(et si c'était notre sujet, je proposerais tout de suite la
notion d'apparition/vision, pour bien indiquer qu'on passe par
degrés de l'un à l'autre, sans qu'on puisse parler de
catégories), mais qui s'opposent radicalement au songe, pour
la bonne raison qu'il advient ou se produit dans le sommeil. En
revanche, une apparition ou une vision nocturne ne peut se
distinguer
du songe que si elle ne se produit pas dans le sommeil : il
faut que la personne ou le personnage soit éveillé ou
réveillé pour qu'une apparition ou une vision lui
advienne — ou du moins qu'il ne soit pas endormi (et
on
fera attention aux doubles négations jusqu'à la fin
de
cet alinéa). Suit un système bien
ordonné : apparitions et visions se produisent en
plein
jour pour l'esprit éveillé, alors que le songe ne s'y
produit jamais, par définition (sinon, ce serait la
songerie,
qui n'a pas besoin d'autres définitions). En revanche, la
nuit, apparitions ou visions viennent en songe, durant le sommeil,
si elles ne sont pas marquées autrement —
c'est-à-dire
qu'elle sont « non
marquées », comme on le dit en grammaire —,
puisque le songe, lui, doit être marqué. D'où
le fabuleux paradoxe qui surgit au coeur du corpus de Mireille
Demaules : il suffit qu'on décrive une apparition ou
une
vision la nuit sans qu'on précise si elle n'a pas lieu en
songe, voire même durant le sommeil, pour qu'on se trouve
devant un petit corpus original, celui des limbes de
l'extraordinaire
où le phénomène n'est
précisément
pas caractérisé et qu'on ne saurait pas même
désigner, s'agissant d'apparitions et de visions, c'est
incontestable, mais dont on ne saurait dire si elles ne sont pas
advenues en songe. Et il est significatif de voir des
spécialistes discuter du genre de l'affaire, comme du sexe
des
anges. On analyse donc trois catégories : apparition,
vision et manifestation (de l'extraordinaire), qui ne
relèvent
pas de notre sujet. En contrepartie, les songes que nous
étudions ici peuvent bien n'être que des apparitions
ou
des visions, ou encore en contenir. — Seul le songe doit
être déclaré comme tel.
Pour éditer le corpus,
l'opération
pourrait paraître fort simple. Il suffirait de mener le
travail scientifique décrit sur RRR : on trouve,
isole,
découpe le « texte » du songe (comme on
le fait sans peine du récit de rêve); on donne les
références de l'oeuvre (édition originale et
éditions critiques); on y situe le songe; et on
établit
la bibliographie des études portant spécifiquement
sur
le songe en question. Bref : édition, situation,
localisation, références et bibliographie. C'est
simple. On fait cela sur RRR depuis des années à
Montréal. Or, cela n'est pas possible. Un songe n'est pas
un rêve.
Une fois l'opération entreprise, on
rencontre vite de telles difficultés qu'on doit
s'arrêter. Dans le cas du rêve, on trouve bien parfois
des « interprétations » qu'on
éditera avec le récit de rêve ou qu'on
décrira dans sa mise en situation. Le songe, lui, n'a aucun
sens sans son « interprétation » et on
voit tout de suite que l'interprétation du songe n'a aucune
commune mesure avec celle du rêve. Et on ne travaillera pas
longtemps sans voir apparaître un problème
important : certains songes n'ont aucune
interprétation
textuelle (aucun fragment de texte n'en donne quelque
interprétation que ce soit), d'autres au contraire
s'accompagnent d'interprétations « qui n'en
finissent plus » (une interprétation de plusieurs
centaines de mots pour un songe de quelques dizaines à
peine),
alors que la contradictoire est encore plus impressionnante que son
contraire : c'est le petit songe, plus ou moins
développé, dont l'interprétation se trouve
modulée sur plusieurs centaines de pages, toute l'oeuvre
à venir, en plusieurs tomes, en plusieurs livres.
Contrairement au rêve, il n'existe pas
de
« récit de songe ». D'abord,
évidemment, on va l'étudier en long et en large,
parce
que le songe ne raconte pas nécessairement ni souvent une
histoire ou un fragment d'histoire (on n'en fait donc pas de
« récit »), mais ensuite et surtout
parce
que jamais le songe ne se réduit à une plage
textuelle correspondant strictement à l'objet qu'on veut
étudier — même lorsque cela est le cas : on
reviendra évidemment sur ce paradoxe dont l'illustration la
plus simple est
le songe d'Iseut où le
« texte » ne fait pas dix vers, alors que
l'« interprétation » comprend toute la
situation narrative qui s'est développée
jusque-là
et qui ne s'achèvera jamais, impliquant tout le
Roman de Tristan qui ne ne nous est pas parvenu en entier,
puisque nous n'en avons que des fragments.
On revient sur ce point à notre
bibliographie, au corpus de la thèse de Mireille Demaules.
On remarquera qu'il lui arrive de porter dans ses
« résumés » ou ses
« sommaires » des songes de son corpus les
interprétations qui les accompagnent. C'est le cas,
par exemple, des songes de la Vie de saint Thomas Becket de
Guernes de Pont-Sainte-Maxence, probablement parce que les
« interprétations » font corps avec les
« songes », l'ensemble formant une seule plage
textuelle. Mais elle ne le fait pas pour les songes de Joseph
d'Arimathie, alors que les interprétations sont souvent
séparées des songes et presque toujours beaucoup plus
longues, s'étirant sur des dizaines de pages. Tel est le
cas
du
second songe du roi Lebel retenu
dans notre anthologie. Elle écrit : « 10e
songe - Par. 336, p. 308 : Songe 3 [le second
songe du roi est en effet rappelé en troisième, dans
l'interprétation du suivant... le troisième] :
le
serpent et la colombe. Songe révélé par
Célidoine au cours de l'interprétation du songe
précédent [= suivant, dans la chronologie du roman].
Dans des landes incultes et désertiques se trouve un grand
serpent aveugle. Il vole jusqu'à la mer Rouge. Il y plonge
et ressort sous la forme d'une blanche colombe » (bg. 78, p. 629). La
référence correcte du dixième songe de
l'oeuvre
implique deux paragraphes, 336 et 337, qui se déroulent sur
trois pages (de 308 à 310). Et le songe ne se limite pas
aux
faits consignés dans ce sommaire, puisque le lecteur a
déjà deviné l'essentiel de ce que
l'interprète, le jeune Célidoine, va maintenant
expliquer avec des détails surprenants. Ce sermon, le
contexte immédiat, fait partie intégrante du songe,
qui
n'a aucun sens sans lui. Alors, qu'est-ce à dire ?
Que
Mireille Demaules traite les songes comme des récits de
rêve, des « récits de songe ».
Cela
dit, elle ne mérite pas d'être lapidée.
D'abord
parce qu'elle fait comme tous les médiévistes.
Ensuite
parce qu'elle n'est pas insensible à la question, comme le
montre le corpus qu'elle avait en quelque sorte rétabli
d'avance dans son article de 2003 (bg. 71,
n. 1 et 2), beaucoup plus rigoureux que celui qu'on trouve
aujourd'hui dans son livre, localisant les
« rêves » (sic) et leur
« interprétation »
(« élucidation », « fausse
interprétation », etc.). Il faut en effet poser
maintenant, tout de suite, que le songe est à ce point
inséparable de son interprétation qu'il la comprend
obligatoirement. Plus encore, il s'agit d'une de ses plus
importantes propriétés. Un rêve peut ou non
être « interprété », mais
dans tous les cas un récit de rêve et son
interprétation sont deux choses différentes,
même
lorsque l'interprétation en question est incluse dans le
récit (c'est le discours métanarratif du rêveur
en cours de narration). Il faut comprendre que
l'interprétation tient à l'essence du songe
médiéval, qu'il ne saurait exister sans elle. Il
suit
que si un songe n'a pas d'interprétation et si de plus on
n'arrive pas à l'interpréter — ce qui est
fréquent —, cela signifie qu'on n'a pas réussi
(encore) à la trouver, qu'on manque d'imagination, c'est
même qu'on manque d'intelligence. Le songe est un discours
herméneutique qui a ou appelle de lui-même son
interprétation, interprétation qui le définit,
qu'elle soit explicite, implicite ou absente.
La plus remarquable réalisation de
cette
propriété du songe se trouvera chez les romantiques,
au XIXe siècle, qui produiront un discours
« herméneutique hermétique ».
Soit
le « Discours du Christ mort » et son doublet,
« Le songe dans le songe » (le songe de la
Vierge), qu'on trouve au centre de Siebenkäs de
Jean-Paul
[Richter] (1818, édition et traduction française de
P.
Jalabert, Paris, Aubier, 1963, 2 vol., vol. 1,
p. 446-467)
: quel lecteur ne comprendra pas très vite qu'il lui sera
impossible, voire interdit d'expliquer ces deux songes ? Le
paradoxe veut que le lecteur comprenne aussi que le terrible
discours
du Christ du haut de l'église, du haut de l'univers, puis
les
sublimes emboîtements des songes de Marie n'ont aucun
« sens » en dehors de l'interprétation
qui
n'aura jamais lieu. Or, le songe romantique, c'est ce que ne
pouvaient laisser prévoir les quatre
songes de Charlemagne dans la
Chanson de Roland, où l'intérêt n'est
pas
que les médiévistes continuent sans cesse de
débattre de leurs bonnes interprétations, mais le
fait
qu'aucun lecteur de ces songes ne peut imaginer un instant qu'ils
puissent ne pas en avoir, même nous, lecteurs des
romantiques : ce sont des songes.
Cela dit, il n'est pas nécessaire d'en
venir aux songes romantiques pour trouver une illustration
spectaculaire de cette propriété. On la rencontre au
Moyen Âge déjà, en Italie, dans le songe qu'on
peut considérer à bon droit comme la date de
naissance de notre poésie d'Europe moderne,
héritière de la poésie gréco-romaine.
Il s'agit du sonnet, du songe de Dante, « A ciascun'alma
presa e gentil core », À toute âme éprise et
gentil coeur (comme l'espace n'est pas compté ici,
j'ajoute entre parenthèses qu'à deux reprises,
à
une année d'intervalle — la première et la
troisième années consacrées au songe —,
un participant de notre séminaire a tenu à adjoindre
le songe de Dante à notre corpus des songes en France au
Moyen Âge; l'initiative était évidemment tout
à fait justifiée par l'importance exceptionnelle de
cette réalisation littéraire multiple, de sorte qu'il
se retrouve
aujourd'hui dans notre anthologie et va servir maintenant
d'illustration; cela dit, je n'ai pas
été en reste, puisque j'en ai profité pour y
adjoindre d'office la Légende dorée !).
L'« histoire littéraire » se
déroule en trois temps : (1) Dante rédige le
sonnet qui présente un songe dont il demande aux
poètes l'interprétation; (2) parmi de nombreuses
réponses, vient celle de l'ami et du maître du fin
amour, dorénavant le maître de Dante, le sonnet
« Vedeste, al mio parere, onne valore »
(« Tu as vu à mon avis toute
perfection »); (3) huit ans plus tard, Dante
rédige
un cahier autobiographique, qui restera inédit
jusqu'après sa mort, un chef-d'oeuvre qui fait le point sur
sa vie et son oeuvre poétique, où il trace alors pour
lui-même, en quelque sorte, la genèse et le programme
de son oeuvre poétique à venir, qui est aujourd'hui
pour nous la Divine Comédie. Ce fameux cahier, c'est
la Vita nuova, où Dante raconte sa vie intellectuelle
en rééditant et commentant ses principaux
poèmes de jeunesse. Le premier est le sonnet du songe
initial que le poète (1) situe, (2) réécrit et
(3) (ré)interprète. Dans le contexte d'une
étude du
songe médiéval, cette opération est vraiment
exceptionnelle, car on peut confirmer en quelques mots quel auteur
génial préside à la renaissance de la
poésie européenne. Mais reprenons d'abord la
caractéristique du songe qu'il s'agit d'illuster ici. Dante
fait un sonnet du songe qui demande son
interprétation : pas de songe qui n'implique pas par
définition son interprétation — même si
elle n'est pas donnée avec lui, comme c'est bien le cas ici.
Parmi d'autres, Guido Cavalcanti produit le complément du
songe,
l'interprétation qui pour Dante et pour tout le monde
poétique devient le doublet de son sonnet (tel qu'on le
trouve depuis dans les éditions de leurs oeuvres, bien
entendu). Mais le plus extraordinaire, c'est le coup de
génie de la Vita nuova qui remet les deux sonnets
« en contexte » : le contexte
autobiogaphique (c'est le coup de foudre manifestement
réciproque de Dante et de celle qu'on doit appeler
Béatrice, alors qu'ils ont neuf ans); c'est ensuite le
contexte onirique, à 18 ans, alors que, pour la
première fois, Dante entend Béatrice s'adresser
à lui, pour le saluer, ce qui produit un bouleversement
émotif, une soirée d'extase et le fameux songe qui
vient au matin de cette nuit; et c'est pour finir le
« contexte narratif » : Dante
réécrit le songe tel qu'il peut maintenant le
reproduire de la manière la plus réaliste qui soit,
le souvenir étant ravivé par son sonnet et son
interprétation par son maître du stil nuovo
(interprétation « aujourd'hui comprise par les
lecteurs les moins
perspicaces », conclue-t-il à peu près).
Avant de revenir à la question de
l'interprétation nécessaire et inéluctable du
songe qui nous occupe, on peut observer que
nous sommes ici très exceptionnellement à la porte du
rêve, en plein Moyen Âge. Dans une remarquable
introspection, un écrivain de génie, qui a bel et
bien
produit le sonnet d'un songe, peut en retracer ensuite la stricte
« annotation », comme le feront cinq
siècles plus tard d'autres observateurs exceptionnels :
la Vita nuova produit exactement comme Freud le fera, le
récit préparatoire, puis le récit de
rêve — dont il avait tiré le
« songe » du sonnet qui impliquait ses
« interprétations ». Certes,
l'annotation n'obéit pas parfaitement au récit de
rêve de l'histoire rêvée, mais elle se compare
tout à fait aux réalisations littéraires tout
aussi exceptionnelles du songe/rêve de Pauline ou d'Athalie. Nous sommes devant
des réalisations d'artistes
exceptionnels.
« Songe/rêve » :
Racine, Corneille, et, bien avant eux, Dante sont certes des
génies qui ont approché la réalité de
ce qui sera beaucoup plus tard le rêve, mais leurs
réalisations relèvent d'abord du songe qui implique
son interprétation. On vient justement de l'illustrer du
sonnet de Dante. Il faut maintenant s'interroger sur la
prétendue réalité inverse, celle des songes
médiévaux qui n'auraient « par
définition » aucune interprétation, le
« songe vain », le
« phantasme », voire le rêve
(latin insomnium, visium et
« deliratio »). C'est très
simple : on n'en trouve absolument aucun dans le corpus des
songes médiévaux en France. Mais, dira-t-on, ce
corpus est celui de la « littérature »
médiévale où les songes
« quotidiens » n'ont pas été
enregistrés. Outre que cela soit bien peu probable sur des
siècles de littérature, outre que la
littérature enregistre généralement la
réalité, nous avons beaucoup de songes
littéraires qui, bien au contraire, nous viennent
manifestement de la réalité et n'en sont pas moins
des « songes », ce qui implique leur
« interprétation ». Prenons le cas du
songe du cerf
ailé de Charles VI raconté par Froissart.
Il est évident que ni le futur roi ni le chroniqueur ne
s'intéressent à
l'« interprétation » du songe, un songe
qui illustre une figure, l'image du « cerf
ailé » que le roi mettra à ses armoiries.
Certes, Charles n'est encore jamais venu à Arras en Flandres
où la chronique l'y conduira après le songe, mais
peu importe l'interprétation, c'est le texte du songe
qui importe ici. On se retrouve avec une toute simple scène
de chasse (oui, si peu nous importe le prétexte du
« songe » et de son « cerf
ailé »), comme on en trouvera dans les songes
inventés par Robert Garnier ou Pierre de Ronsard (le songe d'Hippolyte et le songe de Ronsard). Dans ces deux
derniers cas, il me semble qu'on se trouve aussi dans l'univers
assez quotidien du récit de chasse (on en
connaît tous de fameux, si ce ne sont pas les
nôtres !). Toute la différence est que,
contrairement aux deux autres, le récit de chasse du songe
de Charles met à ce point l'accent sur la
« figure » du cerf ailé que Froissart,
tout comme le roi et nous tous, en oublions que c'est un songe.
Voilà, on l'admettra, qui est exceptionnel, puisqu'on ne
peut en donner aucun autre exemple.
On comprend maintenant la difficulté
que
pose le recueil ou la compilation et l'édition des
unités du corpus des songes médiévaux. Et il
n'y a pas d'autres façons de procéder que celle mise
au point pour notre
anthologie, c'est-à-dire que le texte
du songe (édité ici en rouge) doit venir avec le
contexte où l'on trouve son ou ses interprétations,
avec en plus l'interprétation qui se dégagera
éventuellement de la lecture de l'oeuvre. On pose donc
l'équation : songe = texte du songe + contexte
interprétatif, car on ne peut pas parler du songe et de son
interprétation, comme on le fait du rêve. Sauf
exception (lorsqu'il sera uniquement question de
l'interprétation du songe en tant que telle), on
désignera donc dorénavant le second volet du songe
comme le « contexte interprétatif ». Ce
sera évidemment lourd et paraîtra inutilement
compliqué, mais il s'agit de désigner une
propriété essentielle du songe : le rêve
et son interprétation sont deux choses différentes;
le songe, lui, comprend son texte et son contexte
interprétatif (qui n'est pas toujours un texte).
Avant d'essayer d'estimer le nombre
d'unités que doit compter le corpus des songes
médiévaux en France, on reviendra à notre
bibliographie pour prendre en considération le
« découpage » du texte du songe dans le
contexte (qui comprend souvent le contexte interprétatif
immédiat du songe). On trouve fréquemment ce que
fait
Mireille Demaules, encore elle puisqu'elle le fait fort bien (c'est
tout le premier chapitre de son livre, bg. 78), soit le recensement des formes de
présentations stéréotypées du songe au
Moyen Âge. On l'a vu, le songe (comme aussi l'apparition ou
la vision en songe) vient nécessairement au cours du
sommeil,
mais il se trouve parfois signifié par le réveil du
personnage. Si le songe n'est pas désigné
explicitement, il le sera de manière
« implicite », tout aussi efficace,
rappelons-le,
souvent par la formule « il li fu / ert avis
que », « mi fu vis que »,
« il me / lui sembla veoir », etc.; ou
encore on désigne l'« avision » qui
vient
alors. Enfin, si le songe n'est pas présenté comme
la
cause du réveil, le réveil suit immédiatement
(à tel point que les quatre
songes de Charlemagne paraissent
une
remarquable figure négative de la poétique du songe
médiéval, puisque chaque fois « rien de
cela
ne le réveille »).
Mais curieusement, de tous nos chercheurs, un
seul s'occupe de décrire les formes d'insertion du songe
dans
son contexte, et c'est Pierre-Yves Badel qui travaille pourtant sur
un corpus où le phénomène est par
définition peu significatif, puisqu'il s'agit du songe
d'encadrement narratif, comme c'est le cas de son sujet, le
Roman
de la rose (bg. 49,
« Frontières du songe »,
p. 335-351).
Il a mis au point une grille d'analyse formaliste qu'on ne manquera
pas de développer et d'appliquer à tout le corpus du
songe médiéval dans l'avenir : le songe est-il
ou
non motivé par le narrateur en regard de la veille qui le
précède ? La fermeture du songe
(généralement le réveil) est-elle ou non
motivée et, si oui, l'est-elle par des
éléments
intérieurs ou extérieurs au songe ? Etc. Je dis
« etcetera », parce que les questions qui
suivent
s'occupent plus de la substance que de la forme des songes (la
nature
de ses contenus et les fonctions de ses personnages). Il est
surprenant que les spécialistes du songe
médiéval aient été si peu guidé
par la thèse de Frédéric Canovas
(Narratologie du récit de rêve, University of
Oregon, 1992, ix-271 p.), alors qu'elle permet de poser en ce
domaine bien d'autres questions aussi simples et pertinentes que
celles-là (la longueur relative des textes et de leur
contexte
interprétatif, leur situation dans les oeuvres, les types de
narrateurs et de narrations, etc.). En tout cas, ce qui ressort
déjà de l'analyse de Pierre-Yves Badel, c'est
l'hypothèse du caractère factice de l'insertion des
songes dans leur contexte, comme dans les oeuvres, tandis que les
variations de leur longueur sont considérables, ce qu'on
peut
bien dire avant de les avoir mesurées. D'un
côté
son ouverture est rarement motivée, tandis que le songe
motive
au contraire de lui-même sa fermeture ou le réveil, ce
qui, dans les deux cas, contredit l'expérience onirique la
plus ordinaire : nos rêves sont faits de souvenirs, dont
plusieurs du jour précédent, ils ne nous
réveillent jamais (c'est le mythe du cauchemar), tandis que
pour la plupart des travailleurs le réveil est produit par
le
si bien nommé réveille-matin, de sorte que le
« rêve de réveille-matin », lui,
est
exceptionnel. Bref, contrairement au récit de rêve,
le
songe n'est pas « réaliste »; il s'agit
au contraire d'une construction artificielle, comme on le voit
déjà à son insertion dans ses contextes, alors
qu'on n'en a encore étudié aucun.
On peut saisir au vol la dernière
proposition pour faire transition : la plupart des
études
générales de notre bibliographie réussissent
le
tour de force de parler du songe médiéval sans jamais
en présenter ou en étudier aucun. On peut bien
admettre que si l'historien se propose d'étudier les
conceptions et les théories médiévales du
songe,
son objet d'étude n'est pas le songe, mais les discours
qu'on
a développés à son sujet. Or, on observe
justement un net dédoublement phénoménologique
du songe et particulièrement du songe
médiéval.
Tout se passe comme si le phénomène qui se produit
dans
le sommeil et celui qui est rapporté, écrit ou lu
étaient deux réalités différentes et
pour
bien dire sans rapport, alors qu'en principe le second
présuppose le premier et qu'en même temps il est seul
à y donner l'accès. Il faut faire attention que
cette
présupposition non réciproque, qui est
évidemment pour nous celle du rêve, n'est pas celle du
songe. Il suffit d'ailleurs de relire l'Onirocriticon avec
cette idée à l'esprit pour voir aussitôt que
Macrobe ne traite pas des songes (c'est-à-dire de ce qui
nous
occupe ici) mais de ce dont il y est question ou de ce qu'on y voit
(la chose ou plus rarement l'idée étant toujours
isolée, sortie de son contexte discursif). Voilà qui
rejoint la radicale opposition entre les discours sur le songe et
le
discours qu'est le songe, la théorie et la pratique,
pourrait-on
dire. Stephen F. Kruger pose le principe qu'il illustre
lui-même,
puisqu'il faut attendre à l'avant-dernier chapitre
de son livre, pour voir énumérer des songes et au
tout
dernier, le sixième, pour en voir étudier un ou trois
(ceux de Guibert de Nogent sont évoqués, puis le
songe
de la mère de saint Augustin et les songes de conversion
d'Herman de Cologne). Ce principe, fort bien observé, est
que
les clés des songes n'ont jamais eu le moindre impact ni sur
leur production ni sur leur interprétation (bg. 4, p. 123). Et cela est tout aussi vrai
pour les diverses théories classiques sur le songe, dont
leurs
fameux classements. Il n'est pas nécessaire d'être
cartésien pour comprendre que les clés du bon vieux
Artémidore, comme ses subtiles distinctions que reprend
Macrobe (dans son Commentaire au songe de Scipion de
Cicéron)
étaient déjà des exposés
propres
à séduire la naïveté des lecteurs,
clés et distinctions dont le Moyen Âge ne cessera de
jouer, alors que les classiques y mettront encore de
l'« ordre » au siècle suivant. Pour
faire
rétrospectivement justice de ces amusements sans
conséquences, il faut lire le chapitre que Florence Dumora
consacre au « classement de ces classements »
(l'OEuvre nocturne : songe et représentation au
XVIIe
siècle, Paris, Champion, 2005, 585 p.,
p. 26-39).
Bref, insomnium, visium,
oraculum, visio, somnium et autres très
savants concepts n'ont rien à voir avec l'étude des
songes au Moyen Âge. Un songe est un songe, d'où
qu'il
vienne (de Dieu, du diable ou de l'estomac qui digère mal),
et nous avons déjà tout dit de ses catégories
lorsqu'on a posé qu'il s'agit du (3a) songe, ou encore de
(1) l'apparition ou de (2) la vision qui vient en (3b) songe durant
le sommeil. Et les clés des songes ne sont pas plus utiles
que
ce que l'on trouve aujourd'hui sur les rayons de nos librairies,
section « Nouvel Âge » (pour faire suite
au « Moyen Âge »).
1. Autrement dit, les travaux
généraux sur le songe au Moyen Âge sont peu
utiles à l'établissement du corpus (alors même
que cela est significatif du songe, puisque les grands travaux
théoriques sur le rêve ne manquent jamais d'en
produire
et d'en étudier).
2. C'est le travail d'Alain Corbellari et de
Jean-Yves Tilliette (bg. 9),
représenté par leur recueil de 2007, qui
théorise le mieux l'objectif d'établir le corpus des
songes du Moyen Âge en France. On peu croire d'ailleurs
qu'il
s'agit d'une étape dans un projet de recherche dont c'est le
premier objectif. Malheureusement, de ce point de vue, l'ouvrage
est
assez brouillon, tout comme l'important exposé d'Alain
Corbellari qui se termine en queue de poisson sur l'objectif
même de l'ouvrage : « Comme il est encore
prématuré de livrer ici la liste des textes
déjà dépouillés (car un
répertoire
incomplet ne serait d'aucune utilité), je me contente ici de
proposer » un inutile protocole scolaire dont nous
n'avons
rien à tirer (bg. 9 [4],
p. 70).
« Prématuré »,
« d'aucune
inutilité » ? N'est-il pas surprenant qu'un
chercheur puisse croire qu'il soit
« prématuré » et
« inutile » de
produire une liste encore incomplète ? J'espère
bien que la liste qu'on commence à lire ne sera pas
jugée
prématurée ni qu'elle sera inutile... Cela dit, le
panorama qui s'achève avec cette désinvolture aura
inspiré mon propre dépouillement construit
avec
mes étudiants à partir de l'importante bibliographie
de son recueil,
je l'ai déjà dit dès le début. Mais
l'idée que l'on peut se faire du corpus des songes
médiévaux à partir de ce recueil est encore
approximative.
3. Malheureusement, cela ne s'arrange pas avec
les travaux sur le songe dans la littérature latine du Moyen
Âge. On en tire certes des « exemples »
importants, à commencer par les songes consignés dans
l'autobiographie de Guibert de Nogent (étudiés de
près par Jean-Claude Schmitt, bg. 25),
songes d'autant plus importants qu'on y trouve, dans
le second songe de sa mère,
une première réalisation incontestable du rêve,
même s'il se trouve encore, dans ce
« songe », à l'état embryonnaire.
On peut dès lors faire l'hypothèse que c'est dans
cette
littérature religieuse autobiographique de langue latine
qu'on trouvera la préfiguration du rêve de
l'époque classique, en français, dans
l'autobiographique et la correspondance de Jeanne-Marie Guyon, par
exemple. Mais l'analyse n'en est pas encore là. Les
ouvrages
généraux d'Isabel Moreira, de Steven F. Kruger et de
Jacques Le Goff, pas plus que les travaux spécialisés
sur la littérature latine mérovingienne, ne
permettent
de circonscrire leur corpus des songes. La biographie de Guibert
de
Nogent présente 15 songes (J.-C. Schmitt, bg. 15, p. 267). On trouve trois songes
dans la Vie de sainte Radegonde et plusieurs songes/visions dans la
vie de sainte Aldegonde (Isabel Moreira, bg, 24,
p. 188-190
et 198-223). Si l'on ajoute les songes désignés dans
l'ouvrage de Stephen F. Kruger (bg. 4), on
obtient l'esquisse d'un corpus, dont on
n'a
pour l'instant qu'une idée approximative. Estimons :
moins de 30 songes.
4. Est-il possible qu'on ne trouve encore
aucune
étude du songe dans la Légende dorée de
Jacques Voragine ? Il semble bien que ce soit pourtant le cas
(en français du moins). L'anthologie en accueille un
exemple
significatif,
le songe de l'évêque
Néron. Le dépouillement anonyme du site internet
Reves.ca de Christian Vandendorpe accumule maladroitement 28 songes
de l'ouvrage, les découpant arbitrairement et les situant
sommairement. Il faut en ajouter au moins dix qu'on trouvera dans
les Vies de saint Julien (Julien l'Apostat), saint Marc (deux
songes), saint Grégoire, sainte Agnès, saint
Rémi, sainte Marthe, saint Étienne (au moins deux) et
sainte Justine. Trop souvent, ce que le découpage que
Reves.ca représente par un texte de dix lignes est en
réalité un fragment dans un ensemble d'apparitions et
de visions, de nuit, durant le sommeil du personnage. L'oeuvre est
un corpus de songes significatif, puisqu'il s'agit, en France,
d'une
oeuvre latine « italienne » pour plusieurs
siècles de portée européenne. Si l'ouvrage
est
un important corpus de songes, c'est que plusieurs visions de
l'original deviennent d'un mot des songes dans les traductions et
inversement. La cause en est que la frontière entre les
apparitions et les visions (déclarées telles) et ces
phénomènes produits la nuit, entre un endormissement
ou un réveil, est si mince dans la Légende
dorée qu'on peut dire qu'elle n'existe souvent
pas !
Des songes sont d'évidentes visions ou apparitions
(nocturnes)
ou tout le contraire, des apparitions ou des visions sont
finalement,
abruptement, déclarées comme des songes. Un mot
suffit
(et il nous suffit, forcément). Total recensé
à
ce jour : 38 songes.
On trouvera d'autres songes, je suppose, dans
des Vies du Moyen Âge, comme c'est le cas d'un songe de
Sulpice
Sévère dans sa Vie de saint Martin, bien que
l'apparition doublée de visions ne puisse être
désignée comme telle que
d'un mot (« Je m'éveille »). Traduction
de Jean Fontaine, Paris, Édition du Cerf, 1967, 3 vol.
(la référence du texte que j'ai en main est
sommaire : Paris, Cerf, 2003, p. 41).
5. La bibliographie de la thèse
d'Herman
Braet sur la chanson de geste (bg. 31) est
précise, même si elle ne correspond pas à un
dépouillement statistique déclaré. Il est
difficile d'estimer le nombre de chansons de geste
dépouillées, car la bibliographie, outre des chansons
qui ne comprennent pas de songes, énumère beaucoup
d'autres oeuvres du Moyen Âge (sans compter les diverses
éditions des mêmes oeuvres, dont une vingtaine pour la
seule Chanson de Roland). En revanche, le nombre d'oeuvres
retenues parce qu'elles comprenaient des songes est de 34. Yvan G.
Lepage, qui en a édité la majorité sur le site
Reves.ca de Christian Vandendorpe (bg. 36a)
produit 61 songes (sur les 100 songes médiévaux de
son
édition), soit en moyenne deux songes par chanson de geste
comprenant des songes; mais comme la répartition est
inégale (de 1 à 8), la norme est plutôt d'un
songe par chanson. Rappelons le total recensé : 61
songes.
6. Ce n'est pas compliqué : les songes
des chroniqueurs étudiés (ceux du seul Joinville par
Michel Zink, bg. 47) sont moins nombreux
que
ceux édités dans l'anthologie,
les deux songes de Joinville et
le songe de Charles VI
rapporté par Froissart. On peut donc penser que le corpus
des
songes des chroniques n'est pas encore dépouillé. On
ne fera donc pas l'addition qui donnerait au total : 3
songes.
7. Dans le cas du théâtre, le
corpus avoisine zéro.
8. Comme on voudrait bien arriver au plus gros
chiffre total possible pour que la réalité des
dépouillements ne nous décourage pas ensuite, on
additionnera donc les récits cadres ou songes
allégoriques. Je suppose que le corpus de Virginie
Minet-Mahy
(cf. bg 53bis) et le
dépouillement
bibliographique de Christiane Marchello-Nizia (bg. 52, p. 39-40 et n. 1-3) est
déjà compris dans l'ouvrage de Pierre-Yves Badel
(bg. 49), même si l'auteur ne
désigne pas les cinquante oeuvres de son corpus (renvoyant
au
manuel bibliographique de Robert Bossuat), énumérant
toutefois la dizaine d'oeuvres substantielles qu'il étudie
de
près (exactement neuf, p. 352). Grand total
accepté : 50 songes (et dans ce cas, 50 oeuvres qui
sont
présentées sous forme d'un songe, comme le Roman
de
la rose).
9. Aucune des études qu'on peut
rapporter
(un peu arbitrairement, il faut le dire) à la poésie
et au roman courtois ne permet d'établir le corpus des
songes
qu'on y trouve. L'anthologie les représente par le fameux
songe de l'empereur Alis dans
Cligès de Chrestien de Troyes, surtout parce que
l'auteur, qui est le véritable créateur de ce qui
deviendra le cycle du Graal, n'a jamais donné dans
l'onirisme,
lui qui pourtant a créé une littérature on ne
peut plus fantastique. En tout cas, le songe du pauvre mari Alis
est
un bel exemple de ces « songes d'amour » que
les
médiévistes qualifient d'érotiques. On
en trouve bien quelques exemples dans les romans mais personne n'a
encore entrepris d'en dresser le corpus. Cela tient à ce
que
les nombreux articles à ce sujet sont de l'ordre des
études thématiques, amalgamant le « songe
d'amour » (romanesque, amusant) et la « visio
amoris », comme la désigne Herman Braet (bg. 59). Il s'agit d'un thème
poétique et non d'exposés de songes, dont on
produirait
le texte discursif. Citons toutefois les exemples
édités par Yvan G. Lepage sur Reves.ca de Christian
Vandendorpe (bg. 37) : le songe de
Didon dans le Roman d'Énéas (1160), le songe
de
Guinglain dans le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu (1200),
tandis que Guillaume songe qu'il embrasse Mélior dans
Guillaume de Palerne (1240). On peut encore compter le
songe
de Floriant dans Floriant et Florete (1260). L'article
principal d'Herman Braet sur le sujet (bg. 60) ne permet pas d'en désigner
plus. Supposons : 15 songes.
10. Mireille Demaules sait compter, même
si elle mélange un peu les genres, passant de la Chanson
de Roland au Roman de la rose. Même dans son
domaine principal, elle ne fait pas trop de différence entre
les divers romans qui vont petit à petit constituer le
corpus
populaire des Livres ou de la Bible du Graal. Disons
donc qu'il s'agit ou s'agira pour l'essentiel du roman populaire,
qui
commence avec de grandes oeuvres littéraires (les romans de
Chrestien de Troyes où le songe n'occupe aucune place), une
oeuvre religieuse anti-romanesque (la Queste del Saint
Graal)
où neuf songes fabuleux débordent, avec de nombreuses
visions et apparitions, sur une réalité tout aussi
fabuleuse. Suivent les romans fleuves du Graal, avec leurs songes
aussi longs qu'insipides et leurs interminables
interprétations délirantes. En comptant d'autres
romans qu'on peut rattacher à la veine populaire ou à
ses origines et ses sources, la somme établie par Mireille
Demaules est de 86 songes.
11. Ni Alain Corbellari (mais je n'ai pu
encore
consulter son article de 2006, bg. 93) ni
Yamina Foehr-Janssens (bg. 92, 94-95) ne
nous disent combien on devrait compter de songes facétieux
dans le Roman de Renart (le songe de Chantecler) ou dans les
fabliaux (le « Sohait desvez » ou le
« Songe des vits » de Jean Bodel).
Total : 2 ?
Le corpus mis au jour par les chercheurs est
donc de 285 songes.
C'est peu ? Pour le savoir, il faudrait
estimer de la même manière les corpus des songes du
Moyen Âge dans les autres littératures — mais
chose certaine c'est beaucoup en regard des récits de
rêve de la littérature française moderne,
puisqu'une grande partie de la littérature
médiévale s'est perdue. Toutefois, en dépit
du
travail réalisé par Herman Braet, Yvan G. Lepage et
Mireille Demaules l'établissement du recueil de ces songes
sur
le modèle de l'anthologie proposée ici sera un
travail
considérable. Même si l'on n'a pas encore cet
instrument, on peut déjà proposer beaucoup plus que
des
pistes de recherche, puisqu'on connaît maintenant assez bien
ce qui nous manque : le recueil complet des songes du Moyen
Âge en France, en latin et en français, ne comptera
pas
500 unités (qui est aussi le nombre estimé des
récits de rêves de la littérature
française moderne), dont environ 250 peuvent
déjà être facilement identifiées. C'est
sur ce corpus encore informel qu'on poursuivra notre analyse.
Le corpus des songes médiévaux
vient d'être exploré en fonction d'une approximative
répartition selon les genres littéraires qui suit les
grandes lignes d'un développement chronologique, depuis la
littérature latine mérovingienne jusqu'au grand roman
populaire de la fin du Moyen Âge. Globalement, il ne fait
pas
de doute que le songe occupe une place prépondérante
dans trois grands genres à peu près successifs,
l'épopée, la Vita ou l'hagiographie et le roman
populaire. Est-ce que tout cela ne représente pas la
littérature populaire au sens le plus ordinaire du terme,
même au Moyen Âge ? Herman Braet a cru pouvoir
conclure qu'« à la différence des chansons
de geste et des vies de saints [ajoutons le roman populaire], le
songe, dans la littérature courtoise, n'apparaît plus
comme une révélation d'origine
surnaturelle »
(bg. 60, p. 112). Peu importe pour
l'instant (et pour toujours) le trait distinctif, car il n'y a pas
telle chose qu'on puisse appeler le « songe
courtois ». Il y a certes un important thème du
songe dans la poésie et, plus généralement,
dans
la littérature courtoise, mais cela n'a rien à voir
avec le discours herméneutique qu'on désigne comme le
texte d'un songe et son contexte interprétatif.
Tout au contraire, rien ne permet de
distinguer
les songes de l'épopée, de l'hagiographie et du
roman.
Ni même le songe d'amour ou le songe facétieux. Tous
sont des discours herméneutiques déclarés
comme
des songes et qui comprennent et appellent leur
interprétation. Et dans tous les genres on retrouve la
gradation de l'apparition et/ou de la vision en songe jusqu'au
songe
dont on rapporte des images et des scènes qui ne sont jamais
que des développements des apparitions ou des visions,
notamment celles rapportées par l'âme du songeur
à la suite de son « voyage ». On s'en
doute, c'est un classement de ces formes qu'on va bientôt
proposer.
Il faudra classer les formes du songe parce
que
ce mode discursif n'obéit à aucun modèle
narratif, contrairement au rêve qui correspond à un
récit, le récit de l'histoire rêvée. Le
rêve est une forme narrative simple, une « forme
simple » au sens strict où l'entendait
André
Jolles. On ne rappellera pas ici le détail de ses
propriétés, mais on doit avoir les conclusions de son
étude narrative bien nettes à l'esprit pour
comprendre
que le songe ne correspond nullement à un
phénomène de cet ordre.
Le rêve est une construction narrative
qui
contredit toutes les propriétés de l'histoire
événementielle simple. En particulier, l'histoire
rêvée n'a pas de situation initiale (Si), ni de
situation finale (Sf); elle n'est pas constituée d'une
suite
donné d'événements, soit d'une suite logique,
temporelle, causale ordonnant les événements du
premier
(E1) jusqu'au dernier (En). Le résultat est aberrant et se
représente par le formule suivante :
Rr :: Hr = [Si] + Ex + Ey + Ez... + Ei + [Sf]
On trouvera ci-contre l'exposé détaillé de ce
modèle. Ce qui importe ici, c'est
que
cette forme d'histoire événementielle, toute
aberrante
qu'elle soit en regard des autres formes simples d'histoire, est de
soi une forme narrative et ne peut être que cela. C'est
rigoureusement, du point de vue des études narratives, qu'on
parle du récit de rêve. Le rêve raconte
nécessairement une histoire, un récit de rêve
est
un rappel d'une histoire rêvée.
Il peut certes arriver qu'un songe raconte une
histoire et même une histoire longue et complexe,
parfaitement
bien articulée (sous la forme d'une histoire d'aventure).
C'est exceptionnel et cela n'a rien à voir avec la nature du
songe. Il arrive aussi qu'un songe raconte un fragment d'histoire
et cela appelle les mêmes remarques. Il arrive plus souvent
qu'un songe énumère une suite de faits sur le fond
d'une situation qui n'évolue nullement et cette
réalisation est la plus proche du récit de
rêve,
mais elle s'en distingue par sa nature non narrative : cette
forme du songe énumère des faits (elle n'articule pas
des événements), sur le fond d'une unique situation
(je
rappelle la définition de l'histoire
événementielle : il s'agit d'une suite
d'événements qui font évoluer une situation
initiale vers et jusqu'à la situation finale, ce qui
implique
l'enchevêtrement d'une série de situations
intermédiaires). Or, cette forme de pseudo-narration n'a
toujours rien à voir avec la nature du songe. Il faut donc
poser par principe qu'un songe peut énumérer des
faits,
présenter un fragment d'histoire ou même raconter
toute
une histoire, cela ne définira jamais un songe, ni n'en
présentera la nature et les propriétés.
Contrairement au rêve, le songe n'est pas une forme narrative
et il n'existe pas telle chose qu'on pourrait nommer un
« récit de songe ». Un songe ne se
raconte jamais. Il s'expose, ce qui est bien différent.
Cela ne signifie pas, bien sûr, qu'il
n'est pas susceptible d'une étude narrative, puisque c'est
ce
que l'on vient d'entreprendre en démontrant que le songe
n'est
pas une forme narrative ou, plus précisément, qu'il
n'a
aucune substance narrative déterminée. La
première conclusion est claire et incontestable : le
rêve est une histoire, le récit de rêve la
raconte; le songe, lui, n'est pas une histoire et ne se raconte
donc
pas.
Il a pourtant son narrateur et ce n'est pas un
paradoxe : le moindre exposé est l'oeuvre d'un
locuteur
qui met souvent en place une narration, même dans le cas du
discours le moins narratif qui soit, comme on le voit aux plus
anciens traités de l'art oratoire (voir la situation de la
« narration » dans la rhétorique
d'Aristote). Or, à comparer le récit du rêve
et
l'exposé du songe, on voit apparaître un trait
discursif
très net. En effet, la modèle théorique du
rêve présenté plus haut se réalise de
manière particulière. Si l'histoire
rêvée n'a pas de situation initiale [Si], en
revanche le récit de rêve s'ouvre au contraire
par une situation de départ (Sd) caractéristique. Le
rêveur, au réveil, doit raconter une histoire inouie
et
sa performance narrative, acquise depuis l'âge de cinq ans
environ, s'oppose à ce qu'il ouvre son récit sans
situation initiale, puisque c'est ainsi que commence par
définition l'histoire événementielle; alors
il
lui substitue une invraisemblable ouverture créée de
toute pièce, comme le montre sans peine l'étude
narrative, et c'est la « situation de
départ ».
On appellera la « situation
première » (Sp) celle qui ouvre et/ou ferme le
discours du songe. On reprendra maintenant à la
lumière de l'étude narrative cette
« ouverture » et cette
« fermeture » du songe, son
« insertion » dans le contexte ou sa
« présentation » (notamment si un songe
se trouvait isolé de tout contexte discursif, ce dont je
n'ai
pas encore vu d'exemple au Moyen Âge). Il faut voir qu'en
pratique un songe ne se découpe pas comme un
rêve. Voici par exemple le texte de la Recherche
où se trouve le récit du
rêve de Swann. On ne s'occupera que
de son ouverture, pour illustrer notre propos, mais je peux dire en
passant que sa fermeture est exceptionnelle, entremêlant les
niveaux diégétique et
métadiégétique — évidemment,
c'est
de Proust. Son ouverture, elle, est nette :
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